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Le blog de Frédéric Delorca

Tensions au Nicaragua après la remise du prix de Miss Univers

28 Novembre 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous, #La gauche, #Grundlegung zur Metaphysik, #Christianisme

Le concours Miss Univers fait partie des événements souvent exploités par des gouvernements pour se faire connaître à l'échelle internationale. Le dernier gala a eu lieu le 19 novembre au Salvador, où le président Nayib Bukele en a profité pour faire campagne et se justifier. La gagnante le 18 novembre était une Nicaraguayenne de 23 ans, Sheynnis Palacios. "La couronne n'est pas à moi, elle est à lui" a dit la lauréate en montrant du doigt le Ciel (c'est-à-dire Dieu).

Cependant, le couronnement de la jeune femme a bouleversé le régime de Daniel Ortega et Rosario Murillo, qui, une fois de plus, a lancé la machinerie de répression. La raison fut la participation de la Miss en 2018 à la dernière grande vague de protestations contre l’appareil sandiniste.

La directrice nationale du concours de Miss Univers Karen Celebertti, elle même ex-miss, le 23 novembre a été interdite de retour au Nicaragua (et renvoyée au Mexique) et beaucoup de sympathisants de cette nouvelle Miss sont inquiétés. Quand on se penche sur l'agence de mannequins et de marketing que dirige Celebertti, Silhuetas, à Managua, on se rend compte qu'elle affiche sur sa page Internet un signe occultiste autour des yeux (un double 666) d'une jeune femme en tenue noire et blanche, ce qui est assez typique des milieux maçonniques. Cela laisse entendre que le geste de montrer le ciel n'était probablement qu'une opération de com' pensée par la société Silhuetas pour séduire les Chrétiens du pays.

On pourrait même avancer, et ce n'est pas absurde, que tout l'investissement des sociétés secrètes dans Silhuetas vise à manipuler l'opinion publique à travers des spectacles qui aiguisent l'appétit érotique des gens (à comparer avec les investissements de George Soros dans le syndicat national des joueurs de la Ligue de Football en 2018). Une des belles filles du président Ortega Xiomara Blandino, qui a été elle-même Miss Nicaragua en 2007 et a travaillé pour Celebertti et qui fut la dernière nicaraguayenne à atteindre le Top10 de Miss Univers a critiqué la gestion autocratique de cette faiseuse de Miss (elle serait pressentie pour lui succéder), mais sans aller vraiment au fond des choses sur la nature de la société qu'elle dirige depuis 23 ans. Elle ne dit rien de ses activités marketing, ni non plus si elle se rattache à la famille qui gère l'hôtel Celebertti qui se trouve dans sa ville natale. Le mari de Celebertti qui est le fils d'un ancien président de la cour suprême en 1979 (le cv du père est ici, il a été ambassadeur des sandinistes en France en 1985 et est mort en 2016) aurait disparu. On n'en saura pas plus pour l'heure sur ce clan, ni sur les intérêts économiques énormes qui, comme le rappelle Xiomara Blandino, entoure les concours de Miss en Amérique latine.

L'épouse du chef de l'Etat et vice-présidente Rosario Murillo a dénoncé mercredi « l’exploitation grossière et la communication terroriste grossière et perverse, qui cherche à transformer un beau et mérité moment de fierté et de célébration en une campagne de putsch destructrice ». Rosario Murillo, comme le président Maduro au Venezuela, est une fidèle du gourou indien Sai Baba, adepte de la sorcellerie New Age. Elle a fait planter des "arbres de vie" jaune sen métal à Managua en 2014 et François Musseau dans Libération à l'époque témoignait qu'un chauffeur de taxi croyait fermement qu'elle était capable de faire avoir un crapeau dans le ventre de quelqu'un. Musseau encore dans le magazine Elle du 16 octobre 2014, citait une incantation de Murillo sur la place du coquillage pour le 35e anniversaire de l'a révolution sandiniste : « J’invoque le Très-Haut, le Grand Esprit, le Faiseur Suprême ; qu’Il nous donne la force dans la vie, nous emplisse de foi et d’espérance, sans tomber dans le venin de la haine. » Il précise qu'elle est fille de cartomancienne (mais cela ne devait pas fâcher le magazine Elle qui fait souvent l'apologie de la sorcellerie, voyez par exemple son numéro d'octobre 2019 sur Marlène Schiappa. On pourrait être dans une schéma "sorciers contre sorciers", comme du temps où les New Agers s'oppos

La Nicaragua sandiniste comme on l'a souvent dit a un bon bilan social même si le couple qui le dirige a des tendances autocratiques. Il est l'objet de pression du fait du projet lancé avec la Chine d'un nouveau canal maritime, et de la proximité de Managua avec les BRICS.

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Effets des essais nucléaires : la France vote avec la Russie et la Corée du Nord

26 Novembre 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous

Alors que le parlement d'Indonésie vient de ratifier le traité de prohibition des armes nucléaires de 2017, ce qui en fait le plus grand pays à l'avoir signé (et oblige les B 52 américains à se dénucléariser quand ils atterrissent dans ce pays), la mobilisation continue dans des pays comme le Canada ou l'Italie qui ne sont pas signataires du traité au moins figurent comme observateur de la deuxième conférence des pays signataires (l'Allemagne, l'Australie, la Norvège ont décidé que cela ne serait pas incompatible avec leur appartenance à l'OTAN).

L'AG de l'ONU le 27 octobre a adopté (parmi plusieurs autres textes sur des sujets liés à l'arme atomique) à une écrasante majorité (171 voix pour) une résolution en vue de traiter  présentée par l'Autriche, l'Iran et surtout des pays qui ont servi de zones d'expérimentation nucléaires ou en sont proches comme le Chili, Fidji, le Kazakhstan, Kiribati, la Nouvelle-Zélande et les Philippines (en fait au départ l'initiative vient du Kazakhstan et de Kiribati).

La résolution encourage la coopération et les discussions internationales pour aider les victimes, évaluer et assainir les environnements contaminés par l’utilisation et les essais d’armes nucléaires, d’autres dispositifs explosifs nucléaires, y compris. à travers des cadres bilatéraux, régionaux et multilatéraux et des traités pertinents. Elle exhorte également les États utilisateurs à partager, dans la mesure du possible, les informations techniques et scientifiques concernant les conséquences humanitaires et environnementales de telles utilisations et essais avec les États touchés par l'utilisation ou les essais d'armes nucléaires ou de tout autre dispositif explosif nucléaire.

Ont voté contre 4 pays : la Corée du Nord, la France, la Russie, le Royaume-Uni. Se sont abstenus  6 : la Chine, le Congo, l'Inde, le Pakistan, Israel, les Etats-Unis.

Effets des essais nucléaires : la France vote avec la Russie et la Corée du Nord
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Qui empêchera le déploiement de drones tueurs autonomes ?

26 Novembre 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous, #Débats chez les "résistants"

A l'ONU certains pays comme l’Autriche (son négociateur Alexander Kmentt l'a rappelé il y a 5 jours dans le New York Times) essaient d'imposer des règles juridiquement contraignantes à l'utilisation de ce que les militaires appellent des armes autonomes létales (les drones tueurs notamment).

Les États-Unis, la Russie, l'Australie, Israël et d'autres estiment qu'aucune nouvelle loi internationale n'est nécessaire pour le moment, alors que la Chine veut définir une limite juridique si étroitement qu'elle n'aurait que peu d'effet pratique,

Le concept d’ armes autonomes n’est pas nouveau. Les États-Unis ont commencé à développer ce concept à la fin des années 1970 avec une arme connue sous le nom de mine anti-sous-marine Captor, qui pouvait être larguée depuis un avion ou un navire et s'installer au fond de l'océan, en attendant qu'une cible ennemie se déclenche. ses capteurs et exploser.

Dans les années 1980, la marine américaine a commencé à s'appuyer sur le système d'armes AEGIS, qui utilise un système radar de grande puissance pour rechercher et suivre tout missile ennemi entrant. Il peut être réglé en mode automatique pour tirer des missiles défensifs avant l’intervention humaine.

Une autre étape dans la progression vers des armes autonomes plus sophistiquées est venue sous la forme de munitions à tête chercheuse, telles que le missile air-air avancé à moyenne portée AIM-120, doté d'un chercheur radar qui affine la trajectoire d'un missile tiré lorsqu'il est tiré. tente de détruire les avions ennemis.

Les munitions à tête chercheuse ne peuvent généralement pas être rappelées.Une forme plus récente d’armement automatisé est la munition errante, qui peut rester en l’air pendant une longue période, recherchant un type de cible spécifique puis l’attaquant.

Ces appareils ont été introduits par un entrepreneur militaire israélien en 1989 sous le nom de Harpy. Ce drone peut rechercher sur des centaines de kilomètres les systèmes radar ennemis, puis les attaquer. L'approbation humaine est toujours requise avant que l'arme n'atteigne la cible, mais retirer l'humain de la boucle serait relativement simple, ce qui rendrait l'appareil entièrement autonome.Le Pentagone est en train de développer un réseau de centaines, voire de milliers de drones autonomes améliorés par l’IA, qui pourraient être rapidement déployés près de la Chine en cas de conflit. Ces drones transporteraient du matériel de surveillance ou des armes et seraient utilisés pour détruire ou affaiblir le vaste réseau chinois de systèmes de missiles anti-navires et anti-aériens le long de ses côtes et des îles artificielles de la mer de Chine méridionale. Cette évolution pourrait  constituer un changement majeur dans la stratégie militaire.

L'an dernier, l'armée de l'air américaine a demandé au Congrès plus de 100 millions de dollars de financement supplémentaire en R&D pour les drones autonomes et les systèmes d’armes en réseau, incluant des avions sans équipages.

Il n'échappe pourtant à personne que ce genre de d'armes pourrait aussi être utilisé par des bandes criminelles. "Ce n'est pas l'intrigue d'un roman dystopique, mais une réalité imminente", a déclaré Gaston Browne, le Premier ministre travailliste d'Antigua-et-Barbuda le 22 septembre dernier devant l'AG de l'ONU. Browne qui s'était confronté à Trump sur la question du blanchiment de monnaie dans les casinos des Caraïbes en 2018, et à Biden en 2022 sur celle de l'exclusion de Cuba et du Nicaragua du 9e sommet des Amériques, s'oppose une fois de plus aux intérêts de Washington en encourageant la communauté internationale à interdire ces armes avant 2026.

Quand on voit comment les armes de Libye ont circulé au Sahel, et celles d'Ukraine jusqu'en Palestine, les pires craintes sont en effet justifiées à ce propos.

La France de son côté s'est engagée à ne pas développer de systèmes d’armes létaux autonomes (SALA). "D’un point de vue éthique, il n’est pas acceptable que la décision de vie ou de mort puisse être intégralement confiée à des machines échappant à toute forme de supervision humaine. D’un point de vue juridique, pour que le droit international humanitaire (DIH), qui régit les conflits armés, puisse s’appliquer, il faut que l’usage d’une arme puisse être rattaché à une responsabilité humaine, peut on lire sur le site du Quai d'Orsay."

Notre pays, sur ce dossier là, est donc du "bon côté de la barrière"... Mais on voit mal qui empêchera les complexes militaro-industriels américain, russe et chinois de poursuivre leurs programmes de recherche sur ce sujet qui, à terme, conduira à donner le pouvoir de vie et de mort sur l'humanité à des machines...

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Kotor (Montenegro) au temps de Pierre Loti

23 Novembre 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Lectures, #XIXe siècle - Auteurs et personnalités, #Peuples d'Europe et UE, #Les rapports hommes-femmes

A 30 ans, en 1880, Pierre Loti, alors lieutenant e vaisseau, arrive à Kotor/Cattaro (Montenegro) :

"Par le dédale des petites rues de Cattaro, nous nous dirigeons vers L'albergo del Cacciatore (l'hôtel du Chasseur). — Dans quelque quartier de cette ville que l’on soit, on est toujours sûr, en regardant en l’air, d’apercevoir sur sa tête, par-dessus les maisons, à des hauteurs extraordinaires, un mélange de nuages et de rochers qui grimpent dans le ciel et semblent prêts à s’effondrer sur le public ; — cela donne à ces vieilles rues étroites un caractère étrange. Dans une maison ancienne, qui a dû être aussi autrefois une habitation de riche Vénitien, se tient une table d’hôte où se parlent plusieurs langues : c’est L'albergo del Cacciatore. — Nous y entendons le slave, l’italien, — et l’allemand lourd de quelques officiers autrichiens causant avec de grosses personnes blondes qui ont des têtes de Gretchens trop mûres et des toilettes cocasses. Le déjeuner, mangé de très bon appétit, se termine par un dessert local : cela s’appelle un jardinetto (petit jardin). — Jardin où poussent toute sorte de choses ; grand plat où sont plantés pêle-mêle des fromages, des gâteaux et des fruits. Après le jardinetto, nous voyons entrer de grands diables de Monténégrins, sales et dépenaillés, ayant des boucles d’oreilles et des mines de bandits, avec un arsenal de poignards et de pistolets à leur ceinture. — Ce sont nos guides que M. Ramadanovilch nous envoie. — Otant très humblement leur bonnet rouge, ils nous préviennent en italien que nos chevaux nous attendent à la porte de Cattaro et qu'il faut nous hâter de partir.

Nous trouvons, en effet, à la porte de Cattaro quatre chevaux qui nous attendent, et, quand nos guides ont amarré en croupe notre mince bagage avec le leur, nous nous mettons en route. Eux se proposent de nous suivre à pied. On ne s’imagine pas en France ce qu’un Monténégrin est capable de faire de ses jambes; hommes et femmes, dans ce pays, peuvent trotter du matin jusqu’au soir, avec la même allure allongée de chat maigre, sans éprouver la moindre fatigue. C’est la seule qualité que nous reconnaissions à ce peuple."

On est dans les Balkans d'avant Zora la Rousse, un univers à la Tintin. Étrange mélange d'Italie, d'Autriche et de monde slave. Loti n'est pas tendre avec ses hôtes. Pourtant il aura une petite passion avec une jouvencelle du coin, Pasquala Ivanovitch. Une plaque à Baosici en célèbre le souvenir depuis 1934 paraît-il.

"La vue de Loti, écrira Risto Lainovic de l'université de Nis, était diamétralement opposée aux panégyriques exagérés que les écrivains du XIXe siècle consacraient à ce peuple épris de liberté, pour lequel la lutte contre les Turcs était devenue, avec les siècles, presque une manière de vivre". Il ajoutera que Loti cependant reconnaissait aux Monténégrins une belle authenticité et leur prédisait un avenir glorieux, et qu'il avait aussi un jugement dur contre les Serbes pendant la guerre contre les Turcs, mais allait ensuite s'en repentir et aider Belgrade autant qu'il pouvait.  C'était dans la "Revue Pierre Loti" du 1er avril 1981. Car à l'époque il y avait une Revue Pierre Loti (il n'y aura jamais de Revue Frédéric Delorca).

Risto Lainovic avait soutenu en 1977 une thèse de doctorat à la Sorbonne Nouvelle (Paris III) sur "Les thèmes romantiques dans l'oeuvre de Pierre Loti". En 1980, dans la presse de Titograd (aujourd'hui Podgorica), il avait rappelé le centenaire du passage de Loti à Kotor.

L'histoire des revirements de Loti sur la question balkanique est belle. Le patron du Figaro Calmette estimait que la turcophilie initale de Loti (qui allait faire des foules d'émules) était due à sa passion de 1877 pour une odalisque circassienne Hatice/Hakidjé/Aziyadé, qui appartenait au harem d'un dignitaire turc qui mourut de chagrin après son départ, comme il l'apprit dix ans plus tard... L'ancien cœur d'artichaut que j'ai été ne peut pas ne pas être sensible à cette belle histoire.

Le huguenot suisse Guy de Pourtalès (1881-1941) raconta d'ailleurs une étrange histoire de fantôme qui se produisait dans la maison de Loti à Rochefort (Charente maritime) et que l'écrivain lui a rapportée directement :

« Voici, dit-il, la stèle d’Aziyadé ; cette pierre dressée où brûle une petite lampe de verre. Il y a bien des années qu’elle est morte, Aziyadé ; mais est-on sûr de mourir ? Pour moi, je pense qu’il v a des êtres qui, même vivants, sont pourtant morts, et certains morts qui vivent toujours. Sachez donc qu’il se passe ici, toutes les nuits, une chose étrange. Vers dix heures, chacun de nous se retire dans sa chambre. La mienne est là, attenante à cette salle et je suis seul, seul sur cet étage. Je ferme les portes moi-même ; je verrouille celle de ma chambre, cadenasse l’entrée de la mosquée qui n’a pas d’autre accès. J’entre chez moi pour travailler au « journal » que j’écris depuis tant d’années, ce journal de ma vie d’où, l’un après l’autre, sont tirés tous mes livres. Puis je m’endors. Au matin, c’est moi le premier qui pénètre ici et m’assure que la porte est toujours verrouillée. Eh bien ! tous les matins, il y a sur le marbre, devant ce bassin, l’empreinte humide d’un petit pied de femme. Dans cette vasque, quelqu’un se baigne et je n’entends rien, pas un rire, pas un soupir, même pas les éclaboussures de l’eau où le fantôme de la jeune fille vient tremper ses pieds d’enfant... Vous croyez que j’invente, peut-être ? Ou bien vous vous dites que je suis le jouet d’hallucinations extravagantes... Patience. Demain, je vous ferai voir les pas d’eau sur les dalles » Il semble que Loti n'ait point tenu parole le lendemain, mais je suis convaincu que l'amour nostalgique peut engendrer ce genre de "matérialisation".

Le béarnais Louis Barthou avait le roman tiré de cette histoire d'amour dans sa bibliothèque. Il préfaça un livre sur Loti en 1924 un an après sa mort. Il compare beaucoup Loti à Chateaubriand (un lieu commun de l'époque semble-t-il), tout en ajoutant que le doute métaphysique de ce fils de protestant hanté par la fuite du temps était plus pénible que la désespérance de l'auteur du Génie du Christianisme.

Mais revenons au Montenegro. En 1984 Risto Lainovic était entré dans une fière polémique contre Danilo Lekic sur la monténigrophobie de Loti. Ce Danilo Lekic (1910-1992), homonyme d'un diplomate yougoslave connu, n'était pas doté du même capital universitaire que Lainovic. Né dans le petit village de Seoca, diplomé de la fac de philosophie à Belgrade en 1935, puis, enseignant au lycée de la ville portuaire de Bar, il avait alterné son métier avec des formations en France, à Grenoble et Dijon. Puis devenu après guerre cadre du ministère de la culture et directeur du Théâtre national de la République du Monténégro, il se posa en spécialiste du regard des Français sur son pays. Lekic était allé jusqu'à penser que Pasquala Ivanovitch n'a jamais existé.

Grave erreur. Le récit de Loti à son sujet est des plus réalistes :

13 octobre 1880 : " Pasquala Ivanovitch reste d'abord longtemps étendue sur la mousse, la tête sur mes genoux, faisant semblant de dormir. Et je sens son cœur battre très fort contre ma main, et je vois bien quelle ne dort pas. Je lui parle tout doucement en italien, et elle me répond en slave, par mots entrecoupés, comme quelqu'un de mal éveillé.

Pasquala Ivanovitch, en comptant sur ses doigts, dit qu'elle a dix-neuf ans; c'est bien l'âge que je pensais, car elle est déjà formée; pourtant, quand elle parle, on. dirait une voix de petite fille.

Elle sent le foin fauché, l'étable, le, serpolet de la montagne, et un peu aussi les moutons qu'elle garde. Au grand jour, son voile blanc et son corsage paraîtraient éraillés, fanés, salis par la terre des chemins; la nuit, tout cela est joli, tout cela sent bon les herbes et la campagne.

Quand elle remue la tête, on entend un petit bruit de paillettes de cuivre, à cause des bijoux grossiers, des épingles à pendeloques qui tiennent son voiler au drap de son béret rouge.

Elle a dû avoir plus d'une aventure avec les bergers de Baozich, et certes elle a livré déjà son corps qui brûle.

Elle a des naïvetés et des effronteries de petit enfant. Elle est bien belle, et sa taille est pure comme celle d'une statue.

On est bien dans ce bois d'oliviers. Par terre, il y a de la mousse sèche, du lichen, des feuilles mortes. Il y fait nuit noire; pourtant on sent qu'on est dans un lieu très élevé, qu'on domine de haut la mer,"

"Vendredi 15 octobre. Pasquala a un grand frère que je n'avais pas encore vu. Il arrive à l'improviste et me jette un mauvais regard de méfiance. Sur une explication que j'aurais déliré comprendre, donnée en slave par Pasquala, il sourit et me tend la main.

Il est habillé en paysan dalmate. Il s'appelle Giovanni, batelier à Rizano. Il a la même figure que sa sœur, les mêmes grands yeux gris, le teint bronzé et les cheveux blonds comme elle, sa moustache se détachant en clair sur le fauve de ses joues. Giovanni Ivanovitch m'accompagne jusqu'au bord de la mer. Il a l'air très étonné de cette chose qui nous est familière, l'embarquement d'un officier dans son canot les honneurs du sifflet, les matelots se précipitant pour offrir la main, pour étendre le tapis traditionnel, etc. II parait en conclure que je suis un très grand seigneur."

Puis un rêve dit à Loti, toute la vanité des escapades qu'il fait avec cette chevrière herzégovienne : "Un rêve de cette nuit : J'étais mort. J'étais dans un cimetière, assis sur la pierre de ma tombe, au crépuscule d'un soir d'été. Il y avait dans l'air dés rondes de phalènes et de moucherons, et des fleurs partout, parmi les tombeaux et l'herbe haute des cimetières.

Je reconnaissais ce lieu; c'était bien celui où dormaient mes grands-parents morts; il avait cette horreur particulière qui me glaçait, quand on m'y conduisait le soir, dans mon enfance, pour y porter des couronnes; un genre de tristesse, un genre d'horreur qui ne peut pas s'exprimer avec des mots humains.(...) Fantôme, je sentais que j'allais disparaître. "

Les bourgeois lettrés des années 1960 se précipitaient à Istanbul  en quête de la tombe de l'odalisque circassienne que Loti aima tant. Ils n'allèrent pas au Montenegro chercher celle de Pasquala. La pastourelle les faisait moins rêver sans doute. Elle se trouve peut-être sous la chapelle de Baosici où la bergère lui montra un ossuaire.

Je conseille à mes lecteurs de jeter un oeil à ce petit roman, écrit avec le style simple qui a fait la renommée de ce brillant académicien. Il nous rappelle combien le coeur d'une femme, même une petite bergère, peut faire aimer à un homme un pays. C'est par Pasquala que Loti apprit à apprécier ce carrefour de Français, d'Italiens, d'Allemands, de Russes, d'Autrichiens et de Slaves du Sud qu'était la côté monténégrine des années 1880. Elle lui en fait entrevoir l'histoire immémoriale, humer les parfums de fleurs, percevoir différemment l'eau de pluie.

Moi aussi j'ai connu un temps où la pluie sur mon visage n'était pas celle des jours ordinaires. C'était sur le Pont des Chaînes de Budapest, avec une autre fille des Balkans, en 1999...

Mais pour Loti les histoires d'amour se téléscopent. Et quand un Albanais lui fait ses adieux en turc, cela lui rappelle Stamboul "comme une note lugubre, comme un appel lointain du passé, comme un reproche"... Toujours son Aziyadé...

Il est dommage qu'aujourd'hui on puisse penser au Montenegro sans l'associer à Loti et sa Pasquala Ivanovitch. Il y a dans cette histoire quelque chose du rapport éternel du voyageur à la bergère, quelque chose qui remonte à Henri IV, à Virgile, et bien plus loin encore. Ce n'est pas de la prostitution, n'en déplaise aux féministes d'aujourd'hui (Pasquala Ivanovitch refuse avec colère qu'on lui donne de l'argent). C'est d'un autre ordre. C'est indicible. C'est peut-être néo-païen. Ca a peut-être à voir avec les forces invisibles de la nature. Il n'est pas à recommandé de le vivre, mais ce n'est pas pire que les immenses paquebots touristiques qui polluent maintenant la côte monténégrine ou la conquête de ce pays par les armées de l'OTAN. Je préfère encore associer cette région aux points d'interrogations dont notre écrivain entourait les robes usées de la pastourelle, qu'aux images actuelles.

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Condition des femmes musulmanes en Egypte jadis

22 Novembre 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire, #Les rapports hommes-femmes

Les femmes en Egypte dans les années 1910 (extrait de  En Egypte : choses vues / E. L. Butcher ; traduit de l'anglais, par Lugné-Philipon p. 52) :

" Les Mahométans riches et instruits d'Egypte n'infligent point aux femmes une réclusion absolue, sinon en Egypte même. On peut voir arriver à la gare du Caire un essaim de femmes voilées jusqu'aux yeux et conduites, telles des prisonnières, jusqu'à leur wagon par l'être infortuné et grotesque dont la mutilation est rendue nécessaire par le système qui régit la vie de famille musulmane. Les femmes ne doivent regarder aucune personne se trouvant sur le quai de la gare ; elles doivent, à plus forte raison, s'abstenir d'adresser la parole à qui que ce soit. On les enferme à clef dans leur wagon, puis on les mène, sous bonne escorte, du wagon au bateau à vapeur.

Le matin suivant, ces femmes viennent prendre place à la table commune des passagers de première classe ; elles ont dépouillé le voile qui les enveloppait, elles sont nu-tête, elles portent un costume de voyage à la dernière mode de Paris, elles se prélassent dans des fauteuils pliants de la meilleure marque, elles lisent les romans français nouveaux. Tant qu'elles seront loin de leur pays, elles

poseront pour des Européennes et afficheront une grande liberté d'allure, mais quand le bateau les ramène en Egypte, elles retrouvent les mêmes geôliers, les mêmes voiles qui les attendent, et elles rejoignent le Caire dans le même équipage qu'au départ.

S'il arrive que vous rendiez visite, dans un harem, à une dame entourée de ses amies, et que son mari entre à l'improviste (il est vrai que d'habitude il se fait annoncer), vous pourrez voir les visiteuses indigènes se mettre à genoux sur le parquet et tirer leur jupe jusque sur la tête, de peur que l'intrus ne puisse apercevoir tant soit peu leur visage. Bien mieux, on a vu une femme indigène de là classe la plus pauvre relever sa robe par-dessus la tête en rencontrant un Européen ; elle avait conscience d'agir selon les lois de la bienséance, et elle ignorait avec candeur et sérénité ce fait qu'elle exposait ainsi la plus grande partie de son corps."

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