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Le bal des célibataires
On se souvient du livre de Bourdieu "Le bal des célibataires". Je connais pas mal de gens en Béarn, notamment dans ma famille, qui sont restés célibataires chez leurs parents toute leur vie. Telle aurait d'ailleurs été probablement ma condition si je n'avais eu l'idée folle de croire en la connaissance et d'aller tenter ma chance dans les grandes écoles à Paris.
Je me demande si les sociologues de l'université de Pau se sont penchés sur cette question récemment (je n'ai pas l'impression qu'ils fassent beaucoup connaître leurs travaux hors de leurs murs). Ce statut de "Tanguy" doit avoir une drôle d'influence sur la perception du monde et du temps. Une enfance indéfiniment prolongée dans des meubles et des décors qui vieillissent. Le refus d'aller affronter l'altérité, d'aller y prendre des responsabilités. C'est peut-être une glorieuse forme de résistance à la modernité, quoique les néo-libéraux s'en arracheraient les cheveux (arg ! quelle entrave à la mobilité du capital productif humain !).
Est-ce que la situation périphérique d'une région peut pousser tout le monde vers une attitude régressive, involutive (en Espagne on parle d' "involucionismo"). Les garçons incités à rester chez eux à ne rien faire, les filles de même, devenant de ce fait moins coquettes, moins séduisantes, moins intéressantes (une copine béarnaise me disait il y a trois ans "Oh là là j'étais à Paris pour un salon porte de Versailles. Comme les filles sont apprêtées ! Je comprends qu'elles trouvent que nous les Béarnaises nous sommes des paysannes !)." Un cercle vertueux d'involucionismo se crée alors qui favorise le passéisme, la passivité et la sous-natalité. De quoi faire rêver les obsédés de l'empreinte carbonne non ?
En Espagne aussi les "Tangy" sont nombreux, qui ne veulent "ni travailler ni étudier". Le pays privé de son droit au crédit voit son chômage grimper à 25 % (près de 40 % en Andalousie). De quoi déchaîner de nouveau cercles "involucionistas" à n'en plus finir. L'involucionismo est l'avenir de l'Europe.
A propos de Bourdieu, Tobie Nathan s'énerve contre son livre ("les Héritiers") qui décrivait les acteurs de mai 68 comme des grands bourgeois, alors que lui venait de la cité de Gennevilliers (mais d'une famille qui n'était pas dépourvue de capital culturel, notons le). Se peut-il qu'il y ait eu un biais statistique qui ait fait manquer à Bourdieu les "rank and file" du mouvement étudiant (car Nathan reconnaît qu'il faisait partie des sous-fifres) ? Ou bien son livre se désintéressait-il des seconds couteaux ? Il y a bien longtemps que je ne l'ai pas revu, donc je ne sais plus. Nathan est quand même très bon pour démystifier le milieu académique (à propos de Devereux notamment). Mais il faut reconnaître que psychologie est un terrain de bidonnage particulièrement fécond.
Zaza à Platine 45
Bon, si on regardait la TV de 1984 ensemble ? Moi j'adorais Frankie goes to Hollywood, Paul Young, enfin bref un peu tout ce qui passait dans ce truc là. Et I-sa-belle Ad-ja-ni (sauf sa chanson), of course !
Anthropologie de nos séries d'enfance
J'aurais pu vous parler de bien des dessins animés et de bien des films de la fin des années 1980. J'en choisis un au hasard tout simplement parce que je le regardais cet après-midi.
Des tas de gens sont morts au cours du premier semestre 1980 : Jean-Paul Sartre, Roland Barthes, Alfred Hitchcock. Mais pour moi et mes petits camarades de classe qui avions neuf ans, le premier semestre 1980 est surtout marqué par la mort de Volcor et celle de Furia dans la série San Ku Kaï que diffusait Antenne 2.
Ils ont bien raison sur Wikipédia de dire que c'était une série à la gomme faite de bric et de broc : "La réalisation bénéficiait, manifestement, d'un petit budget : lunettes de ski et vêtements en filet, casques de mobylettes ; récupération de scènes d'un épisode à l'autre ; scènes d'action tournées dans la même carrière", écrivent-ils. Un plagiat de Star Wars avec des références à l'imaginaire japonais (les arts martiaux notamment). Rien de plus.
Oui, mais pour nous qui avions neuf ans, et pour qui ni Star wars, ni même le Japon n'existaenit vraiment, il s'agissait de tout autre chose. Un film initiatique qui nous sensibilisait aux valeurs héroïques, comme Goldorak, Albator, Capitaine Flam, que sais-je encore... Je m'étonne aujourd'hui de voir que ma génération qui a gobé tant d'histoires de super héros se soit montrée si peu héroïque, si peu digne au final, si lâche, si immature, dans ses choix collectifs. C'est un mystère.
Je me souviens très bien de cet épisode 26 où les numéros 2 et 3 de l'armée des "stressos" (quel nom débile quand on y songe) meurent. On s'était attachés à eux au fil des semaines. Furia me faisait carrément fantasmer. Ce côté femme combattante, comme les déesses guerrières d'antan, était tout à fait insolite pour nous. Et un tantinet sexy. Mais sa fin est minable. Normale en un sens puisqu'elle a toujours incarné la lâcheté et la perfidie. Wikipedia explique qu'elle était " assez douée dans l'art des retraites rapides et précipitées, fourbe et ambitieuse"... Pas terrible pour l'image de la femme - les femmes du camp "du bien" n'étaient pas mieux traitées, et, à tout prendre, celle du mal m'intéressait plus.
Je me souviens parfaitement bien de la mort de Volcor et même du commentaire que nous en fîmes dans la cour de récréation. Je ne sais plus qui le dit le premier, mais nous tombâmes tous d'accord pour exprimer notre admiration pour sa loyauté car il fut le seul à périr dans la bataille sans trahir ses supérieurs hiérarchiques. Un vrai soldat idéaliste en quelque sorte...
La série dut beaucoup à sa musique entraînante qui venait dynamiser les scènes de combat que nous attendions toujours avec impatience. C'était plein d'adrénaline.
Je ne sais pas si les petits garçons aujourd'hui peuvent encore communier au jour le jour dans l'évocation d'épisodes de téléfilms vus la veille comme nous le faisions. Je suppose qu'Internet et la TV à la carte interdisent cela désormais. Et nourrit-on leur testostérone aux films de combat comme le faisaient les japonais à l'époque (sous la critique générale des conservateurs et des associations de parents d'élèves il est vrai), dans un monde où, désormais la violence reste représentée (dans les jeux vidéos notamment) mais seulement pour les plus de dix ans ?
Je m'interroge...
Troyes
Souvenirs souvenirs
Le samedi 12 octobre 1991 (il y a donc un peu plus de vingt ans), j'écrivais : "Ce que j'aime dans les cours de Bourdieu, c'est qu'ils m'aident à voir. Jamais je n'avais vu que la maison royale est une maison, comme la maison du paysan béarnais, une maison physque, et aussi symbolique (une famille, une lignée). Pendant 10 mn, jeudi dernier, Bourdieu nous a expliqué ce que signifie "être roi", ce que ça suppose de pouvoir imposer ses représentations aux autres. Le fait de dire "je suis roi" avec une forte chance d'être cru, et le fait que chacun est forcé de compter avec le fait que les autres le croient, et moi je puis aussi compter avec ce fait qu'ils le croient - notion de capital symbolique. Tout ça est évident, mais qui y songe vraiment ? Toute intégration suppose une exclusion. Qui voit toujours les deux faces de cette même pièce ? Qui pense à ses applications quotidiennes ? On a du mal à tout tenir à l'esprit de la sorte. Voilà notre myopie. Et quel spectacle de ces milliers de gens, dont la plupart nous gouvernent et font l'opinion du moment, ces gens souvent brillants, surdiplômés et bien intentionés, qui ne comprennent pas ce qu'ils disent, qui répètent des mots comme des machines sans voir les cas réels qu'ils recouvrent, les contradictions, les relations et les effets qu'ils impliquent"
Paroles d'un étudiant appliqué qui décortique les idées trois jours après un cours au collège de France.
Aujourd'hui j'ai un peu le sentiment que toutes ces réflexions sur la croyance, l'adhésion commune etc sont un peu tombées en déshérence avec l'échec de Bourdieu à faire vivre son système structural par delà son trépas physique (dont on commémorera bientôt le dixième anniversaire). Toutes ces "socioanalyses", tout comme la psychanalyse, sont passées de mode. Le sociologue n'est plus quelqu'un dont on attend une réflexion sur ce que c'est que de croire ou d'imposer une vision des choses, mais des données factuelles du genre "fait-on plus ou moins confiance à des femmes quand elles sont maquillées ?" (je fais référence là à une enquête que j'ai vu ce matin traîner sur le Net...)
Cet après-midi, il fait dix degrés de plus à Pau qu'à Paris, mais je suis dans la mauvaise moitié de la France. Il paraît que le maire de mon village d'enfance veut que je lui téléphone (je l'ai fait mais je suis tombé sur son répondeur). Le weekend prochain ils célèbreront Henri IV avec de beaux chevaux blancs comme l'an dernier (en Béarn les gens célèbrent tout le temps ce roi, et en matière d'histoire ne savent célébrer que lui, ce qui est un grand tort, d'autant que le Bon roi, n'était pas un si grand homme que ça - la mode louisphilipparde leur a légué cela, comme des modes plus récentes leur ont inculqué le culte de F. Mitterrand ou de D. Balavoine, aujourd'hui celui de François Hollande...).
Ils ont bien de la chance d'avoir des chevaux. Quand j'étais enfant ils n'avaient que des majorettes. C'était du temps (les années 70) où les "barons du gaullisme" préservaient encore l'héritage du grand chef défunt, et où Bourdieu n'était qu'un trublion de seconde zone confiné dans les volutes de cigarettes de l'EHESS... Fluide Glacial sort un spécial années 80 cette semaine. Je devrais peut-être y jeter un coup d'oeil...
Ces rencontres qu'on oublie
En relisant mon journal d'il y a 17 ans, je retrouve des traces de rencontres qui me sont sorties complètement de l'esprit et qui pourtant auraient dû me marquer.
Il y a par exemple celle-ci : Le dimanche 24 avril 1994 (j'ai 23 ans "et demi"), je suis dans le train Paris-Troyes, et je croise là, un Djiboutien, qui m'explique - d'après le récit que j'en fais trois jours plus tard, le mercredi 27 - "le double sens du Djihad : la guerre contre soi et la guerre de défense de la communauté". Mon interlocuteur me dit aussi : "L'Islam peut-être mieux assimilé par un Occidental que par un Arabe. D'ailleurs Mohammed a dit que les meilleurs Musulmans ne seraient pas Arabes". Et encore : "Le judaïsme, le christianisme et l'Islam, c'est comme trois tomes d'un même livre ; le judaïsme, c'est la première étape : Dieu révélé, mais seulement aux Hébreux, le christianisme est la deuxème : l'universalité, mais seulement dans des relations sociales avec de faibles contraintes rituelles ; l'Islam correspond à un niveau encore supérieu de développement de l'humanité parce qu'il règle précisément le rapport de l'homme à Dieu, Islam voulant dire soumission". Et enfin "Les cinq prières de la journée sont un moyen de prendre du recul par rapoort au travail, de se confier à Dieu, d'accéder à une vision nouvelle des choses. Pour l'ouvrier ça lui permet de se raffraichir le visaghe à l'eau froide. Pour le chômeur, ça rythme sa vie, ça évite la désorganisation de la journée. On doit se lever à 6 heures le matin, avec l'Islam pas besoin de neuroleptiques". J'ajoute dans mon récit : "Ce type était fils d'ambassadeur".
Aujourd'hui encore en relisant ces lignes aucune image de me vient, et c'est comme si c'était arrivé à quelqu'un d'autre (alors que je garde des souvenirs précis de trucs qui me sont arrivés à 4 ans ou à 5 ans... en 1975...). Pourtant si j'ai pris la peine de rapporter ses propos trois jours après la rencontre, c'est que le bonhomme devait avoir un certain charisme, ou qu'en tout cas ses propos m'ont apporté quelque chose.
Peut-être cette conversation a-t-elle juste laissé une empreinte inconsciente, des traces d'évidences. Par exemple je sais que pendant des années j'ai tourné dans ma tête cette idée nietzschéenne selon laquelle l'Islam était une religion virile. Peut-être est-ce l'idée qui m'est venu en écoutant ce Djiboutien et qui m'est restée.
J'ai toujours l'impression que c'est une amie algérienne qui m'a donné plus tard la meilleure image de ce qu'était l'islam, vers 2002-2003 et c'est à elle que je songe souvent quand je pense à cette religion, en partie à cause du sens très personnel qu'elle lui donnait - et aussi la lecture d'Hogson en 1998 parce que c'est le premier chercheur occidental que j'aie lu qui prenait au sérieux l'idée que l'apport civilisationnel de l'Islam au monde ait pu être réellement supérieur à celui du christianisme.
On peut penser aussi que si ni les paroles simples mais fortes de ce Djiboutien, ni son visage ne m'ont consciemment marqué, c'est parce qu'en 1994 l'Islam n'était pas central dans le débat public français. Tout un chacun pouvait mener sa petite vie sans rien en penser et donc, à peine avais-je écrit ce petit compte rendu de voyage, que ma mémoire l'a tout de suite effacé. C'est dommage dans un sens. Y penser plus m'aurait peut-être fait gagner 7 ou 8 années de prise de conscience, et m'aurait peut-être ouvert des voies d'action dont nul ne peut savoir rétrospectivement où elles m'auraient conduit. Mais à l'époque les religions ne m'intéressaient qu'à titre assez anecdotique, comme des sources de références susceptibles d' "orner" une philosophie. Et celle des musulmans, comme celle des boudhistes ou des hindous, me paraissait très éloignée de l'Occident, difficile d'accès et sans doute pensais je que les propos du Djiboutien allaient constituer le savoir le plus précis qu'il me serait donné d'acquérir à son sujet. D'ailleurs je ne me destinais nullement à l'époque à faire un doctorat de sociologie ni à m'intéresser à l'anthropologie.
Sans doute est-ce un progrès de notre époque que les Occidentaux soient maintenant obligés d'essayer de voir de temps en temps le monde à travers des yeux musulmans, ou animistes, ou même ceux des hommes qui pratiquent des sincrétismes religieux complexes (ce qui est le cas de beaucoup de peuples du Tiers-monde). Je comprends que beaucoup se soient sentis fragilisés par cette contrainte nouvelle d'universalité qui les a poussés à remettre en cause la suprématie de leur culture. Je regarde avec une sorte d'attendrissement ces nationalistes français qui, sur leurs sites, affichent le camembert, Brigitte Bardot et la Tour Eiffel comme autant de signes identitaires qu'ils sentent menacés, assiégés. Les gens qui se sentent assiégés me font toujours de la peine. Or c'est un sentiment de plus en plus répandu de nos jours. Par exemple les islamistes affichent souvent des cartes politiques de leur monde, qui montrent les bases militaires "judéo-chrétiennes" sur leur sol (en Palestine, en Arabie saoudite, en Afghanistan). Les Chinois font de même avec les bases étatsuniennes.
C'est aussi un peu lié au fait que les gens ne se parlent plus guère dans les trains, chacun ayant les yeux fixés sur son téléphone mobile, et ceux qui n'ont pas de téléphone ayant intégré que le silence est de toute façon la nouvelle règle. Je ne suis pas sûr que la dernière manoeuvre de la French American foundation cet été pour inviter des élus français "issus de la diversité" à Washington, et défendre à Paris le système étatsunien des quotas, soit trop de nature à décrisper l'ambiance sur ce volet là, mais c'est une question compliquée. Il faudrait en tout cas, beaucoup plus de Djiboutiens comme celui de 1994, et des jeunes Français plus attentifs que je ne le fus à cette époque-là. Ce genre d'échange de vues est toujours plus fécond qu'on ne le pense. Mon dialogue avec un Serbe sous les bombes 5 ans plus tard (tel que j'allais l'évoquer dans mes livres) allait largement le démontrer.
Sciences Po - Printemps 1991
Je parcours mon journal du printemps 1991. J'y découvre les traces d'une autre époque. Celle où j'étais jeune bien sûr, et plein d'illusions, et sans idées arrêtées sur rien (à part quelques crédos dans les belles lettres et la philosophie), une époque aussi où les gens n'avaient pas Internet et les réseaux sociaux, et ne se hâtaient donc pas forcément de rentrer chez eux, de fuir les échanges directs. Je suis frappé d'y voir le récit d'incidents complètement sortis de ma mémoire : un copain qui va faire la morale à un type au restaurant universitaire parce que celui-ci finit les assiettes des gens autour de lui, un vendeur de journaux qui en vient aux mains avec un client à lui sous mes yeux parce que ce dernier lui tendait un billet de 500 F pour acheter un magazine.
Je me demande si nous aurions la même violence (et la même spontanéité sauvage) dans les rapports humains aujourd'hui.
Le mercredi 15 mai 1991, je note, alors qu'Edith Cresson vient d'être nommée Premier ministre par François Mitterrand :
"Le microcosme de Sciences Po vivait ses meilleures heures aujourd'hui. Tous là à s'exciter et parloter à propos de la démission du Premier ministre. "Une femme, c'est un grand jour pour le sexe faible." "Ca rapportera des points dans les sondages." "Pourquoi Rocard part-il si tôt ?" "Elle a couché avec Mitterrand. Ils ont un bâtard. Maintenant ça va être partouze en conseil des ministres" "Un virage à gauche est à craindre" "Comble de l'absurde : Jack Lang est nommé à l'Education, Dumas à la Justice et Jospin aux Affaires étrangères. On rêve !" "Vivement qu'on soit au pouvoir pour changer ça !"
Et B* et G* (nb : deux étudiants de ScPo de droite qui habitaient le même foyer que moi) de râler. Et tous de faire des plans sur la comète ! Comme on voudrait se sentir inactuel dans ces circonstances !"
Beaucoup de violences dans tous ces mots. Des mots qui viennent de jeunes gens de droite, de "jeunes loups" comme on disait. Existent-ils encore, dans la nouvelle génération ces louveteaux là, où sont-ils castrés par le fait que la gauche n'est plus au pouvoir, et qu'elle est entièrement acquise aux causes du FMI, et par une certaine political correctness qui n'autorise plus à attaquer les femmes comme on le faisait avec Edith Cresson ?
Je tombe encore sur ce témoignage du jeudi 4 avril 1991 :
"Depuis quelques semaines, beaucoup de gens à Sciences Po parlent d'une émission que je n'ai pu voir "La télé des Inconnus". Le groupe des Inconnus aait produit une émission dans ce genre diffusée à Noël. Il s'agissait d'une parodie époustouflante des programmes télévisés. (...) Cette fois ils déplacent le jeu. Ce n'est plus une parodie de ce qui est de ce qui est, mais de ce qui pourrait être (ou justement qui ne pourrait être qu'en imagination : un clip rap fait par des jeunes de Neuilly-Auteuil-Passy, NAP. (...) Au retour des vacances, tout le monde à l'IEP commentait ce clip en riant. Personne en effet ailleurs qu'à Sciences Po ne pouvait mieux le comprendre que nous. Aussi TV Sciences Po en ce troisième jeudi de son existence eût-elle l'idée ingénieuse aujourd'hui d'inclure ce clip des Inconnus dans sa demi-heure d'émission sans cesse rediffusée. L'effet attendu se réalisa. A chacun de ses passages une masse d'étudiants de ScPo vient s'agglutiner devant le téléviseur en éclatant de rire. Comme me le faisait remarquer Florence Tamagne tout-à-l'heure : cela fait un tabac.
Sont-ce des gens de NAP qui se regardent ainsi au miroir déformant de la TV ? A en juger par la tenue des spectateurs, on devinerait plutôt en eux des bourgeois de province ou des bourgeois progressistes de Paris (...).
L'attitude des Sciences Po devant ce clip est en soi un phénomène sociologique révélateur. C'est pour simplifier M. X qui vient rire de l'image donnée par son petit camarade de conférence, M. Y qui est visiblement un "NAP". C'est une illustration du jeu des diverses couches bourgeoises au sein de l'élite de Sciences Po.(...)"
Tout cela a changé. NAP existe encore, mais est-ce le même ? Le NAP d'hier, conservateur n'a-t-il pas été à jamais ringardisé par la "surclasse" mondiale à la DSK ? L'ex-provinciale Florence Tamagne, elle, a sa fiche sur Wikipedia, portée au niveau académique par ses talents propres mais aussi par le succès des gay and lesbian studies importées des Etats-Unis. G* et B* ont sombré dans l'oubli après avoir raté de le concours de l'ENA. D'ailleurs s'ils l'avaient eu, ils n'auraient pas eu de fiche sur Wikipedia non plus, même si leur section à Sciences Po (Service Public) était à l'époque plus prestigieuse que celle de Florence. Les Inconnus ont disparu des écrans. Le monde qu'ils parodiaient aussi.
Left of center
J'en parle dans un de mes bouquins, alors pourquoi ne pas mettre la vidéo ici ? Cette chansonnette m'a poursuivi pendant les années 1990 et jusqu'au début des années 2000, à cette époque où je n'avais pas encore les idées claires sur grand chose mais où j'avais encore une jeunesse... Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait...
Suzane Vega n'étant pas très à son avantage dans le clip en version "maquillée comme un carré d'as", j'ajoute une version de concert (de 1986, un peu trop synthé, mais bon). Suzanne Vega a toujours eu un art consommé du regard de biais qui en dit long (coup d'oeil à droite, coup d'oeil à gauche suggestif, on a ça aussi dans le clip de "Luka").