Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

Où l'on reparle de la Transnistrie

6 Décembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Transnistrie

Un élève-journaliste au CFJ, Antonin Sabot, a publié sur son blog un compte-rendu de son voyage en Transnitrie (http://antoninsabot.over-blog.com/article-25477222-6.html) que je l'ai invité à comparer avec mon propre compte-rendu (http://delorca.over-blog.com/article-6906431.html ). Son approche m'a paru intéressante, quoique peut-être un peu trop favorable aux analyses de certains opposants au système politique de Tiraspol qui, tout en étant en soi légitimes, et dignes d'attention, méritent aussi d'être remises en perspective.

Par manque de temps, nous avons pu seulement aligner les deux commentaires suivants, tout cela pouvant gagner à être retravaillé dans le cadre d'un échange plus approfondi.

Antonin Sabot a écrit sur son blog en réaction à mon article :

"Le système politique reste marqué par une culture de consensus soviétique, qui explique en grande partie la reconduction régulière du président Smirnov à la tête de l’Etat"

"Toutes les rumeurs de liens entre la RMP et des puissances anti-américaines, proche-orientales par exemple, paraissent extrêmement saugrenues, tout comme les accusations de participation à des trafics illégaux, en particulier parce que les frontières de cette république enclavée sont totalement contrôlées par les douanes ukrainiennes ou moldaves"...

merci du lien vers votre article et de votre point de vue Fred. Une remarque cependant, je n'ai pas l'impression d'être allé voir le même pays que vous. C'est plutôt celui que me décrivais Nikolaï Nikolaïevitch... ou que décris celle du Tiraspol Times, un organe de presse "où il n'y a pas de censure" expliquait ce brave homme, "juste de l'autocensure". Le pays que je suis allé voir est plutôt celui qui a des liens avec les plus grands trafiquants d'armes au monde (Monsieur Viktor Bout notamment), celui qu'on fuit les roumanophones réfugiés à Chisinau, où ceux qui restent roulent en voiture blindée quand ils en ont les moyens ou sinon s'interdisent de parler leur langue en public, celui où on m'a montré des photos de jeunes militaires morts pendant leur service avec des traces plutôt suspectes mais dont les parents taisaient le nom par peur des représailles, celui les gens avec qui nous sympathisions nous expliquaient calmement que dès notre départ ils recevraient un coup de fil pour savoir ce que nous faisions là.


Ma réponse :

Bonjour Antonin,

Effectivement pour un journaliste en formation comme vous, la Transnistrie est un cas d'école parfait parce qu'on y trouve - y compris loin des micros et du contrôle des autorités - aussi bien des gens qui vous diront que c'est un pays terrible que des gens qui vous diront que ce n'est pas plus mal qu'ailleurs.

Pour ma part j'ai connu diverses phases au cours de mon séjour (j'en parle dans mon bouquin "10 ans sur la planète résistante" : à la fois des moments où j'étais prêt à croire ce que me disaient les autorités, et des moments de grande paranoïa où je croyais être dans un Etat stalinien où tout n'était que mensonge). Evidemment, la vérité est quelque part à mi-chemin. Mais pour comprendre ce "mi-chemin" il faut aussi le replacer dans le contexte : toute la région entre la Roumanie et l'Oural est une zone où le mot "démocratie" ne signifie pas grand chose de concret pour les gens (ni pour ceux qui croient aux vieilles méthodes autoritaires, ni pour ceux qui fantasment beaucoup sur l'Union européenne et sont prêts à "exagérer" leur malheur pour plaire aux journalistes occidentaux). La Moldavie par exemple (à laquelle officiellement la Transnistrie appartient) est un pays qui, malgré le pluripartisme de façade (tout comme il y a pluripartisme en Transnistrie) est un pays où les violations des droits de l'homme sont quotidiennes... Je pourrai vous mettre en contact, si vous voulez avec un grand professionnel du journalisme en France dont j'apprécie beaucoup le point de vue nuancé sur la Transnistrie.

Il est clair que la situation de la minorité moldave est le point noir principal des tentatives de "démocratisation" de la Transnistrie (et cela se comprend vu les tentatives périodiques des Moldaves de Chisinau de déstabiliser Tiraspol - on est dans un état de guerre, guerre "gelée" mais guerre tout de même ne l'oublions pas). En même temps les Moldaves qui disent qu'on leur interdit de parler moldave exagèrent un peu parce que les écoles en langue moldave existent et tous les documents officiels sont en 3 langues (moldave, ukrainien, russe). Mais là, c'est moins le côté "soviétique" qui explique ce point noir, que le problème des relations intercommunautaires balkaniques en général (il est difficile d'être moldave au milieu d'une majorité russo-ukrainienne, comme il est difficile d'être turc dans un milieu bulgare, ou serbe dans un milieu albanais etc).

Sur le côté soviétique il y a une volonté sincère des élites, notamment des chefs d'entreprises, de s' "européaniser" (surtout quand Poutine menace de lâcher la Transnistrie), mais paradoxament, c'est l'embargo moldave qui les empêche d'aller au bout de ce processus-là (les embargos ne sont jamais un bien pour la démocratie). Il est aussi intéressant de voir que les gens qui se plaignent de l'autoritarisme du système (souvent les artistes, les jeunes) seraient sans doute dans une situation beaucoup plus difficile encore si celui-ci se libéralisait (comme en Ukraine par exemple où tant de gens vivent sous le seuil de pauvreté) : en Transnistrie au moins ils ont des logements bon marché, un système d'éducation gratuit. J'avais tenu à Tiraspol à pouvoir interviewer des gens sans l'encadrement des autorités. C'était intéressant pasrce qu'ils disaient à la fois "notre système de gouvernement est pourri" (ce que disent beaucoup de gens en Europe de l'Est à propos de leur pays) et "mais je n'aurais pas envie que mon pays ressemble à l'Ukraine ou à la Moldavie". Or ce qu'ils ne savent pas toujours, c'est qu'il n'ont pas le choix entre être comme ils sont et être comme les Suédois, mais que leur vrai choix, réaliste, est d'être comme ils sont ou d'être comme la Moldavie. Sur l'autocensure du Tiraspoltimes, encore une fois, c'est une autocensure liée aux intérêts vitaux du pays (notamment l'autocensure sur la condition de la minorité moldave dans un système qui se perçoit comme assiégé par la Moldavie). En même temps, l'opposition entre Smirnov et le parti "Renouveau" - qui n'est pas un affrontement de pure façade, me semble-t-il, n'y a pas été passée sous silence. Et le Tiraspol Times a aussi souvent reconnu que des progrès devaient être faits, en Transnistrie, en matière de droits de l'homme. Enfin, bref, tout ça pour dire que trouver une grille d'analyse équilibrée sur ce petit pays de 500 000 habitants est un défi passionnant. On peut en parler par email quand vous voulez  !

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article