Ignoble et stupide

Comme toutes les ingérences occidentales depuis 15 ans, celle qui se déroule aujourd'hui en Libye est à la fois ignoble et stupide.
Ignoble parce que toute ingérence dans une guerre civile du Tiers-Monde l'est. Elle consiste à choisir un camp contre l'autre, c'est à dire à dire à une partie du peuple : rendez vos armes au profit de l'autre partie. Quelle qualité M. Sarkozy ou M. Obama ont-ils pour dire aux Libyens quel camp est le bon pour eux et pour l'avenir de leur pays ? Il y a derrière ce choix un infini mépris pour les nations du Sud et leur droit à disposer d'elles-mêmes. Le principe même de l'ingérence est ignoble.
Ensuite l'infâmie se décline sur tous les aspects de cette ingérence. Tout d'abord parce qu'elle s'appuie toujours sur des informations partielles, partiales et mensongères, généralement véhiculées par des "intellectuels" largement discrédités comme celui qui a conseillé M. Sarkozy dans l'affaire libyenne. C'est presque toujours le cas depuis 15 ans : on ne veut pas entendre le point de vue du camp auquel on s'oppose, on l'ignore, on le diffame, tous les grands médias ne vont que dans un sens, et les immondes petits lecteurs de la presse qui se targuent de tout savoir se ruent ensuite sur les forums Internet pour insulter le premier esprit critique qui essaiera de faire entendre un son de cloche différent : on le traitera de facho, de réac, de sanguinaire, d'ennemi du genre humain, et l'on dressera un cordon sanitaire de silence autour de son point de vue.
Après la manipulation de l'opinion (et de sa propre opinion car je suis sûr que les dirigeants eux-mêmes s'intoxiquent avec leur propre vision sommaire et partiale de la réalité), l'ignominie se poursuit à l'encontre des rares puissances susceptibles de s'opposer au point de vue occidental (pays arabes ou africains, latino-américains, Russie, Chine). La manière dont l'administration Obama a "convaincu" Russes et Chinois du fait qu'il ne s'agirait en Libye que d'empêcher les avions de Kadhafi de bombarder les civils est un modèle dans le genre de la séduction et de la tromperie. Quand elle a vu les Occidentaux bombarder méthodiquement les colonnes de ravitaillement militaire et les infrastructures de commandement et de soutien, la Ligue arabe a pris conscience "mais un peu tard" comme dit la fable du fait qu'on l'avait bernée. Moscou et Pékin ont regretté. regrets un peu pharisiens à vrai dire, car la neutralisation des autres puissances ne repose pas que sur la séduction, mais aussi sur le donnant-donnant diplomatique : tu me laisses les mains libres en Libye et je ne t'embêterai pas trop dans le Caucase ou au Tibet. Ce n'est jamais vraiment dit comme ça sans doute, mais c'est à l'arrière plan plus ou moins inconscient de toutes les discussions. Dans un monde où l'OTAN accapare 60 % des dépenses militaires et la quasi-totalité du prestige culturel depuis trois siècle (ça s'appelle une structure de domination symbolique), il est illusoire de penser (comme l'ont fait certains chantres du monde "multipolaire") que Moscou ou Pékin pourraient en quelques années construire un discours alternatif et opposer leur propre vision aux Nations-Unies et ailleurs. Pour camoufler les mensonges adressés aux puissances dont on a évité le véto, il faudra d'autres mensonges, dire que ce sont elles qui ont mal lu la résolution qu'on leur a fait voter, qu'elles sont d'humeur chagrine, qu'elles n'aiment pas vraiment nos magnifiques "droits de l'homme".
Puis vient l'infâmie dans l'exécution même de l'ingérence, toujours à huis clos et loin des journalistes - sauf quelques exceptions comme ces journalistes de libération dimanche qui ont assisté "au jeu de massacre" comme ils disent de jeunes soldats libyens pris comme cible d'avions de combat. Ces fameuses "frappes ciblées" sont la manière la plus infâme, la plus abjecte de faire la guerre. C'est la mort qui vient "d'en haut" et contre laquelle on ne peut pas riposter. Le modus operandi va avec le deux poids deux mesures, la manière dont on prétend être le "deus ex machina" qui depuis le ciel fera tomber son châtiment et sa foudre. Les armées du Tiers-monde irakienne ou libyenne sont massacrées sur place par des pilotes occidentaux tranquillement installés dans leurs avions - sauf si elles ont une expérience de l'enfouissement sous terre comme l'armée yougoslave en 1999. Les DCA sont rarement très performantes.
L'infâmie va hélas de pair avec la bêtise. La décision d'attaquer un régime ou un pays diabolisés par les médias est souvent prise dans l'urgence, sous le feu des caméras (en France cette fois ci la reconnaissance des insurgés de Benghazi ne fut même pas concertée avec le ministre des affaires étrangères). Certes ce n'est jamais complètement absurde. On peut toujours trouver un intérêt géopolitique cynique à l'agression (pour faire main basse sur le pétrole, trouver un nouvel espace pour la construction d'une base militaire), et il y a toujours des stratèges pour ressortir un plan raisonnable qui donnera finalement un sens concret à notre action. Mais à la base le réflexe d'ingérence, d'imposition de nos valeurs, et sa mise en scène devant devant les caméras est largement irrationnel et purement égocentrique - un égocentrisme collectif, à l'échelle de l'Occident. On se rend vite compte qu'il expose à plus de problèmes qu'il ne fournit de solutions. Le massacre de soldats libyens assurément ne doit pas garantir une très grande popularité aux Occidentaux en ce moment, ni à Tripoli, ni dans aucun des pays qui ressent déjà douloureusement les entraves occidentales à sa liberté d'agir (c'est à dire la majorité des pays de la planète). Même si l'on n'éprouve guère d'enthousiasme pour le colonel Kadhafi on ne peut en ressentir pour le jeu de massacre céleste des Occidentaux. D'autant qu'on finit par se rendre compte que le comité insurrectionnel de Benghazi, composé d'anciens cadres du régime de Kadhafi, d'islamistes, de jeunes fraîchement entrés en politique, et d'autres groupes dont on ne sait rien n'est pas nécessairement plus "démocrate" ni meilleur pour le peuple libyen que le régime que nous combattons. Avec un peu de malchance même il pourrait être aussi peu recommandable que l'UCK kosovare ou le régime de M. Karzaï en Afghanistan (sans parler même du gouvernement irakien actuel).
Certes ce n'est pas si grave parce que les bonnes âmes sympathisantes de la "révolution libyenne" sont prêtes encore pendant de longs mois en Occident à continuer de bâillonner les tenants d'une analyse lucide. Mais cela pose quand même un problème au regard du "terrain". On commence à parler d'enlisement. Avez-vous noté que dans ces moments-là tout le monde commence à regarder sa montre ? Fin mars 1999 M. Védrine a tout de suite déclaré que le bombardement de la République fédérale de Yougoslavie était une "affaire de jours pas de semaines". Aujourd'hui M. Obama attaqué par les Républicains commence à prévenir que les Etats-Unis passeront bientôt le commandement des opérations à quelqu'un d'autre. Dans ces cas là, on n'a plus qu'un espoir : il faut que le régime d'en face cède rapidement . Soit qu'il négocie sa capitulation comme S. Milosevic le fit en Yougoslavie à partir de mai 1999, soit que la corruption de l'armée assure sa reddition sans condition comme l'obtinrent les Etats-Unis à la veille du siège de Bagdad en 2003 en achetant les principaux généraux de l'entourage de Saddam Hussein. C'est ce que dit aujourd'hui M. Juppé quand il "espère" un effondrement du régime Kadhafi. La lâcheté (ou la naïveté) de notre ennemi prêt à discuter avec nous, ou son immoralité (sa corruptibilité financière, sa vénalité) deviennent notre seule chance pour éviter que l'aventure interventionniste tourne au bain de sang le plus absurde, dont un mal peut sortir bien pire que le remède que l'on souhaitait administrer. Nous en sommes donc à cette étape.
La véritable intelligence, qui nous aurait par ailleurs empêchés de verser dans l'infâmie, aurait été de ne pas céder du tout à l'instinct de croisade et aux appels des esprits primaires qui en ont fait leur ligne de conduite. Peut-être y penserons-nous dans le cadre des prochains conflits. En Occident l'intelligence et la dignité sont toujours renvoyés à la guerre suivante...
FD
ps : dorénavant je me considère étranger à ma région natale, en voici la raison.
The life of Brian
Il y a un gars sur un site malgache qui me qualifie de "gauchiste limite anar". Je ne sais pas trop comment il faut le prendre. L'étiquette me surprend un peu. Je suis cependant assez incapable de dire en quoi elle est juste ou fausse. C'est un peu comme si quelqu'un avait écrit "Frédéric Delorca disciple de Zarathoustra". Mon premier mouvement aurait été de dire "je ne me sens pas vraiment concerné par la réforme zoroastrienne" (comme je peux dire là que je ne me sens concerné ni par l'anarchie ni par la révolution), puis j'aurais songé : "c'est vrai que j'ai peut-être quelque acquointance avec le Zaratoustra de Nietzsche en tant que force d'acceptation du Fatum, à défaut d'en avoir avec le Zoroastre de la Perse antique" (tout comme là je songe que j'ai eu quelques potes anars et que sans doute je préfère passer pour un anarchiste que pour un admirateur d'Hervé Morin). Mais quand même mon lien avec le gauchisme est aussi ténu qu'avec le zoroastrisme, et je suis malgré tout plus proche des intellectuels pondérés du Comité Valmy que des rêveurs de Tarnac. Mais bon, j'accepte toutes les étiquettes. Comme disait l'autre "tout m'est un".
A propos de révolutionnaires en chambre, le film La Vie de Brian en parle beaucoup et très bien. Je le regardais encore ce soir en DVD (pour ne pas voir la France bombarder la Libye, cette honte profonde pour notre peuple). Ce petit chef d'oeuvre me fit tant rire à 20 ans.
Je ne détaillerai pas ici (vu l'heure tardive) tout ce qui fait la grandeur de ce film. Je vous renvoie aux vidéos sur You Tube dont je vous livre ci-dessous juste le premier des onze extraits qu'on peut trouver sur le Net.
Je crois surtout que sa force tient au jeu qu'il fait naître entre l'idéal et le trivial. C'est du cinéma fait par des garnements qui sont passés par Cambridge. Qui donc sont passés par cette éducation pétrie de spiritualité, d'idéalisme sentimental, de recherche de l'élévation morale qui caractérisait l'Europe catho élitiste d'avant les années 60. Ils jouent du contraste qui existe entre la légende dorée du "sauveur du monde" né dans une étable de Bethléem, et la société ordinaire dont "Brian", né le même jour que le "sauveur" dans une maison voisine, n'est qu'une figure parmi d'autres. Cette société dérisoire, tricheuse, crédule, dépourvue de toute grandeur d'âme, au sein de laquelle Brian est encore le plus honnête. Les chrétiens de l'époque y ont vu une attaque indirecte contre leur foi, mais le propos du film était autre : en laissant la foi de côté (à juste titre les auteurs du film s'en désintéressaient complètement), il s'agissait juste de rire de l'humanité telle qu'elle fonctionne chaque jour, telle que nous devons la subir, avec toute sa bêtise, toutes ses petites facilités, toute son absurdité profonde.
Peut-être les gens nés sous Sarkozy, qui n'ont rien connu du monde d'avant ne comprendront-ils jamais l'intérêt de ce film, parce qu'il ne concevront même pas l'idéal spirituel auquel les Monthy Python juxtaposaient le rire de la trivialité. Pour la même raison d'ailleurs ils ne comprendront plus jamais Nietzsche. Ils ignoreront tout de la possibilité d'une grandeur intellectuelle ou affective (notre monde semblant en avoir fait son deuil à jamais), ils n'auront connu que la trivialité et ne verront même pas l'intérêt que l'on peut trouver d'en rire. Ils placeront leur rire ailleurs. Sur un mode probablement moins sophitiqué. Faut-il le regretter ? A l'échelle de la société je ne sais pas. A mon échelle personnelle je trouve que je n'ai pas suffisamment fait fructifier ces valeurs idéalistes dont j'avais hérité par le christianisme, par l'école publique républicaine, et par quelques autres sources, ni non plus le jeu avec la trivialité dont j'aurais pu m'offrir le luxe. Je me suis, comme un peu tout le monde, laissé gagner trop facilement par la trivialité brute de mon époque, envelopper par elle au point de ne plus pouvoir en jouer du tout. J'ai mené les combats avec les mauvais outils, les mauvais mots, le mauvais partenaires, j'ai sacrifié ma singularité. Ce qui était à dire ne l'a pas été au bon endroit ni avec les bons mots. J'ai accepté les trois quarts des choses qu'à vingt ans je me croyais prêt à refuser. Mais je crois que beaucoup de gens, y compris ceux qui sont bien plus doués que moi, ont aussi cédé à ces facilités. La force totalitaire de notre époque les y a contraints. Nous avons définitivement basculé dans le monde de Brian sans plus aucun rapport avec celui du Christ. Encore pouvons-nous nous réjouir de savoir encore suffisamment de quoi ce dernier pouvait être fait pour pouvoir rire de La vie de Brian.
Qu'on me comprenne bien, le "monde du Christ" n'est pas une expression religieuse dans mon vocabulaire et je ne veux absolument pas restaurer la religion. Ce dont cette expression est, dans ce billet, l'allégorie, c'est le goût de l'excellence, de l'élégance du style, de la présence complète à ses sentiments, du refus de la compromission. Autant de valeurs définitivement dépassées, dont La vie de Brian porte déjà le deuil, et dont notre époque n'envisage même plus qu'elles aient pu un jour exister.
Le charme discret de Matt Ridley ("The rational optimist")
C'est étange. J'ai adoré la lecture de Polanyi en 1998-1999. Et quand aujourd'hui je lis The rational optimist de Matt Ridley, qui dit exactement le contaire de Polanyi, j'adore aussi. Je me laisse porter comme par un conte de fée : "il était une fois la division du travail et le commerce, qui assura la supériorité de l'homo sapiens sur toutes les autres espèces, même celle du néandertalien, et qui le mena de succès en succès, des Phéniciens à l'Angleterre du 19ème siècle, malgré la méchante tendance des empires et des Etats à capter sa plus-value".
Cette force de séduction de la pensée anglo-saxonne qui conquit même Marx et qui fut la grande rivale de la pensée française pendant tant d'années (avant de la surclasser). Son côté très iconoclaste, souple, un peu cynique (sans idéalisme en tout cas), plein de jeunesse, révolutionnaire même à maints égads (même si c'est une révolution au service du veau d'or), très loin de la religiosité du socialisme, même si elle doit, elle-même, sans le savoir, beaucoup à une autre forme de religiosité, celle du puritanisme. C'est toujours très bluffant. Evidemment après, on se dit que c'est trop systématique pour être vrai. Par exemple cette histoire du commerce qui cause l'invention de l'agriculture et non l'inverse - aux antipodes des travaux de Chauvin.
Je crois que je vais mettre plusieurs années à démêler le vrai du faux dans les belles histoires érudites de Matt Ridley (que même un anthropologue chomskyen plutôt à gauche - et génial - comme Pinker porte aux nues).
Je suis peut-être nul, mais tout homme de gauche que je suis, je ne suis pas toujours capable d'affirmer avec aplomb en quoi mes adversaires ont tort, ce qui me pousse ensuite à les lire plus attentivement. Par exemple je n'ai jamais été fichu de m'expliquer pourquoi le néo-libéralisme "dur" a marché au Chili (sous Pinochet) et a échoué en Argentine (sous Menem). Et les intellectuels partisans de droite et de gauche n'ont jamais cherché, autant que je sache, à expliquer clairement ce paradoxe qui dessert leurs chapelles.
Il y a bien d'autres grands sujets de l'histoire humaine sur lesquels je suis infichu d'avoir un jugement définitif. Par exemple la question de savoir si l'invention du monothéisme est un progrès ou une catastrophe pour l'esprit humain. J'ai longtemps cru que c'était un progrès, parce que ça débarrasse l'esprit du foisonnement de légendes populaires sur des dieux anthropomorphes improbabes - d'ailleurs le monothéisme fut le parti pris de la philosophie grecque à partir de la naissance du stoïcisme. J'ai pensé aussi que c'était une idéologie favorable aux progrès de la conscience individuelle de soi, et à la pacification des rapports intersubjectifs (même si cela se paie d'une certain fanatisme, qui peut devenir génocidiaire comme lors des croisades). Mais je sais aussi qu'une certaine extrême-droite postnietzschéenne vante les mérites du polythéisme (Evola, Daniélou), et qu'une extrême-gauche partisane de la libération des moeurs dans les années 60 l'a un peu rejointe sur ce terrain. Et puis il y a eu Paul Veyne qui nous a dit qu'à contexte social constant polythéisme et monothéisme véhiculent une morale très voisine et que l'un comme l'autre peuvent être odieusement fanatiques. Puis un Zizek qui nous explique dans La marionnette et le nain, que l'économie du désir que porte le polythéisme est nécessairement mortifère et ennuyeuse. Bien sûr je ne crois pas trop aux théories de Zizek, mais il y a sans doute du vrai dans l'idée que le monothéisme crée une économie du désir très "bizarre" et donc potentiellement dynamique. Un site Web que j'ai du mal à classerau contraire déplore en ce moment que le Bouthan soit contraint à abandonner son polythéisme par les puissances occidentales. Je compte les points entre les uns et les autres comme devant un match de foot.
Mon embarras à trancher sur pareille question ne me gène pas car cela me maintient dans une ouverture dynamique et modeste aux arguments et données factuelles qu'on peut me donner quelle que soit leur provenance. Je crois qu'on ne peut progresser que comme cela.
Halte à la bouillie !

Mais la confusion est la règle de l'époque. Voyez par exemple ce vote de Mélenchon (oui Mélenchon le grand anti-impérialiste) en faveur de la zone d'exclusion aérienne (donc des bombardements) au parlement européen.
Pire confusion encore : celle des communistes de base que je croise dans ma banlieue. Ces gens qui ne savent rien hiérarchiser : "Les abominations de notre époque : le capitalisme sauvage, Kadhafi qui tire sur son peuple etc" me disait l'un d'eux avant hier (comme si tous ces méfaits étaient sur le même plan). Un autre communiste qui me dit aujourd'hui : "La droite ne veut pas célébrer le cessez le feu de 1962 en Algréie car pour eux c'était une défaite. Mais non, c'est la victoire de la paix". J'ai eu envie de lui crier : "Mais non bougre d'âne c'est la victoire de la dignité du peuple algérien !" Mais il est vrai que le PCF en 1960 se battait pour la paix, c'était son mot d'ordre officiel, comme sur la Palestine aujourd'hui, sans prendre le risque de descendre de cette terminologie naïve et bienpensante pour définir les critères concrets de la justice (en 62 : la liberté pour le peuple algérien, en 2011 : l'Etat unique en Palestine). Ras le bol de toute cette paresse intellectuelle mêlée de lâcheté qui dilue tous les discours dans une bouillie visant surtout à flatter l'égo de celui qui parle. Ils sont très forts au PCF dans ce domaine. Pour ça, comme pour réciter leur catéchisme de Marx. Toute cette religiosité irrationnelle au fond très narcissique me fatigue. Plus envie de parler avec eux, plus envie non plus de composer avec les imprécisions de notre époque. Qu'on me donne une chaire quelque part, assez haute pour que je n'aie pas à écouter mes étudiants, et qu'on me laisse exposer mes catégories personnelles, fruit d'un long travail d'écriture. Les intellos sont peut-être ridicules dans leur solitude rêveuse, mais au moins leur position les protège de la bouillie, de tout ce verbiage des demi-habiles qui nous fait sauter d'une folie à l'autre à chaque fois qu'une occasion de faire la guerre nous est donnée...
Du rapport à la nature
Une chanteuse à succès apprend qu'elle ne pourra plus donner la vie parce qu'elle a trop souvent avorté... (A 44 ans, vous allez me dire... on se demande s'il n'a pas un peu trop attendu avant de se poser les questions que l' "horloge biologique"impose). Nul doute que les adversaires de l'avortement esquisseront à partir de cet exemple mille raisons irrationnelles de vouloir interdire l'avortement, tout comme les anti-nucléaires trouvent dans l'accident de Fukushima des arguments déraisonnables contre le nucléaire français (j'approuve le dernier billet de C. Allègre à dessus).
Dans un cas comme dans l'autre, c'est la dialectique nature contre liberté humaine qui paraît se poser. En même temps pour moi tout est dans la nature, la liberté humaine aussi, il n'y a pas de rupture ontologique entre humanité et animalité. Et l'on ne peut empêcher l'humain de vouloir son plein développement individuel et collectif avec le moins de désagrément possible. La question pertinente dans le cas de la chanteuse est évidemment de sa voir si la VRAIE liberté et le vrai développement humain résidaient dans le fantasme de négation du cours du temps qui paraissait la travailler. Même problème que celui que pose François Jullien quand il rappelle que dans la sagesse chinoise traditionnelle, celui qui veut garder la vie risque de la perdre en cultivant ce désir à l'excès. Pour avoir une vie longue il faut aussi savoir accepter par avance la possibilité d'une mort précoce. J'y reviendrai...
L'actualité de la semaine
Comme la Libye est au bord de l'éclatement (et ce n'est sans doute pas le dernier pays africain dans ce cas), les petits insectes narcissiques de la lutte "anti-impérialiste" sortent de leur trou pour afficher leurs papiers faciles contre l'ingérence occidentale (et notamment contre ce projet de créer une zone d'exclusion aérienne si fou que même le général Westley Clark, champion de l'ingérence clintonienne, s'y oppose). Je reste pour ma part sur ma réserve. J'ai posté deux petits articles sur le blog de l'Atlas alternatif au début de l'insurrection libyenne il y a 10 jours, c'est largement suffisant, car ensuite on s'expose à ressasser des évidences. Laissons donc chacun se mirer dans ses articles sur tel ou tel blog.
Du coup, du fin fond de ma semi-retraite politique (semi-retraite car je mène par ailleurs une activité de terrain tout aussi ludique que les blogs mais autrement moins narcissique et plus concrète dans une ville de banlieue), je ne trouve plus de sujet captivant à me mettre sous la dent. Comme tout le monde, je plains le pauvre peuple japonais qui se présentait encore il y a peu comme le champion de la maîtrise d'une nature difficile. Les investisseurs vont-ils déserter l'archipel désormais ? En tout cas à travers le séisme du weekend dernier, l'humanité a pu une fois de plus - comme elle aime à le faire depuis trente ans - contempler en boucle (via ses grands médias) son infinie fragilité sur une écorce terrestre instable. Cela l'encouragera-t-elle à approfondir la recherche pour la conquête de l'espace au delà de notre atmosphère ? Aujourd'hui on pense davantage à interrompre le fonctionnement de nos centrales nucléaires, ce qui n'est pas précisément la meilleure solution pour aller de l'avant.
J'ai lu le papier de l'UPR sur le sondage qui donne Marine Le Pen gagnante du premier tour de l'élection présidentielle de 2012. En attribuer la paternité à l'establishment étatsunien me paraît un peu tiré par les cheveux (d'ailleurs l'article a été écrit un peu trop vite, cela se repère à plusieurs détails). Mais il est évident que notre oligarchie (comme le dit Méluche), qui est, pourrait-on dire, "spontanément" euro-atlantiste sans avoir besoin de prendre ses ordres à Washington, veut un 21 avril à l'envers avec Strauss-Kahn à la place de Chirac. Pas besoin d'être complotiste pour le deviner. On attend toujours notre "révolution tunisienne" pour déjouer ce scénario...
En parlant de Méluche, avez vous vu comme les Guignols dimanche dernier (dans leur récapitulatif hebdomadaire) le vieillissaient en l'appelant "Mémé-lenchon" ? C'est étrange parce qu'en le filmant jeudi soir avec mon caméscope j'avais aussi songé qu'il faisait de plus en plus "troisième république". C'est bien la première fois que mes pensées rejoignent celles des bobos de Canal+. Mais je crains que cela condamne le Front de gauche à plafonner à 6 %. D'ailleurs j'ai lu hier que le MPEP (un mouvement pour lequel j'ai de l'estime, comme pour DLR, tout en regrettant l'impuissance programmée de l'un comme de l'autre) est si dégoûté par l'absence de dynamique dans ce Front (notamment l'absence d'accord clair entre ses composantes et d'ouverture aux nouvelles composantes potentielles) qu'il n'appelle même pas à voter pour ses candidats au niveau national !
Quant à moi, il y a 15 jours, j'ai donné ma démission d'un groupe anti-impérialiste communiste car je ne me sentais pas suffisamment marxiste pour supporter leur optimisme méthodologique (et les aveuglements subséquents dans leurs grilles d'analyse), et jeudi soir je vois une personnalité résistante (authentiquement résistante au système politique actuel, et pas seulement sur un écran d'ordinateur) dans un restaurant chic des beaux quartiers... J'espère que j'y trouverai matière à réfléchir... et peut-être même à espérer un peu !
FD
ps : Ah zut ! j'ai oublié de parler de BHL qui, depuis qu'il est notre nouveau ministre des affaires étrangères de retour de Libye parle de pipe et de turlute autant de mots malseyants dans la bouche d'un soi-disant philosophe, et que les médias édulcorent dans la forme scientifique de "fellation"- une forme popularisée par le lapsus d'une ancienne ministre. Il y a des tendances lourdes dans la culture dominante : l'influence du X sur l'imaginaire, l'incapacité à aligner trois mots d'anglais correct (BHL a dit "make a blow-job" au lieu de "give") ou de le parler sans zezeyer comme Strauss-Kahn dimanche à télé.