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Le blog de Frédéric Delorca

Quizz : connaissez-vous vraiment l'époque dans laquelle vous vivez ?

26 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca

On pourrait écrire un petit quizz dans ce genre en donnnt" +1" à ceux qui repondent "oui" et "-1"à ceux qui répondent "non". Le total indiquant quel degré d'intégration au système de pensée dominant chacun totalise. Le chiffre le plus élevé montrant le plus haut degré d'intégration, le chiffre le plus bas le plus grand degré de lucidité...

 

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"- Il est évident à vos yeux que l'OTAN et le FMI veulent le bien des peuples.

 

- Vous pensez que les chiffres des victimes de la répression en Libye sont objectifs.

 

- Vous êtes prêt à jurer que le nouveau président Ouattara était vraiment le vainqueur des élections présidentielles ivoiriennes.

 

- Vous approuvez la sécession du Sud-Soudan et pas celle de l'Abkhazie

 

- Vous êtes sûr que les révolutionnaires syriens ne sont pas des groupes armés.

 

- Il vous paraît clair qu'on peut imposer des changements de régime un peu partout dans le monde sans que ça pose trop de problèmes

 

- Les "concentrations" civiques espagnoles sont plus importantes à vos yeux que le score de la droite aux élections et ceux de l'extrême gauche au pays Basque.

 

- Il est évident selon vous qu'il n'y a plus de classe populaire en Europe, et que les ouvriers sont en Chine, à part une poignée de prolos lepennistes mal odorants du côté de Nancy dont on nous débarrassera bientôt.

 

- Vous pensez que le Bahrein ne mérite pas la "une" de nos journaux

 

- Il ne vous arrive pas souvent de penser à l'Irak

 

- Pour vous l'Europe c'est la paix, la France hors de l'Europe c'est la guerre.

 

- Que Bernard Henri Lévy dirige la politique étrangère de la France ne vous inquiète pas

 

- Il vous semble que le Kosovo méritait bien son indépendance pour avoir subi le fascisme de la dictature serbe et un véritable génocide en 1999, même si cet Etat n'est pas tout à fait exemplaire

 

- Vous pensez que le gouvernement thaïlandais, ami du FMI, est un gentil régime démocratique qui ne cause de tort à personne.

 

- Vous n'avez jamais réfléchi aux raisons des guerres civiles au Congo, ni même à leur ampleur

 

- Vous ne pensez pas que l'Afrique pourrait se porter mieux sans ingérences européennes.

 

- Pour vous le parlement européen est une institution sérieuse qu'il faut valoriser

 

- Vous n'avez pas la moindre idée du coût humain des guerres auxquelles la France a participé  depuis douze ans

 

- Selon vous les grands médias privés sont au service du pluralisme, en interdire certains comme le fait Chavez c'est du fascisme pur et simple

 

- Les référendums, à vos yeux, sont  un danger pour la démocratie

 

- Vous aimez la justice internationale

 

- Vous pensez que la privatisation des services publics accroit leur qualité.

 

- Le darwinisme social ne vous pose pas de problème.

 

- Selon vous, il faut reculer l'âge légal de la retraite, et augmenter les retraites par capitalisation pour stabiliser le système financier mondial

 

- L'Europe est le meilleur outil pour stabiliser l'économie mondiale

 

- Pour vous, la nationalisation des médias n'est pas un combat digne d'être mené

 

- Vous n'avez pas envie que des partis politiques nouveaux émergent sur la scène publique"

 

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Chavez, Gombrowicz et les jeunes

24 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Lors de la dernière émission "Alo presidente", Hugo Chavez, convalescent d'une maladie, a parlé de la jeunesse vénézuélienne (cf vidéo ci dessous). Ce n'était pas la première fois. Il a dit que lui travaillait pour cette jeunesse, alors que la droite et les sociaux libéraux ne travaillaient que pour les vieux. Il a cité la jeunesse de certains héros de l'indépendance vénézuélienne et latino-américaine, dont Sucre qui était presque un enfant, a-t-il dit, quand il s'est engagé dans le combat.

 

Comme toujours le président vénézuélien était vêtu d'un blouson aux couleurs du Vénézuela. Cet homme vit une épopée nationale, il est drapé dans cette histoire. Il prolonge une saga, celle de Bolivar, de Sucre. Chaque jour, tous les matins, il l'enfile sur son buste à la fois comme une seconde peau et comme un costume de scène, il entre dans ce scénario, et fait entrer avec lui un bataillon d'acteurs-figurants - par centaines de milliers - dont l'histoire et le générique de fin ne retiendront pas les noms.

 

Bien sûr Chavez, bien que d'âge mûr, est légitime dans son rôle. La jeunesse vénézuélienne croit vraiment en lui. Précisément parce qu'il y a cette épopée de jeunes gens qui remonte à Bolivar en passant par Castro et dont Chavez a su devenir le continuateur d'une façon crédible, en payant de sa personne. Aucun leader politique en Occident ne pourrait prétendre incarner la jeunesse comme lui. Même Obama avec sa bouille de trentenaire ne le peut pas. On le sait sorti d'un mauvais casting d'agence de com'. Nul n'ignore qu'Obama ne vit pas une épopée. Il ne prolonge aucun geste héroïque. Il va juste au bureau le matin dans le costume de l'administrateur : l'administrateur des fonds de pension de son pays et d'un complexe militaro-industriel, en guerre contre la jeunesse de plusieurs pays sur deux ou trois continents.

 

Je ne suis ni jeuniste ni démago. Je sais tout ce que la jeunesse a d'insuffisant, de très con même. Surtout quand je repense à la mienne. "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait".  La jeunesse peut-être débile, impulsive, stupidement iconoclaste, ce qui en a toujours fait la clientèle parfaite des fascismes en tout genre (et ce sera toujours ainsi). Mais elle garde un atout qui n'est ni éthique ni épistémique, purement ontologique : elle a un avenir, là où les vieux ne l'ont pas. Elle a pour elle un potentiel de vie que les vieux à tout jamais ont perdu.

 

On a réussi sous nos latitudes à instiller auprès de nos jeunes suffisamment de dégoût de la vie pour qu'ils perdent toute conscience de ce privilège injuste dont ils bénéficient. Mais même en soumettant tout le monde à leurs idées morbides nos vieux ne peuvent toujours pas empêcher cette évidence biologique : ils restent, eux, plus proches du néant que les jeunes cons qui leur succèdent.

 

En écoutant Chavez, j'ai repensé à la Pornographie de Gombrowicz qui est un livre étonnant sur la vieillesse et l'immaturité que je lisais à 20 ans. Un livre ou plutôt un grand classique du 20ème siècle. En le parcourant à nouveau tantôt j'ai été moins frappé par son humour, et même par sa profondeur philosophique, qui m'avaient séduits à 20 ans (pour tout dire, le fait qu'un de ses héros s'appelle Frédéric a sans doute tout autant pesé dans le choix de mon pseudo que le faît que ce fût aussi le prénom de Nietzsche), que par son ambition de substituer une métaphysique existentielle du corps aux métaphysiques dominantes (chrétienne et marxiste) qui surplombaient l'Europe des années 30. On sent dans ce roman l'influence de la Nausée de Sartre. Il faudrait d'ailleurs que je relise ce dernier ouvrage (que j'ai lu à 16 ans) pour évaluer le degré précis d'originalité d'un roman par rapport à l'autre.

 

Je crois qu'aujourd'hui le projet de Gombrowicz est tout aussi périmé que celui de Sartre. Parce qu'au fond la seule véritable métaphysique qui se soit imposée in fine est celle de la marchandise - s'il faut parler de métaphysique car c'est peut-être d'une anti-métaphysique qu'il s'agit, une pure polarisation fétichiste sur des images vides de sens (je crois qu'il faudrait confronter la Société du spectacle de Debord et la Société de Consommation de Baudrillard pour parvenir à évaluer le degré de métaphysique ou d'anti-métaphysique dans lequel nous sommes aujourd'hui engagés). Il n'en reste pas moins que l'entreprise de Gombrowicz pour tout réorganiser autour des présences des corps est belle, comme des tableaux d'artistes un peu étranges.

 

Je ne pense pas que l'esthétique de Chavez soit d'aucune manière compatible avec celle de Gombrowicz. Mais il y a dans cet appel du vieil homme à la jeunesse - cet appel crédible, inspiré, qui ne doit rien à de vulgaires montages marketing de vieillard -, dans ce pari sur le potentiel de vie, malgré son lot de maladresse, de futilité, d'aveuglement et de folie prévisibles, quelque chose de commun avec le geste du roman de Gombrowicz : quelque chose qui interroge le degré de foi qu'on peut investir dans le temps et dans la vie, et le vertige qu'une telle foi provoque. Car la Pornographie est un roman très vertigineux, d'un vertige que Chavez lui-même doit parfois éprouver devant sa propre entreprise politique. Réintroduire la jeunesse dans la politique est un projet terriblement risqué. Mais refuser de le faire, comme le font avec une belle obstination nos propres technostructures n'est-il pas proprement suicidaire ?

 

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Actes de contrition

24 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Un commentateur régulier de ce blog a lancé deux questions à la suite de la petite vidéo d'hier montrant la réaction de François Mitterrand face à ceux qui demandaient des excuses de la République pour la déportation des Juifs sous le régime de Vichy.

 

Pour que ses questions ne passent pas inaperçues, je les mentionne dans ce billet. Mais c'est pour ajouter aussi vite que je ne me sens pas du tout qualifié pour apporter une réponse. Pire : je crois aussi que 75 % des gens qui ont entrepris d'écrire des bouquins ou des articles sur le thème de la repentance n'étaient pas qualifiés pour le faire. Je veux dire que dans les années 1990 il était très facile pour une petit sociologue ou un petit philosophe sans envergure de se faire mousser en demander des excuses de la République ou au contraire en soutenant que celle-ci n'avait pas d'excuses à donner, comme il était facile de satisfaire son égo en dénonçant toutes sortes de génocides réels ou imaginaires sur la planète, ou le "trou dans la couche d'ozone" etc. Du coup je n'ai pas lu les 25 % de textes qui étaient peut-être pertinents sur le thème, mais perdus dans la masse des arguments dépourvus de tout intérêt, ce qui me rend encore moins compétent pour en parler.

 

Je ne peux que livrer quelques bribes personnelles, qui ne sont que de l'ordre de l'affect, qui témoignent en quelque sorte de "l'évolution de ma perplexité" sur ce sujet comme sur tant d'autres, une évolution qui peut-être croisera celle de beaucoup d'autres personnes.

 

D'abord au début des années 1990 j'ai été très frappé par le film Shoah (que j'ai dû voir en 1993), par le procès Barbie, et très marqué par les travaux de Danièle Lochak en histoire du droit. J'ai été choqué de voir que le Conseil d'Etat, institution qu'à Sciences Po on nous apprenait à vénérer, et les éminents juristes qui gravitaient autour de lui, a continué (sans épuration en 1940 ni en 1944) a produire de la légitimation juridique aussi bien sous le régime qui déportait les Juifs que sous la République, et sur les lois les plus répressives et les plus discriminatoires, imperturbablement. Et j'ai éprouvé le même malaise d'ailleurs en découvrant que cette grande institution de la République avait légitimé les camps d'internement et les lois d'exception contre le FLN en Algérie.

 

Tout cela a beaucoup affecté ma foi dans la République française laquelle d'ailleurs ne croyait plus guère en elle-même puisqu'elle a très vite, sous Jacques Chirac, reconnu les droits des victimes au point non seulement de s'excuser - ce que François Mitterrand refusait - mais aussi d'admettre sa responsabilité civile via celle de la SNCF.

 

Puis nous avons connu cette compétition des mémoires et des demandes indemnitaires qui est d'ailleurs répandue dans tout l'Occident et qui est un grand vecteur de replis communautaires (ce que F. Mitterrand dans sa vidéo appelait "la haine"), et auquel ma propre généalogie n'est pas étrangères (puisque les descendants de Républicains espagnols eux-mêmes ont tendance à unir leurs revendications à celles des Juifs pour obtenir réparation de l'internement de leurs aïeux et de leur déportation).

 

Cet affaiblissement de la République française face à la compétition mémorielle a coïncidé avec sa mise sous tutelle de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et son renoncement à entendre la voix de la souveraineté populaire.

 

Du coup j'ai aussi commencé à écouter d'une oreille différente la voix des défenseurs de la dignité de la République, notamment après que la République française ait pu s'affirmer comme l'unique obstacle sur la scène internationale à la folie impériale étatsunienne en Irak.

 

Aujourd'hui j'entends différemment les mots de François Mitterrand que je ne le faisais en 1993-94. Je remarque leur style, leur intonation. Ils me semblent revêtir une profondeur que je ne percevais pas à l'époque. Ils sont empreint d'une admiration profonde pour les réalisations de la République, et sont un peu plus inspirés que le cynisme à deux balles d'un Eric Zemmour sur le thème "la raison du plus fort est toujours la meilleure".

 

En même temps je n'oublie pas que celui qui les prononce est celui-là même qui a fourvoyé la France dans tous les égarements pour lesquels les victimes réclament des comptes aujourd'hui : le soutien à un régime antisémite, la participation à une guerre coloniale atroce en Algérie, l'alignement de la France sur les Etats-Unis d'Amérique.

 

Je ne peux pas nier complètement non plus que la défense des individus contre la Raison d'Etat est un grand progrès de notre civilisation, que l'individu soit considéré comme une "victime" ou comme un sujet potentiel de son droit et de son histoire. La "dé-banalisation" du crime et du massacre est un progrès incontestable.

 

La repentance est donc juste un sujet qui me laisse perplexe. Il y a 5 ans je me suis mis tous mes collègues juristes à dos quand j'ai demandé qu'une "salle Napoléon" fût débaptisée et qu'on y introduisit une Marianne à cause du souvenir de la restauration de l'esclavage pas l'Empereur (la fonction spécifique de cette salle dans l'espace institutionnel que je ne puis hélas décrire ici sans quoi je manquerais à mon obligation de réserve, justifiait à mes yeux qu'on effaçât à tout prix le télescopage possible avec le souvenir de l'esclavage). On m'accusa de défendre la "political correctness" et de vouloir une repentance permanente de la France.

 

Gaulois

On pourrait dire que si la Sainte Eglise catholique, dont les dogmes internes impliquaient que son pape fût infaillible (un dogme récent certes) a fait acte de contrition la République pouvait le faire sans perdre son âme. Sauf que par la repentance les institutions chrétiennes se grandissent, l'Evangile elle-même le leur prescrit. En va-t-il de même pour les Etats laïques ?

 

Avant hier je longeais un ancien hôpital à Séville qui est aujourd'hui le siège du parlement d'Andalousie. Le guide nous expliqua que ce bâtiment avait été, sous les Rois Catholiques, un élément d'une vaste politique de regroupement et de rationalisation des hôpitaux du royaume de Castille et d'Aragon. Je ne sais pourquoi j'ai été surpris d'apprendre cela parce que tout le monde nous enseigne depuis 1990 à ne percevoir les Rois Catholiques que comme les auteurs du massacre des Amérindiens, de la conversion forcée des Maures et de l'expulsion des Juifs. Or bien sûr nous savons tous que tous ces grands royaumes à l'avant-garde de la modernité occidentale - ceux de France, d'Angleterre et d'Espagne - qui furent des régimes très répressifs furent aussi par ailleurs les premiers à développer de vrais services publics et sauvèrent peut-être ainsi par ce biais beaucoup plus de vies qu'ils n'en ravirent.

 

Saurons nous trouver la juste approche dans le rapport entre l'institution et l'individu (ou le groupe d'individus coalisés) ? Le ton juste dans la défense de leurs droits et de leur souveraineté respective ? Quand je vois en ce moment les particuliers s'adresser aux tribunaux ou aux municipalités sur le ton infantil de l'injure et du "je veux tout tout de suite", et les fonctionnaires ou les responsables de ces institutions mourir de culpabilité et de timidité face à ces agressions, tandis que, par ailleurs, les institutions, elles, volent aux individus le sens du vote démocratique qu'ils expriment, leur mentent, empiètent effrontément sur leur vie privée, tout en se couchant par ailleurs devant les intérêts des grandes entreprises privées (c'est à dire des mâles alpha des individus coalisés en meute), je me dis que le juste équilibre ne peut être atteint dans le système actuel et que c'est d'une refonte complète, peut-être rousseauiste ou rousseauienne, qu'il nous faudrait rêver. Une manière d'éluder peut-être la problématique de la repentance... ou bien de la placer dans son seul cadre légitime...

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Blogs

23 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Plus j'écris sur ce blog et plus il m'est impossible de trouver le moindre sens à cette entreprise. Ca ne peut pas être un moyen de faire de la publicité pour les livres, car mes livres ne sont presque pas cités, et donc je ne peux pas constituer ce blog comme une sorte de "pressbook". Ca ne peut pas non plus être le moyen d'une construction collective d'un oeuvre avec les lecteurs compte tenu de l'apathie et de la volatilité du lectorat d'Internet. Ce n'est donc absolument rien : comme 99 % des blogs qu'on trouve sur Internet, du bruit sur lequel tombe une poignée de lecteurs chaque jour au rythme des aléas d'une recherche par mots clés. Par moment je tire la conclusion juste de l'absurdité de cet exercice en cessant purement et simplement d'écrire. A d'autres moments comme aujourd'hui je profite de l'oisiveté pour écrire quelques billets qui prolongent un peu l'esprit, l'atmosphère de ce blog tel qu'il fonctionne depuis 5 ans dans l'espoir que deux ou trois personnes qui y sont encore un peu fidèles y trouvent leur compte. Mais il n'est que trop évident que ça ne sert à rien. Contrairement à ce que m'écrivit un commentateur occasionnel de ce blog quand je l'ai suspendu : "ça ne manquera pas". Les gens qui a un moment ou un autre ont éprouvé un petit enthousiasme pour mes textes décrochent généralement au bout de 6 mois et vivent très bien sans ça après. Donc ça ne manque pas du tout. Mes blogs comme mes livres ne sont pas nécessaires à notre temps (du moins pas ceux que je publie sous ce pseudonyme).

 

On peut penser que c'est parce que les gens d'une manière générale ne ressentent pas la nécessité de grand chose et arrivent à se passer facilement d'à peu près tout (de littérature, de poésie, de bons politiciens). Ils s'habituent à peu près à tous les néants qu'on leur propose en oubliant les choses qu'ils appréciaient davantage quelques années auparavant. Nous sommes peut-être la première civilisation qui s'emploie à rendre superfétatoire la notion même de "manque". Pour le système social, le sentiment du manque est une pathologie. On ne doit pas ressentir que telle personne, telle oeuvre nous manque. Seul le sentiment du besoin consumériste est légitime : il faut vouloir ce qui est disponible à la vente, et le vouloir si possible avec le plus d'avidité possible. Mais il ne faut pas éprouver cette envie comme un manque.

 

Symétriquement, puisqu'il n'y a pas de sentiment de manque dans le public, il n'y a pas non plus de sentiment de nécessité (ananké) chez les créateurs. Il n'y a qu'un sentiment de devoir professionnel, à l'égard de son patron, de son éditeur, de son sponsor. Quelque chose qui a plus à voir avec l'instinct bureaucratique qu'avec le souffle de l'inspiration. Ceci explique la médiocrité de la culture européenne actuelle.

 

Donc la disparition de ce blog ou de mes livres des catalogues des éditeurs ne pouvant susciter aucun sentiment de manque chez les lecteurs, leur permanence dans l'espace internautique est aussi absurde que le mouvement d'un astéroïde qui suit son mouvement de chute rectiligne dans l'espace, son impetus comme on disait autrefois, sans autre nécessité que la loi gravitationnelle.

 

Subjectivement je pense avoir l'attitude juste et les mots justes face à un système social assez oppressant et inique, et face à des forces critiques que je trouve inadaptées. Ma recherche stylistique entre esthétique littéraire et conscience politique me paraît féconde et originale, mais force est de constater qu'elle ne rencontre aucune attente véritable en dehors de ma subjectivité, et sans doute cela vaut-il mieux d'ailleurs que les attentes "pour de mauvaises raisons", les attentes fondées sur le malentendu que j'ai trouvées parfois chez tel ou tel lecteur.

 

Il faut juste prendre conscience de cette implacable stérilité historique de mes écrits (sauf quelques cas rarissimes de gens comme le photographe Olyvier qui disent avoir été un jour inspirés par une ou deux de mes phrases, mais notez que c'étaient des phrases de livres plutôt que de blogs et ces gens auraient, je pense, trouvé le même encouragement chez d'autres auteurs) et s'habituer profondément à ce mouvement solitaire d'astéroïde dans l'espace, comme Aristippe à la table de Denys. Parce qu'il n'y a de toute façon aucun autre chemin possible.

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Le patriotisme d'avant

23 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca

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