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Le blog de Frédéric Delorca

"Disperser le pouvoir" de Raúl Zibechi

1 Septembre 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Lectures

Pour info, vient de paraître sur Parutions.com mon compte-rendu de lecture du dernier livre sur les mouvements sociaux boliviens de Raúl Zibechi, qui, par ailleurs, fut contributeur de l'Atlas alternatif il y a quelques années.

La pensée libertaire au miroir de la Bolivie
 

 

Raúl Zibechi, Disperser le pouvoir. Les mouvements comme pouvoirs anti-étatiques. Le Jouet enragé et L'Esprit frappeur, 15 €.

 

Les productions de la pensée libertaire en France font l’objet d’une diffusion assez confidentielle. L’une d’entre elles mérite notre attention, il s’agit du dernier livre de Raúl Zibechi : Disperser le pouvoir. Les mouvements comme pouvoirs anti-étatiques.

 

Journaliste et universitaire urugayen, Raúl Zibechi s’est fait connaître en France entre autres il y a quelques années par sa contribution à l’ouvrage collectif l’Atlas alternatif (le Temps des Cerises, 2006). Il nous livre ici une réflexion sur l’insurrection d’El Alto, en Bolivie, en 2003.

 

Le sujet est en soi stimulant : il s’agit d’une révolte indienne, celle des Aymara, une des trois principales composantes de la société bolivienne, dont est d’ailleurs issu le président Evo Morales. Comme David Graeber, ou Pierre Clastres (auquel il est fait référence),  Zibechi ne manque pas de mobiliser au service de son analyse politique tout le matériau anthropologique (ethnologique) qui à la fois permet de resituer l’expérience sociale observée dans ses particularités historiques et interdit toute transposition simpliste à d’autres espaces géographiques, tout en suggérant des enseignements universels. Zibechi décrit une société qui aurait gardé peut-être le mieux (mieux que la société péruvienne), l’esprit et les usages de la société inca, et, en même temps, une société profondément bouleversée non seulement par la colonisation espagnole (qui l’a confinée dans la clandestinité), et la modernité capitaliste, mais aussi, au cours des 10 dernières années, par le désastre néo-libéral, à cause duquel la ville d’El Alto est passée de moins de 100 000 habitants dans les années 1970 à 800 000 aujourd’hui, des paysans arrachés à leurs terres pour la plupart. Cette analyse, notons-le, se fait sans angélisme : ainsi par exemple Zibechi ne passe-t-il nullement sous silence la violence inhérente à cette société (l’usage de la peine de mort, et du châtiment domestique par le fouet dans le chapitre sur la justice). Il décrit un monde de prolétaires déracinés qu’il compare à juste titre à la classe ouvrière anglaise de la révolution industrielle décrite par Hobsbawn. Il s’attache à recenser en son sein les pratiques qui ont pu maintenir et renforcer un sens communautaire dans la jungle urbaine – par exemple le fait de marcher à pied sur de longues distances an groupes pour se protéger des délinquants, et aller prendre un bus très éloigné du domicile. Gestes apparemment anodins, et pourtant structurants dans leur répétition, qui entretinrent la solidarité d’une population ghettoïsée, prélude ensuite aux combats communs pour obtenir des hôpitaux, des routes praticables.

 

Les habitants d’El Alto ont eu l’habitude de vivre sans Etat et de s’organiser en conseils vicinaux de base pour la vie quotidienne et l’entretien de leurs quartiers. A travers les emplois familiaux, et une économie informelle qui abolit la division sociale du travail, ils ont constitué des ensembles sociaux dispersés qui en temps de paix échappent au contrôle des institutions verticales et qui en temps de révolte ont su se transformer en de redoutables machines de guerre, très mobiles et d’une très grande inventivité tactique.

 

Loin de se limiter au recensement ethnographique et sociologique, Zibechi formalise les modes d’action politique de la société qu’il observe. Tout un dispositif de concepts imagés est ici mis en œuvre. Dans le cadre d’un dialogue polémique avec la gauche « autoritaire », il s’attache à démontrer que l’indivision des tâches et le refus de déléguer le pouvoir à un centre peut être un gage d’efficacité dans la lutte, et ouvrir la voie d’une réforme profonde de l’Etat dans le sens du respect de la diversité des groupes et des individus.

 

Le lecteur qui parvient à franchir l’obstacle de la préface un peu terne et  jonchée de coquilles de Miguel Benasayag découvre ainsi un livre stimulant qui aide non seulement à comprendre la culture politique indienne andine, mais aussi à réfléchir aux conditions de possibilité des révoltes populaires, voire aux moyens d’éviter leur récupération par des systèmes représentatifs susceptibles à terme d’en trahir les intérêts. C’est en somme une manière de reprendre à nouveaux frais de vieux débats qui remontent à la Commune de Paris et à la Révolution soviétique.

 

Frédéric Delorca

 

 

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