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Le blog de Frédéric Delorca

Inventaire et contingences

26 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Je relisais tantôt le commentaire que Maximilien Lehugeur (un intellectuel indépendant, exigeant et honnête pour lequel j'ai la plus grande estime) a bien voulu laisser sur ce blog et que je reproduis au bas de cet article. L'heure est aux inventaires à gauche : inventaire du communisme soviétique, des révolutions du tiers-monde, de la social-démocratie, du républicanisme jacobin. Devant la deferlante néo-libérale, il faut cet aggiornamento : pour que la gauche ne soit pas qu'une force conservatrice mais aussi une force de proposition et de changement.  

Il y a du vrai dans ce que dit Lehugueur sur le stalinisme. A vrai dire la principale faute de ce système fut son optimisme historique, à caractère presque religieux, masquant les impasses du bureaucratisme et de la mentalité féodale toujours présente en URSS. Pour autant il faut être réaliste. L'URSS avait-elle mille possibilités ? Le communisme soviétique aurait-il réellement être plus intelligent qu'il ne le fut sans risquer de s'effondrer ? et d'ailleurs intelligent de quel point de vue ? du point de vue des intellectuel ou de celui-ci des ouvriers ? laquelle de ces deux formes d'intelligence doit guider un régime ? Une URSS plus inspirée par Fourier aurait-elle envoyé des satellites dans l'espace ? Et envoyer des satellites dans l'espace pour forcer les USA à conquérir la Lune n'est il pas un fier service rendu à l'humanité ? Ne dira-t-on point que ce fut le plus grand service, le jour où l'humanité quittera le système solaire à la veille de son implosion ?

J'ai écrit un bouquin sur la contingence historique "Tout aurait pu se passer autrement" qui dort en ce moment dans le tiroir d'un comité de lecture en banlieue parisienne. Le cours de l'histoire tient à peu de choses : des hasards, des volontés. En même temps la combinaison des structures limite quand même le champ des possibles. Notre regard sévère sur le communisme soviétique n'est-il pas une illusion rétrospective ?

F. Delorca


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"j'ai lu ton Duclos et vu la vidéo ...  en fait j'ai peu de choses à dire, c'est intéressant, mais je ne vois rien à ajouter d'original pour ma part. Sans être communiste ni avoir jamais été marxiste, mais comme toi "marxien" si on veut (Aron dirait qu'on finasse dans le genre des "marxismes imaginaires", mais j'entends ça au sens de Sartre, Michel Henry et surtout de Jean Beaufret: penser que le matérialisme est une ontologie absurde et au moins aussi dogmatique que le spiritualisme idéaliste ou le christianisme ... de la "métaphysique", mais que le Capital est une phénoménologie du travail industriel et de la production de la valeur, qui garde sa pertinence, mais a besoin d'autres bases philosophiques que le déterminisme absolu ou ambigu du type althusserien comme le vague "en dernière instance"... Je pense que c'était le sens du travail du regretté Gérard Granel), je crois aussi que la disparition de la référence au marxisme dans le champ théorique est une catastrophe, orchestrée par des courants nihilistes "néo-libéraux" et le Capital commercial aliénant. La lecture des manuels d'histoire est à ce sujet édifiante: les scientifiques sont dispensés de notions d'économie politique et de critique du capitalisme, tandis que le "cours" (objectif) tend à faire du système un résultat d'évolution et la forme unique de l'économie; certes on mentionne les problèmes sociaux et les inégalités criantes, on parle de ceux qui contestent ce système, mais au fond le réformisme (entre un Jaurès mou et Keynes pragmatique et libéral de centre-gauche) apparaît comme la solution (avec le New Deal) face aux "totalitarismes". Quant aux 1ère de la filière dite "Sciences économiques et sociales", ils savent à peine définir (la faute au manuel) la croissance et la crise, et les révolutions industrielles se font presque sans relation avec une dynamique capitaliste: "l'âge industriel" est présenté sous sa forme technique, ses problèmes de crise économique et de manque de régulation, mais les structures économiques et le Capital sont quasi-absents! il y a sans doute là une responsabilité de l'Ecole des Annales, qui a privilégié le concret empirique, la vie quotidienne, le vécu, etc. et éliminé plus ou moins l'analyse des déterminations systémiques. Evidemment l'Inspection a suivi: ravie d'avoir une caution à la purge idéologique des manuels. Et quand on voit qui signe certains de ces ouvrages, on comprend la cohérence de
cette présentation lénifiante. Un "complot" si on veut (et pas besoin de se réunir dans un sous-sol pour cela). Avec l'aide, en partie, des communistes eux-mêmes: entre connerie stalinienne dogmatique (diamat) et réformateurisme décérébré qui jette le bébé avec l'eau du bain ... Il faut dire que le stalinisme a commis non seulement des crimes, mais a dégoûté le peuple de la révolution et du socialisme par une application réductrice et castratrice de la "libération" socialiste: négation de la poésie de la vie et scientisme/objectivisme partout, discours plat répétitif écoeurant d'absurde et de dénégation (le Novlangue du "1984" d'Orwell), nomenklatura hypocrite aujourd'hui reconvertie dans la privatisation maffieuse des économies de l'Europe de l'est. En ce sens, il est utile de relire Proudhon (Marx a été parfois injuste à son égard) et Fourier. Mais je réagis trop rapidement"

M. Lehugeur
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Quid de la "rentrée sociale" ?

22 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Comme je le signalais dans mon article sur les "intellectuels critiques", je publie cette rentrée un opuscule intitulé "Programme pour une gauche française décomplexée", histoire de participer un peu, à mon modeste niveau, au combat pour la liquidation du néo-libéralisme en Europe. programme-pour-une-gauche-plus-petit.jpg

La société française va mal. Cela va sans dire : à la base, évidemment, avec les difficultés économiques et culturelles des gens (et, par delà ces difficultés, l'enlisement généralisé dans un système de consommation et de gaspillage qui désespère profondément les gens, même s'ils n'en ont pas toujours conscience) ; au sommet, parmi les élites, avec cette disparition totale des cadres politiques traditionnels (l'effacement des bases conceptuelles de l'opposition/droite), et l'américanisation de notre façon de fonctionner (le ralliement de tous, y compris des hauts fonctionnaires, au productivisme, à l'individualisme, au communautarisme, à la contractualisation, au règne du "marché", c'est-à-dire du fric, contre la religion traditionnelle de l'Etat).

Tout ceci est épouvantable, et le pire c'est que cette abominable mayonnaise pourrait bien "prendre", en France, comme d'ailleurs sur tous les continents. Je veux dire qu'il n'est pas à exclure qu'un "homo néoliberalis" naisse, comme étape nouvelle et modification anthropologique de l'homo sapiens, un danger pire que celui de l'homo sovieticus dénoncé dans les années 1980 par Zinoviev en Russie (lequel d'ailleurs est devenu depuis lors un antinéolibéral farouche). Oui, l'homme asservi au marché, à l'inégalité et à la mentalité "concurrentielle" (la lutte de tous contre tous) pourrait bien être l'horizon inéluctable de notre monde.

Nous devons nous y opposer. Lorsqu'on voit les Russes, les Latino-américains, et tant d'autres peuples (chacun à leur manière, et d'ailleurs souvent non sans erreur, on pourrait y revenir) tenter de se protéger de ce mouvement, on se dit que tout n'est pas perdu. Mais force est de constater en tout cas qu'en France, les derniers bastions de la résistance s'effritent.

Passe encore que le PS ne soit pas en état de résister (depuis longtemps au moins une bonne moitié de ses militants sont sur une pente "blairiste"). Mais que la petite bourgeoisie d'Etat (les petits et moyens fonctionnaires) qui constitue le socle de la gauche de la gauche (PC-Verts-LCR-LO et autres) depuis la victoire du "non" au Traité constitutionnel européen, ne parvienne pas à s'unifier ni à proposer une réponse cohérente à l'offensive néo-libérale, voilà qui est très préoccupant.

Il manque peut-être l'homme providentiel qui pourrait cristalliser une "envie" de rupture avec le libéralisme comme l'a fait Chavez au Venezuela (un très bon article d'un chercheur philippin sur http://www.focusweb.org/le-radicalisme-militaire-v-n-zu-lien-un-mod-le-pour-les-autres-pays-en-voie-de-d-veloppe.html?Itemid=26 montre que Chavez fait sa révolution avec des bouts de ficelles : l'armée, les missions de médecins cubains - la personnalité du leader compte pour beaucoup dans la dynamique). On peut regretter que nous ne fonctionnons pas comme les sociétés protestantes dépersonnalisées, mais dans notre univers latin, les subjectivités comptent beaucoup pour faire avancer les choses...

A défaut d'un homme providentiel, on rêve d'un mouvement social spontané comme en 1995. Mais en voit-on s'esquisser les contours ? La rentrée sera un test. On peut espérer une mobilisation des cheminots sur les régimes spéciaux, des enseignants et étudiants sur la réforme des universités, des fonctionnaires d'une manière générale sur les suppressions de postes et les conditions de travail de plus en plus déplorables. Que tout cela fasse boule de neige, que la défense du service public revienne au devant de la scène (préalable ensuite à une réflexion réellement de gauche sur une société d'égalité, de liberté et de fraternité).

Mais ce pari sur l'avenir n'est pas gagné d'avance. Les fonctionnaires et employés du secteur public, qui sont le noyau dur à partir duquel la résistance au libéralisme s'organise en France, ont été très rudement attaqué ces dernières années. Les mouvements sociaux de 2003 n'ont rien donné. La débandade des appareils politiques à gauche de la gauche après la victoire du "non" au référendum, et le grand Sarkozy-show (la grande entreprise de démantèlement des structures républicaines de la France) ont profondément atteints les grévistes potentiels. Peuvent-ils retrouver de la force ? Hier des policiers ont frappé des syndicalistes gare du Nord (http://www.challenges.fr/depeches/france/20070921.REU2410/heurts_entre_grevistes_et_policiers_gare_du_nord_a_pari.html). Dans la France actuelle où la police a les coudées franches (Amnesty international l'a dénoncé récemment), il faut non seulement être prêt à perdre son salaire dans des grèves, mais aussi prêt à se retrouver à l'hôpital sous les matraques de la police pour défendre les intérêts des salariés. Les fonctionnaires et employés du secteur public le peuvent-ils encore ?

Pourtant on voit bien que cette action à la base est nécessaire. Nécessaire pour renforcer le courant de gauche au sein du parti socialiste et/ou les possibilités unitaires à gauche du PS. Nécessaire aussi pour renforcer au sein de l'appareil d'Etat les forces qui, sans être de gauche, peuvent être encore hostiles à l'américanisation et au Sarkozysme (je pense à certains responsables d'administrations, certains diplomates, dont l'esprit de résistance s'exprime par exemple à travers la voix de Villepin). 

Les mois qui viennent seront décisifs à cet égard.

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A propos de Jacques Duclos

22 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Je lisais cet été dans la bibliothèque d'un ancien employé de la Mobil de Notre-Dame-de-Gravenchon (une raffinerie de la région hâvraise qui était un fief de la CGT et du PCF à la grande époque), les mémoires de Jacques Duclos. N'étant moi-même pas communiste (ni même marxiste, bien que je me considère comme marxien) je ne me sens pas une immense proximité à l'égard de ce personnage. Mais son histoire (comme celle du PC et de tous les mouvements qui ont lutté pour l'émancipation des dominés) fait partie d'un héritage que la gauche aujourd'hui doit faire vivre.  Duclos-Chambre.jpg

Il y a dans les mémoires de Duclos quelque chose d'un peu trop scolaire et littéraire, qui parfois fait manquer la "chair" de son vécu. Quand il parle d'un combat ou de la mort d'un ami, il emploie souvent des termes lyriques, un peu trop stéréotypés, qui sclérosent le récit.  Mais cela ne lui est pas propre. La majorité des lettrés écrivaient de la sorte en ce temps là, et l'on peut se demander aussi s'ils ne ressentaient pas aussi les chose de cette manière (précisément parce que l'école leur avait enseigner à "fondre" leurs émotions dans cette forme rigidifiée, ce qui peut-être contribua à rendre cette génération, moins émotive, plus dure, moins hystérique que la nôtre, mais je laisse ce débat de côté).

Mais il y a aussi une foule d'annotations qui aident à comprendre comment ce petit homme, fils d'un aubergiste de Bigorre, devint le numéro 2 du PC, sénateur de la République, et un des cadres les plus en vue de la III ème Internationale. A travers son récit rétrospectif, on voit fonctionner la machine à promouvoir les ouvriers méritants et combattifs que furent la SFIO puis le PCF, et comment un jeune homme issu d'un monde assez apolitique (à peine travaillé par le radical-socialisme) s'initie à la lutte des classes et à la vision marxiste du monde.

Je dois dire que cette histoire me touche, parce que Duclos avait seulement six ans de plus que mon grand-père maternel, qu'il est né seulement à 30 km du lieu de naissance de mon aïeul, dans un village où l'on parlait le même dialecte (où l'on entonnait les mêmes chants montagnards), et qu'il fut, comme lui, ouvrier boulanger. Sauf que mon grand père lui, resta ouvrier toute sa vie, et apolitique, et bloqué dans sa petite vie béarnaise (et ses drames familiaux). Les différences d'itinéraire entre les deux, tiennent à des différences de capacités intellectuelles, et de courage, sûrement, mais aussi à des nuances sociologiques. Les parents de mon aïeul, à la différence de ceux de Duclos, n'avaient point d'ami à Toulouse ou à Bordeaux susceptibles de l'initier au plaisir de lire des livres. Ce genre de détail est d'une importance cruciale dans les premières années de l'existence. Ils tracent la ligne entre ceux qui resteront prolétaires toute leur vie et ceux qui ont des chances d'en sortir.

Le récit de Duclos, comme les roman d'Aragon de la même période, rappelle tout ce qu'il y eut de fort, de dangereux même dans les combats sociaux, anti-colonialistes, et anti-fascistes des années 1920-1930.

Ce sont des souvenirs qu'il faut garder en tête, et dont il faut se nourrir. Et non point les transformer en clichés consommables par n'importe qui comme le fait Sarkozy par exemple avec la mémoire de Guy Môquet. Quelles que fussent les erreurs commises par ces hommes courageux, venus des couches les moins estimées de la société et dévoués au bien commun de l'humanité, il faut savoir leur rendre hommage et tirer le meilleur parti de ce qu'ils ont fait.

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Illustration extraite de http://edechambost.ifrance.com/Duclos-travail.htm "Jacques Duclos dicte son courrier à Gilberte"

Voir aussi la vidéo d'une interview de Duclos sur http://www.dailymotion.com/video/x18dw5_jacques-duclos-presidentielles-1969_politics
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Vont-ils bombarder l'Iran ?

20 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Je lis de nombreuses spéculations sur la question d'une éventuelle attaque contre l'Iran en ce moment. Les gens ne comprennent pas bien. Cela fait deux ou trois ans qu'on ne sait pas trop si Bush se retournera contre l'Iran ou pas. On se perd en conjectures. Aujourd'hui un type sur le blog de Mélenchon disait même que la France n'attaquera pas l'Iran parce qu'elle s'est réconciliée avec Kadhafi, comme si Kadhafi, nouvellement rallié aux Occidentaux, allait les priver de son pétrole pour quelques bombes sur Téhéran...

Il est vrai que le suspense sur les intensions de Bush et de ses alliés (y compris maintenant Sarkozy) traîne en longueur.

On voit bien les données de l'équation.

Une puissance musulmane importante à l'échelle régionale : l'Iran. Non alignée depuis Khomeiny. La France lui a transféré des technologies nucléaires à l'époque du Shah (dans les années 1970 la politique de dissémination du nucléaire dans le monde musulman obéissait à des considérations purement mercantilistes, elle faisait partie du colbertisme français comme la construction du TGV, quoiqu'on se soit évertué à y voir un reliquat du gaullisme).  Rien n'indique qu'elle veuille en faire un usage militaire (quoique la détention de l'arme atomique par Israël l'y autoriserait).

Le régime des mollahs n'est pas très sympathique à l'étranger, cela aide à des campagnes hystériques de diabolisation (avec notamment des délires complets sur la personnalité d'Ahmadinejad qu'on présente comme un fou, ainsi qu'on le fit autrefois à tort de Milosevic, Saddam Hussein, plus récemment Hugo Chavez, et tant d'autres). 

En principe tout est prêt pour une opération militaire - ô, certes pas une intervention terrestre, car l'Irak a servi de leçon, mais des bombardements oui.

Mais cela ne se fait pas. Voilà deux ans que les menaces planent, comme suspendues dans le néant. Parfois on a l'impression que Washington veut se décharger de ce "boulot" sur Israël (après tout Israêl a bien mené une mission aérienne très louche en syrie récemment). John Bolton, ex ambassadeur états-unien, a encore dit récemment que la Maison blanche soutiendrait une attaque préventive en Iran (http://rawstory.com//news/2007/Bolton_US_would_support_preemptive_Israeli_0918.html). Mais l'idée n'avance guère.

Les hésitations perdurent. On a dit que c'était parce qu'au sein de l'Establishment américain certaines personnes (notamment des gens liés à l'Irangate) conservaient des connexions avec l'Iran. C'est douteux.

On a supposé aussi que Washington redoutait la fermeture du détroit d'Ormuz et son impact sur le cours du pétrole déjà élevé (mais il n'a pas craint de faire la guerre à l'Irak malgré la pression sur le prix du baril). On prétend que l'administration Bush craint la flambée de violence chez les Chiites au Liban, dans le Sud de l'Irak. Bricmont a raison de minimiser ce risque, car c'est le genre d'épouvantail que les médias dominants agitent pour mobiliser l'opinion occidentale contre un ennemi prétendument puissant (pendant la guerre du Yougoslavie on parlait aussi d'un possible engagement russe et ukrainien derrière Belgrade, et ce n'est jamais arrivé).

Certains avancent aussi l'argument financier : les bombardements coûtent cher. Mais la Maison blanche finance des occupations militaires de Port au Prince à Kaboul avec le déficit public couvert par l'endettement extérieurs (et les bons du Trésor vendus à la Chine), c'est un système keynésien qui tourne bien : c'est l'étranger qui finance les guerres américaines, et l'Amérique vit de ses guerres.

Il semble en vérité que les hésitations à bombarder l'Iran proviennent plutôt avant tout du constat fait par les militaires états-uniens selon lequel il ne sert à rien de bombarder un pays s'il n'y a pas, derrière, la possibilité de renverser son gouvernement. Les installations nucléaires en Iran ne sont pas centralisées en un seul point, et elles sont difficiles d'accès. Le bombardement soudera la population autour du gouvernement, comme il l'a fait dans l'affaire yougoslave, et ne fera que discréditer davantage les Etats-Unis dans le Tiers-monde, mais n'atteindra pas sérieusement les centres nucléaires.

Une partie de l'establishment américain n'est pas très enthousiaste - cyniquement ils préfèreraient qu'un plan de renversement du régime iranien soit d'abord mis en place - avant d'envoyer leurs avions. C'est aussi le raisonnement que tiennent certains alliés européens (la direction de Total, les industriels allemands). D'aucuns pensent même que l'Iran peut encore jouer un rôle de stabilisation en Irak, en Afghanistan, et ne sont donc pas chauds pour l'aventure militaire.

On a le sentiment que les arguments en faveur de la guerre contre l'Iran proviennent surtout des milieux sionistes (y compris les sionistes évangélistes) travaillés par une paranoïa irrationnelle autour de la protection d'Israël. Et puis il y a ce ressort de virilité au fondement de toute puissance : faire une démonstration de force militaire, pour montrer qui est le plus fort, juste cela, et tenir ainsi les autres en respect. Après l'échec face au Hezbollah, les israëlo-américains ont besoin d'un nouveau coup d'éclat, et les petits esprits mesquins à la Sarko-Kouchner comme naguère Blair s'apprêtent à les suivre. Rien de très reluisant somme toute.

Il faut s'opposer fermement à cela, même si l'on n'éprouve aucune sympathie pour le régime des mollahs. S'opposer pour des questions de morales : parce que des bombardements feraient des morts civils, détruiraient des infrastructures, déstructureraient l'économie iranienne, et donc anéantiraient l'avenir des plus pauvres. Parce que bombarder c'est toujours la façon la plus lâche de faire la guerre. Parce que bombarder l'Iran ce serait humilier un peuple, et bombarder à travers lui tout le monde musulman, tout le tiers monde, alors que la grande bourgeoisie bien pensante d'Amrique, d'Europe et d'Israël continuera de plastronner, enlisée dans son immonde ineptie. Et pour des raisons politiques : parce que ne rien faire contre les bombardements, c'est accepter un monde sans alternatives politiques, un monde d'Ancien régime, où le Tiers-Etat - le Tiers-monde - se voit dénier tous les droits, y compris celui d'avoir sa propre énergie tant que les patrons du Nord ne l'y autorisent pas. S'opposer au bombardement  de l'Iran est vital pour l'humanité, parce que le non-alignement de l'Iran - quoi qu'on pense de ses dirigeants - est utile à l'équilibre du Proche-Orient, et à l'équilibre du monde. Ce n'est pas un hasard si l'Afrique du Sud, pays qui s'est opposé récemment à l'installation d'un commandement militaire américain sur le continent noir, pays symbole d'une lutte pour la justice et l'égalité entre les peuples, a fermement condamné aujourd'hui les propos de Kouchner à propos d'une guerre contre l'Iran (http://www.africatime.com/afrique/nouvelle.asp?no_nouvelle=350180). 

Toute personne qui tient tant soit peu à l'équilibre de l'humanité doit faire obstacle autant qu'elle peut au bellicisme de la petite "élite" qui dirige notre monde, aujourd'hui contre l'Iran, demain contre d'autres pays.

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NB : Pour info, l'analyse gaullienne de la situation du Proche-Orient sur http://www.dailymotion.com/video/x31awo_de-gaulle-la-vision-gaullienne-du-p_politics
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« Intellectuel » organique / « intellectuel » critique

20 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

J’étais hier à l’ambassade de Cuba. Je n’étais pas invité, j’accompagnais seulement une amie.

L’endroit est agréable, modeste : un de ces petits immeubles modernes du 15 ème arrondissement, probablement encore rempli d’amiante.

Successivement l’ambassadeur, un député, et la fille (ou « une » fille) du Che se sont exprimés. 

Je dois dire que c’est la troisième fois en trois mois que je me trouve en présence de discours officiels de pays sous embargos ou frappés de sanctions économiques. Je n’avais nullement l’habitude auparavant d’avoir affaire à des autorités, et je ne compte pas du tout la prendre. Non pas que je méprise les officiels, loin de là. J’ai moi-même suffisamment eu jadis  à prendre des responsabilités en tant que fonctionnaire pour savoir combien leur tâche est noble et difficile, très éloignée (et très au dessus dans l’échelle des valeurs) des facilités nombrilistes que tout intellectuel peut s’offrir.   F--te-de-l-Huma-2006-pour-blog.jpg

Simplement le problème est celui de la répartition des tâches. Mon engagement politique, depuis la guerre de Yougoslavie, je l’ai construit en tant qu’ « intellectuel » (même si je déteste ce terme ampoulé inventé par Clemenceau). C'est-à-dire que j’ai voulu mettre au service du plus grand nombre ma formation, ce qu’on m’avait appris à l’école et que d’autres pour diverses raisons n’ont pu connaître. Plus précisément j’ai voulu être un « intellectuel » critique, c'est-à-dire un « intellectuel » qui interpelle son époque sur les folies qu’elle commet, et non (pour reprendre la terminologie de Gramsci) un intellectuel  « organique » qui s’emploie à légitimer ce qui existe.

Or j’estime qu’il n’est pas dans le rôle d’un « intellectuel » critique de trop fréquenter les ambassades. Ou, plus précisément, la voix de l’ « intellectuel » critique en moi ne l’aime pas trop.

Qu’on me comprenne bien, car le terrain est ici miné par les diverses propagandes, et les nombreux vices de pensée de notre époque.

J’approuve la Révolution cubaine, je souhaite qu’elle perdure, et même, je le dis, j’approuve que Fidel Castro l’incarne et la perpétue le plus longtemps possible.

Pourquoi ? Parce que la politique c’est l’art du possible. Je connais trop bien le mécanisme des rapports de force entre Etats, et, plus précisément, de l’impérialisme (c'est-à-dire la force néo-coloniale des Etats du Nord combinée aux lobbys économiques et culturels), pour ignorer qu’à bien des égards Cuba n’avait d’autre choix, que de garder Castro à sa tête si elle voulait conserver sa révolution. Il est évident qu’à la première élection pluraliste organisée dans les années 1960 ou 70 les Etats-Unis, et l’extrême-droite à Miami auraient repris le pouvoir, de manière plus ou moins insidieuse, à grands coups de dollars. C’est l’évidence même. Il fallait être aussi éthéré que Sartre et l’intelligentsia « Nouvel Obs/Libé » de l’époque pour ne pas le voir.

Il faut le dire avec la plus grande force. Mon ami Rémy Herrera en mai m’adressait cette remarque : « Un intellectuel doit être critique. C’est sa fonction. Mais au bout du compte il faut quand même qu’il puisse trancher. Il doit pouvoir dire s’il est pour ou contre la révolution cubaine, et le dire avec clarté ». Si je me souviens, bien il me disait cela pour ajouter que des gens comme Tony Negri n’étaient à l’évidence pas, malgré leurs circonvolutions intellectuelles, « pour » la révolution caribéenne.

Moi je suis pour, cent mille fois pour. Je hais ces considérations de petits bourgeois qu’on trouve dans toute la gauche – y compris au PC – pour qui la critique de Cuba fonctionne comme une preuve de pureté personnelle, et ne s’accompagne jamais d’un acte de soutien clair.

Donc oui, je suis pour, archi-pour. Et même si l’on venait à me démontrer – ce que je ne crois  guère – qu’il y a beaucoup de prisonniers politiques sur cette île, que la peur y est plus répandue qu’on ne croit (ce que prétend la propagande américaine), je serais encore pour, à cause de ce que le gouvernement cubain a fait pour la santé, l’éducation, contre le racisme, contre l’exploitation capitaliste sur son territoire et à l’étranger. Aujourd’hui toutes les révolutions naissantes en Amérique latine doivent énormément à Cuba.

Mais j’ajoute immédiatement que ma place n’est pas dans les ambassades cubaines, ou du moins qu’elle ne doit pas y être trop.

Parce qu’un « intellectuel » critique est un homme sur la brèche. Il combat les mensonges des grandes puissances de ce monde : la Maison blanche, les grandes banques, les multinationales, la grande bourgeoisie des pays développés, tous ces gens qui vampirisent notre planète.

Je peux rendre quelques services en disant du bien de gouvernements sympathiques comme celui d’Hugo Chavez, mais même de cette facilité là, je ne dois point abuser, je ne serais pas dans mon rôle. J’aimais bien ce que disait naguère Bricmont sur cela (même s’il est devenu depuis lors un peu plus ennuyeux dans sa manière de prendre le mouvement pacifiste de haut), quand il expliquait qu’on ne connaissait jamais assez bien une réalité locale pour pouvoir dire du bien ou du mal de ce qu’y font les autorités, et qu’en tout état de cause l’opinion sur le gouvernement (et donc l’éventuel soutien aussi bien que la critique) devait être l’affaire des populations sur place, et non des intellectuels étrangers.

Il y a des tas de choses qui, dans les discours officiels de gouvernements progressistes hostiles aux Etats-Unis, ne me plaisent pas trop. Par exemple, même si j’exècre absolument la façon dont les Etats-Unis entretiennent le terrorisme le plus cynique contre le peuple cubain, ainsi qu’ils l’ont montré dans l’affaire Posada Carriles, a priori je n’aime pas beaucoup que les ambassades cubaines fassent témoigner des filles ou fils de civils tués dans des avions par les bombes terroristes du lobby du Miami. Parce que ce n’est pas de bon goût - et même c’est de la manipulation de l’émotion, un peu comme lorsqu’en Prinestrovie, on fit venir une vieille dame, veuve d’un militaire, qu’on employait à plein temps à raconter par le menu aux visiteurs du musée de Bendery le massacre de son époux par les nationalistes moldaves. C’est une instrumentalisation assez basse des affects, ce n’est pas prendre les gens pour des adultes. Je préfèrerais mille fois que le gouvernement cubain expose en termes intelligents, et chiffres à l’appui, le préjudice économique de l’embargo, ou qu’il nous fasse réfléchir à ce qu’aurait été le sort du Tiers monde depuis 20 ans si la révolution cubaine n’avait pas existé. Il y a des choses que je n’aime pas, et il y en a d’autres sur lesquelles je n’ai pas d’opinion. Quand le député cubain hier à l’ambassade se vantait de donner des jobs à tout le monde, y compris au jeune qui ne sait jouer que de la guitare en l’embauchant pour des concerts, j’ai tendance à me poser des questions de bon sens : « mais si n’importe quel jeune peut vivre de sa musique, combien de jeunes vont-ils renoncer à des tâches plus ingrates – les tâches bureaucratiques par exemple – pour se faire embaucher comme musicien ». Il y a toutes sortes de débats sur ces sujets – je me souviens des propos de Chomsky selon lesquels dans une société anarchiste bien faite on pourrait être heureux d’être éboueur (et en Corée du Nord des gens considèrent le métier de mineur comme le plus noble). Ce problème de l’ « employabilité » des gens est compliqué. Le système capitaliste le résout mal, et j’ai peine à me faire une opinion sur ce qu’on propose à sujet dans la gauche (cubaine ou européenne). Tout comme, disons le, j’ai du mal à me faire une opinion, sur cette démocratie participative (comités de quartier, comités citoyens) qui se met en place au Nicaragua, au Vénézuela, qui peut être la pire et la meilleure des choses. Mais j’estime que ce n’est pas à moi de me faire une opinion sur tout cela, de le soutenir ou le combattre, parce que c’est une affaire de souveraineté des peuples et des individus à l’endroit où ils se trouvent. Je dois défendre Cuba, le Nicaragua, le Venezuela comme expérience de résistance progressiste, mais non point m’engager trop dans le soutien ou la critique en détail de ce que ces expériences recouvrent concrètement.

En revanche je peux réfléchir à ce que j’y vois pour ensuite proposer quelque chose pour mon propre pays. C’est un peu ce que j’ai tenté de faire dans la brochure « Programme pour une gauche décomplexée » que Le Temps des Cerises vient de publier. Il me semble que la faculté de proposer est encore un attribut possible de l’ »intellectuel » critique, et même son devoir, pour ne pas demeurer dans la facilité de la condamnation. Mais il doit le faire pour son pays, pour l’endroit où il vit chaque jour et qu’il connaît le mieux. C’est ce que j’esquisse dans cette brochure.

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