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Le blog de Frédéric Delorca

Affaire de style

20 Septembre 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Le militantisme, c’est une affaire de fond, bien entendu, mais aussi de forme, de style. Ma culture nietzschéenne, bien que je l’aie en partie reniée, me fait lier les deux.

 

Prenez le cas de certains responsables du Monde Diplomatique en France par exemple – ne citons pas de noms pour ne froisser personne - les « élites » de l’engagement intellectuel à la française. Leur style ne me dit rien qui vaille. Universitaire, coupé du réel. L’université dans ce qu’elle a de pire : la fac de lettres « post sixties », les sciences sociales molles, l’amour des beaux mots, des idées à la mode. L’un d’eux était à la Fête de l’huma dimanche : jamais des arguments très construits, des chiffres qu’on avance sans vérifier à quoi ils correspondent, sans les comparer. Montaigne parlait du « mol oreiller » du doute ; ces gens là vivent sur le mol oreiller des certitudes : certitude d’incarner le bien, le beau, le noble. Ils seraient presque platoniciens – sauf que Platon, lui, était un véritable combattant qui a pris des risques très sérieux (lisez à ce sujet Plutarque : la Vie de Dion). Les Chinois, si j’en crois François Jullien, affirment qu’à trop vouloir pérenniser sa vie on échoue à la faire durer. De même ceux qui croient détenir la noblesse finalement la laissent glisser entre leurs doigts.

 

Les militants qui m’impressionnent sont ailleurs. Je l’ai souvent dit : j’ai un faible pour l’extrême gauche américaine. Ma « conversion » à l’anti-impérialisme en 1998 sur la question yougoslave, je la dois moins à mon correspondant serbe qu’au texte qu’il mit sous mon nez : « The Bosnian tragedy » de Sara Flounders, une communiste américaine. Même si certaines de ses affirmations peuvent être critiquées, la rigueur que cette femme mettait dans l’égrainage des faits (avec toujours une note de bas de page pour justifier ses dires) et cette obstination dont elle faisait preuve sur chaque étape du récit de la guerre de Bosnie à répéter « On vous a mentis, les choses ne se sont pas passées comme on vous l’a dit ». C’était très impressionnant. Je voyais en Sarah Flounders la digne héritière des puritains anglais et américains dont Michaël Waltzer dit qu’ils ont inventé la politique radicale moderne (avec les techniques d’engagement et l’éthique qui vont avec). On trouve ça aussi chez Chomsky et dans sa mouvance. En 2003, peu après la guerre d’Irak, j’ai entendu à Paris en conférence Bill Doares, qui est de l’association de Sara Flounders (l’International action center). C’était la même rectitude. Des affirmations tracées à l’équerre. Cet homme était un roc inébranlable. Je sais bien que cette force assertorique, si hermétique à la nuance, peut être très dangereuse, mais elle n’est certainement pas superflue quand on doit affronter des forces aussi puissantes que l’Establishment américain.

 

En 1998 j’ai envoyé le texte de Flounders (qui est accessible sur Internet - http://www.iacenter.org/bosnia/tragedy.htm) à une collaboratrice du Diplo (positionnée sur un sujet clé à l'époque) qui ne m’a jamais répondu – et ne m’en a jamais reparlé lors de nos rencontres. Il est vrai qu’elle ne croyait pas en l’objectivité de la vérité factuelle (ça va avec le côté fac de lettres). Beaucoup de gens du Diplo, au temps des guerres de religion, se seraient sans doute tenus du côté d’un certain scepticisme catholique. 

 

J’aurais presque envie, à ce stade, d’ouvrir une parenthèse sur les observations de certains auteurs sur les dangers du dogmatisme protestant depuis cinq siècles. J’ai découvert par hasard que l’historien Marc Ferro ne serait pas loin de lui donner raison. Mais c’est sans doute une vision trop catholique des choses. Fermons la parenthèse.

 

En dehors de mon admiration sans borne pour les inflexibles prédicateurs de la gauche anti-impérialiste anglo-saxonne, je porte très haut, ici en France, le style de gens comme Birino. Le pauvre a eu beaucoup de problèmes auprès d’intellectuels de gauche, il y a quelques années à cause des relations d’un sien ami universitaire. Un procès assez injuste d’après ce que je puis en connaître. Par ailleurs, et surtout les tenants de ce que Bourdieu appelait la « pensée Sciences Po » se sont mis à ses trousses récemment, montant une dure attaque contre lui, ce en quoi il faut voir l’hommage du vice à la vertu. C’est donc un intellectuel exposé et qui ne s’avance pas sur le forum drapé dans une toge bordée de pourpre.

 

Ce qui est admirable chez cet homme c’est son énergie débordante, qui lui fait participer une année à un livre sur le Soudan, l’autre à un ouvrage sur la Syrie, la suivante à un travail collectif sur l’Irak. Les gens d’Europalestine disaient il y a quelques années : « On appuie là où cela fait mal. On mord aux jarrets ». La phrase s’applique tout à fait à Bruno Drweski. A la différence des anglo-saxons qui puisent leur énergie dans une sacralisation du combat et de la rectitude, Bruno Drweski semble trouver la sienne dans le rire. Je le vois souvent prendre avec infiniment d’humour ce qu’il apprend, aussi bien des aberrations du système impérialiste que de certaines faiblesses de ceux qui lui résistent. Il y a quelque chose de dionysiaque dans la manière dont cet homme mène ses luttes. Et il le fait surtout sans aucune prétention, ni complaisance narcissique. C’est ce qui le rend efficace, et infiniment fiable.

Indubitablement l’avenir appartient à des gens comme lui. Et il en faudrait plusieurs milliers. 

F.

PS : Pour info une vidéo de S. Flounders 

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T
Un bien hommage à Bruno Drewski, que j'ai eu l'occasion de rencontrer une ou deux fois ici, à Bruxelles, et que j'apprécie énormément. Il est bien comme tu le dis. Et je vais surement le réinviter pour un petit débat un de ces jours.Je suis très heureux davoir découvert tes blogs aujourd'hui. Ceci dit, je suis moins sévère que toi sur le Monde Diplo.Bon travail !!!Thierry, Bruxelles.
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