A propos du terme "résistant"
Mr Ramirez a eu l'excellente idée de poster en commentaire sur ce blog un lien en rapport avec la mythologie contemporaine des "résistants". Il est vrai, je l'admets, que les opposants à l'intervention de l'OTAN au Kosovo puis à la paranoïa anti-terroriste post-11 septembre se sont un peu facilement appropriés le qualificatif de "résistants" en réponse à ceux qui les qualifiaient d'hitléro-staliniens, d'islamofascistes, de rouges-verts-bruns et autres noms d'oiseaux. Moi-même j'ai créé un site en 1999 qui s'appelait "Résistance".
Nous parlions du "Nouvel ordre mondial", et de "résistance" à celui-ci. Je reconnais que ce sont des termes un peu faciles. "Nouvel ordre mondial" est un slogan que lança George Bush père au début de années 1990, ça n'a rien d'un programme politique cohérent (disons symplement qu'il s'agit d'une conception plus ou moins consciente d'un espace mondial soumis au capitalisme et au leadership occidental dominé par les USA, cette vision hante les esprits mais ce n'est pas un programme clairement défini et labellisé "Nouvel ordre mondial" comme une comodité de langage peut le laisser croire).
"Résistant" est une notion qui en France renvoie à 1940-45, mais aussi à la résistance algérienne à partir de 1956. Cette expression s'applique surtout à une résistance armée, et il est un peu exagéré de la transposer à la "cyber-résistance" qui est une position plus confortable. "Plus confortable", mais pas si confortable qu'on le croit tout de même quand on songe à quel point un activisme contre les idées grégaires d'une époque vous coupe de votre milieu professionnel, de votre famille, de vos amis, de vos possibités de trouver une place dans la société et peut conduire à la folie (j'ai beaucoup écrit sur la fragilité des "résistants" contemporains justement, une fragilité qui explique la difficulté de faire éclore une alternative crédible).
Je conserve néanmoins le terme pour faire simple. Je le préfère à "Dissident" car je ne veux rien avoir en commun avec un type comme Vaclav Havel. Mais il est clair qu'il ne faut pas prendre le mot dans le sens d'une autocongratulation à laquelle certains activistes cèdent facilement. C'est un vocable passe-partout voilà tout.
L'université américaine

Ses étudiants écrivent : "He is a Professor in the Sociology department, and for the last year has taught Intro. to Globalization, Social Movements, Globalization and Resistance, and a handful of independent study courses. He is being let go because there is no 'space' for him to teach, even when the most popular classes at USF-- yes, usually those examining globalization-- are over-enrolled and leave many students out. Grubacic is from the Former Yugoslavia and, as a result, has a work visa. If he's let go and cannot find other employment, he will most likely not be allowed to stay in the US."
Ma correpondante italienne qui enseigne aux Etats-Unis a eu ce commentaire :"I'm pissed when people do such things... such as being "the tormented professor from yugoslavia". This group was created by students adoring this professor. Now, American students are pretty orientalistic with foreign professors. They always treat us as the exoticized (from exotic) "other". Do you know what I’m saying? Especially in the case of this guy the fact that he is from former Yugoslavia makes him even more “sexy” to the American leftist gaze. Sorry perhaps I’m not clear but these things drive me insane. It’s the totalitarianism of politically correctness. Like the University of Wisconsin where I wasn’t Jewish enough (*), lesbian enough, war refugee enough to get funding… "
J'ai trouvé cet avis très instructif.
Au fait je viens de créer un groupe autour du livre "10 ans"...
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(*) (Je précise que cette phrase n'est pas antisémite son auteure étant elle-même d'origine sépharade, mais non pratiquante)
Cuba, les mots et les treillis
Je lisais hier le compte rendu de "Diadore Cronos", grand lecteur du blog d'Edgar (et un peu moins du présent blog) sur son voyage à Cuba avec les jeunesses du PCF. J'ai bien ri à la lecture de son passage sur les chansons de stals dans le groupe de voyage (toujours intéressant de parler de ses camarades d'excursions, je l'ai fait sur la Transnistrie, c'est une note d'ambiance importante). Très bonne son approche critique du point de vue du quidam dans la rue qui essaie de rouler le visiteur dans la farine.
Diadore Cronos est un communiste souverainiste. Et pourtant il s'étonne que les Cubains aiment les treillis. Ca me rappelle cette nana du cercle bolivarien de Paris qui refusait d'inviter son réseau à se rendre à une réunion de solidarité avec la Palestine organisée par l'espace Ishtar parce qu'il y avait une kalachnikov sur l'affiche.
Chers lecteurs qui avez tous acheté mon Programme pour une gauche française décomplexée, vous savez mieux que quiconque que si l'on veut un virage à gauche, et se défaire de notre dépendance à l'égard du capitalisme globalisé, il faut vouloir avoir une armée forte. On ne peut pas éviter cela. Comme disait un vieil adjudant chef ardéchois des Troupes de Marine pendant mon service militaire (un gars qui élevait des abeilles dans son patelin natal) : "L'armée est un mal nécessaire".
"Cuba hurts" (Eduardo Galeano), parce que c'est un pays communiste too old fashioned, attaché à l'Etat, aux bruits de bottes, aux valeurs viriles (combien de fois entend-on condamner Cuba à cause de sa législation sur l'homosexualité - en omettant de remarquer qu'elle est la même ailleurs en Amérique latine ?).
Je dialogue en ce moment avec une enseignante communiste d'une université de la Côte Est étatsunienne. Une Italienne née en Sicile (beaucoup d'échanges avec des Italiennes sur Facebook cette année, l'attractivité de la gauche française sur ce qu'il reste des résistants de cette péninsule), avec toutes les caractéristiques de la fille méridionale, une fille intéressante (j'apprends beaucoup de choses avec elle), et très "gender studies" alors qu'elle était communiste dans son adolescence. Quand elle cherche à me flinguer, ce n'est pas avec une kalachnikov comme à Cuba, mais avec les mots de la political correctness : ceux de la mise en accusation du représentant du vieil "ordre patriarcal' que je suis censé être par certaines de mes prises de position.
Quelle arme est la meilleure dans le combat politique ? Les partisans de la mise en accusation par les mots ont eu leurs heures de gloire pendant la guerre d'Irak contre les défenseurs du treillis qui appelaient à soutenir la résistance armée irakienne. On s'enflammait dans les campus américains avec des mots, et l'on voulait traîner Bush devant la justice internationale. Les mots n'ont rien donné, sauf l'élection d'Obama, c'est-à-dire de l'impérialisme relooké dans un gant de velours. Bush n'est pas en prison, et les Américains sont encore en Irak.
Les treillis cubain posent la question du réalisme en politique, une question que la gauche ferait bien de considérer attentivement.
Orania et la condition des petits blancs
Je voyais hier un reportage télévisé sur une communauté d'Afrikaneer en Afrique du Sud qui refuse le mélange avec les Noirs : Orania. J'avoue que son existence m'avait échappé, à ma grande honte car des médias, de gauche notamment comme L'Humanité, s'y sont intéressés. Participent à cette communauté pas mal de gens qui se sont sentis victimes de comportements de la majorité noire (le reportage parlait d'un type dont la femme et le fils ont été tués par des Noirs). On sait que les violences anti-Afrikaneer sont fréquentes dans ce pays - voir l'oeuvre de Coetzee à ce sujet. Les Afrikaneer ont gardé le pouvoir économique et paient ce privilège en subissant des violences.
Orania est intéressante, comme tous les mouvements de petits blancs (comme, aussi, les colonies sionistes en Cisjordanie) parce qu'à la fois elle s'oppose au mélange racial ("nous sommes tous blancs parce que tous les Afrikaneers sont blancs et que nous voulons rester entre Afrikaneers, il y a des tas de communautés noires similaires à Orania et personne n'y trouve à redire" disait un Blanc dans le reportage), et, en même temps, elle justifie sa légitimité par un refus de l'exploitation de l'homme par l'homme (on peut peut-être parler d'une refondation "socialiste" de l'identité afrikaneer) et un retour aux valeurs fondatrices des Boers : le travail de chacun, le dévouement à la collectivité. Le sionisme aussi fut un projet à la fois raciste et socialiste. Les Afrikaneer d'Orania affirment avec force que l'Apartheid fut une erreur parce qu'il exploitait sur un mode colonialiste les Noirs. Eux ne veulent plus tirer leur richesse que d'eux-mêmes. Ils ont une légitimité historique à tenir ce discours, car on ne peut oublier qu'ils sont la seule communauté blanche d'Afrique à pouvoir revendiquer une occupation des terres aussi ancienne que les Bantous, et à avoir souffert du colonialisme (anglais) autant que les Noirs.
Humainement on ne peut pas traiter par le mépris ou la haine le sort de ces petits-blancs, même si leur choix est évidemment contraire à l'idéal universaliste de bon entente interculturelle qu'il faut favoriser au niveau international. C'est comme au Kosovo, en Bosnie : quand les gens ne peuvent plus vivre ensemble, quand leurs souffrances sont grandes pour cela, on ne peut pas d'emblée les considérer avec des idées toutes faites.
Le choix des Afrikaneer d'Orania pose la question du sort de ce petit prolétariat de culture occidentale qui peut être aussi bien socialiste que d'extrême-droite, et dont le programme de choc des civilisations conçu par les élites peut facilement instrumentaliser le rôle. Que faire d'eux ? que leur dire ? Je discutais encore il y a peu avec une responsable arabe d'un mouvement d'immigrés qui me disait : "Nous devons aussi nous occuper du chauffeur d'autobus ou du contrôleur de train pris à partie par des Arabes ou des Noirs qui le traitent de raciste parce qu'il veut vérifier leur ticket, parce que celui-là personne ne l'aidera, et certainement pas les tenants du discours universaliste des beaux quartiers". Elle n'a pas dit "le petit-blanc qui conduit l'autobus", mais c'est bien ce que cela voulait dire. Qui cherche des réponses aux questions que pose sa situation ?
FD
PS : à part ça, puisque tout le monde s'excite autour de Clothilde Reiss comme naguère autour de Bête-en-cour, plutôt que pour faire libérer Salah Hamouri citoyen français prisonnier à Jérusalem, une petite chanson en souvenir des victimes de nos alliés.
Sexe et impérialisme : le cas moldave
"Il se peut que la chute du dernier régime communiste d'Europe en Moldavie soit le triomphe des urnes, mais il représente aussi un nouveau succès de la théorie des jolies filles dans les révolutions.
Cette théorie, que je tiens d'un ami arménien, affirme que les soulèvements populaires ont une chance de réussir si dans un pays les filles les plus jolies descendent dan la rue.
L'idée est que même les jeunes hommes les plus in

L'article insiste aussi sur le sex appeal de Tymoshenko dans la révolution orange ukrainienne et sur la beauté des jeunes femmes géorgiennes derrière Saakachvili.

Cette théorie du sex appeal des révolutions colorées peut s'insérer dans des remarques plus générales déjà faites selon laquelle ces phénomènes marketing sont composés comme pour les ventes de voitures ou de yaourts. Il s'agit de mettre les images de la jeunesse et du plaisir du côté de la contestation tandis que les images de la vieillesse et de la mort se projètent par effet de contraste sur les défenseurs des institutions. Le roman "La Révolution des Montagnes" parodie d'ailleurs ces effets d'image en politique.
Aux dernières élections du 29 juillet, le PC moldave a perdu la majorité absolue des sièges qu'il avait gagnée en avril. Mais en obtient quand même 48 sur 101, avec 44,69 % des voix. La "révolution twitter" comme les autres révolutions pro-occidentales a eu ses limites.
Facebook und Zeit
Sur le q numéro 8 de la g de C en A hier, m rév a s d'une n d s, je lus ceci sur mon téléphone portable dans mes mails reçus sur Facebook :
"Bonjour, Nous ne sous connaissons pas mais vous devez vous rappeller de ma grande soeur avec qui vous étiez en classe de terminale à Louis Barthou : Sophie R.
Lorsqu'elle m'a surprise un soir sur Facebook, elle m'a demandé de faire la recherche de 2 ou 3 noms. Vous étiez le premier et elle avait l'air tellement émue d'avoir quelques nouvelles que face à son refus de créer son profil pour vous contacter, j'ai décidé de faire le lien secrètement.
Certaine qu'elle ne m'en voudra pas, je viens ici vous communiquer son adresse e-mail perso : sophie-@-.fr
Voili voilou.
Bonnes retrouvailles !"
Etrange coïncidence. J'étais venu chercher en vain à C des voies de bifurcation dans mon exploration de l'avenir et me trouvais au petit matin rattrappé par un passé très lointain. Cette fille moi aussi j'avais recherché son nom une ou deux fois, ici ou là sur Internet. Comme elle j'avais cédé à la tentation du "retour vers le passé" que les nouveaux sites de rencontres offrent aux quadragénaires de notre génération. Nous avions été proches l'un de l'autre au lycée, sans pour autant "sortir ensemble", ce qui explique peut-être que je fusse démeuré haut placé dans son estime. J'avais, un jour, à son insu, placé dans un coffret un de ses longs cheveux blonds tombés subrepticements sur mon blouson. On a à dix-sept ans de ces délicatesses fétichistes que l'on perd par la suite.
Ce qui m'a surpris dans ce mail c'est le "tellement émue". Figure de style imposée comme le vocabulaire conventionnel de la République des Pyrénées quand elle rend compte d'une fête villageoise ("un feu d'artifice a clôturé comme il se doit les joyeuses agapes"), expression d'un fraîcheur affective gasconne dont nous avons perdu le goût au nord de la Loire ? Quelle est le statut de l'émotion provoquée par le surgissement du passé dans le présent, du mort dans le vif ? Il y a plus, pour nous, que ces retrouvailles d'anciens camarades de régiment sur le quai d'une gare qui étaient le lot occasionnel des générations antérieures. Facebook promet aujourd'hui à tout un chacun de "ne plus jamais quitter" les êtres qui ont croisé son horizon. Pour les jeunes générations, cela signifie que les ruptures n'auront lieu que pour autant qu'ils cliqueront sur "remove from friends", encore cette action n'est-elle jamais irréversible. Pour le reste pendant toute leur existence, où qu'ils soient, toutes leurs rencontres resteront dans leur horizon à portée de clic de souris comme dans un grand supermarché virtuel. Il n'y aura même plus l' "émotion" de cet effet "retrouvailles".
Pour nous demeure encore cette sensation étrange, étourdissante, qui, à la différence de la rencontre occasionnelle du camarade de régiment, se double d'un effet "on ne se quitte plus".
Sauf que la retrouvaille enjambe un vide de vingt années. Un vide durant lequel les visages se sont ridés, les accents ont changé, et des tas de choses se sont passées qui ne font qu'accuser un triste constat : le temps n'a épargné personne, et tout meurt inexorablement en nous et hors de nous, trop de choses déjà sont mortes. Quand la fille évoque dans son mail le "refus de créer son profil", elle désigne peut-être un saint effroi, confus, plus ou moins inconscient, devant le risque d'affronter la conscience de cette mort qu'implique toute retrouvaille, autant que l'effet "on ne se quitte plus dans le supermarché virtuel" que propose la technologie. Pauvre humanité. Et pauvre génération, la mienne, génération de transition qui cumule à la fois, à de nombreuses occasions, les dures prises de conscience des vingt ans de séparation avec les gens retrouvés sur Internet, et l'entrée dans une vie où le "on ne se quitte plus" qui sera la règle dorénavant. Les plus jeunes, eux, n'auront que le second effet. Leur conscience du temps qui passe s'en trouvera peut-être altérée. En même temps, on voit à quel prix sera pour eux le déni du temps qui passe : virtualisation de tous les rapports, conservation des traces des rencontres dans les fichiers comme si la vie n'était qu'une longue séquence d'archivage - nous sommes tous des stocks de données, et nous ne sommes que ça. Un déni du temps aux inconvénients aussi lourds que les liftings. Chassez le tragique, il revient au galop.
La question germanique
Je suis sensible à ce qui a fait la singularité française au Bas-Moyen-Age de se construire contre cette entité germanique aux contours mouvants. Mais quelle que soit mon admiration pour l'expérience française, je ne puis que blâmer notre tradition qui sans cesse minimise l'ampleur de l'apport germanique à la culture de notre continent (une tradition néfaste qui fit perdre à la France la bataille culturelle dès le 19 ème siècle face au romantisme rhénan).

La grandeur de la philosophie française des années 1960 à 1990 a été de s'obstiner à étudier sérieusement l'héritage culturel allemand au moment même où les Etats-Unis s'évertuaient à le dissoudre dans le Coca. Aujourd'hui la philosophie française est à l'heure anglo-saxonne, mise au pas en quelque sorte, et l'Allemagne n'est plus qu'un pays de grabataires. La question germanique en est-elle réglée pour autant ?
Qu'y a t il à sauver de l'Allemagne dans l'intérêt de l'Europe ? Question complexe, à supposer qu'elle soit légitime. Je sais infiniment gré aux Anglo-saxons pour le rationalisme pragmatique qu'ils apportèrent à notre temps. Mais cet apport a ses limites. L'héritage allemand n'est-il que divagations mystiques (dont le nazisme fut l'omega) ? Habermas n'a pas répondu à cette question. En faisant émerger une "autre Allemagne" que celle du romantisme obscurantiste, celle de Kant et de Goethe, c'est surtout la France et l'Angleterre qu'il mettait en valeur. Quelle est l' "autre Allemagne authentique" qui peut vraiment apporter quelque chose à l'Europe ? celle des squats anarchistes de Berlin ? Celle qui rêve encore de la République Démocratique Allemande (la majorité des habitants des Länder de l'Est selon un sondage récent) ?
Délires européens

Les ennemis n'ont jamais tort sur tout. Personne n'a jamais tort sur tout. Le grand tort des nazis, comme de beaucoup de courants idéologiques, ce fut leur religiosité. Celle des nazis se cristallisait dans leur antisémitisme obsessionnel odieux, leur romantisme décalé qui les rendait nihiliste. Pourtant au milieu de ces délires certaines de leurs analyses étaient lucides, sur le capitalisme anglosaxon par exemple, sur la rouerie de Roosevelt etc. C'est précisément parce qu'ils savaient par intervalle toucher justement le réel qu'ils ont pu entrainer les masses allemandes sur leur chemin. Contrairement à ce que prétendait Védrine à propos des Serbes, il n'y a pas de "peuple envoûté". Juste des peuples qui font des choix dans l'obscurité. Les philosophes ne sont pas mieux placés de ce point de vue là. Je suis frappé d'ailleurs par l'intérêt de Goebbels pour l'opinion des gens de la rue en pleine guerre. Le régime nazi était aussi à l'écoute de sa base, semble-t-il. Par ailleurs ce régime portait en lui, à côté de ses délires, non seulement des éléments de réalisme, mais aussi des traits culturels allemands et européens très profonds (je désapprouve Jankélévitch qui les trouvait seulement allemands). Tout en refusant toute téléologie, on doit admettre que la culture européenne portait le nazisme en germe, comme elle portait beaucoup d'autres possibilités (et heureusement des meilleures).
Tout cela nous renvoie à Nietzsche. Il y a beaucoup de nietzschéisme (même si c'est un nietzschéisme tronqué) dans Goebbels (notamment dans son admiration pour Dostoïevski) comme il y avait beaucoup du romantisme européen dans Nietzsche (un romantisme en lutte contre lui-même, ce qui le rendait plus subtil).
Je me demande si l'éradication de cet héritage et son remplacement par la culture Coca Cola était la bonne façon d'arracher l'Europe à ses folies. Pour tout dire je ne le pense pas. A la pathologie nazie qui prétendait synthétiser le meilleur de la culture européenne a succédé la barbarie de la Mac Donaldisation qui au demeurant à l'égard du Tiers-monde n'est pas moins meurtrière que le nazisme. Le pharmakon des erreurs de la culture européenne reste à chercher. Je ne crois pas non plus qu'il soit dans le scepticisme libertaire qui a grandi lui aussi à l'ombre de Nietzsche dans l'université française avant de se muer en scepticisme de combat puritain dans la political correctness des universités étatsuniennes. Le vrai remède est à rechercher ailleurs. Dans le rationalisme optimiste du Siècle des Lumières ? Rationalisme meutrier lui aussi. Ce serait supposer que la réaction romantique fut la cause de tous les maux... Si seulement c'était si simple !