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Le blog de Frédéric Delorca

"Propositions pour la politique étrangère du Front de Gauche"

26 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

Je mets à disposition du "grand public" ici un texte que le Temps des Cerises cette semaine a refusé de publier (je pensais pouvoir le publier dans le même format que le "Programme pour une gauche française" il y a 5 ans). C'est une contribution au débat actuel intitulée Propositions pour la politique étrangère du Front de Gauche. Vous pouvez aussi la lire ici :

 

 

Si elle vous intéresse, n'hésitez pas à la signaler à vos amis, ou à des cadres du Front de gauche et d'autres partis, à en débattre.

 

Pour ma part, n'étant pas vraiment un militant, mais simplement un humble sociologue, philosophe, et romancier, qui tente parfois de jouer son rôle de citoyen dans le débat collectif, je n'ai pas l'intention, comme le feraient les "grands intellectuels anti-impérialistes" que vous connaissez, d'envoyer des milliers de mails pour tenter de convaincre les gens de s'intéresser à ce texte. L'opuscule est là, maintenant faites en ce que vous voulez !

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Négocier ou mobiliser

25 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

assnat.jpgMélenchon marque des points et  Hollande ne faiblit pas au second tour malgré cette étrange affaire de Serial Killer qui a occupé les esprits cette semaine. C'est une bonne chose.

 

Grâce à sa personnalité, Mélenchon prend des voix un peu partout : au FN, aux trotskistes (de nouveaux cadres du NPA se rallient à lui), au PS, aux Verts. Peut-il se qualifier pour le second tour ? C'est peu probable. Et, si c'était le cas, ce ne serait pas forcément une très bonne nouvelle. Car, à supposer même qu'il puisse battre le président sortant (ce qui est assez douteux), il ne le fera que de quelques milliers de voix, ce qui n'est pas la meilleure formule pour la "révolution citoyenne". Sauf bien sûr si dans les 20 jours qui viennent le peuple français arrive à se convaincre de ce que le président du Parti de Gauche sait marcher sur l'eau comme le croit le petit peuple vénézuélien à propos de Chavez, ce qui offrirait à Méluche un potentiel de 60 %, mais celui-ci n'a pas a son actif autant d'héroïsme que le président bolivarien. Un Mélenchon vainqueur de Sarkozy par 50,1 % ne serait pas très bien armé pour affronter Mme Merkel et M. Monti, et, à supposer même qu'il aille à Berlin et Bruxelles défendre le programme du Front de gauche sur la base de sa "victoire" comme il s'engage à le faire, après une fin de non-recevoir de l'Allemagne, il agiterait en vain la menace d'une sortie de la France de l'Europe, car le "peuple de gauche", affolé par la propagande de la presse atlantiste, ne le suivrait pas.

 

Ainsi donc je ne crois pas que M. Mélenchon soit prêt pour un second tour. Sa base sociale n'est pas mûre. Mais qu'il approche les 20 % en continuant à faire passer dans la classe politique des idées comme celle de la poursuite des évadés fiscaux (comme il est en train de l'obtenir aujourd'hui), ou de la sortie de l'OTAN, serait hautement utile à notre pays, et c'est la moins mauvaise chose que on puisse espérer par les temps qui courent.

 

Est-ce qu'un Mélenchon à 18-20 % ferait perdre Hollande au second tour ? Si le candidat socialiste garde le cap de la sobriété, et ne gauchise pas son discours, il peut conserver une partie de l'électorat centriste, et, sûr du soutien des électeurs du Front de gauche qui se reportent de toute façon massivement sur lui, peut conserver son avance sur le président sortant - ceteris paribus, bien sûr, notamment pour autant que ne survienne pas dans le paysage un nouveau serial killer, une guerre ou toute autre calamité susceptible de raviver les réflexes de peur chez les électeurs.

 

Ensuite reste à savoir ce que le Front de gauche fera de ses 18 %... Je crois que le PC aurait tort de chercher des postes ministériels ou tenter un accord à tout prix avec le PS pour conserver son groupe à l'assemblée nationale, mais résistera-t-il à la tentation ? Mélenchon lui, devrait continuer à "mélenchoniser" les esprits, faire avancer l'idée d'une VIe république plus parlementaire et plus référendaire, faire de l'éducation populaire, et contribuer à blinder l'idéologie de ses troupes sur des sujets clés comme l'Europe et le non-alignement de la France (il y a encore beaucoup à réfléchir là-dessus). S'il s'agissait de négocier quelque chose à la veille des législatives, le plus important, je crois, serait qu'il tente d'obtenir par ce biais une dose de proportionnelle qui brise définitivement le lien de dépendance de la gauche à l'égard du PS. Mais qu'est-ce qu'il vaut mieux pour lui ? Entrer dans la négociation ou compter sur la mobilisation de ses troupes pour continuer les manifestations (voire lancer des grèves ?). Quand les socialistes sont au pouvoir les grèves faiblissent. La perspective de la VIe république (révolution citoyenne) peut-elle enrayer cette constante politique ? Le rassemblement de la Bastille a montré que les gens y croient et son prêts à se repolitiser. Cela sera-t-il vrai en septembre aussi ? Si Hollande devient président ,négocier ou mobiliser sera donc l'alternative ouverte à Mélenchon. En dernière analyse le choix de l'une ou l'autre option dépendra du degré de combattivité de la base sociale du Front de gauche (enseignants, petits fonctionnaires, étudiants, employés, voire ouvriers enlevés à l'extrême-droite et à l'abstention). Je ne suis pas très optimiste sur cette base après la débandade du dernier combat sur les retraites, mais qui sait. Parfois une certaine alchimie entre le leader et ses partisans produit des phénomènes inattendus.

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Marché culturel

24 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

J'accompagnais tantôt un copain auteur (qui s'autopublie) à une séance de dédicaces chez un libraire. Le type n'a eu presque aucun "client", un peu comme lors de mes propres dédicaces, et pourtant il est sur un créneau de livre plus porteur que le mien (livre avec photos), malgré l'envoi de 38 000 mails dans la mailing list de son blog (dont seulement 10 % d'ouvertures de mails il est vrai) et la distribution de 5 000 flyers dans des commerces à Paris.

 

p1000056.jpgLe libraire lui donnait des conseils pour accéder à des diffuseurs, et aussi pour attirer le chaland : notamment de tuyaux pour modifier la couverture de son livre. C'était assez terrible, parce que je voyais bien qu'à mesure que le libraire parlait il remettait complètement en cause le projet de mon ami. Le message était  : "si tu veux te vendre standardise toi, tant pis si tu dévoies ce que tu fais". C'était très violent.

 

En écoutant ça je songeais évidemment aux refus de publication auxquels je me suis heurté récemment. Au fond il n'y a rien d'original là-dedans. Nous sommes des milliers à créer, à avoir des projets dans tous les domaines (et encore on ne parle que de livres ici mais il y a aussi ceux qui font des films, qui se prennent pour des DJ etc). Chacun est dans sa petite bulle, à fignoler son concept, dans son rêve. Dans la vie réelle, tous ces projets, tous ces rêves, créent un effet de trop plein (il y a trop d'offre, et le libraire racontait notamment les efforts incroyables qu'il faut fournir pour être sur les étals d'une Fnac après avoir séduit une vendeuse, puis son chef de rayon, puis le chef au dessus etc). Dans ces conditions, les gens pour se faire connaître doivent à la fois 1) se montrer (dans les salons par exemple), 2) élaborer des statégies, 3) raboter beaucoup leur approche de leur propres projets pour entrer dans des "cases" calquées sur les attentes réelles ou supposées d'un public.

 

Bien sûr cette loi du rabotage est très cruelle, et de nature à tuer toute créativité puisqu'elle voue tout à la standardisation. C'est ainsi que le marché a de fait liquidé toute orginalité. On a beau le savoir dans l'abstrait, il est toujours intéressant de le vérifier à nouveau in vivo, dans un échange avec un professionnel.

 

De même j'ai découvert une fois de plus de choses que j'avais vécues précédemment mais qu'il est utile de voir se confirmer chez des tiers (car ça prouve que ce n'est pas lié à l'idiosyncrasie de tout un chacun), notamment sur le rapport des gens à la dédicace (leur façon de promettre sur Facebook qu'ils y seront, de ne pas venir ensuite, le rapport d'évitement que les clients de librairie ont souvent à l'égard de l'auteur qui dédicace dans son coin, ce qui rend assez vain l'exercice finalement).

 

Toute la folie de ce monde saturé de productions littéraires et artistiques vouées à ne trouver aucun débouché pourrait convaincre le créateur de rester finalement dans les délices du plaisir solitaire (de l'écriture, de l'expérimentation loin des foules) en faisant définitivement son deuil de l'idée-même d'avoir un public, tant il est vrai qu'il vaut mieux pouvoir se reconnaître dans ce qu'on fait que produire du vent bien adapté au conditionnement marketing.

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Le Mali, victime collatérale de la politique française

22 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

mali.jpgEn 2011la France s'investit dans une politique tape-à-l'oeil en Libye qui démantèle les structures étatiques de ce pays et y impose le règne des milices. Les armes de l'Etat libyen et les combattants touaregs qui travaillaient à sa défense se répandent dans le Sahel. Le mouvement autonomiste du nord du Mali qui jusque là n'usait que d'une voie politique trop heureux de voir ces nouveaux moyens militaires affluer se constitue en guérilla. L'armée malienne mal préparée est vite débordée et perd des villes. La France, par la voix de M. Juppé, hésitante, au début de 2012 appelle bizarrement les deux parties à un "cessez-le-feu" (comme s'il s'agissait par un gel des positions de valider les acquis de la guérilla sur le terrain). Aujourd'hui, l'armée malienne exaspérée vient de renverser le gouvernement démocratique et replonge ce pays pauvre dans la triste expérience dictatoriale qu'il a connue dans les années 1970-80. Perdants : la démocratie, la paix, les chances de développement, le peuple. Merci le gouvernement français !

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Loi du silence

22 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Actualité de mes publications

Il est clair que le fait que les éditeurs refusent mes manuscrits pour des raisons "commerciales" est lié à la loi du silence qui existe à l'encontre de mes productions sur le Net. Si l'on fait une recherche par mot clé sur le Yahoo par exemple, on se rend compte qu'à part un site "anti-conspirationniste" qui parle de moi (sur un mode diffamatoire et totalement infondé, ce qui justifierait une plainte en justice, mais j'ai d'autres chats à fouetter), seul le blog La Lettre volée évoque parfois ce que j'écris. Parmi les lecteurs de la Lettre volée, beaucoup sont des blogueurs anonymes, qui se citent beaucoup entre eux. Aucun n'a jamais pris la peine de me mentionner (prenez par exemple le cas du blog du soi-disant "Joe Liqueur" qui pourtant cite énormément de gens de cette mouvance sans dire un mot du mien).

 

La seule tentative de briser cette loi du silence l'an dernier fut le billet d'Evelyne Pieiller sur mon livre "Abkhazie" dans Le Monde Diplomatique. Mais c'est un article qui n'est pas référencé sur Google, ce qui laisse entendre que ce journal s'est arrangé pour qu'il n'ait pas de visibilité sur le Net.

 

Tout cela est d'autant plus absurde que, pour ma part j'ai créé un blog (celui de l'Atlas alternatif) qui passe son temps à citer les articles des autres (le livre lui même était conçu pour créer des dynamiques collectives inter-courants). Or au niveau de la réciprocité ce blog-là est à peine mieux servi que celui-ci, quoique cependant il soit quand même mentionné en lien par une dizaine de petits sites, et que ses billets soient souvent traduits par un site italien.

 

La loi du silence autour du présent blog m'a souvent arrangé car elle me conférait une certaine liberté et je n'ai pas cherché à la remettre en cause. Toutefois le fait qu'elle contribue aujourd'hui à bloquer mes possibilités de publication de livres est une donnée nouvelle (puisque pendant deux ans le Cygne n'en avait pas tenu compte). Je ne suis pas à même de juger de la perte que constituent pour mes contemporains ces obstacles mis à la diffusion de mes travaux, mais au moins il faut admettre que ces obstacles sont une réalité objective, dont je ne suis nullement l'inventeur.

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Hypnotic Tango

21 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Encore un refus de publication ce matin, de l'Harmattan dans une collection qui pourtant publie de sacrées nullités (dont le livre dont je parlais récemment qui confond Heidegger et Sartre). Eux, le Cygne, les Arènes sont déterminés à me foutre la tête sous l'eau et me pousser vers Edilivre. Il est épuisant de marcher contre le vent. Je suis bien conscient que, malgré mes efforts pour concentrer ce que j'ai à dire en seulement deux livres, ces deux ouvrages vont finir chez Edilivre. Les autres éditeurs avec leurs arguments commerciaux à deux balles me font gerber.

 

Mais tant pis, si c'est Edilivres, va pour Edilivres. Je m'en fous complètement.

 

De toute façon, il y a tellement de sujets plus importants. Par exemple la question de savoir si on va pouvoir bouffer Burger King ou Autogrill à Saint Lazare, hein ? ça c'est bigrement important. Comment les "marques" ont fait des annonces et des démentis - les "marques", parce que c'est bien la  "marque" qui compte, pas ce qu'on bouffe ni le sourire de la vendeuse. Méditez, mes amis, méditez. Cet article capital est ici. A lire plusieurs fois, jusqu'à l'hypnose, comme tout ce que le monde de l'édition et des médias nous sert, c'est tellement plus planant !

 

 

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Evocations de Djamila Boupacha, serial killers, changements de religions

21 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous

Au milieu des mièvreries qui entouraient le commentaire de l'assez mauvais téléfilm sur l'affaire Boupacha hier soir, Frédéric Taddei dans son émission a posé la seule question rationnelle intéressante : y a t il une seule armée au monde qui n'ait pas utilisé la torture lorsqu'elle occupait un territoire étranger ? La question de Taddei n'a pas reçu de véritable réponse sur son plateau. Je suppose qu'en réalité certaines armées ont dû s'en abstenir : l'armée fasciste en Albanie par exemple. Mais peut-être n'étaient-elles pas réellement confrontées à une résistance déterminée ? L'armée napoléonienne a-t-elle torturé en Espagne ?

 

goya.jpg

Personne sur le plateau n'a répondu, parce qu'au fond la discussion ne visait qu'à opposer la "douleur" des résistant(e)s du FLN à la cruauté de l'armée française, en stigmatisant la "honte" d'avoir érigé la torture en système. Quelqu'un a demandé si Simone de Beauvoir s'était souciée de savoir si Boupacha avait réellement ou pas déposé une bombe dans un café de civils et si elle ne l'aurait pas soutenue, comme si elle et Sartre n'avaient pas soutenu des terroristes qui avaient du sang sur les mains en d'autres circonstances (dans les années 70 par exemple).

 

L'on faisait ainsi "comme si" on n'était pas passé d'une religion à l'autre : d'une religion de la manifestation d'une liberté politique par l'acte destructeur, à la religion du culte des individus et de sa souffrance. En faisant comme si, en 50 ans, l'intelligentsia n'avait pas changé de religion, on faisait comme si de Beauvoir avait défendu la nôtre, celle d'aujourd'hui, dans les affaires d'hier, ce qui n'était pas la chose la plus intelligente à faire.

 

La question de l'usage systématique de la torture face à des civils combattants qui usent de tous les moyens (y compris du meurtre d'autres civils) pour parvenir à leurs fins reste un problème épineux, comme on le voit aujourd'hui avec l'affaire de Guantanamo, la torture étant en réalité le seul moyen de démanteler, dans une masse indistincte de civils, une menace tournée vers d'autres civils (son efficacité dans la bataille d'Alger a été prouvée et a fait école, aux Etats-Unis en particulier). Mais on ne peut s'empêcher de songer que ce procès sur les moyens n'a au fond pas énormément de sens. La seule interrogation pertinente (et plus facile à trancher) se situant plutôt en amont : oui ou non le colonialisme (dont la torture n'était qu'un moyen de perpétuation) était-il légitime ? A cela il est aisé de répondre bien évidemment "non", même si on comprend que divers contemporains du colonialisme, aveuglés par divers mythes comme la foi dans une "mission civilisatrice" n'aient pas eu les idées claires là-dessus.

 

Dans une déclaration de 72, à une question sur sa propre expérience Boupacha répondit que "tout le peuple algérien" qui resistait depuis 1830 a été torturé. Façon d'élever le niveau de la discussion à une dimension réellement politique et non humanitaire : le colonialisme en soi était une torture, une torture politique. C'est peut-être pour ne pas descendre de ce niveau de conscience historique que l'ancienne résistante ne s'est pas abaissée à se rendre sur le plateau de Taddei pour en discuter.

 

Mais cette conscience historique de Boupacha procède sans doute elle-même d'une conviction philosophique (ou religieuse) voisine de celle de de Beauvoir et étrangère à la nôtre. Le culte d'un mouvement d'émancipation collective qui légitime qu'on tue 20 personnes dans un café pour provoquer une dialectique de la répression. Je veux dire que face à un colon grec qui exploitait tranquillement ses terres africaines commes Synésios au IVe siècle de notre ère en asservissant la population locale et repoussant les tribus nomades par le glaivre, comme l'avaient déjà fait ses ancêtres pendant mille ans personne en Libye ne s'était jamais proposé d'aller massacrer le maximum d'aristocrates grecs pour accélérer une répression qui favorisaient l'émergence d'une libération nationale des autochtones. On était là dans un autre dispositif de croyance dans lequel aucune des problématiques du XXe siècle ni du XXIe ne pouvaient avoir leur place.

 

Ces différences de dispositifs de croyances me font penser au serial killer qui émeut tout le monde en ce moment. A chaque fois qu'une histoire comme celle-là apparaît (comme en Norvège l'autre fois), je songe au tueur du Fantôme de la liberté de Bunuel campé dans la tour Montparnasse, et à l'éloge de la tuerie par le surréalisme de l'entre-deux guerres. Là encore le dispositif de croyance dans cet imaginaire artistique était autre. Focalisé sur la puissance de l'acte et non sur la souffrance des victimes.

 

Indépendamment de la question de savoir si le tueur qui fait la "une" de l'actualité aujourd'hui est manipulé ou de savoir qui en tire profit en période électorale, il est clair que le fétichisme actuel autour de la souffrance des individus (et notamment des enfants et des minorités) pousse les folies subversives à se rechercher l'écrasement de cette individualité érigée en valeur suprême. Les deux phénomènes antagonistes se nourrissent réciproquement l'un de l'autre. Et ce n'est pas prêt de changer, car le pessimisme sur les chances de survie de notre espèce et de notre écosystème encourage l'absolutisation des particularités hic et nunc des particularités des individus et de leurs affects.

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"Paris" de Depardon

17 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Quel merveilleux film, et quel dommage qu'il n'y ait même pas sur Internet une bande annonce ! De la philosophie en acte. De la philosophie du cinéma (un peu comme The Artist dans un sens), de la philosophie de l'image, philosophie de la quête, de la recherche du réel. Mi-documentaire mi-fiction. Magnifique. La gare Saint Lazare avant les travaux. Celle que je fréquentais si souvent l'année même où Depardon tourna, en 1996. J'avais trois ou quatre ans de plus que les filles que sa caméra arrêtait. Une autre époque. Des filles de banlieue, mais pas les mêmes qu'aujourd'hui. Moins de rimel sur les cils, des nanas qui emploient des mots qu'on n'utilise plus (comme le mot "débile"), aucune "black" aucune "beur" parmi ces filles interrogées (peut-être parce qu'elles étaient moins visibles, elles frôlaient plus les murs, un cinéaste n'était pas sensibilisé au devoir de diversité). Ca fait bizarre. C'est un autre Paris qu'aujourd'hui, une autre jeunesse. Une étudiante provinciale devenue comédienne après sa khâgne, une fille en AES qui a une présence digne d'une grande grande actrice, d'autres qui n'ont d'autre hâte que de fuir, une prolote qui raconte ses "prises de tête" avec sa belle famille. Belles images en noir et blanc. Sens de l'attente, du mystère, esthétisation du quotidien, du banal, d'un certain échec, du sublime dans la tension, dans l'impossibilité de voir, de dire, d'explorer. Ce film m'avait scotché en 1998. Me scotche toujours. Dommage qu'il ne soit même pas dans le coffret de rétrospective Depardon, alors que dans le bonus du DVD vendu séparément Depardon explique combien cette oeuvre a compté dans sa carrière. A la même époque je faisais un journal vidéo. Je n'ai jamais trouvé de professionnel pour le numériser. Je vais chercher encore. A la même époque Dominique Cabrera sortait son propre journal vidéo (après que j'aie commencé le mien, elle ne m'a donc pas influencé), et montrait le chevènementiste Didier Motchane dans son lit. Motchane qui vient d'appeler à voter Mélenchon, mais ça n'a rien à voir, juste une parenthèse.

 

Voici la critique des Inrockuptibles en 97 sur "Paris" de Depardon.


paris-depardon.jpgUn cinéaste cherche une femme dans la foule parisienne afin de faire un film. A partir de ce germe d'histoire, Raymond Depardon instaure une série de couples antagonistes qui racontent le désir, le passage du temps, des fragments de vie, le cinéma. A la fois documentaire, fiction, reportage sur un film en train de se chercher, Paris est une oeuvre superbe sur les lieux réels et les liens rêvés.

On peut faire du cinéma avec presque rien...", murmure, un peu hésitant, le personnage principal de Paris, le nouveau film de Raymond Depardon. L'aveu du dé-pouillement a la valeur ici d'un pari : Depardon va à l'essentiel, se dénudant jusqu'au "presque rien" d'une oeuvre a priori sans contenu. Tout est dans le "presque", bien sûr, puisque suffit ce tremblé du désir pour que naisse le continu des images, magnifiques. Car Paris est un très beau film sur le désir, le passage, le temps. Un film sur le cinéma, donc. Son "héros", photographe sans nom et double transparent de Depardon, veut réaliser un film dont il sait peu de choses, sinon qu'il se fera à partir d'une femme. Il ne l'a pas rencontrée, cette "personne" qu'il préférerait "pas trop disponible", pas encore comédienne, venue plutôt de la vraie vie.

La trouver, c'est pour lui trouver le sujet de son film : le portrait en mouvement d'une "fille simple", les gestes à incarner d'un être réel, qui travaillerait, ne tricherait pas. Il n'ira pas la chercher en Afrique, cette fois, mais sur les quais de la gare Saint-Lazare, aux heures de pointe, à la fin de l'hiver, quand la lumière hésite entre le noir et le blanc, le matin et le soir. Pour l'y aider, il engage une spécialiste du casting. Le film s'ouvre ainsi sur un étrange contrat, qui instaure un authentique suspens et suggère déjà, sans qu'aucun des deux ne se l'avoue jamais, la figure d'un couple. L'homme et la femme ont installé une caméra : et dans le cadre clos de l'image et de la gare entrent des corps, sortis par flots des trains de banlieue, improvisant la chorégraphie quotidienne d'une foule pressée, d'une ville au travail. L'homme guette les visages, attend le miracle d'une rencontre : "Il faut que ce soit une surprise", dit-il, même s'il ne croit pas au coup de foudre. Et tandis que la caméra cherche encore son sujet, le film a déjà commencé, comme si le cinéma était revenu à l'étonnement de ses origines, à la lumière du premier train entré en gare...

Paris raconte en effet, à partir du dispositif ainsi posé, la naissance des images. Le film ne déviera jamais de ce projet, s'y tiendra dans son entier. L'homme hésite, pourtant : "C'est difficile de passer à l'acte", d'arrêter quelqu'un, de passer du regard à la parole. La femme lui propose alors de rencontrer de jeunes comédiennes et le deuxième tiers du film sera fait de ces rencontres au café, de ces approches où l'on ne sait plus, dans le jeu de séduction réciproque, ce qui sépare la fiction de la réalité. Ces jeunes femmes parlent de leur vie, de leur mère, de leur passé. Jouent-elles ? Le cinéaste se méfie de leurs artifices, comme de son propre désir : il a peur de tricher, de manquer la "matière" de la réalité. Aussi revient-il aux passantes : cette fois, la spécialiste du casting les arrête, il les rencontre et leurs conversations se succèdent à l'écran comme autant d'instants, bouleversants, de vérité. Trouvera-t-il pourtant celle qu'il cherchait ? Il serait dommage de le dévoiler, même si l'on devine que le plus important est fait : le film est là, achevé, qui s'est construit à la recherche de lui-même, qui s'est tourné presque malgré lui, dans une quête devenue objet.

Est-ce alors un documentaire ? Un reportage à peine déguisé sur une oeuvre en train de se créer ? Pas tout à fait. Poussant le trouble plus loin encore que dans Empty quarter, par exemple, Depardon brouille les données de l'autobiographie pour faire naître une histoire. Toujours la même, bien sûr, qui met en scène un homme et une femme, la solitude et l'altérité. Paris est à ce titre un grand film double, qui multiplie sans cesse par deux le pari de son projet, et avance par couples antagonistes : lui et elle, le regard et la parole, l'individu et la ville, la fiction et la réalité, l'artifice des comédiennes et la vérité des femmes rencontrées... Sur un tel sujet, on pouvait craindre le cliché, le poncif romanesque, l'éternel topo romantique. La force du film est d'en tirer un dispositif absolument original, qui remonte le temps et joue sur la durée, instituant un système fascinant d'échos et de miroirs croisés. Au couple initial du cinéaste et de la directrice de casting répondent ainsi les rencontres avec les jeunes femmes, elles-mêmes dédoublées en deux séries successives : les comédiennes et les "personnes" anonymes.

Le décor ne change jamais : c'est celui des salles de cafés aux abords de la gare, des reflets de néons dans les vitres ou des bruits venus des quais. Et dans la réalité superbement rendue de ces lieux qui se répètent, c'est un peu la même parole qui est reprise, difficile, ponctuée par le "je ne sais pas" du cinéaste confronté à la différence des visages. Celui-ci cherche la femme, en rencontre plusieurs, mais ne sait pas leur parler. Son indécision est l'aveu de son aveuglement, de son désir qui ne réussit pas à s'incarner. Toutes parlent d'elles, de leur quotidien et de leur travail, qu'elles appartiennent à la fiction ou à la "vraie vie", ou qu'elles participent parfois des deux ­ ainsi Sylvie Peyre joue-t-elle à l'écran son rôle réel d'assistante de réalisation, comme autrefois Françoise Prenant, extraordinaire actrice et monteuse d'Une Femme en Afrique. Toutes le renvoient à la contradiction de sa solitude, qui l'enferme dans le rêve d'un film à faire ­ d'une histoire à vivre ­ sans qu'il réussisse à "passer à l'acte". De ce fait, le film peut s'apparenter lointainement au parcours d'une analyse, où tout est déjà là, dans l'attente seulement de se dire. Mais la parole est rétive et les seuls mots qui viennent font peur, parce que ce sont des mots d'amour, forcément : "Tu ne m'empêches pas", murmure l'homme, sans qu'on sache s'il s'agit seulement "de voir"... On devine en tout cas qu'il y a beaucoup de Depardon dans ce personnage s'interrogeant d'abord sur soi (Luc Delahaye, qui l'incarne très justement, est luimême photographe) et qui annonce dans le dernier plan qu'il va repartir, pour fuir peut-être, ou tenter ailleurs de se trouver, à la faveur d'un nouveau reportage...

Assez franchement autobiographique donc, Paris s'ouvre néanmoins aux autres : si la parole est difficile, le regard, lui, est braqué sur la grande ville, les gens qui la parcourent, les visages que l'on y croise. Depardon reprend ici le motif de la "passante", celle de Baudelaire relu par Walter Benjamin, celle aussi que rêvaient d'arrêter dans la foule André Breton et les surréalistes. Mais à la différence de ces derniers, le cinéaste de Faits divers ne cherche pas l'idéalisation : ce qu'il guette, chez les jeunes femmes rencontrées, c'est d'abord leur vérité, l'expression immédiate d'un quotidien qui se donne, très vite, dans le cours improvisé de la conversation. La beauté naît ici du réel le plus simple, dans l'aveu des douleurs voilées, les histoires d'adultère et d'amour, la fatigue du travail. Ouvrant ses micros aux bruits de la ville, le cinéaste écoute ces témoignages et doit pour les entendre regarder les visages de celles qui osent ainsi se livrer, étudiante ou vendeuse, simple amoureuse de la gare, toutes incroyablement spontanées.

Depardon sait saisir la beauté fragile d'une main, la suspension soudaine d'un sourire, la dureté d'un regard refusé. L'épure du dispositif atteint ici sa vérité : c'est la vie qui entre dans le cadre, volée autant qu'offerte, puisque le mouvement d'un visage dit autant que la parole donnée, puisque c'est l'oeil de la caméra qui reconstruit la vérité. Cette vérité dépasse l'enquête sociologique, car les jeunes femmes anonymes ne racontent pas autre chose, en définitive, que les comédiennes qui cherchaient à se faire embaucher pour le "film dans le film". Sur des modes divers, aux lisières de la fiction et de la réalité, chacune reprend en effet le motif du rapport à la ville, qu'elle soit "montée" de province pour s'installer dans l'un des arrondissements de la capitale ou qu'elle prenne quotidiennement le train de banlieue pour venir y travailler. La singularité de ces destinées, banales ou plus mystérieuses, trouve ainsi dans Paris un lieu de partage : actrices ou simples employées, les jeunes femmes sont comme des images en mouvement de la ville. La grâce du film, c'est d'avoir su les inventer autant que de les arrêter, pour les réunir en un regard qui ne les tienne pas prisonnières, mais s'ouvre à leurs gestes, à leur monde. Seraient-elles les captives de Paris, le désir du réalisateur suffirait à les en délivrer. Loin du désert, plus proche peut-être de son vide que jamais, Depardon s'affirme ainsi comme un grand cinéaste des lieux réels et des liens rêvés.

 

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