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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #philosophie et philosophes tag

Julien Benda, particularismes, passions, et intellectualisme

1 Avril 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Vous avez sans doute lu mon roman "La révolution des montagnes", qui est un roman, malgré les apparences, plus existentiel que politique (ce qui lui permet de porter ses interrogations plus loin). Ce roman se confronte beaucoup à la question du particularisme dans laquelle j'ai été profondément enfermé tant du côté de ma famille paternelle républicaine espagnole (à travers la mémoire d'une geste héroïque) que du côté de ma famille maternelle (à travers le culte des lieux).

 

J'ai remarqué ces derniers que dans ma région natale la politique immobilière et la réduction des territoires à des entités économiques rend caduque la problématique habituelle du particularisme géographique (de sorte que mon roman si je l'écrivains aujourd'hui serait très différent), caduque, mais susceptible d'être reconstituée sur des bases complètement artificielles (ainsi que le fit le nationalisme romantique à l'échelle européenne au milieu du XIXe siècle).

 

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A travers Julien Benda je retrouve la question très complexe du positionnement de l'intellectuel face à ces particularismes. Benda est une des dernières incarnations du républicanisme universaliste français dans toute sa pureté (celui qui vénérait les philosophes grecs et en rendait l'étude obligatoire à tous les bacheliers). Aujourd'hui Chomsky en est à certains égards le prolongement mais sur un plan un peu différent.

 

Benda pose dans toute sa limpidité le problème du rapport aux passions dont le particularisme (dans sa version nationaliste) est une des modalités (dans le culte des sensations du terroir, des rapports de proximité sur la base d'une langue ou d'un accent, toutes ces fantaisies romantiques funestes qui coûtèrent des dizaines de millions de morts à l'Europe au XXe siècle). Il leur oppose le modèle du clerc idéal (dont personnellement je verrais l'origine chez es philosophes stoïciens sur lesquels j'ai beaucoup écrit, qui m'intriguent beaucoup, et qui sont les inventeurs du cosmopolitisme - soulignons-le à l'heure où Poutine veut faire d'Emmanuel Kant, autre grand cosmopolite rationaliste, l'emblème de Kaliningrad,à des fins presque de marketing).

 

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On pourrait soutenir qu'aujourd'hui, le marché libéral dissout à la fois le particularisme (qu'il remplace par un culte des labels et des marques), et la figure de l'intellectuel (remplacé par le propagandiste utilitaire à la BHL ou Caroline Fourest). L'intérêt viscéral pour le lieu n'a cependant pas disparu, depuis la passion belliciste (même si elle est dictée par  a peur) qui s'empare de la Corée du Nord, à celle qui, au même moment, pousse les foules à envahir Lumumbashi. Et je ne crois pas que tout intérêt pour une figure de l'humanité à la fois transfrontalière, et cependant rationnaliste, studieuse et avide de lecture (non simplement consumériste et financièrement intéressée) ait tout à fait disparu (je la vois poindre notamment dans cette jeunesse chomskyenne de moins de trente ans). On peut prédire que si la globalisation capitaliste s'abîme dans des fièvres guerrières, ou simplement dans la misère des peuples, qui les empêche de voyager, de nouvelles passions pour les lieux et les généalogie renaîtrons face auxquelles l'intellectuel cosmopolite devra trouver une attitude adéquate, une attitude qui ne soit pas de simple auto-défense dédaigneuse d'une internationale des banquiers comme le fait Jacques Attali : la définition d'une universalité qui ait un positionnement très clair sur la question des passions. Mes propres interrogations sur le stoïcisme ne me permettent peut-être pas d'aller assez loin là-dessus. Et pourtant une défense pure et simple du l'intellectualisme classiciste n'est pas non plus une réponse tout à fait satisfaisante. Il faudra y réfléchir dans les années à venir.

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L'esthétique de la rupture responsable

13 Février 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Un type comme moi, vous ne le verrez pas à la TV, ni chez Taddeï ni ailleurs, parce que je ne cherche pas à écrire des livres de spécialiste qui éclairent un sujet à un moment donné. J'essaie de dessiner une trajectoire qui puisse faire sens sur 20 ou 30 ans comme illustration de ce que pourrait être une façon raisonnable de se tenir dans une époque comme la nôtre. Par conséquent tous les livres que j'ai écrits forment une seule et même oeuvre, où les parties se renvoient les unes aux autres. Je pense qu'on le voit bien dans le livre sur le stoïcisme où l'on passe pour ainsi dire de Belgrade à la Stoa sans transition. J'ai essayé de ne négliger aucun aspect important (les relations internationales, la technologie, les moeurs intimes etc). Et j'ai en permanence précisé ma position à l'égard des diverses modes - celles des dominants : de BHL à Caroine Fourest - celles des opposants - de Meyssan à Bouteldja - pour éviter aux lecteurs les contre-sens sans pour autant passer mon temps à me définir par rapport aux uns et aux autres.

 

J'ai défendu des options de rupture, mais toujours responsables, en tenant compte du réel, des faiblesses de la société humaine, de la nécessité de garder, au moins à titre provisoire - mais peut-être pour certaines à titre définitif - des institutions solides, des systèmes de défense etc (je pense par exemple que vous aurez trouvé dans ma prise de position sur le Mali par exemple un aspect de ce souci de responsabilité, parce qu'il faut toujours chercher à rester crédible, penser en l'air, au milieu de fantasmes personnels, ne mène à rien).

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Pour des raisons structurelles (j'avais écrit "structurales", mais abandonnons le langage des années 60) liées à mon itinéraire et à ma personnalité (les deux s'influençant mutuellement), je ne pouvais pas gagner à ma vision des choses un public large. Et, parce que mon public était restreint, je suis demeuré dans une spirale descendante : une vie professionnelle extrêmement aliénante, des petits éditeurs confidentiels etc. Et cette conjoncture négative était entretenue par la structure terriblement moutonnière de nos sociétés qui condamnent tous les opposants à une marginalité stérile (si je prends le cas des "anti-impérialistes" par exemple, ce ne sont plus aujourd'hui que des individualités isolées et fragiles qui se font la guerre entre elles).

 

Aujourd'hui j'ai encore 3 ou 4 manuscrits à caser chez des éditeurs du type L'Harmattan. Il faudra peut-être quatre ou cinq ans avant que je parvienne à les publier chez cet éditeur ou chez un autre, et je sais que chacun aura au maximum trente lecteurs. Le temps où je plaçais un livre par an chez des éditeurs est révolu, et je ne fais d'une certaine façon que conclure cette phase-là en terminant par ces 3 ou 4 livres.

 

La nouvelle phase d'écriture qui s'ouvre à moi aujourd'hui est une phase plus complexe. Je vais tenter d'écrire une sorte de livre ultime que je rédigerai dans une indifférence totale à l'égard des perspectives de publication et du lectorat potentiel. Cette écriture devrait avoir pour finalité de préparer ma rupture personnelle définitive à l'égard de mon mode de vie et du milieu où j'évolue. Pourquoi le faire avec et par l'écriture ? Parce que l'écriture est une garantie d'universalité et de responsabilité. Quand j'écris pourquoi et comment je veux rompre, je m'assure la garantie que cette rupture reste en phase avec l'idée de l'humanité que je me fais, que je ne suis pas dans le caprice superficiel. Ce travail de rupture, je souhaite l'élaborer à travers une réflexion sur un philosophe antique, pas n'importe lequel (et cependant je suis prêt à parier qu'aucun d'entre vous n'a jamais entendu son nom car notre époque ne lui fait aucune publicité, pour des raisons que je serai amené à décrire sans doute). La philosophie ne sert à rien si elle ne débouche pas sur des actes, et, réciproquement, il faut croire qu'il n'y a pas d'acte véritable possible sans recherche philosophique. J'entends aujourd'hui entrelacer pensée et acte autour de la rédaction de ce livre tout au long des cinq ans qui viennent. Voilà comment je compte donc préparer mon entrée dans la vieillesse, dont j'espère qu'elle sera aussi une entrée dans la rupture finale.

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L'intelligence comme "lethal mutation"

20 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

p1000207.jpgUn argument que j'ai entendu récemment dans une conférence de Chomsky, mais qu'il a emprunté aux biologistes, et que je trouve résumé ici : "If you take a look at biological success, which is essentially measured by how many of us are there, the organisms that do quite well are those that mutate very quickly, like bacteria, or those that are stuck in a fixed ecological niche, like beetles. They do fine. And they may survive the environmental crisis. But as you go up the scale of what we call intelligence, they are less and less successful. By the time you get to mammals, there are very few of them as compared with, say, insects. By the time you get to humans, the origin of humans may be 100,000 years ago, there is a very small group. We are kind of misled now because there are a lot of humans around, but that’s a matter of a few thousand years, which is meaningless from an evolutionary..."

 

De quoi il est déduite que l'intelligence est une "mutation mortelle" ("lethal mutation") à l'échelle du devenir des organismes vivants.

 

Lorsque Chomsky l'énonçait dans la conférence que j'écoutais, il disait qu'une prochaine guerre mondiale finirait sans doute par "réaligner" l'humanité sur cette norme biologique qui veut que plus on est une espèce intelligente plus on est voué à être en nombre restreint et à s'éteindre au moindre changement d'environnement. Sur le moment je n'ai pu m'empêcher de songer que c'était là typiquement la pensée d'un théoricien vieillissant qui trouve commodément dans la biologie une légitimation de son pessimisme personnel, et procède, ce faisant, à une extension abusive des conclusions de cette science (laquelle, pour l'heure, est plutôt vouée à voir dans l'intelligence humaine une exception au sort funeste réservé aux autres organismes élaborés). Mais il est clair que je n'évacuerai pas simplement cette intuition chomskyenne sur la base d'un diagnostic psychologique un peu léger, et que je vais sans doute dans les années à venir creuser cette idée, tenter d'en comprendre mieux  les fondements, les implications, et la mettre à l'épreuve de diverses autres objections possibles dans des registres variés.

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Les grands "dépressifs" de l'histoire selon Bruce E. Levine

1 Décembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

P1020724C'est un sujet que j'aborde un peu dans mon livre sur le stoïcisme, alors pourquoi ne pas poursuivre la réflexion (pour ceux qui lisent l'anglais) avec cet article du psychologue clinicien Bruce E. Levine en ligne ici ? Sa liste de dépressifs célèbres est longue : Bouddha, Dickens, Twain, Lincoln, Freud, Kafka, Churchill. Elle pourrait sans doute l'être plus longue compte tenu de la définition très large que l'auteur (et notre époque avec lui) semble donner à la notion de dépressif.

 

Mais je suis assez sceptique sur le bien-fondé même de cette catégorie. Elle recouvre ce qu'on appelait autrefois les "tempéraments mélancoliques". On ne peut pourtant pas dire que le changement de terminologie marque un progrès. Jadis il était admis que le penchant mélancolique était répandu, comme le tempérament colérique, joyeux etc. On le savait prédominant chez certaines personnes, tout en étant susceptible de tomber sur n'importe qui à la faveur d'un événement malheureux ou d'un changement des humeurs corporelles (puisqu'on raisonneit beaucoup en terme de "complexion"). Le terme de mélancolie avait le mérite d'être moins stigmatisant que celui de dépressivité. Il n'était pas rigoureusement attaché au domaine médical et à des procédures thérapeutiques (comme le Prozac par exemple). A la limite on pouvait le rattacher à l'influence des dieux, du génie, au talent poétique (voyez quelle apologie en firent les romantiques).

 

L'histoire de cette notion est très symptomatique du pouvoir que tout un chacun est prêt à accorder aux institutions (en l'occurrence l'institution médicale), au totalitarisme que tout un chacun veut bien incorporer dès qu'on lui promet un mieux être émotionnel ou anatomique en échange. Bruce E. Levine dans cet article croit jouer un mauvais tour à l'obsession médicale en montrant que les mélancoliques du passé se guérissaient sans médecin. Mais bien sûr en remplaçant la notion de tempérament mélancolique par celle de penchant dépressif, il surmédicalise sans le savoir le thème qu'il aborde en classant sous le registre thérapeutique un pan de l'histoire de l'humanité qui se disait autrefois sous la catégorie de la poésie. Voilà un bel exemple de fausse subversion (sur un site de gauche qui se veut rebelle). Ici la rebellion se fait complice des pouvoirs en place en offrant comme unique porte de sortie aux victimes de la dictature actuelle qu'une option qui elle-même n'existe qu'à travers le vocabulaire de cette dictature.

 

Pour échapper au piège, il faudrait parvenir non seulement à refuser les termes d'état dépressif ou de déprime (a fortiori de dépression qui mériterait que je lui consacre un billet à soi seul), mais encore recréer cette fluidité de l'imaginaire  qu'autorisait autrefois la moindre spécialisation des tâches et des pouvoirs institutionnels, de sorte que des affects imprécis pouvaient se rattacher à plusieurs univers symboliques (la religion, la création etc) et s'épancher successivement dans chacun d'eux sans être rivés à une assignation thérapeutique stérilisante.

 

On sent bien que cette réintroduction de la fluidité passe par un travail intellectuel indépendant (donc largement solitaire) et ambitieux (car c'est toute une recomposition qui est en jeu). Rien ne serait plus vain que de proposer par exemple la constitution d'un petit groupe d'artiste ou d'une communauté anarchiste au fin fond des Cévennes qui appliquerait le refus des catégories psycho-médicales contemporaines, car ce groupe serait traversé de toutes parts par les apories culturelles de notre époque. C'est dans une construction philosophique individuelle et seulement là que les clés d'une reconstuction salutaire de l'imaginaire social peut être retrouvée. Prenez une construction intellectuelle comme la théorie de Deleuze dans les années 70 (qui est un très bel exemple de tentative de réintroduire de la fluidité à partir d'un travail de fond sur des concepts vieux de 2 500 ans), elle est aujourd'hui plus utile pour redonner du souffle aux esprits captifs que, par exemple, le souvenir de la communauté utopiste de Monte Verita dans les années 1900. Je ne veux pas dire par là que la solution est dans Deleuze, mais seulement que le travail intellectuel nous conduit plus loin dans la sortie des dictatures (en l'occurrence ici la dictature fonctionnaliste et médicale) que la pratique politique, parce qu'il est plus radical et plus global.

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Ce que nous pouvons savoir (un peu d'ontologie)

28 Novembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

 Après avoir lu mon billet sur la fin de l’apeiron, un lecteur me demande si, au terme de mes lectures philosophiques, je suis relativiste sur le plan « ontologique ».

 

Ceux qui connaissent bien mes écrits ont déjà la réponse mais il n’est pas inutile de la résumer pour les nouveaux visiteurs de ce blog (toujours plus nombreux au vu des statistiques de mon compteur), d’autant que tout résumé, par le choix-même de ses termes, peut apporter par lui-même des éléments nouveaux.

 

Du point de vue de l’ontologie, je pense que nous ne pouvons connaître de l’être que ce que l’évolution darwinienne nous a déterminé à en connaître. Et cette connaissance est de deux ordres :

 - la connaissance sensible, qui tire sa validité de son utilité pour la survie des individus et de l’espèce (je sais qu’il y a une table devant moi parce qu’elle résiste à mes doigts, lorsque je la touche, parce que mes yeux la rencontrent quand j’ouvre mes paupières etc, un savoir utile à ma conservation sans quoi je risquerais de me fracasser le crâne en tombant dessus si je ne savais pas qu’elle était là)

- la connaissance intellectuelle, qui naît d’une réflexion sur les données sensibles, permet d’optimiser la connaissance que l’on en a  (en rectifiant certaines erreurs des sens) et d’aller au-delà (grâce à elle nous connaissons par exemple les lois de la physique quantique qu’aucune perception par les sens ne pourrait nous donner)

 

La connaissance intellectuelle bien qu’elle permette d’aller plus loin que les sens reste partiellement tributaire de notre évolution darwinienne, et de certains schèmes qui, dans notre cerveau, sont issus de l’expérience sensible, par exemple celui qui nous porte à penser qu’une chose ne peut pas être et ne pas être en même temps.

 

Je ne crois pas faire preuve d’occidentalocentrisme en disant cela. Car, bien que la pensée logique ait été poussée très loin par les Occidentaux à la faveur de diverses révolutions sociales et politiques (l’invention du logos grec), le logique intellectuelle en lien avec l’expérience sensible existe dans toutes les cultures, même si beaucoup de pensées magiques en Orient notamment se sont ingéniées à former des systèmes intellectuels contre-intuitifs (et, à vrai dire, à mes yeux dépourvus de validité épistémique) dans lesquels justement des énoncés comme « une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être » sont réfutés (on a aussi, bien sûr, connu ce genre de pensée en Occident).

 

Le lien entre la pensée intellectuelle logique et l’empreinte de l’évolution darwinienne sur nos corps fait que, selon moi, nos cerveaux ne parviendront pas aux niveaux d’abstraction suffisants pour progresser dans la connaissance de l’être au point de pouvoir apporter des réponses à des questions comme « qu’est-ce qu’il y avait avant le Big Bang » ou « existe-t-il des univers parallèles au nôtre ? » (ou encore les nombreuses questions relatives à la définition du temps, de l’espace etc). Reconnaître cette clôture des possibilités du savoir fait partie incontestablement de la fin de l’apeiron que j’évoquais il y a quelques jours. De ce point de vue là je suis kantien, bien que, sur le plan épistémique, je réfute le constructivisme de Kant (nous ne « construisons pas » les objets de notre savoir).

 

galaxy-copie-1.jpgEt je ne crois pas en l’hypothèse des transhumanistes selon laquelle en déléguant la tâche de comprendre à des machines (supposées être capables de traiter abstraitement plus d’informations que nos cerveaux, à supposer que nous parvenions à en construire de pareilles), nous progresserons significativement dans la compréhension de l’être.

 

Car, à supposer même qu’une machine à fonctionnement accéléré parvienne à une découverte de lois sur les questions que je posais précédemment (à propos du Bigbang ou des univers parallèles pour reprendre ces exemples) ou a fortiori d’hypothétiques méta-lois susceptibles de rendre compte du fait que la matière ait des lois (ou que la matière existe) , encore faut-il qu’ensuite elle trouve ensuite les formules pour rendre ce savoir accessible à un cerveau aux capacités d’abstraction limitées comme le cerveau humain.

 

L’autre hypothèse à laquelle souscrivent les transhumanistes est la liquidation de l’humanité dans son devenir-machine. Mais il faut bien reconnaître alors que cette espèce mécanique qui succèdera à la nôtre nous sera à ce point étrangère que peu importe au fond ce qu’elle parviendra à comprendre ou à ne plus comprendre de ce monde et de l’être en général .

 

Je crois donc, en dernière analyse, que nos schèmes cognitifs sont surtout destinés à favoriser le développement des individus, des groupes humaines, et de l’espèce en général (à travers la médiation des sous-groupes qui la composent, ce qui ne veut pas dire que cette utilité fondatrice ex ante doive être la finalité de la connaissance ex post), qu’à l’intérieur de cet espace de contrainte, ces schèmes cognitifs sont tout à fait valables pour connaître la part de l’être qu’il nous est imparti de pouvoir connaître et qu’il faut travailler à les améliorer. Améliorer nos schèmes cognitifs à l’intérieur du périmètre de savoir légitime possible, cela suppose d’affiner nos modes de discrimination du vrai et du non-vrai, de hiérarchisation et de mise en rapport des savoirs, et aussi de travailler sur l’aspect pratique de ces schèmes, c’est-à-dire sur la mise en œuvre éthique, politique et esthétique de ces schèmes, aux lois qui dans ces diverses sphères pratiques doivent gouverner notre action. Ce qui suppose notamment de refuser la facilité du relativisme.

 

Il est difficile de garder une volonté de connaissance dans un périmètre de savoir identifié comme limité et de ne pas céder à la paresse intellectuelle du relativisme ou du nihilisme. Car l’humain est un animal profondément mu par la mégalomanie et particulièrement stérile quand on le prive de son horizon de conquête (ce qu’avait bien vu Nietzsche). Il faut donc trouver un horizon de conquête pour briser la clôture de l’apeiron. On sent bien que cette rupture ne sera pas possible sans la conservation de certaines catégories esthétiques hérités du temps où l’esprit de conquête prédominait. C’est pourquoi le présent blog accorde une telle place à la relecture d’auteurs anciens et à l’évocation d’époques révolues, non pas par fétichisme passéiste mais dans l’espoir d’en préserver des traits utiles à la définition d’un ethos de rupture.

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La fin de l'apeiron

25 Novembre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Tout le monde peut être d'accord sur ce diagnostic, bien que celan'implique hélas rien quant aux solutions à apporter (car les solutions sont absentes). La tristesse de notre monde tient à ce que nous avons liquidé l'apeiron, cette notion qui travaillait (et angoissait) tant les présocratiques. L'apeiron : l'infini, ce qui reste ouvert.

 

Avec cette vision du "village-monde" qui a travaillé la globalisation, cette obsession d'exploiter intensivement et rationnellement chaque millimètre carré jusqu'à ruiner l'écosystème, et de réduire (par le réductionisme biologique) les dernières formes de résistance (comme la dépression, grande résistance du début des années 2000, voyez "Tomber sept fois, se relever huit" de Labro), l'espace est aujourd'hui complètement clôturé : il n'y a plus d'Odyssée possible. Dans ce huis clos dont les issues ont été soigneusement bouchées, toutes les rancoeurs et les méchancetés peuvent se déchaîner : elles seules même peuvent donner une raison de vivre. C'est pourquoi dans ce monde sans fenêtre Bernard-Henri Lévy et Caroline Fourest sont rois.

 

C'est aussi, par la force des choses, un monde où les femmes, habituées à gouverner des espaces clos, respirent mieux que les hommes, autrefois éduqués au don quichottisme. Tout notre passéisme se nourrit de cela du reste : il n'est plus d'horizon de conquête que dans le temps écoulé, celui qui vient ne promettant que toujours plus de paralysie de nos gestes.

 

grille.JPGDans ce monde fini où tout est quantifié (même les séries TV : il suffit d'aller voir sur wikipedia à chaque fois qu'on souhaite savoir combien d'épisodes il nous reste à voir) l'instant manqué est une fraction du quantum d'instants de même nature qui nous étaient alloués (par exemple, le nombre de fois où je vois mes parents est un nombe de fois fini), et donc chaque instant se vit comme un arbitrage entre diverses pertes possibles, ce qui de toute façon le prive de toute saveur.

 

Bien sûr on est là à l'opposé de tout ce qui fut la culture des enfants gâtés des années 60-70, culture dont je suis héritier (je m'en rendais compte encore ce soir en lisant un séminaire de Castoriadis sur Platon daté de 1986). Le livre de Tobie Nathan dont j'ai déjà dit beaucoup de bien ici est très sincère sur l'esprit de conquête qui présida à cette époque. Il dit notamment des choses très belles sur ce qu'était la conquête sexuelle à ce moment-là qui était vécue come un réel horizon métaphysique et pas du tout comme aujourd'hui comme un simple enjeu d'optimisation du bien-être.

 

Je sais bien que, de nos jours, beaucoup de jeunes gens sont prêts à se saisir d'Internet et des outils de leur environnement pour "réussir des coups" ainsi que je l'ai remarqué dans un précédent billet, mais ces coups n'ont pas plus de valeur que des stratégies à deux balles à une table de poker. Le système est bien trop normé, y compris dans les pertes prévisibles, pour qu'on puisse encore y parler du moindre esprit de conquête, encore moins d'une errance.

 

Il me semble que la fermeture de l'apeiron se ressent sur chaque aspect de nos modes de pensée. Par exemple sur la manie de la pondération et de la vérification que nous avons introduite en philosophie et en sciences humaines (pour autant que cette dernière expression ait un sens), là où jadis l'esprit de conquête en dispensait tout le monde. Le bougisme qu'on impose à tout le monde, y compris à nos enfants en les amenant visiter des musées à trois ans... reflète aussi l'inquiétude généralisée de vivre dans un monde où en fait il n'y a plus aucun moyen de se projeter dans quoi que ce soit, et donc plus rien à faire (au sens profond du terme) : un monde devenu un immense camp d'internement à ciel ouvert.

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L'anarchisme catholique de Custine

12 Octobre 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Mes deux livres de chevet : Devereux ("Femme et Mythe" de 1982) et Custine ("L'Espagne sous Ferdinand VII" 1838). Vous avouerez que je reste dans l'inactuel quand même. Je ne sais pas trop pourquoi je lis l'un et l'autre et c'est pourquoi je suis assez content de les lire.

 

Je n'ai pas de bonne raison de lire Devereux, puisque je ne crois plus en la psychanalyse et que ses spéculations sur l'Oedipe (ou la Penisneid) et les mythes grecs me semblent ne reposer que sur du vent. Mais le culte des déesses, le matriarcat (vers lequel l'extrême gauche actuelle glisse, et peu ou prou avec elle le reste de la société, sur le plan des fantasmes, bien que le capitalisme continue lui d'opprimer les femmes) m'intrigue. Je ne désespère pas, à force de retourner ses pages dans tous les sens, de trouver en moi-même quelque intuition fulgurante là dessus, allez savoir.

 

Custine c'est pareil. N'étant ni marquis, ni homosexuel, ni réactionnaire, je n'ai pas de raison de lire son voyage en Espagne. Et cependant je le fais, je picore des pages au hasard. Il me surpend toujours. Peut-être d'Ormesson a-t-il raison de dire que la Russie le rendit libéral (je ne sais pas, n'ayant pas lu cette partie de son oeuvre, mais il est possible que d'Ormesson se trompe, car du seul fait qu'on hait la tyrannie - ce qui était déjà le cas de Custine quand il se rendit à Madrid - on n'est pas libéral pour autant). Mais en Espagne il était indubitablement anarchiste, cléricalo-anarchiste (ce pourquoi il déteste l'Inquisition, dérive tyrannique de l'Eglise). J'ignorais que cela fût possible, et l'apprendre élargit ma culture politique. Mais après tout cela rejoint le propos récent d'un universitaire que j'ai mentionné sur ce blog ici, et cela fait aussi penser à Pasolini.

 

Jugez en par vous-mêmes :

 

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A part cela Mélenchon est aujourd'hui chez la plus grande politicienne de sexe féminin vivante (et qui est elle aussi très catholique comme Custine). Il a de la chance. Une photo qui le  prouve :

 

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Agapé

8 Août 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Ma correspondante turque qui planche sur Comte-Sponvile m'écrit ce soir que des traducteurs chinois lui écrivent parce qu'ils ne savent pas traduire chez ce philosophe le mot de "amour charité/agapé" !

 

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Quel cauchemar ! quelle barbarie ! Tout le monde a l'air de se résigner "ben oui, mot trop chrétien, trop classique, intraduisible". En Turquie, en Chine, on capitule. Un mot métaphysique, ça n'a plus d'intérêt à notre époque. Je hurle, j'exhorte : allez voir dans vos langues comment furent traduits Pascal et Denis de Rougemont ! On ne peut pas laisser ce mot orphelin, on ne peut l'égorger au coin d'une rue ! non ! Le monde meurt s'il perd ce mot !

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