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Le blog de Frédéric Delorca

Le dernier livre de Meyssan

27 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Lectures

Voici mon compte rendu du dernier livre de Meyssan sur Parutions.com : http://parutions.com/index.php?pid=1&rid=6&srid=63&ida=8300 . Il est plus positif que ce que j'écrivais il y a peu à la suite de l'interview de l'auteur sur la TV associative de Grigny car le livre est dans l'ensemble meilleur que cette interview . 

Contre-enquêtes sur le Proche-Orient…

 

Thierry Meyssan, L’effroyable imposture 2, Manipulations et désinformations

 

Les travaux de Thierry Meyssan sur les attentats du 11 septembre 2001 parus sous le titre L’effroyable imposture, ont suscité de nombreuses controverses et provoqué la mise à l’index de leur auteur par les grands médias français, après sa brève apparition dans une émission télévisée de Thierry Ardisson. Ses thèses ont cependant assuré au journaliste et à son équipe – le Réseau Voltaire – un succès important à l’étranger.

 

Cette année Thierry Meyssan publie une nouvelle série d’enquêtes sur des sujets qui furent au cœur de l’actualité proche-orientale (et donc de l’actualité tout court) au cours des quatre dernières années.

 

Ce livre, qui repose sur un travail d’investigation manifestement ardu, se dévore comme un roman. Bien que moins spectaculaire et audacieux que les thèses avancées autour du 11 septembre – car, au fond, son nouveau sujet était plus accessible à l’investigation journalistique contradictoire que le précédent -, il n’en reste pas moins édifiant : les croyances communes du grand public européen sont battues en brèche sur le Hezbollah libanais, l’interdiction de la chaîne Al-Manar en France, l’assassinat de Rafik Hariri, le nucléaire iranien.

 

Certes Meyssan est un homme de parti pris. De retour de son terrain d’enquête il le confesse lui-même : « Je ne pouvais pas rester insensible à ce que j’ai vu. Je pense fondamentalement que chacun d’entre nous a une responsabilité devant les drames qui nous entourent. Je prends dès lors une position que j’explicite ». Mais ce parti-pris rejoint très souvent celui du bon sens lorsque par exemple il se refuse, à la différence des grands médias occidentaux, à mettre sur le même plan d’une part le pilonnage systématique par Israël d’une surface de 700 kilomètres carrés au Liban jusqu’à ce qu’il n’y reste plus pierre sur pierre, l’anéantissement des infrastructures d’un pays, résultat d’un plan d’agression délibéré, et d’autre part les quelques victimes civiles israéliennes des tirs de requêtes de représailles du Hezbollah. L’auteur est aussi un homme qui a le sens de l’Etat et de la politique. Quand il expose les stratagèmes des alliés de Washington, et dissipe le rideau de fumée informationnel qui les recouvrent, c’est dans le souci de revenir aux fondamentaux de la science politique et de la diplomatie : « un art subtil où chaque acteur doit être d’autant plus prudent qu’il a beaucoup à perdre », où chaque Etat (y compris les Occidentaux) « entretient plusieurs fers au feu le plus longtemps possible », où « le triple jeu est la règle, non par hypocrisie mais par nécessité stratégique » (p. 8). Il n’est guère étonnant, du reste, que le journaliste dédie son livre à son grand père, colonel et observateur militaire des Nations-Unies au Liban. C’est la tradition d’un regard militaire que perpétue le travail d’investigation de Meyssan, avec son sens aigu du réalisme, et peut-être aussi du courage et de l’honneur.

 

Le résultat de cette recherche importante est un exposé factuel, précis, hautement instructif, et utile au débat de notre époque. On signalera notamment à l’attention des lecteurs l’éclairage historique sur les racines protestantes anglo-saxonnes (depuis Cromwell) du projet de faciliter le retour des Juifs en Terre Sainte, projet solidaire d’une eschatologie religieuse à laquelle la France catholique ou laïque n’est guère familiarisée, et que Thierry Meyssan, en bon radical-socialiste, ne pouvait manquer de pointer du doigt. La production des cartes du redécoupage du Proche-Orient envisagé par certains stratèges états-uniens est aussi riche d’enseignements sur les ambitions que favorise l’actuelle suprématie militaire du Pentagone.

 

Le livre, comme la plupart des investigations « à chaud », comporte des aspects critiquables. Emporté par l’élan de ses démonstrations, il omet un peu trop souvent les notes de bas de page, ainsi que la citation de ses sources (dont on conçoit toutefois qu’elles doivent parfois rester secrètes). Ainsi Meyssan peut-il légitimement accuser sans renvoi à aucun document ni témoignage (même anonymisé) un ancien président d’avoir fait empoisonner son épouse (p. 32), les services secrets israéliens d’avoir planifié un attentat contre un colonel libanais (p. 136), des snipers israéliens d’avoir organisé une fusillade à Abidjan le 7 novembre 2004 ? Et, sur le fond, un lecteur prudent tiquera sur certains raccourcis comme celui qui consiste à identifier trop rapidement la politique du Conseil supérieur de l’Audiovisuel aux seules inclinations personnelles de son président en exercice, ou le saut périlleux idéologique qui conduit à voir dans la visite du Premier-ministre sud-africain en Israël, en 1976, les prémisses de l’organisation d’un « bantoustan » sioniste au Sud-Liban (l’occupation du Sud-Liban n’est-elle pas plutôt une occupation militaire « classique » d’un pays étranger voisin, comme celle du Cambodge par le Vietnam, sans grand rapport avec le système complexe de confiscation du pouvoir de la majorité à l’intérieur des frontières que constituaient les Bantoustans ?).

 

Sans doute ces petits problèmes formels, et des questions plus substantielles de fond sur les stratégies des protagonistes des guerres du Proche-Orient nourriront-ils des discussions pointues entre spécialistes. Mais le présent ouvrage de Meyssan a au moins le mérite de lancer un pavé dans la marre d’une thématique trop souvent verrouillée par une « pensée unique ». En livrant une lecture engagée, mais claire et stimulante, il aide à démêler l’écheveau d’un actualité médiatique confuse et orientée, et permet au lecteur-citoyen de reprendre pied dans son époque, pour poursuivre par lui-même sa réflexion sur l’avenir d’une région du Globe où se joue une bonne part du destin commun de l’humanité.

 

 

Frédéric Delorca

 

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Veille de départ

27 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Période assez intéressante. Je publierai à la rentrée un petit pamphlet au Temps des Cerises, et m'apprête à partir en voyage en Transnistrie lundi avec le Dissident et Mick Collins. J'en suis ravi car le sujet m'intéresse : à l'heure où se négocie l'indépendance du Kosovo, nous avons là un Etat structuré, homogène, qui peut prétendre aux mêmes prérogatives que ce que Washington veut faire de l'Etat albanais de Serbie. L'association russe Trans-European Dialogue nous invite à y constater la situation et notamment la protection des droits sociaux (car cette enclave a conservé un fort héritage soviétique). Certains disent d'elle que c'est la "Cuba de l'Europe". Par delà les rumeurs occidentales malveillantes sur son compte, je voudrais voir comment les gens y vivent.

Le député socialiste polonais, candidat à l'élection présidentielle en 2000, Piotr Ikonowicz sera de la partie avec un cinéaste paraît-il. Il y aura aussi des Allemands.  Tous cela sera sans doute très instructif, et je me prépare à écrire de longues pages sur le sujet.

Je suis particulièrement content de prendre l'avion Paris-Varsovie (nous retrouverons le Dissident en Pologne avant de rejoindre Odessa) avec le dramaturge états-unien Mick Collins. C'est un homme formidable, résistant anti-impérialiste de toujours qui rend en ce moment des services inestimables à l'Atlas alternatif et, à 63 ans, fait preuve d'un dynamisme que ses cadets français n'ont pas. J'espère que nos témoignages sur la vie à Tiraspol aideront à comprendre des aspects méconnus de la réalité européenne.

Affaire à suivre...

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Philosophie bourgeoise

14 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Dialogue avec un ex-prof de philo devenu bureaucrate aujourd'hui. Nous parlions du film sur Vergès, et du combat de Jamila Bouhired.

Lui : "Mais c'est horrrrrrrrible. Elle a commis des attentats qui ont tué des gens !!!

Moi - Parfois la violence se justifie face à une situation coloniale intolérable.

Lui (rigolard, arrogant) - Mais tout ça pour ça, pour ce qu'est devenu l'Algérie !

Moi - Oui, elle est devenue un client du FMI, mais peut-être justement parce qu'il n'y avait pas assez de Jamila Bouhired dans ce pays !

Lui - Alors si le choix c'est entre le fanatisme et la corruption moi je dis joker !".

En écoutant parler ce pauvre homme, encroûté dans son train train quotidien, j'ai compris pourquoi je devais me défier de la philosophie, ou du moins de l'usage que notre époque en fait. Passe encore qu'il confonde adhésion au FMI et corruption (l'adhésion au FMI c'est la compromission avec le néo-colonialisme, une réalité différente de la corruption). Mais le pire était ce raccourci incroyable entre résistance armée au colonialisme et fanatisme.

"Fanatique" pourquoi ? parce qu'elle tuait, dans les discothèques, des bourgeois européens insouciants qui jouissaient en tout inconscience du système colonial sur le dos de son peuple ? parce que l'être humain civil est par nature un innocent même s'il se complaît dans sa fatuité sotte, et cautionne par ce comportement les systèmes sociaux les plus horribles ?

"Fanatique", en vérité, parce que cette femme avait des certitudes, parce qu'elle a poussé le sens de la dignité jusqu'à tuer, voilà ce que lui reprochait en fait le bureaucrate, qui lui-même se définit comme un "tiède". Dans la tiédeur rampante de cet homme, celle qui le fait tous les jours ployer devant des chefs médiocres, et adhérer aux pires absurdités du système dominant (dans son boulot, en politique), se glisse une arrogance qui en aggrave l'abjection : celle du philosophe (ou de l'ex-philosophe) qui se croit supérieur, parce que lui a le sens du doute, ce que ces "fanatiques" sont censés ne pas avoir.

Je le dis toujours : la guerre du Kosovo fut mon école politique. Au début, en juillet 1998, j'étais moi aussi un bureaucrate, et je me prétendais philosophe. Et, contre mon correspondant serbe qui proclamait que la Serbie ne commettait pas de génocide au Kosovo et que tout cela n'était qu'une manipulation des grandes puissances contre son pays, j'objectais, moi aussi, le principe arrogant du doute. Skeptomai. Mais j'ai très vite compris qu'il fallait aussi savoir trancher, hiérarchiser les arguments, les témoignages, et placer certaines valeurs, comme la vérité, la dignité humaine, la justice, le courage au centre de tout, et au dessus du doute.

Je n'ai plus supporté ensuite, tous ces pauvres ignares qui, parce qu'ils lisaient Le Monde chez eux le soir, se croyaient supérieurs aux autres, et, devant mes convictions anti-systèmes s'exclamaient : "que diable as-tu fait de ton doute philosophique !". Ces gens déshonoraient la philosophie. Qu'on relise la Vie de Dion ou celle de Caton d'Utique de Plutarque. Et l'on verra comment les vrais philosophes placèrent les valeurs supérieures de l'humanité au dessus du doute.

Jamila Bouhired s'inscrivait dans leur lignée, dans le sillage de Socrate. Et mon bureaucrate arrogant stupide, avec son doute de pacotille adapté aux intérêts de sa caste, est dans le camp de ceux qui fournissent la ciguë.

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Laure Adler et Gilles Châtelet

13 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Lu dans Libération du 12 juin, le compte-rendu du procès d'Antoine Lubrina, ex-instituteur à Fleury-Mérogis, membre fu PCF, président du Rassemblement des Auditeurs Contre la Casse de France-Culture, accusé par Laure Adler (ex directrice de France Culture) de l'avoir représentée en caricature portant sur une pancarte l'écriteau "Vivre et penser comme des porcs" (http://www.liberation.fr/forums/forum.php?Forum=621). Libé explique que la docte directrice n'avait jamais entendu parler de ce brillant essai du regretté Gilles Chatelet et a pris la caricature pour une insulte ad hominem. L'ACRIMED soutient le combat d'Antoine Lubrina - un habitué des procès pour les causes de gauche http://www.conflits.org/document1584.html#ftn5 - contre l'entreprise de sabotage de la radio du Service public, France Culture - entreprise dont Laure Adler, selon lui n'aurait été qu'une exécutante (www.acrimed.org/article2377.html et http://www.broguiere.com/culture/chronique.htm).

Voilà en tout cas l'occasion de rappeler l'oeuvre de l'impertinent mathématicien trop tôt disparu. Bizarrement le journal Libération complimente au passage l'essai de Châtelet qu'il qualifie de "féroce et réjouissant"  en omettant qu'il fait partie de la cible de ce livre...

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Charles Barron / Connie Mack

11 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Les Stazinis

J’apprends toujours beaucoup sur notre monde en rédigeant les nouvelles du blog de l’Atlas alternatif. Hier j’ai découvert d’existence de Charles Barron, conseiller municipal démocrate du 42 ème district de New York, et son débat bref mais intense avec le député républicain de Floride Connie Mack, l'homme du lobby des millionnaires cubains de Miami sur Fox News (repris sur You tube). Il suffisait de regarder la tête de ces deux hommes pour voir lequel des deux était le plus honnête. Et, bien sûr, cela se confirmait en les entendant. J’ai découvert sans grande surprise que le député de Miami avait été à l’initiative de tout ce qui, au cours des quinze dernières années, en matière de dispositif légal imposé par les USA, avait pu nuire au peuple cubain et à l’émancipation des peuples d’Amérique latine.

Je me suis renseigné du coup sur Charles Barron. J’ai appris qu’il avait été membre des Black Panthers. J’avoue ne pas connaître grand-chose à ce mouvement, bien que le Temps des Cerises, si je me souviens bien, leur a consacré un bouquin. Je me souviens que Diana Johnstone en avait connu certains militants, et n’en disait pas que tu mal. Romain Gary aussi (un gaulliste pourtant) les traite avec une certaine sympathie, je crois, dans Chien Blanc, alors que l’histoire officielle passe son temps à stigmatiser leur « extrémisme ». Depuis ma jeunesse je n’entendais jamais parler que de « repentis » de ce mouvement. Avec Charles Barron nous avons au moins un homme qui essaie de faire quelque chose de constructif sans renier son credo anti-impérialiste de jeunesse. Pas étonnant donc que les textes qui parlent de lui sur Internet l’accusent de toutes sortes de maux, à commencer par le « racialisme » - certains parlent surtout de racisme.

J’observe tout d’abord qu’il ne doit pas être facile de faire de la politique en tant que noir aux Etats-Unis, même aujourd’hui, et même quand on est un « oncle Tom » - ainsi les appelait Mugabe – comme Collin Powell ou Condolezza Rice. Il doit falloir se faire une bonne autosuggestion quotidienne pour se dire qu’on est à sa place, qu’on est malgré tout fidèle à ses ancêtres, que les Etats-Unis peuvent devenir un jour, sans révolution de ses structures, un pays réellement multiracial, un pays qui pourra cesser d’avoir 50 % de Noirs dans sa population carcérale, et qui cessera d’opprimer les Noirs d’Amérique du Sud et d’Afrique. Ce doit être d’autant plus dur quand on a face à soi en permanence des Connie Mack qui, comme le dit Barron dans le débat, incarne la « suprématie de l’homme blanc » avec la pire des arrogances, et une horrible mauvaise foi.

On m’objectera peut-être qu’un engagement universaliste à gauche ne devrait pas prendre en compte la spécificité des couleurs de peau, le racialisme étant l’anti-chambre d’une dérive vers l’extrême-droite. Mais ce serait faire preuve d’un irréalisme complet. On ne peut pas faire comme si les gens n’avaient pas de couleur, ni comme si un député noir valait un député blanc dans l’imaginaire des gens ordinaires. Le communisme soviétique a échoué à éradiquer le racisme de sa sphère d’influence à force de l’ignorer et de le noyer dans un internationalisme artificiel. Pour affronter le problème des discriminations raciales, comme des discriminations de genre, il faut commencer par les intégrer comme des données identitaires importantes du débat politique. Et, même si les militants de la cause noire, comme les militants du féminisme, dérapent parfois dans le communautarisme, on ne peut pas en tirer argument pour nier cette dimension objective des rapports humains dans le débat politique.

Puisque nous parlions du Venezuela dans cet article, j’observe que la révolution bolivarienne elle-même a décidé de prendre en charge cette thématique. Je crois me souvenir qu’il y a quelques mois un article de la revue du MRAP abordait cette question : Chavez, en jouant de son propre métissage, se pose en défenseur des gens de couleur. Je ne crois pas qu’on doive l’en blâmer. Le réalisme l’y oblige. Il ne peut pas faire comme si les gens les plus opprimés de son pays n’étaient pas en même temps les plus colorés.

A part cette question du racialisme, on reproche à Barron ses accointances avec Mugabe et Castro. Mugabe et Castro sont sur la scène mondiale dans la même position d’un Charles Barron face à un Connie Mack sur la scène de Fox News. Ils jouent une partie inégale face à un joueur malhonnête (le système politico-économique issu de la révolution capitaliste occidentale) qui a tous les atouts dans sa manche. On peut facilement ensuite leur reprocher leurs faux pas. C’est comme si l’on organisait une course entre un homme à pied et un homme à cheval et si l’on reprochait au premier de chanceler après avoir franchi la ligne d’arrivée. Moi, je trouve que l’alliance entre Barron, Castro et Mugabe – qui n’est d’ailleurs sans doute pas une alliance solide, forgée à coups de dollars comme l’en accuse Connie Mack – a quelque chose de profondément respectable, au milieu du cynisme de ce monde, quels que soient les défauts respectifs de ces trois hommes et des politiques qu’ils incarnent.

J’observe au passage que nous n’avons pas, nous, en France, des élus qui ont conquis de haute lutte des districts miséreux, composés d’underdogs, de laissés-pour-compte basanés, et qui portent une voix anti-impérialiste dans les grands médias. Aux Etats-Unis il y a Charles Barron, en Grande-Bretagne George Galloway. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, que je garde pour une autre fois.

Pour terminer je voudrais signaler aussi à quel point nous ignorons l’histoire des dominés, la façon dont ils l’ont vécue, la manière dont ils la racontent. J’en ai pris conscience davantage encore samedi dernier en allant voir le très bon film de Barbet Schroeder sur Me Vergès. Le film parle abondamment de Jamila Bouhired (qui fut l’épouse de Me Vergès), ce qu’elle a représenté pour les indépendantistes algériens, pour les Palestiniens, pour tout le Tiers-monde en révolte au tournant des années 1960. J’avoue ne jamais en avoir entendu parler auparavant. Il est vrai que j’ai grandi dans la culture bourgeoise de Sciences Po et des médias. Mais j’ai regardé sur Internet. Les mentions de ce nom y sont des plus rares. J’ai regardé le livre d’Annie Cohen-Solal sur la vie de Sartre. Elle y détaille sur trois pages le procès du réseau Janson (dont Barbet Schroeder ne dit rien), fait référence au rôle qu’y tint Vergès, mais ne cite le nom de Jamila Bouhired qu’une fois en passant dans la liste de condamnés à mort sans un mot sur le symbole qu’elle a représenté.

Cette ignorance de l’histoire des peuples colonisés devrait inciter tout le monde (et notamment les dominants) à la plus grande modestie à leur de se prononcer sur les grands problèmes de notre temps…

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Crossroad

8 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Je suis tout à fait bluffé en ce moment par l'arrogance des gens de droite et du centre (y compris l'aile droite de parti socialiste) à l'égard des forces de gauche. C'est un mélange de méchanceté, de conformisme, de lâcheté, de malhonnêteté et de bêtise qui fait froid dans le dos. Mélenchon sur son blog se plaint d'être maltraité par l'aile droite de son parti, mais en vérité c'est tout ce que notre pays compte d'imbéciles de droite qui se déchaîne en ce moment, fort du soutien de notre cher peuple versatile qui s'apprête à accorder une chambre bleue-horizon à l'UMP.

La foi de tous ces gens dans ce système prédateur du capitalisme, dans son exploitation des hommes et de la nature, dans les guerres qu'il provoque, serait touchante et risible s'il n'y allait pas de notre survie collective, et notamment de celle de millions de gens dépourvus de tout. Les plus risibles sont ceux qui crachent leur mépris sur un Chavez, un Nasrallah, et sur les peuples qui ont placé leur confiance en ces hommes. A la différence des léninistes dogmatiques d'autrefois nous n'avons hélas plus la certitude eschatologiques que tous ces abrutis cyniques et suffisants seront balayés par le Sens de l'Histoire. Avec Chomsky nous pouvons seulement dire que le jeu est ouvert. L'homo sapiens peut collectivement prendre cette canaille comme modèle, l'imiter, adopter ses valeurs de mépris et de compétition égoïste, ou, au contraire, faire le choix (toujours difficile, exigeant) de l'égalité et de l'intérêt collectif. Le jeu est ouvert et il le sera toujours, même si temporairement une époque peur sembler favoriser une option et la suivante une autre. Il sera ouvert, mais, sans cesse, avec une tendance lourde qui privilégiera les cyniques conservateurs : parce que c'est le choix de la paresse intellectuelle, le choix que tout un chacun a toujours mille raisons de privilégier, du plus pauvre au plus riche - le plus pauvre parce qu'il n'a plus la force de penser en termes politiques, le plus riche parce qu'il n'en a pas besoin... C'est à chacun d'oeuvrer, pour que ça ne dérive pas davantage, pour que le Parti de la paresse intellectuelle, du mensonge, de l'arrogance et du mépris ne marque pas davantage de points.

Un défi terrible à relever, en vérité...

Puisque rien n'est écrit d'avance, puisque l'Histoire ne garantira rien, cela fait peser sur tout le monde une responsabilité éthique bigrement lourde.
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Chavez et le Réseau Voltaire

8 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

Hugo Chavez vient de faire une jolie publicité à Thierry Meyssan en lisant une partie d'un de ses articles (un bon article semble-t-il) en présence du président Daniel Ortega (http://www.voltairenet.org/article148776.html), un peu comme il l'avait fait pour Chomsky il y a quelques mois à la tribune de l'ONU.

Le Réseau voltaire est souvent critiqué, du fait notamment (si j'ai bien compris) de certaines collaborations avec l'extrême-droite (bien que Meyssan lui même soit un homme du centre gauche). Je dis bien cela sous toute réserve, car il est toujours difficile de faire la part de la fumée et du feu dans ce genre d'affaire. J'ai cru comprendre que cette critique leur était adressée. Personnellement, j'observe que le travail de ce réseau sur l'actualité internationale est issu de la guerre du Kosovo. Ce réseau est donc le fils de la politique de Chirac-Jospin à l'encontre de la République fédérale de Yougoslavie, tout comme mon propre travail d'information alternative (Meyssan l'expose dans une interview sur http://www.voltairenet.org/article148693.html). Voilà un point commun qui ne peut que m'inspirer de la sympathie, et ce d'autant plus que je n'ai jamais lu la moindre apologie des valeurs de l'extrême-droite sur leur site, bien au contraire. De toute façon, en réalité, la sympathie ou l'anthipathie importent peu dans le travail d'information et d'analyse qu'on doit fournir. Seuls les faits comptent. D'après ce que je peux connaître des travaux de Meyssan, certaines de ses recherches ne me persuadent pas tout-à-fait (par exemple sur l'effondrement des deux tours en 2001, nombre de ses arguments ne me paraissent pas très pertinents), d'autres davantage (sur le 11 septembre, les démonstrations de Meyssan concernant le Pentagone me paraissent plus fortes que celles sur les Twin Towers, et l'article que lisait Chavez sur l'Albert Einstein Institution a l'air également très solides).

L'Atlas alternatif est une initiative anti-impérialiste de gauche. C'est annoncé dans sa préface. Elle ne part pas d'une collaboration "trans-clivage". Mais si des chercheurs  établissent des faits objectivement prouvés, solides, intéressants, je crois que nous ne pouvons pas nous interdire de citer ces faits, et l'organe qui les relate, au simple motif que tel ou tel déjeunerait avec des gens du Front national. Ce serait du maccarthysme absurde. Amicus Plato, sed magis amica veritas. La vérité compte plus que les amitiés des uns et des autres. Notre époque a besoin de vérité plus que tout. Donc je pense que notre blog de l'Atlas doit prendre la vérité où elle est et citer la source qui la relate, quelles que soient les fréquentations de cette source. Les choses de ce point de vue sont très simples. Et si un jour la vérité relatée est démentie d'une façon convaincante, il faut aussi le signaler, comme nous l'avons fait en ce qui concerne la rumeur diffusée par la Capjpo/Europalestine sur le timbre israëlien à l'effigie de Sarkozy (qui s'est révélé être un faux-timbre de la section israëlienne de l'UMP, ce qui n'est pas tout à fait la même chose...).

En ce qui concerne les alliance bizarres des uns et des autres justement, j'observe que Jean-Luc Mélenchon, un peu involontairement sans doute, dans son blog (http://www.jean-luc-melenchon.fr/article/blogview/236/1/1/) soulève un sujet de polémique potentielle sur la question de savoir si le général José Nicolas Albornoz Tineo, membre de l'état-major militaire du président Chavez, a ou non participé le 27 mai dernier à un colloque organisé par des dirigeants du Front National à Agde. A vrai dire l'info traînait sur divers blogs depuis un certain temps, mais le sénateur socialiste ne s'en est enquis qu'après que Marianne l'ait reprise. Il publie sur son blog un démenti de l'ambassadeur du Vénézuela à Paris.

J'ignore si ce démenti est fondé ou pas. Mais je pense personnellement que les gens de gauche en France qui approuvent le processus bolivarien ne devraient pas se soucier des soutiens que les leaders venezueliens vont chercher, que ce soi du côté de l'Iran ou du FN. A mon avis, les bienfaits que cette révolution apportent aux populations les plus pauvres des pays de l'ALBA, et, au delà à l'ensemble du Tiers-Monde, comptent davantage que ces questions politiciennes. Chavez peut se chercher les alliés qu'il veut. La seule question sérieuse est de savoir si sa politique est progressiste, utile ou non aux pauvres. Et personne ne peut nier qu'elle l'est effectivement. Tout le reste n'est que littérature.

A part cela je signale la sortie du dernier numéro du Plan B, organe de critique des médias, que j'ai trouvé très bon, et même meilleur que les précédents... Le dossier sur Jacques Attali, ami de Kouchner et de Sarkozy, notamment vaut le détour...

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Un message de R. Wintrebert et quelques remarques

6 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Par respect pour le débat démocratique et la contradiction, je publie ci-joint (avec son accord) le message que m'a adressé Raphaël Wintrebert le 30 mai 2007, ainsi que les remarques que ce message m'inspire. Evidemment cette discussion mériterait de longs développements. J'ouvre la rubrique "commentaires" à toutes fins utiles

"Bonjour,

Je me permets de vous écrire car je viens de lire la recension que vous
venez de faire de mon livre (ainsi sur votre blog). Je tiens d’abord à
vous remercier, je préfère bien évidemment une discussion, même
critique, que pas de discussion du tout. Cela me donne aussi l’occasion de
vous répondre sur différents points.

J’admets tout d’abord volontiers votre première remarque : je n’ai en
effet pas mobilisé d’outils statistiques et suis très allusif sur la
composition sociologique des adhérents. Je l’évoque seulement pp.71-72, me
contentant de reprendre les grandes conclusions de mon doctorat sur ce
point. Après discussion avec mon éditeur nous avions jugé qu’il n’était
pas nécessaire de reproduire les différents tableaux que j’avais
élaboré dans ma thèse académique (que vous pouvez, si vous le souhaitez,
télécharger à l’adresse suivante : ). Je manquais de toutes façons de
données très fiables et réactualisées, et je n’avais de fait pas les moyens
de réaliser moi-même ce type d’enquête. Plus fondamentalement ce
n’était absolument pas mon sujet.

Telle est finalement la réponse globale que je me permets de vous
adresser. Elle paraît certes un peu facile à première vue mais elle n’en est pas
moins pertinente : ma thèse ne portait ni sur la sociologie des
adhérents, ni sur la professionnalisation de certains militants, et moins
encore sur la perception que d’autres militants et d’autres organisations
avaient d’Attac. Aurais-je du traiter de ces sujets (et pourquoi pas de
bien d’autres encore) ? Cela était évidemment impossible et franchement
peu pertinent sauf à avoir une ambition (et une prétention)
d’exhaustivité démesurée. Ce n’était pas mon cas.

Vous écrivez ainsi « une étude sérieuse de l’altermondialisme français
et européen reste donc à faire ». Je suis bien d’accord avec vous !
Encore une fois, je n’ai aucunement prétendu y contribuer. Mon choix
méthodologique et théorique (évidemment discutable) était de saisir comment
cet objet Attac avait évolué. J’ai donc tenté d’identifier les facteurs
qui m’ont paru jouer dans cette évolution. D’où mon choix de ne pas
présenter un contexte général mais plutôt de comprendre comment différents
acteurs pouvaient, à un moment ou à un moment, utiliser des rapports de
force liés à ce contexte global pour modifier les rapports de force
interne. L’environnement ne m’intéresse que si les acteurs eux-mêmes s’en
saisissent pour élaborer et mettre en œuvre leurs stratégies. Je suis
donc bien d’accord qu’il aurait été « intéressant » de mieux saisir «
les rapports de forces sociologiques et politiques dans lesquels
s’inscrivait le phénomène », mais cela m’aurait-il permis de mieux comprendre /
expliquer l’évolution d’Attac ? Je ne crois pas. J’ajoute que je l’ai
fait lorsqu’il y avait de fait des conséquences du Attac. Par exemple le
changement de direction au SNESup ou les conflits à Politis.

Le dernier point sur lequel je souhaitais revenir, car c’est le plus
important, est l’accusation d’un « manque d’audace intellectuelle,
largement inhérent à une complaisance à l’égard de son sujet ». J’avoue que
les bras m’en tombent. D’abord parce que vous vous permettez, sans le
justifier, d’affirmer ce qui est de l’audace et ce qui ne l’est pas. Que
vous ayez vos sujets de prédilection qui vous semblent essentiels (et
qui semblent s’inscrire dans une espèce de concurrence de légitimité
militante et intellectuelle avec le Monde diplomatique), soit, mais que
vous vous permettiez de dire que je me suis contenté de transcrire la «
vérité » d’Attac récitée par ses dirigeants sous prétexte que
j’appréhendais mon objet différemment je trouve ça un peu gonflé. Ensuite, tout
mon doctorat est consacré à l’explicitation de la montée en puissance
des comités locaux, alors même que les dirigeants nationaux (« parole
officielle ») ne cessaient d’en minimiser la portée et le poids politique.
Même en ce qui concerne les conflits nationaux des dernières années,
j’ai tenté (peut-être pas totalement réussi mais nul n’est parfait)
d’éclairer les tactiques, les stratégies, les manœuvres, les enjeux, les
combats de procédures souvent abscons, tels qu’ils ne m’ont jamais été
présentés (ou à demi-mots) par les acteurs. J’ai la nette impression que
vous confondez « citer ses sources » et « reprendre la parole officielle
»…

Vous semblez en réalité développer un tel contentieux avec Attac et/ou
le Monde diplomatique (« noyer la réflexion de la gauche dans un océan
de bien-pensance aussi arrogante qu’irréaliste sur toutes les grandes
questions de notre époque ») que toute analyse qui ne serait pas
explicitement critique serait taxée d’être superficielle et complaisante.
J’aimerais d’ailleurs bien savoir ce qui vous permet de lancer « La vérité
d’Attac est dans Le Monde Diplomatique, et la vérité du Monde
Diplomatique, dans la crise générale de la gauche communiste, et non communiste
française, des années 1990-2000 » ?! La notion de « vérité » en sciences
sociales me semble pour le moins délicate et ne peut certainement pas
se conjuguer au singulier.

J’espère que mes remarques vous donneront l’occasion de
préciser vos griefs. Je suis absolument convaincu qu’il y a 1000 reproches
à faire à mon analyse, j’avoue que les vôtres ne me semblent pas être
de ceux-là.

Bien cordialement,

Raphael Wintrebert"

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Mes remarques :

Ainsi que je l'ai dit à Raphael Wintrebert, ma recension sur Parutions.com (qui n'est pas entièremet négative, et qui peut contribuer à faire connaître son livre sur Internet) n'est pas une attaque personnelle contre son travail au sens où un président de jury de thèse critiquerait la qualité du travail d'un candidat.

Mon texte cible le système institutionnel universitaire duquel son travail est le produit, connu, reconnu, et consacré.

Il y a en effet dans mon appréciation la nostalgie d'une sociologie quantitative, qui, quels que fussent ses défauts dans les années 70 (je pense par exemple à la Distinction ou à La Noblesse d'Etat de Bourdieu) ajoutait une plus value de connaissance, et permettait de placer la sociologie en rupture avec le sens commun. Je regrette qu'aujourd'hui l'université n'oriente pas les étudiants vers ce genre de travail statistique long et laborieux, qui contribuait beaucoup à la légitimité de la discipline. Faire une thèse de sociologie qui décrit des "stratégies" en faisant l'économie d'une analyse complète du champ revient à mon sens à faire de la science politique pure et simple, c'est à dire quelque chose de moins satisfaisant pour l'esprit. Le système universitaire et les éditeurs provoque à tort selon moi, ce genre d'évolution.

Décrire les choix de Bernard Cassen ou de Jacques Nikonoff dans telle ou telle circonstance, sans analyser la structure d'Attac sans expliquer dans quel réseau national et mondial elle se situe, sous le feu de quels encouragements et de quelles critiques, c'est comme faire une histoire de l'URSS en détaillant les faits et gestes de Staline sans rien dire de l'histoire du PCUS, de la société russe, des relations internationales au même moment. Prenons l'exemple de Raphaël Wintrebert : le fait que les collectifs à un moment imposent une prise de position d'Attac sur la Palestine, et échouent à l'obtenir sur le nucléaire. La question peut-elle être abordée sans spécifier que nous sommes en 2002, à une période de l'histoire de l'opinion publique française n'a jamais été aussi sensible à la brutalité de la répression israëlienne (au moment de Jénine) ? A mon avis c'est impossible, et cela n'éclaire pas le lecteur.

Encore une fois, je crois que c'est une tournure d'esprit prédominante dans l'ensemble de l'institution universitaire (et produite par celle-ci) qui empêche les recherches de mener à leur terme les ambitions intellectuelles. Et cette prudence excessive n'est pas étrangère à la fragilité du chercheur à l'égard de son objet. Etant redevable à l'égard des gens qui ont répondu à ses questions, il est susceptible de les rencontrer à nouveau, de dépendre de leur acquiescement pour des recherches ultérieures, et il en va de même de l'ensemble de son laboratoire. Tout cela favorise les autocensures, et pousse l'analyste à croire qu'il peut mettre l'accent sur une analyse "compréhensive" des stratégies (toute une veine issue de Weber, de l'ethnométhodologie, de ce que Berthelot appelait aussi la sociologie pragmatique y pousse) au détriment d'une analyse contextuelle. Je le regrette.

Bien sûr cette analyse contextuelle se devrait, à mon avis, d'être axiologiquement neutre (donc pas uniquement négative, elle peut insister sur les aspects positifs et négatifs du phénomène social observé du point de vue des acteurs du champ dans lequel il s'inscrit - et donc sur Attac, du point de vue des divers acteurs, il n'y a pas que du négatif, il n'y en a même pas de mon propre point de vue). Mais cela ne devrait pas lui empêcher d'être ambitieuse.

Parce que nous étions sur parutions.com, revue littéraire qui doit donner à penser au maximum dans un minimum d'espace (6000 signes) je me suis permis dajouter à la critique de la sociologie dont Raphael Wintrebert est une illustration, une critique de l'univers intellectuel du Diplo (et un thème prolonge "naturellement" l'autre, car, à mon sens, le Diplo est lui-même très marqué par la démarche intellectuelle des soiologues). Cette critique n'apparaît qu'en filligrane dans ma recension, elle est un plus développée dans ce blog, mais devrait en vérité donner lieu à l'écriture d'un livre entier car il y aurait beaucoup à dire.

Par ailleurs je retiens de la réponse de Raphael Wintrebert que je dois d'urgence me remettre en quête de cette citation de Bourdieu sur Marx et Bakhounine. Elle figurait dans un ouvrage de Bourdieu en langue anglaise que j'ai laissé en 1999 chez un résistant à Belgrade... Mais je me fais fort de la retrouver !

FD

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Le CR dans Parutions.com

Une bulle dans l’écume de la globalisation…

 

Raphaël Wintrebert, Attac, la politique autrement ?

L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Editions Le Temps des Cerises,  Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006).
 

Toute réalité sociale proche des sociologues fait l’objet d’une thèse en sociologie, telle est la règle de notre époque. Il n’est guère étonnant qu’Attac ne fasse pas exception. Raphael Wintrebert s’est donc attelé à ce sujet qui lui a permis de décrocher son doctorat à l’EHESS en 2004. Il en produit une version expurgée et actualisée « grand public » cette année aux éditions La Découverte.

 

Les lecteurs retrouveront ainsi à travers son récit les grandes étapes de l’histoire de cette production politique originale qu’on appela « Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens », née toute armée en 1998 du cerveau de la direction du Monde Diplomatique, et qui grandit et se développa dans l’idéologie et sous le contrôle de ce journal, ou des publicistes qui gravitaient dans son giron.

 

D’un chapitre à l’autre Wintrebert ne se contente pas d’aligner des dates et des faits connus du grand public. Il mobilise des témoignages de l’intérieur du mouvement. Son parti pris est de montrer les antagonismes qui opposent une direction « verrouillée » par les membres-fondateurs du mouvement (une série d’associations et de syndicats « à gauche de la gauche ») à l’afflux des nouveaux adhérents, militants d’un certain âge (presque tous plus que trentenaires) issus de la petite-bourgeoisie d’Etat, qui cumulent leur présence à Attac avec un engagement dans d’autres milieux associatifs locaux ou nationaux. Wintrebert met à jour les percées des nouveaux entrants - leurs tentatives pour inscrire sur l’agenda politique de l’association des thèmes autres que la taxe Tobin : notamment la Palestine en 2002, le nucléaire, le féminisme, les dissensions internes dont ces thèmes sont porteurs - et les initiatives de Bernard Cassen pour en atténuer l’impact sur les structures du mouvement.

 

Il donne en outre quelques clés de compréhension précieuses du feuilleton de la crise d’Attac, de 2004 à 2006, qui a opposé le « clan Nikonoff » à ses détracteurs et dont on ignore si elle annonce un renouveau du mouvement ou sa disparition.

 

Hélas, cependant, l’ouvrage laisse le lecteur sur sa faim. Tout d’abord il s’agit de sociologie qualitative et les statistiques font cruellement défaut. Certes nous ne sommes plus au temps où des équipes de sociologues pouvaient se mobiliser pour envoyer des milliers de questionnaires, rentrer les réponses sur ordinateur, et, avec des logiciels sophistiqués répartir l’objet de leur étude sur de beaux diagrammes façon « structuralisme génétique » qui donnaient (à tort ou à raison) l’impression de pouvoir comprendre du réel davantage d’éléments que n’en pouvait saisir un journaliste. Mais de là à tomber sur une thèse de sociologie qui ne peut même pas vous dire précisément combien Attac compte d’enseignants, d’ouvriers ou de retraités, et qui ne prend même pas le soin de s’en justifier… c’est à désespérer des capacités des sciences sociales.

 

En second lieu, le travail de Wintrebert, comme la plupart des recherches académiques souffre d’un manque d’audace intellectuelle, largement inhérent à une complaisance à l’égard de son sujet. A trop s’en tenir au discours des dirigeants d’Attac ou de leurs opposants en interne sur l’histoire de leur mouvement, le sociologue s’en fait le porte-parole, et oublie ce qui permet d’aller précisément au-delà de l’histoire officielle. Prenons l’exemple des finances d’Attac. Ce mouvement de 30 000 adhérents (à son apogée), qui pendant un temps vendait des centaines de T-Shirts à son emblème (fabriqués où ? par qui ? au profit de qui ?) et offrait généreusement chaque année des voyages à ses heureux représentants à Porto Alegre et à Mumbai, représentait une force économique non négligeable. Sans faire preuve d’un matérialisme excessif il est sain, du point de vue de la sociologie politique, de s’interroger sur la gestion de l’argent, ses origines, sa destination, ce qu’il permet, ce qu’il empêche – c’eût été d’ailleurs une utile propédeutique à une étude plus large des professionnels du militantisme, de ce qui les rapproche et de ce qui les coupe des classes populaires qu’ils défendent, et à qui personne n’offre des billets d’avion, sauf les animateurs de jeux télévisés.

 

Bourdieu a écrit quelque part que Marx a la vérité sur Bakhounine et Bakhounine la vérité sur Marx. C’est le B-A-BA de la rupture avec le substantialisme en sciences sociales. Cela commande toujours de refuser le fétichisme laborieux du « spécialiste » coincé dans sa recherche et d’élargir la perspective. La vérité d’Attac est dans Le Monde Diplomatique, et la vérité du Monde Diplomatique dans la crise générale de la gauche communiste, et non communiste française, des années 1990-2000 (crise dont le fin mot se révéla dans la dernière élection présidentielle). Aussi pour saisir une « autre » vérité d’Attac que celle que récitent ses dirigeants et leurs proches, eut-il fallu se demander ce qu’on en pensait à l’extérieur, dans les autres mouvements ou dans les partis politiques. Que disait-on dans les forums sociaux internationaux de cette machine politique française ? de ses liens avec les mouvements trotskistes ? qu’en ont pensé tous ceux, et ils furent nombreux, qui accusèrent Attac et ses parrains du Monde Diplomatique de noyer la réflexion de la gauche dans un océan de bien-pensance aussi arrogante qu’irréaliste sur toutes les grandes questions de notre époque (de la guerre de Yougoslavie à celle du Congo en passant la Palestine) ? en s’interrogeant sur les discours alternatifs à celui d’Attac, et les stratégies des courants alliés ou opposés à Attac, Raphaël Wintrebert se serait donné les moyens de mieux comprendre les rapports de forces sociologiques et politiques dans lesquels s’inscrivait le phénomène qu’il étudiait. Il aurait ainsi pu en analyser plus en profondeur les principaux ressorts.

 

Une étude sérieuse de l’altermondialisme français et européen reste donc à faire. On aimerait que l’ouvrage de Wintrebert sur Attac l’annonce comme un prélude.

 

Frédéric Delorca

 

 

 

 

 

 

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