Les héritages
8 Août 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca
Je discutais récemment avec une amie psychanalyste des héritages transgénérationnels. Ce sont des phénomènes étranges. Beaucoup de gens ne font rien de leurs héritages ou les renient : comme par exemple mon père, fils d'un Républicain espagnol, il est devenu apolitique, asocial et ne s'intéresse pas du tout à la guerre d'Espagne.
D'autres les fourvoient complètement : exemple Jean-Marie Cavada, fils de républicain espagnol, lui aussi, devenu un bon agent du système (qui notamment fait voter la résolution anti Chavez au parlement européen où il est député).
Les héritages (et les traumas qui vont avec) sont durs à porter, et parfois difficiles à "cadrer" avec les possibilités qu'offre une société à un moment donné.
Moi-même je me demande ce que serait devenu mon propre héritage républicain espagnol si je n'avais pas croisé la Yougoslavie sur mon chemin, et, surtout la médiation, à l'époque, d'un jeune belgradois qui s'appelait Andrej et qui était lui aussi un héritier, puisque son grand père, ancien ministre des affaires étrangères de Tito, avait été volontaire dans les Brigades internationales en Espagne en 1936-39...
Le milieu anti-impérialiste en 2000 (qui était plus restreint qu'aujourd'hui) était rempli de gens qui portaient le devoir de perpétuer des combats familiaux héroïques. Je repensais il y a peu à une amie grecque quiquagénaire que j'ai connue alors. Elle était très active sur la Yougoslavie, mais aussi au sein d'Attac. Je l'ai interviewée un jour, sur le site internet que j'avais à l'époque. Son père était communiste et elle avait les larmes aux yeux quand elle parlait de son combat, de son exil à travers les montagnes grecques quand les Anglais ont imposé leur propre régime à Athènes, alors que le PC à deux doigts de prendre le pouvoir était lâché par Staline.
En 2003 j'ai interviewé une autre "héritière" de combats du XX ème siècle, une activiste italienne, communiste, fille d'un journaliste militant. Je pourrais citer aussi David Graeber, l'anthropologue anarchiste américain, dont le grand-père fut aussi membre des Brigades internationales. Je m'intéressais beaucoup à la manière dont ces gens "actualisaient l'héritage". Souvent le poids du passé famial se combinait à des besoins de libération ou de revanche sociologiques : pas étonnant que ces combattants aient souvent été des femmes (dominées par le machisme de notre monde) ou des fils d'ouvriers comme Graeber et moi.
A côté de ces gens issus de milieu socialement "dominés", ou dominés du fait de leur genre, il y avait aussi (et il y a toujours), des fils de "dominants politiquement hérétiques" ou de "dominants rendus hérétiques par le système", comme Bricmont, Johnstone, Collins, qui eux aussi ont de ce fait un héritage "particulier" à assumer.
C'est une dimension que George W Bush, Clinton, Jospin, Chirac, Sarkozy, ne peuvent pas comprendre. Ils croient pouvoir endormir les gens avec la propagande, mais ils doivent composer avec le fait que dans ce monde il y a encore des tas d'orphelins des révolutions et des combats du passé, qui essaient d'en faire quelque chose au service de l'intérêt cimmun.
J'ai revu en juillet à l'Espace Ishtar un film où Chavez parle de son grand père qui était combattant dans les troupes de Zapata. Souvent les combats sautent une génération. Les enfants crachent sur l'héritage, et ce sont les petits enfants qui essaient de comprendre et de donner du sens.
Mon amie psychanalyste qui s'intéresse à la transmission des traumatismes liés aux guerres (elle m'a notamment parlé du livre "Histoire et Trauma, la folie des guerres" de Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière, que je ne connaissais pas), m'écrit : "La plupart des gens refusent de faire ce type de liens (avec les héritages historiques) en fait, si leurs parents proches ont masqué le passé, ou banalisé etc..., ce déni familial persiste. Cela remonte toujours quand on ne s'y attend pas et souvent de façon déguisée". Elle-même attribue sa réaction très forte aux bombardements sur Bagdad en 1991 à une réminiscence des bombardements de Bilbao vécus par sa mère. Je me méfie de nombreuses hypothèses de la psychanalyse, mais il est clair qu'il ne faut pas sousestimer cette face obscure de la transmission.
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