"La France byzantine" de Julien Benda
Il y a quelques semaines j'ai attiré l'attention des lecteurs sur ce petit livre de Marcel Aymé "Le confort intellectuel" qui condamne le tournant de la pensée romantique vague et nébuleuse pris par l'Europe au XIXe siècle (et jusqu'aux années 50).
Je retrouve ce trait chez un auteur dont je suis politiquement plus proche, Julien Benda, et dont il faut lire "La France byzantine" paru chez Gallimard en 1945 puis réédité post-mortem l'année de ma naissance en 1970 chez 10-18. Il y dénonce le culte de l'évanescent, de l'abcons, de l'ineffable, de l'instable. De très belles formules chez Benda. Par exemple sur le principe de la disponibilité des idées : "Le dogme de la disponibilité apprécie l'idée, non pas selon leur justesse, mais selon la jouissance - la 'fruition' (p. 32) - qu'elles semblent promettre à qui s'y livre" (et combien ce principe fut employé ! surtout dans le sillage de la pensée 68). Au nom du principe de disponibilité, note Benda, il faut que toutes les idées soient disponibles tout le temps, ce qui implique une volonté de ne rien choisir, d'être dans la totalité tout le temps, le refus de l'analyse et de la distance à l'objet, le goût de l'ésotérisme avec un fort esprit de caste pour le défendre.
Benda note que ces fantasmes funestes de la littérature de la première moitié du XXe siècle, de Gide, Valéry, Mallarmé (qui allaient devenir ceux de la philosophie dominante de 1960 à 90) sont glacés et dépourvus d'émotion ou de générosité humaine. Il y voit le fruit d'un divorce entre littérature et intellectualisme que le classicisme français avaient réconciliés.
Il est toujours bon de revenir à la critique de l'évolution de l'histoire littéraire de notre pays et de l'Europe (que notre pays influença beaucoup, tout en étant influencé par elle). Car la littérature a forgé notre philosophie, et l'ensemble s'est infiltré dans divers aspects de la vie sociale (les valeurs politiques, les rapports sentimentaux etc).
Je ne suis pas sûr que les contre-révolutions rationalistes façon Bouveresse ou Chomsky puissent contrebalancer un jour cette dérive de deux siècles.
Ce serait pourtant nécessaire dans divers domaines comme la politique. Je lisais récemment des billets, sur les meurtres de chefs d'Etat commandités en Occident, ou sur l'hostilité des Français aux livraisons d'armes à la Syrie, qui heurtent le romantisme politique pro-occidentaliste (celui d'un Cohn-Bendit si l'on veut), tout en pouvant favoriser à l'excès le romantisme anti-occidental (et ses délires complotistes). Voilà des domaines où l'auto-discipline rationaliste doit fonctionner à plein rendement. Et dans ce domaine l'héritage de Benda est précieux.
Les gardiennes du sexuellement correct
Sur le mur d'un correspondant sur Facebook, j'ai trouvé le point de vue de l'ex-star du X Ovidie à propos des Femen. Un point de vue assez modéré et plein de bon sens.
Ovidie, 33 ans, est une illustration de la question de la reconversion des stars du porno dont parle Trachman dans son livre (et dont elle même parle dans le documentaire "Rhabillage"). Quand on parcourt l'accroche de ses billets sur metrofrance, on se rend compte que, comme c'était le cas auparavant avant Brigitte Lahaye, ils véhiculent pour la plupart un discours assez normatif sur ce que les filles doivent faire et ne pas faire. Elle cherche toujours à délimiter le bon goût. C'est sans doute un condition de légitimité du "féminisme pro-sexe" dont elle est une des fondatrices en France (je pense qu'à cette mouvance on peut rattacher Marcela Iacub et Morgane Merteuil). Bizarre quand même que, dans ce domaine pour affirmer une valeur il faille critiquer les égarements des autres. C'est peut-être un symptome de l'hypernormalisation des positions libertaires dans nos sociétés.
Stand by
Ma position personnelle est très simple : j'ai rendu des services, je n'en rends plus. J'ai rendu service aux bombardés des Balkans et d'ailleurs mais ils (ou du moins leurs représentants en France) s'en sont foutus, j'ai rendu service au Front de gauche en allant servir un de ses maires en banlieue (sans aucune suite depuis lors), en rédigeant un programme de politique étrangère pour cette mouvance que ses responsables n'ont même pas eu la courtoisie de commenter, au journal Bastille-République-Nations en écrivant des articles pour eux, à telle ou telle personne en faisant telle ou telle chose, à tel éditeur en écrivant des journaux de voyage pour lui etc. Bref, j'en ai beaucoup fait pour les autres. Passé 40 ans, j'arrête les services. J'ai ma position, et j'attends que les autres y viennent, s'intéressent à elle en tant que telle, non comme faire-valoir de leurs propres idées ou de leurs propres ambitions. Cette position s'exprime sur mon blog, avec son style propre, sa propre manière de poser les problèmes. Mon manuscrit sur mes 15 ans d'engagement (celui dont personne ne veut) est chez un éditeur. Je ne sais pas s'il va être publié. Si cet éditeur s'y intéresse ce sera une première : la première fois que quelqu'un vient soutenir ma vision à moi, et ne se borne pas à ce que j'aille appuyer la sienne. Un soutien éditorial peut donner un statut à ma démarche, et une perspective d'amplification de mon action.
Mais rien n'est acquis là dessus, et même nous en sommes loin. Tant qu'il n'y aura pas de soutien éditorial à mes écrits, je me contenterai d'un bricolage anecdotique sur ce blog.
Théroigne de Méricourt, Claire Lacombe, 1789, et les folies du XVIIIe siècle
Le 12 février dernier sur la chaîne "Public Sénat" M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, universitaire normalien et amoureux de Péguy, donnait la parole au psychanalyste Daniel Sibony sur le mariage homosexuel au nom de sa sympathie pour cette "science" et du refus de voir les pouvoirs publics disqualifier une "science" plutôt qu'une autre. M. Sibony critiquait la disparition des mots qui reliaient le mariage à la différence sexuelle et s'inquiétait du refus de l'autre sexe comme principe structurant de l'homoparentalité. Jean-Pierre Winter interpelait sur le risque de "mensonge d'Etat" qui passe sous silence la filiation naturelle. Dans l'ensemble les psychanalystes invités au Sénat insistaient sur le côté un peu "stalinien" du projet de loi qui veut changer les mots à défaut de pouvoir changer le réel. Sauf Mme Roudinesco qui à l'assemblée nationale comme au Sénat soutenait le "mariage pour tous".
Je me demande s'il est bien légitime d'offrir pareille tribune à la psychanalyse, mais cela semble courant dans les deux assemblées sur les sujets de sociétés, et la présence de parlementaires normaliens sert sans doute à cela.
En parlaint d'Elisabeth Roudinesco, je lisais hier son "Théroigne de Méricourt" (1989), principalement pour combler mes lacunes sur le premier féminisme de 1789.
D'un côté son travail est trop unilatéral à mon goût, trop favorable à l' "héroïne" du livre, là où il eût mieux valu examiner à fond les points de vue de ses adversaires, mais que voulez vous la recherche française est ainsi faite depuis 30 ans, surtout chez les quasi patrons de PME médiatique comme Mme Roudinesco qui se doivent de briller auprès de leurs pairs plutôt que d'examiner sous tous leurs angles les faits dont ils prétendent rendre compte (l'absence de la culture des faits est pour beaucoup entre autres dans nos emballements pour ou contre les guerres, encore aujourd'hui, mais je ne m'étends pas, ce point ayant été déjà longuement développé sur ce blog).
Néanmoins dans ce livre on découvre des choses intéressantes. La menace du césarisme présente dès les premières phases de la révolution (La Fayette, Dumouriez). La sagesse de l'empereur d'Autriche Léopold à l'époque de la révolution française qui avait fait abolir la peine de mort en Belgique, sauf dans les cours martiales, preuve que les gouvernements de droit divin inspirés par les philosophes pouvaient donc sur certains points aller bien plus loin dans le libéralisme que les démocraties (la France n'abolit la peine capitale qu'en 1981). Son fonctionnaire Le Blanc fut bien mal récompensé de sa probité Théroigne de Méricourt qu'il sortit de la geôle où les aristocrates français l'avaient fait jeter dans le Tyrol. La présence dans la révolution française du côté des "patriotes" de gens complètement paumés et folkloriques un peu partout - comédiens ratés, aristocrates déchus etc - dont la belge Théroigne de Méricourt, avec sa démence latente que la Terreur montagnarde ne fera qu'exacerber, est un exemple frappant. Le sexisme évidemment qui finit par reléguer les femmes au rang de furies terroristes à défaut de leur accorder des droits politiques (voir le cas de Claire Lacombe, il faudrait que je relise ce qu'Horkheimer écrivait sur elle), mais le FLN ne fit-il pas, mutatis mutandis, la même chose avec les combattantes algériennes dans les années 60 après avoir exploité leur ardeur belliqueuse ? (je dis bien mutatis mutandis car aujourd'hui l'assemblée nationale populaire algérienne accueille heureusement de nombreuses femmes).
Le récit de Roudinesco me fait relativiser le révisionnisme de Châteaubriand et Bernanos qui décrivent la noblesse française comme très ouverte au changement. Révisionnisme honnête dans le cas de ces deux personnages, surtout le premier, qui ont été sincèrement désireux de redorer le blason de la révolution dans leur milieu familial qui la détestait, et révisionnisme auquel j'ai failli croire en me fondant sur des cas isolés comme les grands parents de Georges Sand, mais, quand on voit les abjections dont les royalistes parisiens et les émigrés furent capables à l'encontre d'Anne-Josèphe Théroigne, on comprend que l'esprit de la noblesse, malgré le "potlatch" de la nuit du 4 août, n'était pas ce qu'il y avait de plus vertueux et de plus fiable pour construire une nouvelle France. En parlant de "potlatch" (car cette nuit du 4 août reste quand même un cas de délire collectif particulièrement mystérieux), voilà qui nous renvoie aussi à ce que j'ai dit plus haut des personnages "folkloriques", et qui fait penser à cette année 1789 où le vin coulait à flot qu'évoque Bernanos (et qu'il oppose à la grisaille du XIXe siècle). Il y avait dans le XVIIIe siècle français et européen, du côté des nobles (conservateurs ou progressistes) comme de la bourgeosie, beaucoup de spontanéité irrationnelle des sentiments (ce qu'on retrouve aussi dans les mémoires de Casanova) et de folie qui nous rendent cette époque très exotique, et expliquent aussi une bonne part de ses audaces politiques, scientifiques et philosophiques, dont la nôtre, malgré ses crédos "constructivistes" (façon gender theory), technicistes (façon transhumanisme), et ses provocations à deux balles (façon Femen) est au fond bien incapable...
Sortir L.Fabius de l'alignement atlantiste
En Syrie, nous devons rester neutres, nous n'avons pas le choix. Entre Assad et Al Qaida il ne faut pas choisir. Mais quelle mouche pique alors M. Fabius de vouloir imposer au forceps (avec son homologue britannique), contre une Allemagne réticente, des livraisons d'armes à l'opposition ? Que veut-on ? L'éclatement de la Syrie entre régions alaouites et sunnites ?L'affaire ouvre en tout cas à l'ex-journaliste du Figaro Magazine Vernochet les portes de la radio iranienne.
Au Venezuela je trouve l'ambiance bizarre, entre la dévotion (la volonté d'embaumer Chavez, mais qui se manifeste trop tard paraît-il), la rumeur lancée par Maduro selon laquelle l'extrême droite floridienne veut flinguer l'opposant Capriles (cela rappelle celle sur le plan de Sarkozy pour tuer Chavez), et le attaques de Capriles justement contre la famille de Chavez. La politique n'a pas bon goût ni bonne odeur là-bas, je redoute un après-Chavez particulièrement délétère, d'autant que le pétrole va s'en mêler (Maduro a confirmé l'intention de réorienter le pétrole vénézuélien vers la Chine).
En Irak le régime de Maliki demande aux USA des Patriots, tout en signant des contrats pétroliers avec la Russie... Et en Afghanistan KarzaÏ insulte ses patrons américains.
Toutes ces sources d'instabilité devraient inciter la France à se dégager de son alignement sur les Etats-Unis pour construire une diplomatie originale... Au lieu de cela elle n'hésite pas à couvrir aujourd'hui la répression à Djibouti, comme elle l'a fait au Bahrein en 2011 poursuivant la logique de Realpolitik atlantiste qui nous aliène l'estime des puissances émergentes et de leur opinion publique. Comment faire sortir M. Fabius de cette ornière ?
Francisco Primero
L'Amérique latine pleure encore Hugo Rafael Chavez Frias. Mais peut-être trouvera-t-elle un semblant de réconfort dans le spectacle des gestes simples de ce nouveau pape argentin qui choisit le nom du saint qui parle aux oiseaux et, au balcon de la place Saint Pierre, commence son pontificat par un humble Pater Noster, la plus sobre des prières, celle de la modestie. Je ne connais rien de ce pape. Mais ces premiers gestes me plaisent.
Bon, au fait, pour les moins de 25 ans qui tombent sur ce blog et n'ont aucune formation religieuse (et pour la traductrice de TF1 qui visiblement n'a jamais récité aucune des grandes prières catholiques, cf ci dessous), voici un cours de rattrapage en images, qui résume en 15 mn les Evangiles, signé Olaf Encke et Claudia Romero... (après on dira que je ne fais pas d'efforts pour éduquer la jeunesse...). Bon on n'est pas obligé d'aimer cette histoire de l'agnus dei dont Marie de Magdala est la véritable héroïne, bien-pensance féministe oblige (un des auteurs allemands du court-métrage s'en explique ici)... Moi personnellement dans le genre romanesque je préfère les évangiles apocryphes, chacun son truc...
Henri Lefebvre et les périphéries
Aucun lecteur de ce blog ne réagit jamais quand j'essaie de défendre une spécificité du "regard périphérique" et de décrire ce qu'il est en France. Voici ce qu'en disait le philosophe marxiste Henri Lefebvre chez Chancel ici, aussi longtemps que l'INA qui fait des bénéfices avec des émissions payées par ls impôts de nos parents voudra bien le laisser sur le Net en accès libre). On peut aussi regarder ceci sur You Tube.