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Le blog de Frédéric Delorca

Délires européens

9 Août 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je lis le Journal de Joseph Goebbels. Il faut lire ses ennemis toujours. Je lis Goebbels aujourd'hui, comme j'ai lu les néoconservateurs étatsuniens naguère. Je le lis dans le désordre, tantôt l'année 1942, tantôt 1923. J'essaie de comprendre comment il fonctionne, comme je l'ai fait avec Céline jadis.

Les ennemis n'ont jamais tort sur tout. Personne n'a jamais tort sur tout. Le grand tort des nazis, comme de beaucoup de courants idéologiques, ce fut leur religiosité. Celle des nazis se cristallisait dans leur antisémitisme obsessionnel odieux, leur romantisme décalé qui les rendait nihiliste. Pourtant au milieu de ces délires certaines de leurs analyses étaient lucides, sur le capitalisme anglosaxon par exemple, sur la rouerie de Roosevelt etc. C'est précisément parce qu'ils savaient par intervalle toucher justement le réel qu'ils ont pu entrainer les masses allemandes sur leur chemin. Contrairement à ce que prétendait Védrine à propos des Serbes, il n'y a pas de "peuple envoûté". Juste des peuples qui font des choix dans l'obscurité. Les philosophes ne sont pas mieux placés de ce point de vue là. Je suis frappé d'ailleurs par l'intérêt de Goebbels pour l'opinion des gens de la rue en pleine guerre. Le régime nazi était aussi à l'écoute de sa base, semble-t-il. Par ailleurs ce régime portait en lui, à côté de ses délires, non seulement des éléments de réalisme, mais aussi des traits culturels allemands et européens très profonds (je désapprouve Jankélévitch qui les trouvait seulement allemands). Tout en refusant toute téléologie, on doit admettre que la culture européenne portait le nazisme en germe, comme elle portait beaucoup d'autres possibilités (et heureusement des meilleures).

Tout cela nous renvoie à Nietzsche. Il y a beaucoup de nietzschéisme (même si c'est un nietzschéisme tronqué) dans Goebbels (notamment dans son admiration pour Dostoïevski) comme il y avait beaucoup du romantisme européen dans Nietzsche (un romantisme en lutte contre lui-même, ce qui le rendait plus subtil).

Je me demande si l'éradication de cet héritage et son remplacement par la culture Coca Cola était la bonne façon d'arracher l'Europe à ses folies. Pour tout dire je ne le pense pas. A la pathologie nazie qui prétendait synthétiser le meilleur de la culture européenne a succédé la barbarie de la Mac Donaldisation qui au demeurant à l'égard du Tiers-monde n'est pas moins meurtrière que le nazisme. Le pharmakon des erreurs de la culture européenne reste à chercher. Je ne crois pas non plus qu'il soit dans le scepticisme libertaire qui a grandi lui aussi à l'ombre de Nietzsche dans l'université française avant de se muer en scepticisme de combat puritain dans la political correctness des universités étatsuniennes. Le vrai remède est à rechercher ailleurs. Dans le rationalisme optimiste du Siècle des Lumières ? Rationalisme meutrier lui aussi. Ce serait supposer que la réaction romantique fut la cause de tous les maux... Si seulement c'était si simple !

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G
Pour Frédéric Delorca et pour "diderot", juste à titre d'information parce que je n'ai pas encore lu cet ouvrage qui d'après sa description devrait vous éclairer  :Naissance de la bonne conscience coloniale, Les libéraux français et britanniques et la question impériale par Jennifer Pittshttp://boutique.ldh-france.org/achat/produit_details.php?id=265&catid=1 
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D
Je viens de lire le résumé de cours de Jean Vogler. Il n'y est nullement question de colonialisme... Quant à l'extrait en ligne de l'ouvrage d'Olivier Le Cour Grandmaison, il contredit clairement ta thèse — du moins en ce qui concerne la question du colonialisme — selon laquelle "le seul régime qui les a appliquées [les idées des Lumières] sur la durée en s'y référant, ce fut la Troisième République". En effet, dans l'extrait en ligne, l'auteur montre précisément que les républicains impérialistes ont choisi Burke (droit national) contre les Constituants (droit universel) : il s'agit "d’un abandon complet des principes universalistes […], qui anéantit les fondements mêmes du jus naturalis élaborés par les Lumières".<br /> <br /> En fait, comme l'explique Jean Erhard, les abolitionnistes de 1794 (ainsi que ceux de 1848 et 1871) furent indéniablement les héritiers directs des philosophes : « là comme ailleurs les Lumières ont bien été libératrices ». Je tire cette citation d'un compte-rendu que je te conseille vivement de lire : http://rde.revues.org/index3812.html. Erhard, spécialiste du XVIIIe, a relevé quelques uns des grossiers contresens proférés par des "historiens" trop pressés pour lire leurs sources. Le travail historique de cet universitaire, en revanche, est minutieux et intelligent.<br /> <br /> Enfin, ce serait une grossière erreur de penser que l'auteur du "Tableau historique des progrès humains" ait pu soutenir le colonialisme. En effet, Condorcet soutient une doctrine politique pleinement socialiste (cf. "Esquisse d'un Tableau historique...", GF, 1988, p. 272-277), c'est-à-dire incompatible avec l'idéologie esclavagiste. Favorable au commerce intellectuel et matériel avec les autres peuples, il condamne néanmoins avec force "nos monopoles de commerce, nos trahisons, notre mépris sanguinaire pour les hommes d'une autre couleur ou d'une autre croyance" (Ibid., p. 268).<br /> <br /> Je maintiens donc que les Lumières, sur la question du colonialisme, ne sont pas responsables des erreurs des républicains de la IIIe.<br /> <br /> Je vais quand même jeter un coup d'oeil à l'ouvrage de Couderc-Morandeau.
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F
<br /> Une amie historiene me disait hier : "Bien évidemment que les Lumières ont favorisé le colonialisme, avec leur vision du progrès linéaire que l'homme blanc peut apporter aux 'peuples enfants', aux<br /> 'bons sauvages' Cette influence indirecte sur le colonialisme est claire, tu n'avais même pas à t'embarquer dans un débat sur la question de savoir si Ferry se référait à Condorcet ou nom quand il<br /> colonisait l'Afrique. La responsablité de leur vision dans le processus colonial est si évidente "<br /> <br /> <br />
D
Mais Jules Ferry, lorsqu'il est colonisateur, participe-t-il à l'esprit rationaliste des Lumières, c'est-à-dire à un système de pensée visant l'émancipation de l'individu à travers l'exercice de sa faculté critique ? Je pense qu'il faudrait plutôt affimer le contraire... Mais un simple fil de commentaires au sein d'un blog ne permet pas vraiement de discuter de ce complexe sujet. Existe-t-il quelque ouvrage qui développe votre thèse ?
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F
<br /> Sur la référence répétée de Ferry à Condorcet  http://www.creteil.iufm.fr/fileadmin/documents/siteFFO/Service/Productions/Illettrisme_Vogler.pdf<br /> <br /> Sur le lien entre esprit des Lumières et colonialisme de la Troisième république "Philosophie républicaine et colonialisme, origines, contradictions et échecs" de Stéphanie Couderc-Morandeau chez<br /> L'Harmattan - http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=27253. Et le livre “La<br /> République impériale”, par Olivier Le Cour Grandmaison - http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article3276.<br /> <br /> Apparemment Les Lumières, l'esclavage, la colonisation de Benot, lui visite l'aspect plus positif du rôle des Lumières dans la question coloniale (je n'ai pas eu le temps de le lire). Mais<br /> notez que toutes les idéologies jouent un rôle plus positif quand elles sont dans l'opposition. Le problème est que le seul régime qui les a appliquées sur la durée en s'y référant, ce fut la<br /> Troisième République. Alors on peut dire bien sûr que c'est un dévoiement de la philosophie initiale, comme les aspects les plus négatifs du soviétisme peuvent être un dévoiement de l'idéal<br /> communiste. Il n'en demeure pas moins que toutes les applications d'une théorie ne peuvent pas en être des perversions. Il doit y avoir d'autres travaux qui abordent le rapport entre optimisme<br /> progressiste et colonisation à un niveau plus philosophique, je rechercherai à l'occasion. Il me semble en tout cas que l'idée n'est pas neuve. Ce n'est en tout cas pas moi qui l'ai inventée.<br /> <br /> <br />
D
En quoi le rationalisme des Lumières serait-il meurtrier ? Moi je n'ai tué personne ! J'ai même combattu le colonialisme (avec "L'Histoire des deux Indes") !Mais je m'arrête ici et je t'écoute.
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F
<br /> J'aime bien le "je n'ai tué personne", avec un "je" qui parle au nom du rationalisme. Ca fait très rhétorique d'avocat dont le "je" se substitue à celui de son client. Mais je ne crois pas qu'on<br /> puisse exonérer l'esprit des Lumières des crimes qu'il a permis du seul fait que l'abbé Raynal ou quelques autres personnalités remarquables de ce courant idéologique se sont dressés contre les<br /> folies de leur siècle. L'esprit de Condorcet est dans la colonisation de Jules Ferry, comme il l'est peut-être aussi, d'une certaine façon, dans le essais nucléaires de Staline en Sibérie.<br /> L'optimisme historique est dangereux (tout comme aussi l'excès de pessimisme, qui conduit au nihilisme). Merci pour la référence à Raynal, je vais écrire un article sur son bouquin prochainement<br /> sur ce blog.<br /> <br /> <br />