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Le blog de Frédéric Delorca

Histoire : Les Yézidis et l'URSS

13 Février 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire, #Aide aux femmes yezidies

Puisque nous approchons du centenaire de la révolution bolchévique, un extrait du Bulletin périodique de la presse russe 8 septembre 1923 p.6 à propos des Yazidis du Caucase.

Conférence de Yézidis et de Kurdes à Tiflis.

La Pravda (30-8) annonce la clôture d'une conférence organisée par les Yézidis et les Kurdes de Transcaucasie. La Conférence, à laquelle le gouvernement soviétique a donné , tout son appui, s'est ouverte à Tiflis en présence d'une cinquantaine de délégués. Les Yézidis, qu'on désigne encore sous le nom d'Adorateurs du diable en raison des cérémonies bizarres qui accompagnent leur culte, forment avec les tribus kurdes des minorités nationales en Arménie soviétique. Les principaux groupements yézidis habitent le voisinage du mont Alagheuz et forment plusieurs villages le long de la frontière russo-turque.

Au début de la Conférence, les représentants du parti communiste de Russie rappelèrent aux délégués l'état de mépris et d'isolement dans lequel tous les régimes avaient tenu Kurdes et Yézidis. Il leur fut donné l'assurance que le gouvernement soviétique, défenseur des minorités nationales et des peuples opprimés, ferait tous ses efforts pour donner à chacun la possibilité de travailler et de vivre, tout en profitant des bienfaits de la culture soviétique.

En réponse, les délégués Yézidis déclarèrent qu'après des siècles d'oppression, d'alarmes et de persécutions, ils ont enfin trouvé de la tranquillité sous le régime soviétique.

Après la lecture de nombreux rapports, les délégués décidèrent de demander au gouvernement soviétique d'Arménie d'ouvrir des écoles nationales dans tous les villages yézidis d'Arménie. Avant de clôturer la Conférence, un rapporteur yézidi attira l'attention des délégués sur le fait que la publication du livre yézide (Chame)  (La Lumière) a été faite pour la première fois sous le régime des Soviets. (1)

(1) Le code de la doctrine des Yézidis contenu dans le « Livre » a été traduit de l'arabe en anglais par MM. Layard et Badger. Ce Livre, qui se réduit à quelques feuillets, paraît avoir été écrit à une époque relativement récente. M. J. Menant, de l'Institut, a donné sur les Yézidis une étude d'ensemble dans le vol. 5 des Annales du Musée Guimet.

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Scorsese et le martyre, Berl et le silence

9 Février 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Cinéma, #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités, #Grundlegung zur Metaphysik

Vu le dernier film de Scorsese "Silence", film astucieux mais sans intérêt sur le plan moral. Le cinéaste s'y regarde trop le nombril au prisme de la religion. Depuis La dernière tentation du Christ, il aime mettre en scène les doutes des croyants, mais, contrairement à ce que veut faire croire son film, l'engagement religieux ne peut se borner à glisser au milieu du scepticisme de la fin de vie une amulette interdite dans un cercueil. Cela dit, il met un certain talent "technique" au service du sujet considérable que représente le martyre des chrétiens au Japon au XVIIe siècle (voir ici notamment p. 175 et suiv).

Tous les martyres sont impressionnants, et ils sont le propre de beaucoup de religions. Ils m'impressionnent quand ils ne se font pas avec des ceintures d'explosifs car là, ce n'est plus du martyre, c'est de l'assassinat. J'ai découvert celui de religieux mandéens (sabéens) au XVIIIe siècle il y a peu : en 1782 les musulmans de Perse ne parvenant pas à obtenir par l'argent et la ruse les livres sacrés de cette secte jettent leur clergé en prison et les torturent. Plusieurs sont tués, empalés,mutilés, on leur coupa les membres en commençant par les doigts, corps égorgés, yeux brûlés au fer rouge, têtes coupées selon le témoignage de J. de Morgan. Le Gauzevra Adam auquel les Perses avaient coupé le poignet droit s'enfuit en Turquie avec le livre "Iniani" sous le bras qu'il recopia en cachette de la main gauche.

Je lis Emmanuel Berl en ce moment qui fut une sorte de Montaigne du XXe siècle. Il a raison de dire qu'au fond tous les athées, de Nietzsche à Picasso, furent de grands religieux. Sauf que ces gens là plaçaient leur Dieu trop loin et trop haut pour le croire susceptible d'imposer des lois à l'homme. C'est qu'il leur manquait la foi aux démons (ou plutôt la connaissance des démons), un peu moins d'orgueil, un peu d'humilité dans la façon d'observer des phénomènes comme la voyance et la médiumnité les auraient ramenés aux dures réalités du "deuxième ciel" et ils auraient alors compris pourquoi les lois morales existent. Voyez par exemple la séance où Malraux va voir une médium spirite pour lui faire dater un tapis antique et en ressort comme s'il sortait d'un labo d'analyse scientifique, telle que Pauwels la raconte. Un peu de modestie et de curiosité sans préjugés auraient ouvert à Malraux des boulevards d'élévation spirituelle. Idem pour Kant s'il avait eu l'honnêteté minimale de témoigner de sa fascination initiale (qu'il confesse dans ses lettres) devant l'intuition de Swedenborg sur l'incendie de Stockholm, plutôt que d'enterrer tout cela sous une tonne d'arrogance ironique dans "Rêves d'un visionnaire".

J'aime bien quand Berl dans "A contretemps" fait l'éloge du silence et transforme la phrase de Jésus "Que votre oui soit oui, que votre non soit non, tout le reste vient du Mauvais" (Mt 5:37), en "Dites oui oui dites non non et tout le reste vient des démons". Moi aussi j'aimerais avoir la sagesse de ne pouvoir parler que pour dire "oui" ou "non".

Un fervent musulman a commenté un billet récent de ce blog. Il y a des tas de religions comme l'Islam, le bouddhisme etc dont je me dis que plus je les connais et moins j'en sais sur elles. Mais j'ai une méthode bien à moi pour approcher ces sujets. Je ne creuse que ce qui m'est indispensable, quitte à devenir très pointu sur d'infimes détails (comme vous avez pu le remarquer sur ce blog avec mes remarques sur le pythagorisme), car le sens profond est dans le détail, sans jamais rechercher l'encyclopédisme ni l'académisme. Pour le reste il faut accepter de ne rien comprendre.

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La Transnistrie et l'histoire de l'antisémitisme

6 Février 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Transnistrie, #Grundlegung zur Metaphysik

En 2013, j'ai déjà signalé le lien entre la Moldavie et l'extermination des Juifs par les nazis à propos du bordel de Soroca, que décrit Malaparte dans Kaputt. Le lien est très fort aussi pour la Transnistrie dont le nom même, appliqué par les Roumains au pays, est le terme administratif utilisé par les nazis pour la zone au delà du Dniestr pou la mise en oeuvre du programme d'extermination.  Mais le rapport de la Transnistrie, et de la Moldavie à l'histoire de l'Antisémitisme, est plus ancien encore, évidemment.

Si vous avez lu mon livre sur ce pays, vous savez sans doute que je me suis rendu à Dubossary qui est un village transnistrien à majorité moldave. Or, en lisant aujourd'hui le livre du théosophe anglais George Robert Stow Mead publié en 1903 "Did Jesus live in 100 BC ?", j'apprends que selon le Times du 2 mai 1903, la populace de Chisinau a assassiné "environ 60 juifs et juives" et en a blessé "environ 500 de plus" avec "plusieurs cas de viols trop horribles pour une description détaillée" en raison d'un supposé "meurtre rituel" perpétré par les Juifs de Dubossari, et ce malgré la publication de la preuve absolue du caractère mensonger de l'accusation (à cette époque on accusait les Juifs de sacrifier des enfants et manger leur chair).

Une lecture du journal "L'Aurore" du 17 août 1903 p. 2 sur Gallica me donne ces éléments : 

"Les horribles massacres qui ont eu lieu à Kichineff ont été présentés par M. Krouchevau, l'éditeur du journal antisémite Bassarabets comme les représailles d'un prétendu crime rituel.

Les faits ont été relatés : quelques semaines avant les fétes de Pâques on avait trouvé S, Doubossari,. non loin de Kichineff, le cadavre d'un adolescent de dix-sept ans, Michel Ribalenko, assassiné de façon mystérieuse et dont le cadavre présentait cette particularité que le col était criblé de coups de canif, comme si l'assassin s'était complu à faire couler goutte à goutte le sang de la victime. Il n'en fallut pas plus au Bessarabets pour annoncer que Ribalenko avait été tué par les Juifs qui l'avaient saigné pour préparer les mazzi (pain azyme). La légende fut acceptée par la  oule avec enthousiasme, et nous connaissons les atrocités qui suivirent.

Un agent de la police secrète d'Odessa ne fut point convaincu par les "révélations" du Bessarabets. Il avait passé sa jeunesse parmi les juifs ; il connaissait à fond leurs moeurs, parlait même leur jargon et l'accusation qui pesait sur eux le laissa sceptique. Il s'affubla du costume des juifs polonais et fréquenta les petites synagogues, les restaurants et les bazars où les juifs s'assemblèrent, et il fut bientôt convaincu que bien loin de pétrir le pain azyme avec du sang chrétien les israélites ne touchaient pas au sang des animaux. un jour il vit un juif corriger d'importance son fils parce que l'enfant lui avait servi un bifteck saignant. Ce juif était convaincu qu'en avalant une goutte de sang de boeuf il avait commis un grand péché devant l'Eternel... Il fallait chercher ailleurs l'auteur de l'assassinat.

Existait-il des gens qui eussent intérêt à supprimer Ribalenko, se demanda alors Matviev.

Pour résoudre cette question, il mit de côté l'habit juif polonais et s'accoutra du costume d'un paysan de la Bessarabie : blouse blanche, hautes bottes et bonnet d'astrakan. Il entra en relations avec le grand père de la victime, Kouzma Ribalenko, un riche paysan qui possédait beaucoup de terrains, de vignes et d'argent comptant. Un peu avare, il n'aimait guère sa famille et s'en plaignit à son nouvel ami en la lui présentant sous les traits les plus noirs.

Matviev sut s'insinuer dans les bonnes grâces du vieillard à force de petits cadeaux et d'attentions. Il apprit bientôt que Kouzma Ribalenko détestait par dessus tout son ex-gendre, un certain Timotchouk, veuf de la fille de Ribalenko, qui avait eu de son premier mariage un fils, Ivan, qui était avec le malheureux Michel l'héritier du grand-père.

- Ce Timotchouk, disait le vieux au détective, n'a jamais su travailler et maintenant que Michel est mort et que son fils Ivan devient l'unique héritier, il me tuera pour entrer plus vite en possession de son bien.

Ces confidences furent un trait de lumière pour Matviev.

Le détective eut recours à un troisième travestissement ; il s'habilla en journalier qui cherche de l'ouvrage chez les gros paysans. Il devint un habitué des cabarets et lia connaissance avec jardinier, Antone, gardien de la propriété contiguë à celle qui avait été le théâtre de l'assassinat de Michel Ribalenko".

Après avoir courtisé la fille de Tomotchuk, Matviev, dans le rôle du gendre potentiel, apprit de
Antone le jardinier qu'en effet Tomotchouk avait tué l'adolescent. Il leur reprocha à lui et son compagnon de n'avoir pas mis à profit le crime rituel pour piller les juifs de Doubossari.

"Nous avons été plus avisés à Kichineff, du le jardinier, nous leur avons appris ce qu'il leur en coûtera de cribler nos jeunes garçons russes de coups de couteau... Vous êtes des pleutres, des timorés, des imbéciles..."

"Piqué par ces sarcasmes, ajoute le journal, Antone se rebiffa :
- Ah ! tu nous prends pour des pleutres ? C'est toi qui un imbécile !... Tu crois que ce sot les juifs ui ont tué Michel Ribalenko ?

Ha ha ha ! Eh bien ! non, tu n'est pas malin ! ... Mais c'est Timotchouk et moi qui avons fait le coup, imbécile !" Et le jardinier de raconter comment le 16 février au soir Antone avait saigné l'adolescent pour faire croire qu'il s'agissait d'un rituel juif.

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