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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #1950-75 : auteurs et personnalites tag

Paul Morand, la littérature

10 Novembre 2016 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi, #1950-75 : Auteurs et personnalités, #Lectures, #Grundlegung zur Metaphysik

Il y avait ce soir à la TV sur une chaine de la TNT une longue interview de Paul Morand. Je l'ai écoutée jusqu'au bout.

Je sais que des jeunes gens comme Romain ou Etienne qui m'ont fait l'amabilité de réagir à ce blog naguère ont apprécié que j'y parle d'auteurs du XXe siècle comme Gary ou Werth. J'ai peut-être mieux fait de faire cela que d'y parler de politique. Je ne sais pas...

Ce soir j'écoutais Morand comme on dialoguerait avec un extra-terrestre. J'ai tellement peu de points communs avec cet homme... et pourtant son monde m'a effleuré plusieurs fois dans ma vie. Le monde des peintres surréalistes, de Malraux, de Gide, de Proust. Je l'ai croisé au sortir de l'enfance, au début de ma vie d'adulte, au milieu. On ne sait pas pourquoi ce genre de chose vous atteint, s'éloigne de vous, puis revient à divers moments. On plaint ceux qui n'ont pas la chance de croiser cela sur leur route.

Le monde des surréalistes était encore présent en moi en 2012, je crois, à moins que ce ne fût 2013, à travers Soupault. Et puis l'oeuvre de Morand s'est invitée dans ma vie en 2014 à travers Hécate et ses chiens et à travers son journal de 1968-1970. C'est lui qui m'a donné envie de lire le journal de Simone de Beauvoir de la même époque. Je me demande si je n'ai pas connu Hécate et ses chiens après avoir lu un article du journaliste Labévière. 2014 était une année vraiment épouvantable pour moi et en même temps mêlée de révélations compliquées. Il était étrange que le roman de Morand soit arrivé là, car Hécate et ses chiens est un livre un peu diabolique. Juste un peu. Et cependant moi qui, après toutes mes découvertes, suis devenu allergique aux démons, je ne perçois pas de danger dans le monde de Morand. Peut-être suis je en cela trop naïf. Peut-être à cause de cette espèce d'humilité très sobre du personnage qu'on retrouvait dans son interview ce soir.

Peut-être à cause de son absence. Cet homme fut très présent à son époque, et en même temps tellement décalé, évanescent. Pas le genre de type qui vous embrigadera dans une légion criminelle. Il se sera beaucoup trompé, autant je pense quand il aimait Picasso, que quand il se résignait au pétainisme, ou quand il détesta De Gaulle. Mais il s'est trompé de façon intéressante, toujours, d'une façon bizarre, instructive. Peut-être à cause de son espèce d'absence de tout justement D'où ses phrases courtes dans l'interview, et le fait qu'il avoue ne pas aimer parler. Un point commun avec Deleuze.

J'ai la chance de ne pas être un écrivain, de n'avoir pas derrière moi une oeuvre, même si j'ai pondu un roman et quelques témoignages autobiographiques. Je peux donc aborder n'importe quel livre de façon parfaitement désintéressée, candide, désinvolte. Je n'ai même pas, à la différence des profs, à me poser dans le rôle du type "qui s'y connaît", qui doit transmettre, je ne suis même pas dans ce sérieux là. Je suis dans un sérieux, certes, mais un sérieux à moi, un sérieux lié à ma recherche incommunicable, incompréhensible par autrui, donc je tire des livres ce que je veux, j'en dis ce que bon me semble sur ces pages numériques ou ailleurs. Ca a de l'importance, et ça n'en a pas. Dans quelques semaines je serai pour quelques jours à Venise. Je ne l'ai pas choisi. Ca arrive comme ça, alors que Venise évoquait toujours pour moi Sollers et toute une imposture littéraire que je déteste. Une boursoufflure devrais je dire. La ville n'a-t-elle point elle même vécu du vol et de l'imposture depuis le Moyen-Age ? Pour m'y sentir moins seul, j'emmènerai le livre de Morand avec moi, "Venises". Dans l'interview de ce soir, il expliquait que Montaigne, Rousseau et bien d'autres génies ont écrit sur cette ville où lui même a rencontré mille célébrités. Je pense qu'à travers ce livre je retrouverai un peu du monde littéraire, et de l'univers des esthètes, qu'accaparé par ma recherche métaphysique depuis deux ans je néglige un peu trop. J'ignore si j'en parlerai sur ce blog. On verra bien.

Ai-je déjà parlé dans ce blog de Morand ? Je pense que oui. Qu'en ai-je dit ? Je ne sais plus. Est-ce que la littérature cela compte vraiment ou n'est-ce qu'un de ces pièges hédonistes de plus qui nous éloignent de la vérité ? Grave question. Platon voulait chasser les poètes de la Cité. A ma connaissance l'Israël biblique n'a pas eu d'écrivains, même à l'époque hellénistique des Macchabées. Il en a eu un avec Flavius Josèphe, mais ce n'était plus l'époque biblique, en tout cas plus celle de l'Ancien Testament. Il faudrait que je vous parle de Josèphe d'ailleurs car j'ai lu trois chapitres de son récit des guerres juives il y a peu. Passons. Oui, les peuples qui se confrontent sérieusement à la vérité ne pratiquent pas la littérature. Cependant l'auteur de l'Ecclésiaste ou celui du Cantique des cantiques ne sont-ils pas des écrivains ? Le style nous éloigne de la vérité, mais comment peut-il y avoir une vérité sans style ? Surtout une vérité pratique, au quotidien. Comment puis-je manger une pomme avec une certaine vérité dans ma façon d'être si je n'ai pas un regard littéraire sur elle, et sur ma façon de la prendre en main ? Je ne sais pas trop comment vous expliquer cela, mais je crois qu'il y a là un "vrai sujet" comme eût dit un de mes collègues.

Donc il se peut que vous tombiez encore sur des lignes sur Morand, en parcourant ce blog, dans les mois à venir, et sur des lignes sur Venise. Sauf si je me persuade de ce que je perds mon temps à aborder ces sujets là...

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"Tout compte fait"

16 Juillet 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous, #1950-75 : Auteurs et personnalités

Le côté bon élève de Simone de Beauvoir dans "Tout compte fait" quand elle raconte les églises romanes charentaises (il est vrai qu'elles sont belles) ou le procès des crimes américains au Vietnam jugés au Danemark (il est vrai qu'ils furent atroces). Son regard plein de bon sens sur les fautes des régimes socialistes : la dérive de Cuba vers la dictature, la répression du "printemps croate" en Yougoslavie, les échecs du gouvernement algérien. Son indulgence compréhensible pour Israël. Ses choix contestables pour les irrédentismes contre des fédérations : pour les Biafrais contre le Nigéria (alors que le PCF et l'URSS comme Nasser et les USA soutenaient la fédération). Elle l'érige en principe, ce qui ne laisse pas de doute sur le fait qu'elle eût soutenu les Tibétains et les Kosovars dans les années 90 si elle avait survécu et persisté dans cette ligne.

Le style qu'elle incarne - l'intellectuel "propre", qui dit tout ce qu'il sait et voit, qui pose tout, et qui donne aussi beaucoup de leçons - dévoyé comme on le sait par des chefs de gang façon BHL -n'est plus trop d'actualité même si des gens comme Chomsky tentent de le poursuivre (avec moins de sens des impasses humaines qu'elle, moins de sens tragique, inhérent à la culture littéraire dont Beauvoir était l'héritière).

Bon, à part cela, l'avis de tempête sur l'Europe ne faiblit pas. Arte se fait peur avec un docu-fiction sur la fin de l'Europe. Chauvinisme grec anti-allemand contre chauvinisme allemand anti-grec, les pires souvenirs de notre continent remontent à la surface. Le capitalisme bancaire aux commandes se réjouit : l'Union européenne qui lui a offert 550 milliards d'euros pour le renflouement du système financier en 2008 lui convient, et son éclatement, avec la guerre de tous contre tous lui conviendrait aussi. En France, des pieds nickelés se font arrêter sur les Champs Elysées pour tentative de coup d'Etat, le Figaro fait sien à leur sujet le point de vue d'une gauchiste docteur ès délation (la nouvelle génération de ce style éculé après Daeninckx et Fourest). On aimerait pouvoir en rire. Comme disait mon grand-père béarnais "nem's hasquès pas arridé qu'ey lous pots bizats" ("ne me faites pas rire, j'ai les lèvres gercées").

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Lire les jungiens

26 Novembre 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1950-75 : Auteurs et personnalités

Au 20 ème siècle, une profonde lassitude à l'égard de la mécanique rationnelle a poussé certains des meilleurs esprits de leur génération (du moins ceux qui n'avaient pas le talent littéraire suffisant pour devenir écrivains ni le goût de l'abstraction pour se faire philosophes) à embrasser la cause de la psychologie, puis, à partir des années 70, de la sociologie, investissant dans ces disciplines à la fois leur désespoir devant le scientisme et un reste d'attachement à l'ombre d'un fantasme positiviste (rien à voir avec ce qui se passe aujourd'hui où le gros des doctorants en psycho et en sciences sociales sont une sorte de Lumpernproletariat intellectuel qui, en d'autres temps, aurait été employé à faire du secrétariat dans les usines). Quand j'étais ado cette démarche semblait encore parfaitement légitime. Aujourd'hui elle m'apparaît grotesque. Une de ses pires dimensions, je trouve, peut être repérée dans la jungisme, théorie la plus bancale qui soit. Et cependant, pour aussi frustrantes que fussent ces sciences humaines, il faut malgré tout s'y intéresser, car les cerveaux qui s'y adonnaient n'étaient pas de faible envergure.

 

Prenez par exemple Marie-Louise von Franz, la disciple de Jung, dont j'ignorais encore l'existence récemment, et qui est pourtant décédée seulement quand j'avais déjà des échanges épistolaires avancés avec Bourdieu, en 1998, c'est à dire pour moi à peine avant-hier. A son actif il faut quand même mettre le fait qu'elle est un des rares esprits académiques à ne pas prendre l'Ane d'Or d'Apulée pour une farce (voyez son interprétation du conte, publiée l'année de ma naissance, en 1970). Bien sûr il est exaspérant de lire sous sa plume qu'Apulée avait un "complexe maternel négatif" qui s'exprime dans son récit de l'apparition de la Grande Déesse (Isis), ou de voir qu'elle disserte de façon péremptoire sur le fait que l'auteur était une sorte de "pied noir" qui devait défendre sa romanité face à la culture d'Afrique du Nord (aujourd'hui on sait que c'est l'inverse : Apulée était un Berbère qui venait d'adopter récemment la romanité). Mais il faut passer sur ces sottises et les prendre avec une certaine tendresse comme je le fais avec Devereux. D'ailleurs elles ne sont jamais tout à fait fausses. Par exemple quand Mme von Franz, avec sa sensibilité féminine, fait le procès de la froideur de la culture machiste masculine gréco-romaine en reprochant à Socrate d'avoir refusé de parler à sa femme avant sa mort, et justifie le mauvais caractère de Xanthippe - que la tradition décrit comme une mégère - on doit lui savoir gré de cet apport à la réflexion collective (autrement plus constructive que les travaux féministes américains actuels pour lesquels la culture masculine depuis l'invention de l'agriculture n'est pas essence qu'une "culture du viol").

 

Donc oui, il faut encore lire les sciences humaines du XXe siècle, et même dans leur version jungienne...

 

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Beauvoir, Malraux, A. Nin, G. Sand et l'URSS dans "Tout compte fait"

23 Mai 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1950-75 : Auteurs et personnalités

Je ne raffole pas du style ni de la personnalité de Simone de Beauvoir, mais j’ai de l’estime pour son intelligence et pour son courage. Et quand j’ai vu que ce vieux réac de Paul Morand « de l’Académie française » (un type volontiers méchant, amusant de méchanceté d’ailleurs, une méchanceté souvent inspirée) avouait dans son journal lire « Tout compte fait », de la compagne de Sartre, et recommandait les paragraphes qu’elle consacre à Malraux, j’ai tout de suite acheté le livre.

Fidèle à mon habitude je l’ouvre au hasard (Morand précisait celle du passage qui l’intéressait mais dans l’édition originale, pas dans le livre de poche neuf que j’avais entre les mains). Mais comme le hasard m’aime depuis décembre (« il n’ y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous »), le livre s’ouvre exactement sur le passage que l’auteure consacre au ministre de la culture de de Gaulle. Et, comme un cadeau n’arrive jamais seul, je découvre qu’à la page d’avant, elle donne son avis sur George Sand (dont je lisais les mémoires en 2012) et sur le journal d’Anaïs Nin que je lisais en février. Je ne résumerai pas ici ni ne commenterai l’opinion de Beauvoir sur ces trois auteurs. Je vous laisse la découvrir par vous-mêmes, de même que ses pages extraordinaires sur son voyage en Crimée et en Géorgie avec Sartre.  « Un soldat salue une artiste »

 

 

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Le journal de Paul Morand 1970

6 Mai 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1950-75 : Auteurs et personnalités

Bon, je le précise une nouvelle fois pour les spécialistes du fichage sur Internet (les mecs de 21 ans et demi à barbichette) : je suis anti-réac, anti-facho, et anti-vichyssois. Mais cela ne m'empêche pas de lire TOUS nos grands classiques, et d'apprécier éventuellement certains traits de leur caractère, ou même simplement certains de leurs bons mots, ou certaines de leurs inspirations, même quand ils ne sont pas de mon bord politique.

 

Il en va ainsi par exemple de Paul Morand dont j'ai évoqué "Hécate et ses chiens" alors que je le lisais (comme par hasard) lors de la dernière lune noire, et ce d'autant plus que Morand, comme Soupault venait du surréalisme.

 

J'ouvre ce matin le journal de Morand à la date de ma naissance, 26 septembre 1970. Au moment où je suis né, vers 13 h, Paul Morand déjeunait à l'Hotel du Commerce, à Saint-Marcel, faubourg de Chalon-sur-Saone : une  "côte de boeuf venant du Charolais, servie individuellement sur l'os" (sic), puis il relit à Vevey le script de son interview par Boutang réalisée le 1er août à Rambouillet (Archives du XXe siècle), qu'il juge médiocre à la lecture.

 

Pas passionnant allez vous me dire. Certes. Il ne peut pas se produire un prodige tous les jours.

 

Plus drôle le 28 septembre il note que le Figaro littéraire signale dans ses morceaux choisis Simenon, Queneau, Sarraute, Vilar, Robbe-Grillet, Genet, Godard, etc. et ajoute "la peur des professeurs devant la terreur des Lettres !"

 

Puis il cite un mot de Louis Dumur dont il affirme qu'il s'applique aussi à Sartre et aux pontes de la Pensée 68 : "Victor Hugo n'a pu se faire mettre en prison. Le commissaire a dit qu'il n'arrêtait que les gens sérieux".

 

Et le 29 septembre , il observe Maginot, Mussolini, Hitler, Brejnev ont tous agi en fonction de catégories mentales de leur jeunesse, 20 ou 25 ans avant d'avoir le pouvoir de décider. Et il ajoute finement : "Sentimentalement aussi, c'est vrai : toute sa vie, on choisit le type de femmes qu'on a aimé au collège".

 

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