"L'idéologie du sympa"

Pour moi l' "idéologie du sympa" c'est par exemple quand BFM TV (ce matin) choisit Arielle Dombasle pour parler du décès d'Eric Rohmer. C'est une mise en abime de la vacuité. Du vide qui parle sur du vide. ll n'est pas certain que Rohmer mérite l'aura dont il fut entouré dans les années 1980-90. En soi il y avait déjà un certain "vide" promu par un certain système médiatique autour de cette "icône de la Nouvelle vague". Mais ce vide pour conserver une certaine cohérence devrait, à l'heure de la mort du réalisateur, conduire à ce qu'on interroge un critique de cinéma pour parler de l'oeuvre de Rohmer. Il se peut que BFM TV n'ait trouvé aucun critique à 8 h du matin disposé à résumer en deux phrases creuses ce qu'il faudrait garder de Rohmer (parce que, peut-être, les critiques de cinéma ont complètement "décroché" de la logique du flux d'infos en continu, et se sont résolus, comme les latinistes versaillais, à n'être plus qu'une "communauté" de 500 personnes sur Facebook - un vieux spécialiste bourdieusien de la science politique m'a dit en 2006 : "les politistes nous ne sommes qu'une communauté de 1 000 personnes en France, et nous nous connaissons tous entre nous"). Ou bien BFM TV a-t-elle a priori trouvé qu'il serait plus "sympa" de faire parler quelqu'un que tous les Français connaissent, qui est donc un peu de leur famille, et que chacun identifie (parmi ceux qui adhèrent encore à l'actualité en continu) comme quelqu'un d'assez cultivé et raffiné, l'épouse de Bernard-Henry Lévy. Et donc la starlette a parlé dix secondes pour dire que Rohmer était formidaaable, juste après un reportage de 20 secondes qui avait précisé que son cinéma était "exigeant" (c'est à dire à ne pas regarder parce qu'on n'y comprendrait que dalle). L'effet "sympa" d'Arielle Dombasle a démultiplié vide, mais tout le monde s'y est retrouvé parce qu'ainsi chacun a eu le sentiment 1) d'avoir été informé du décès d'un cinéaste important 2) de rester au courant de ce qui se passe dans l'actualité culturelle sans culpabiliser de ne rien y comprendre 3) d'avoir toujours dans sa famille et son horizon affectif une Arielle Dombasle "sympa" (même si on la critique parfois, comme on critique une tante excentrique qui ne réussit pas tout ce qu'elle entreprend) qui soutient leur effort de rester informés de ce qu'il se passe dans le domaine de la création.
En général, je ne parle pas trop ici de mes travaux en sociologie du corps que je publie sous un autre nom, parce qu'ils n'ont pas de rapport direct avec mon engagement politique. Ils me permettent de garder un pied dans la culture du "sympa" sans trop m'y compromettre, mais sans non plus entretenir de ressentiment excessif à son égard (on sait quelles folies paranoïaques finissent par cultiver les adversaires de l'idéologie du "sympa"). D'ailleurs lors de la publication de mon livre dans ce domaine, une psy de renom m'avait dit : "le sujet de votre livre est très SYMPA, on l'attendait depuis des années ! publiez le vite, sinon quelqu'un d'autre écrira là dessus, c'est tellement dans l'air du temps !". J'en étais conscient, quoique je prétendisse (et prétends encore) pouvoir pousser les implications de mon thème au delà des modes de mon époque. Et effectivement depuis quelque temps, bien que mon éditeur soit très peu diffusé (lui et moi sommes des outsiders), il ne se passe pas un mois sans qu'un média quelconque ne sollicite mon avis sur le sujet de mon livre. Encore en ce début de semaine comme j'étais cloué au lit par un mauvais virus et alors que je croyais le temps arrêté, deux chaines du cable me contactaient pour m'interroger sur ce thème, me conduisant à composer encore avec l'état d'esprit des vicaires de l'idéologie du sympa.
L'air du temps "sympa" de notre époque n'est pas une "superstructure" facile à combattre comme une dictature classique. C'est une idéologie enveloppante dont l'utilité fonctionnelle est avérée (pour en rendre compte il faudrait peut-être recourir à la théorie des "memes" qui explique les schèmes de transmission de représentations culturelle). On ne peut pas prétendre s'en extraire aisément sans provoquer des pathologies stériles (paranoïa, passéisme etc). Il convient de savoir à quel degré on y participe, et éventuellement d'en jouer, en portant toujours l'action et la réflexion au delà de cette culture officielle, au delà de l'instantanéité de l'affect dans laquelle elle cherche à tout absorber. Cela demande des investissements à divers niveaux, des hiérarchisations des perspectives. Un véritable art de la guerre.
Logos spermatikos

Je crois que, à maints égards, la publication de mon livre sur la Transnistrie l'an dernier m'a libéré de beaucoup de contraintes formelles. J'ai vu qu'on pouvait composer un livre avec des bouts de ficelle tels qu'un journal de voyage auquel on peut accoller un article d'anayse juridique. L'ensemble tient quand même. Une partie en éclaire une autre. Et, même si un médiocre publiciste parisien dans une lettre à mon éditeur a tourné ce livre en ironie en le qualifiant de "brochure", la plupart des lecteurs, eux, y trouvent leur compte.
Ce livre libère une certaine audace. Je ne me sens plus obligé d'aligner des chapitres savants très cohérents entre eux. Si j'avais à écrire sur Caton aujourd'hui, bien sûr j'insisterais sur la biographie du personnage. Parce que Plutarque est singulièrement éloquent sur son compte. Et comme plus personne ne lit Plutarque aujourd'hui, il faut ressortir ces histoires. Elles montrent combien une éthique intègre à Rome au Ier siècle avant JC n'était pas "conservatrice" mais révolutionnaire, ce qui valait à Caton l'estime de la plèbe. C'est tout un rapport à la Loi, à l'Ordre, qui se joue là. Un sujet que les libéraux et les bobos n'aiment pas aborder car ça ne cadre pas avec l'esprit du capitalisme hédoniste contemporain. Cet ordre, les philosophes stoïciens l'appellent Logos. Le roi indien Asoka quand il parle de l'ordre dans ses décrets en pali utilise le mot "dharma" (bien connu des adeptes du bouddhisme), et dans leur version grecque... Logos.
Mais je voudrais aller bien plus loin que l'évocation du courage physique et moral de Caton d'Utique et de la vénération qu'il lui a valu (aux antipodes des sarcasmes de la récente série britanique "Rome" à son sujet). Je voudrais tirer diverses thématiques du stoïcisme dont Caton était adepte vers notre époque moderne. Le stoïcisme m'intéresse comme politique du "devoir" aux antipodes des téléologies marxistes et plus généralement progressistes - "Hacer la revolucion como un deber", "Faire la révolution comme un devoir" titrait audacieusement Republica.es cette semaine. Il m'intéresse aussi par l'innovation qu'il a apportée à son temps en terme d'unité de l'humanité, de cosmopoliteia. Un sujet diablement d'actualité à l'heure de la mondialisation. Enfin il pose des questions sur ce que la nature commande à l'humanité, ou du moins autorise chez elle, ce qui est aussi un thème très actuel maintenant que la génétique, les sciences cognitives et la paléoanthropologie nous ont réconcilié avec l'idée qu'une nature humaine existe et qu'elle détermine nos catégories mentales. Je me suis procuré hier l'ouvrage de Valéry Laurand sur la politique stoïcienne. J'écrirai peut-être mon livre sur Caton quand je serai à la retraite.
De Mélenchon à Agora

Un lecteur de mon blog hier a justement nuancé mon intérêt pour le film que je n'ai toujours pas vu Agora (mais j'avais précisé que cette intérêt allait au film dans la mesure où il reflétait la façon dont notre époque regarde son passé, rien de plus).
Je n'aime pas le thème (présent dans ce film et ailleurs) de la défense du paganisme contre le christianisme, qui procède du même réflexe que l'islamophobie et même que l'anticommunisme. J'y vois le côté bobo cool qui aime bien que les gens "ne croient pas trop à ce qu'ils croient" (les croyances soi-disant un peu sceptiques des païens philosophes leur plaisent davantage - cela dit ils se trompent complètement car les néoplatoniciens étaient tout aussi religieux que les chrétiens). En tout cas les commentaires du film dans la presse bourgeoise qui parlent des échos de l'époque contemporaine que trouve le film, sur le thème de l'intégrisme notamment, ont manifestement en tête l'équation premiers chrétiens=talibans / païens=bobos "laïques" éclairés.
Historiquement, il existe d'ailleurs un lien organique entre l'intransigeance des premiers chrétiens et la naissance de l'Islam, l'Islam étant apparu au contact des sectes chrétiennes hérétiques les plus rigoristes (judéo-chrétiens, nestoriens). L'allergie de notre époque à l'égard de tout ce qui est rigoriste ne me dit rien qui vaille. Autant la défense du paganisme était intéressante dans les années 70-80 à l'époque de Jerphagnon, le maitre d'Onfray ès-athéisme à Caen, face à une Eglise décadante mais encore stérilisante, autant aujourd'hui elle n'est plus que le porte-drapeau d'un esprit de consommation vide et intolérant. Je vous incite à nouveau à lire le Saint Paul de Badiou, voire quelques intuitions de Zizek sur paganisme et christianisme dans La Marionnette et le Nain. Des regards intéressants sur le "génie" du premier christianisme.
Au chapitre culturel de la semaine
Hier "faut-il s'engager dans l'espoir de réaliser un paradis terrestre pour l'humanité ?". Aujourd'hui : "Notre vision de la sexualité peut-elle s'extraire de l'héritage catholique ?"
Mes interlocuteurs sur ce genre de sujet m'opposent des poncifs académiques vieux de 20 ou 30 ans, comme si leur pensée était figée dans la glace. Dommage que je n'aie pas le temps d'écrire plus longuement.
Petite parenthèse culturelle. Demain sort sur les écrans "Agora".
Les peplums sont souvent risibles mais ce sont des miroirs de notre époque sociologiquement intéressants. Voir comment un monde se raconte à lui même son histoire.
Ici le sujet choisi est l'intolérance des Chrétiens. On est à l'opposé des thèmes du cinéma hollywoodien traditionnel. Il popularise le personnage d'Hypathie d'Alexandrie, qui le mérite sans doute : une philosophe femme lapidée par les chrétiens, ce n'est pas mal. Charles William Mitchell lui a consacré un étrange tableau.
A part ça un ami me dit du bien d'une pièce de théatre "Le Paris de Lutécien". Mais je n'en parlerai pas ne l'ayant pas vue.
Ceux qui cherchent à connaître

Bonjour,
Je suis un étudiant membre de l'UEC (union des étudiants communistes) et je m'intéresse au fonctionnement du "socialisme réel" ou du moins ce qu'il en reste. Pour cela j'aimerais prendre contact avec les organisations communiste de Transnistrie et/ou des organisations de jeunesse. Avec mes camarades nous voulions établir des liens de fraternités entre la Transnistrie et la France. Je me suis procuré ton livre et écouté ton témoignage radiophonique pour mieux connaitre ce pays et son fonctionnement.
L'année dernière j'ai voyagé en stop en Slovénie, Hongrie et Roumanie j'ai ainsi recueilli quelques témoignages historiques sur trois socialismes bien différents mais j'aurais aimé voir de façon concrète comment s'organise ce type de socialisme.
Si tu as quelques renseignements, informations, conseils à me transmettre voici mon adresse: **@hotmail.fr
Je te remercie d'avance pour ton aide.
Fraternellement
H
De retour de vacances

J'ai décidé de remanier le dernier livre que les Editions du Cygne m'ont promis de publier en 2011 (ce sera mon 14 ème bouquin, l'ultime), dans un sens plus conforme à ce que je pense à 40 ans que les textes de mes 32 ans que cet ouvrage mobilise abondamment. J'écris en ce moment le livre sur l'Abkhazie (qui devrait être le 12 ème dans l'ordre chrologique de mes publications)... pour avoir le droit de publier ce 14ème, cette dernière pierre avant que je tire définitivement ma révérance et sorte du monde de l'édition. Le bouclage du livre sur l'Abkhazie dépend de ce que mes correspondantes à Soukhoumi voudront bien me dire. Tout cela est très fastidieux.
Rien de très neuf sur Internet à mon retour (j'étais déconnecté là bas). Rien à regretter. Edgar de la Lettre volée parle d'un débat Finkielkraut-Badiou dans Le Nouvel Obs. Je comprends que Badiou ne puisse pas refuser ce genre d'invitation à discuter, mais s'abaisser à parler avec Finkielkraut... même pour lui dire qu'il a tort, je ne vois pas bien l'intérêt. Ma belle soeur à Noel a tendu un bouquin à mon beau père, le livre de Badiou sur l'amour. Elle lui a dit "c'est un philosophe communiste, ça peut t'intéresser". J'ai été triste pour Badiou. Si après avoir eu l'occasion comme lui d'écrire deux ou trois best sellers, après une carrière académique hyper consacrée, quelqu'un du côté de la Rochelle ou de Chambéry disait à son père, "tiens voilà un bouquin sur l'Abkhazie écrit par l'auteur anticolonialiste dont je t'ai parlé". Ca me déplairait bigrement d'être réduit en 4 mots comme ça. Je suis triste de voir Badiou réduit en permanence par la logique de la consommation de masse. Mais à moitié triste cependant, parce que je n'ai jamais aimé la dimension "irréductible" de son oeuvre, ses sortes de "mathèmes" dont je pense comme Pascal de Descartes qu'ils sont "inutiles et incertains" (toutes proportions gardées - Badiou est presque aussi peu Descartes que je suis Pascal).
Sur le fond tout ce débat sur l'identité nationale me continue de me déplaire au plus haut point. Je passe mon temps à croiser des arabes qui se sentent obligés de me dire que l'islam c'est la tolérance, et qui sont toujours à deux doigts de devoir s'excuser de ne pas être "souchiens". Plutôt que de penser son temps à réfuter Finkielkraut et Sarkozy, il faut prouver l'exitence du mouvement en avançant. C'est à dire construire de la culture franco-arabe au nord de la méditerranée, et avancer dans le non-alignement de la France sur la logique "occidentale" sectaire. Il n'y a pas d'autre réponse valable au cynisme inepte de nos dirigeants. Et il faut faire de même aussi avec les cultures africaines, les cultures asiatiques etc.
Lundi je retrouverai Brosseville et la politique de coopération décentralisée en direction de l'Algérie que je souhaite y mener.