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Le blog de Frédéric Delorca

Littérature ou politique ?

25 Mars 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le quotidien

Dans une interview conjointe avec feu le professeur Choron qui traîne sur You Tube que je regardais le weekend dernier, le dandy Marc-Edouard Nabe (un personnage avec lequel je pense n'avoir rien en commun sauf un intérêt intellectuel pour le mysticisme chiite), déplorait que les gens soient trop superficiels pour s'intéresser aux entrailles de leur vie, et de la vie humaine, et, pour cette raison, s'intéressent à la politique qui n'est que la surface de la condition humaine (je résume son propos avec mes propres termes).

Je crois cette affirmation contestable.

La politique, le droit, les sciences humaines, les sciences dures, toute forme de discours rationnel sur des problèmes généraux suppose certes une sorte de neutralisation des aspérités (et des difficultés) de l'existence pour une mise en forme globale cohérente. Je ne pense pas cependant que ces discours soient si superficiels que cela, car il n'y a pas de bonne synthèse rationnelle sans un voyage aussi loin que possible dans l'irrationnel et dans des versants très ténébreux et problématiques du vécu : je songe aussi bien ici à la confrontation de Kant avec le mage Swedenborg, qu'à ce que le sociologie de Bourdieu par exemple ou la philosophie de Sartre (et subséquemment, et peut-être indissociablement, leur engagement politique) doivent aux tourments personnels de leur propre psyché, et aux tourments et souffrances (ou des grandes joies) de celles des autres. Mais il est vrai que l'effet de rationalisation, peut passer pour une remontée vers la surface après la plongée en eau trouble, et beaucoup ne voient pas, justement, combien celle-ci est irriguée par les courants du Styx.

A l'inverse une certaine littérature, de par les cristallisations affectives qu'elle occasionne sur des aspects dérisoires du quotidien ("la première gorgée de bière"), peut être vue comme la voie la plus superficielle de perception du monde, et, à maints égards, la plus stérile (mais Nabe dirait sans doute qu'il s'agit là de mauvaise littérature).

 

On voit cependant que la littérature offre une grande liberté d'approche du réel et de l'imaginaire. C'est pourquoi d'ailleurs je me suis fait romancier à certaines heures. Mais peut-on relever le défi de la littérature sans sacrifier celui de la politique et vice versa ? Dans ce blog même comment puis-je équilibrer les deux, combiner les deux. Prenons mes abonnés : peut-être attendent-ils des informations politiques en me lisant (comme dans le blog de l'Atlas alternatif). Dois-je leur imposer des considérations littéraires au milieu de mes résumés de dépêches ? Mais d'un autre côté comment ne pas aller sur des terrains littéraires plus personnels ? La politique ne devient-elle pas précisément stérile et vaine quand elle ne fait pas le détour vers ces espaces-là... Choix difficile. Je pressens que le détour par la littérature peut me condamner à ne plus être lu ni cru quand j'écris sur la politique. Un exemple : une amie qui avait lu mon roman s'est exclamé devant la quatrième de couverture de mon livre sur la Transnistrie : "c'est un pays qui existe vraiment où c'est une histoire que tu inventes ?". Autre exemple : ce soir, dans une veine littéraire je pourrais me perdre dans des considérations hasardeuses, expérimentales sur un échange épistolaire de quelques lignes que j'ai eu avec une jeune femme maghrébine qui joue un rôle intéressant dans un mouvement anti-colonialiste (pour aller vite). Mais écrire sur elle dans cette veine non seulement compromettrait mes chances de pouvoir travailler politiquement d'une manière sérieuse avec son groupe, mais aussi risquerait de m'éloigner personnellement de l'esprit militant, qui est ce dont nous devons faire preuve, d'une manière responsable, face aux difficultés de ce monde.

Je me souviens en rédigeant ces lignes que j'avais écrit à peu près la même chose, sur ce même blog, à l'été 2007, à la sortie d'une conférence à l'ambassade cubaine de Paris. En fait je n'avais pas posé la question "littérature ou politique" mais "vie de militant ou vie d'intellectuel", mais ces problématiques se recoupent largement. A l'époque une amie (qui avait voué toute sa vie au militantisme LCR) avait craché sur ce billet en disant : "Ce genre de question ne m'intéresse absolument pas. C'est tout ce que j'ai combattu chez mon père qui se prenait pour un intello." C'est peut-être ce que songeront nombre de mes lecteurs "branchés sur la politique" lorsqu'ils liront le présent billet.

Je n'ai trouvé de bon mélange de la politique et de la littérature que dans Chien blanc de Romain Gary. Peut-être aussi chez Céline. Mais l'un et l'autre étaient des nihilistes, et leur message politique ne se raccrochait à aucun esprit de responsabilité (Céline voulait la destruction de tout, et Gary n'échappait à cette extrémité que par une passion émotionnelle pour sa mère et pour De Gaulle). Cela rendait chez eux la cohabitation de la politique avec l'audace littéraire bien plus facile.

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