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Le blog de Frédéric Delorca

Paris des années 80

25 Mars 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Souvenirs d'enfance et de jeunesse

J'écoutais tantôt une interview de Soral sur sa jeunesse parisienne. Je ne parlerai pas de politique ici - les aventures de Soral et Dieudonné chez Le Pen, toutes ces histoires pas terribles, leurs dérapages verbaux, ces fourvoiements en cascade, tout cela ne mérite guère qu'on s'y attarde. Ce qui était intéressant dans le récit de Soral, c'était l'évocation du Paris "bohème" des années 70. Une de mes amies de naguère avait connu aussi cela, dans le Saint-Germain-des-Près de l'après 68, baisant avec Tabarly, Giraudeau, se cuitant avec Roland Topor. J'ai déjà fait référence à cet univers dans un billet sur Genet et Dominique Eddé. J'ai souvent essayé d'imaginer ce que ça avait pu représenter pour ce genre de minettes nées dans des familles conservatrices. Toute cette fluidité des rencontres, des comportements. Une effervescence parisienne. Soral en parle très bien.

Quand je suis arrivé à Paris en 1988, il y avait encore une queue de comète de tout ça. J'avais des potes de Sciences Po, qui connaissaient beaucoup de gens dans les milieux artistiques, grâce à cette facilité des échanges. Je ne pense pas qu'ils le devaient seulement au "capital social" de leurs parents. Pas tous. Moi je me sentais assez étranger à ça, et d'ailleurs personne ne m'a jamais proposé de m'introduire dans ces cercles. De toute façon, je n'en avais pas le temps. J'avais des études sérieuses à faire.

Je ne suis pas sûr que cela m'aurait apporté grand chose du reste, ni humainement ni intellectuellement. Cela m'aurait lassé, comme le salon de l'Ecrivain engagé que je décris dans 10 ans sur la planète résistante. Car au fond tous ces échanges, ces verres partagés avec l'un, avec l'autre, entretenaient chez ceux qui jouaient ce jeu là un esprit très superficiel. Cela faisait partie de la vanité parisienne, de ce que j'ai toujours détesté à Paris. Au fond ce n'était pas différent de la vacuité de la cour versaillaise au siècle de Louis XIV.

Soral fait l'éloge de ces rencontres, de ce qu'elles lui ont apporté. Je me demande si elles ne l'ont pas entretenu dans une culture publicitaire, une culture des effets de manche, comme Dantec et bien d'autres auxquels il s'oppose. Une culture qui le conduit à choisir les slogans sans nuance et les jugements à l'emporte-pièce, à porter au pinacle des penseurs sans grande envergure, à en rejeter en bloc d'autres, dont l'oeuvre ne se peut réduire à des clichés rapides.

Aujourd'hui la fluidité sociale a disparu nous dit-on. Les artistes ou intellectuels connus ne frayent plus qu'avec leurs pairs et les gens riches, il n'y a plus de bohème et les jeunes talents déshérités se suicident en banlieue. C'est possible. Il est vrai en tout cas que les échanges se font plus sur Internet que dans le réel, et qu'il manque à ces échanges "le contexte", la "situation" qui en faisait le sel, les inscrivait dans un récit, un récit charnel autrement plus parlant pour l'imagination que : "j'étais dans ma chambre, j'ai allumé mon ordi, j'ai eu un échange de trois lignes avec Emmanuel Todd dont un ami m'a donné l'adresse email, et puis j'ai éteint mon ordi et je me suis couché"... Mais peut-être aussi cette nouvelle sècheresse des rapports entre individus médiatisés par l'écran de l'ordinateur, toute cette solitude dont on nous parle tant, nous débarrasse-t-elle aussi de beaucoup de conversations stériles dont ma jeunesse fut saturée et qui ne faisait que m'engluer dans les stéréotypes inutiles d'une époque, moi et toute ma génération. Chacun dans sa solitude brasse peut-être, au fond, plus d'idées et de connaissances que nous ne le faisions. Tellement d'idées et de savoir, du reste, que nous ne savons plus quoi en faire ni comment les structurer. Nous avons perdu en poésie, en plaisir d'être ensemble, mais peut-être nous sommes-nous aussi, par là même, débarrassés d'une vanité, et d'une forme de bêtise.

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E
pas faux.
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