Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

Articles récents

Sur la burqa

13 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Ici une vidéo de sociologues de l'IEP d'Aix sur la burqa, et, à la suite, un clip (interdit aux moins de 18 ans) qui dit quelque chose de l'imaginaire des défenseurs de la prohibition). Le plus ridicule dans cette affaire est qu'on s'acharne à faire passer une loi sans fondement juridique (voir l'avis du Conseil d'Etat) dont les tribunaux devront écarter l'application du fait de son inconventionalité au regard de la convention européenne des droits de l'homme.

 

 

Lire la suite

Un post scriptum sur l'affaire Onfray-Freud

13 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je remercie "frdm" d'avoir versé en commentaire sur ce blog un dossier assez complet sur la polémique à la mode "Onfreud", et surtout d'avoir fait dévier le débat vers une question plus importante que l'affrontement entre jouisseurs et psychanalystes : le débat sur la thérapie du mal être contemporain. Onfray, ayant une guerre de retard dans ce débat comme sur le reste joue la carte freudo-marxiste contre le conservatisme (selon moi avéré) de la psychanalyse. Qu'il faille penser politiquement le mal être des individus j'en suis convaincu, mais pas dans une spéculation métaphysique sur la connexion entre rapports de production et névrose comme entend le faire le freudo-marxisme (que j'appréciais pourtant beaucoup jadis). Bien sûr il faut penser le rapport au travail, le rapport au pouvoir politique, à l'espace public, les rapports de classe, le rapport au langage, à l'argent, pour réfléchir à l'émancipation de l'individu. Mais il faut le faire sans esprit de système, et avec une attention particulière à chaque cas et à ce que le sujet peut en dire.

juillet-2006-099.jpg

 

L'allusion au problème de la normalité est aussi importante. Pour ma part je trouve qu'il y a aussi un usage fonctionnaliste (et donc normativiste) de la psychanalyse, comme des neurosciences, dont il faut se méfier. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille adhérer à un relativisme complet, voire verser dans l'apologie de la psychopathologie comme on le faisait un peu trop aisément dans les années 60. Si l'on raisonne du point de vue de l'intérêt de l'espèce, un intérêt dynamique (et non statique comme le pensent les thérapeutes comportementalistes), l'état psychique idéal est celui d'une certaine inadaptation sociale (et donc d'un certain mal être), assez perceptible pour maintenir le sujet dans une volonté de changer le réel (et l'ordre social), mais suffisamment bénin pour ne pas le plonger dans une trop grande négativité ou des fixations morbides.

 

Ajoutons que si Onfray était réellement conséquent avec le freudo-marxisme, au lieu de consacrer sa prochaine université d'été à ce sujet et de prôner la méditation comme thérapie (ce qui fait trop 17ème siècle cartésien), il organiserait, comme Wilhelm Reich, une communauté expérimentale qui, sans forcément rechercher "l'orgone", serait axée sur la praxis, politique et sexuelle.

 

Au fait : un texte anti-Onfray assez juste : http://camarade.over-blog.org/article-proposition-de-loi-pour-l-interdiction-de-michel-onfray-dans-l-ensemble-de-l-espace-public-une-initiative-citoyenne-par-spinoza-45854267.html

Lire la suite

Badiou, Onfray, Freud........... Dawkins, Zénon

12 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

plato-copie-1.jpgUn débat s'est engagé sur ce blog, comme ailleurs dans la grande presse, sur le livre d'Onfray. J'en suis coupable car je fus le premier à en parler en citant un article de Badiou dans Le Monde.

 

Ma philosophie personnelle m'impose de ne pas m'embarquer dans des discussions sur des sujets dictés par l'air du temps qui ne font pas avancer une réflexion réellement utile au bien être de notre espèce. Voilà pourquoi vous constaterez que ce blog évite soigneusement depuis 3 ans 80 % des grands thèmes de l'actualité. La volonté de montrer que l'on est capable d'avoir un avis sur un grand thème à la mode (surtout un thème à la mode chez les gens lettrés) est un ressort puissant qui permet aux ados d'investir de l'énergie dans la lecture et la réflexion, mais dont il faut se défaire à partir de 30 ans sous peine de devenir le jouet d'un conformisme totalitaire.

 

Comme il est 4 heures du mat' et que j'espère me rendormir bientôt, je ne dirai que quelques mots très brefs.

 

La psychanalyse, comme le marxisme académique, ou le structuralisme, fait partie de ces maladies de l'esprit qui ont empoisonné la vie intellectuelle du continent européen pendant toute la deuxième moitié du XXème siècle - en réalité elles sont plus anciennes, mais elles ne sont vraiment devenues dominantes qu'à ce moment-là, et encore même dans ma jeunesse, en 1990, l'université qui formait 50 % des agrégés de philo en France (la matière reine des lettrés), la vieille Sorbonne, avait le bon goût de mépriser ces maladies.

 

Ces trois doctrines doivent leur succès au fait qu'elles permettent à une certaine petite bourgeoisie professorale de s'affirmer en rupture avec un ordre social dont elle peut prétendre dénoncer les ressorts intimes, tout en entretenant autour d'un vocabulaire abscons une forme de domination sur son propre public tout aussi dangereuse que les illusions dont elle prétend libérer le reste de la société.

 

La force de ces doctrines tient aussi au fait qu'elles n'ont trouvé pendant longtemps en face d'elles que de vieux barbons qui récitaient Platon, Malebranche - et à la rigueur Kant - sur un ton ennuyeux et pédant, ce qui, par effet de comparaison, donnait à ces doctrines un côté presque ludique et sexy (du moins quand on les consommait à doses homéopathiques, de loin, sans subir leur logomachie à longueur de journée).

 deleuze.jpg

Je dois dire tout de suite que j'ai aimé la manière dont les nietzschéens comme Deleuze ont assez tôt (dès les années 1960-70) démonté ces doctrines, sur un ton souvent plaisant, et je pense qu'Onfray n'a pas fait beaucoup plus que de vouloir prolonger le geste de Deleuze. Ce qui était agréable dans ce geste là, c'était qu'il ne visait pas à imposer aux esprits une nouvelle dictature professorale, mais à libérer des énergies créatrices. Cette force de la critique nietzschéenne était aussi sa faiblesse : elle demeurait esthétique, et ne prétendait pas opposer un discours de vérité à ce discours de mensonge.

 

Ce qui est plus intéressant depuis quelques décennies, c'est qu'un autre discours incompatible avec le marxisme académique, le structuralisme, et la psychanalyse, s'est développé, sur la base de découvertes passionnantes. Il s'agit du discours des sciences dures : neurosciences, éthologie animale, psychologie évolutionniste etc. Les sciences dures présentent plusieurs avantages : comme les doctrines maladives que je citais plus haut, elles permettent de démystifier certaines croyances que l'être humain a sur lui-même, mais, à la différence de ces doctrines, elles le font sur la base d'un travail rationnel collectif (qui neutralise les égos et leurs délires, il n'y a pas de Lacan des neurosciences), sur des segments de savoir toujours clairement limités, avec toujours des remises en cause possibles, des débats ouverts sur des bases modestes, et d'autant plus solides qu'elles sont modestes (l'étude minutieuse des cas, des expériences, le refus des effets de manche).

 

Autant il était utile que Deleuze ressorte Nietzsche dans les années 1970 contre le freudisme et le marxisme (je dis bien le marxisme académique car il y a des aspects de l'oeuvre de Marx que j'admire profondément). Autant le fait qu'aujourd'hui Onfray fasse la même chose (en moins bien d'ailleurs car c'est au nom d'une philosophie du désir extrêmement pauvre) est nuisible à la santé mentale du public lettré européen, parce que cela contribue à relancer pour un tour le débat entre les esthètes libertaires et les apparatchiks de la doctrine freudienne (façon Roudinesco si l'on veut), alors que ce dont le public européen a besoin aujourd'hui, c'est de lire des auteurs rationalistes proches du monde scientifique encore trop peu connus et même très partiellement voire pas du tout traduits : Richard Dawkins, Noam Chomsky, David Stove etc.

 p1000207.jpg

Aujourd'hui, je défends la lecture sérieuse de ces auteurs là (ce qui justifie aussi que je ne puisse pas suivre un Badiou, on s'en doute bien, même si quelques intuitions de Badiou, dans son livre sur Saint Paul par exemple, me semblent avoir une utilité). Cela ne veut pas dire que je veuille limiter la philosophie à une réflexion ultramodeste sur les sciences. Je pense que cette réflexion doit en effet être prioritaire, mais que cette réflexion bien sûr ne peut pas à elle seule donner toutes les réponses à notre besoin de penser notre vie (nos itinéraires individuels et collectifs). Aussi, à côté de cette priorité cognitive que j'accorde aux sciences dures, j'encourage chacun à se constituer une philosophie personnelle qui ne peut avoir qu'une valeur de second rang par rapport au savoir scientifique, mais qui satisfait le "besoin de sens" que les sciences ne peuvent combler. Cette philosophie doit autant que possible se fonder sur une lecture honnête et subtile (ce que ne sait pas faire Onfray) des anciens, tout en faisant la part de ce qui, chez les anciens, relevait des particularismes de leur temps et de leur culture, et de ce qui peut parler aux constantes universelles (et en tout cas celles qui ont perduré jusque dans notre culture) de la condition humaine.

 

A la différence d'Onfray qui se fonde sur une vision populaire (et mal comprise, car débarrassée de la religiosité profonde qui l'animait) de l'épicurisme, je défends moi une morale stoïcienne, qui s'inspire du premier stoïcisme, celui de Zénon et Chrysippe, qui ne se refusait aucune audace (notamment sur le plan de la théorie sexuelle), mais restait arrimé à une ferme volonté de comprendre la nature humaine et de définir des devoirs individuels et collectifs en harmonie avec l'insertion de l'animal humain dans son environnement. Je sais que mon propre parcours ne me permettra jamais de passer des mois à écrire des bouquins sur ma vision de ce stoïcisme-là comme a pu le faire Onfray (et tant d'autres profs de philo) sur son épicurisme, mais au moins je tente, de temps à autre, sur ce blog, de rappeler la possibilité d'une telle option intellectuelle, par delà les modes intellectuelles de notre époque.

 

Voilà, cette petite mise au point s'imposait. Elle explique pourquoi je n'entends pas continuer à écrire sur l'opposition entre Onfray et les freudiens qui me paraît, telle qu'elle est posée dans le débat public en ce moment, assez stérile.

 

 

Lire la suite

L'idéologie du naturel, de l'authenticité personnelle, et la bêtise qui en découle

10 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le quotidien

Une dame sur Facebook à qui je demandais si elle était adepte des théories d'Arnsperger, me répondait ce matin :

 

"Je le connais  de nom seulement , je ne suis et n'ai jamais été adepte de personne c'est une particularité "vivante" chez moi ; probablement car je n'ai pas eu de modèle de parentalité..... j'ai eu un maitre "à vivre" et non à penser, comme j'aime à dire , il ne m'a rien transmis si ce n'est d'écouter mon bon sens , ma nature profonde, humaine , biologique , mon incontournable libre arbitre et mon esprit critique , mon "étant " ( das sein) pas par réactivité mais par nécessité vitale....., ....j'en parle parfois et j'ai mis une vidéo hier , il s 'agit de Jiddu Krishnamurti . On le nomme philosophe éducateur , enseignant , et on l'a surnommé l'antigourou ..... il me semble qu'il était un phénomène très rare en matière d'Etre Humain ..... "

 

chambre-copie-1.JPG

Inutile de préciser que cette dame a par ailleurs un blog d'émancipation personnelle ou je ne sais quelle sottise de ce genre.

 

Malheureusement pour elle, il est des détails qui déconsidèrent tout un propos. Le détail qui tue dans cette phrase, ce sont les quatre mots les plus prétentieux, les plus cuistres de cette profession de foi : "mon 'étant' (das sein)".

 

"Etant" ne s'est jamais dit "das Sein" en allemand. L'étant, chez Heidegger notamment, se dit das Seiende. Il y a un autre mot, plus typique de la philosophie heideggérienne, que l'on cite plus souvent, c'est Dasein (et pas das sein). Ce mot est une vieille forme germanique pour dire existence, vieille forme que les heideggeriens ont fini par traduire en français par "être-là" après que leur maître ait fait toute une analyse ontologique de ce "da" (là) par où l'être accède au langage.

 

Quand on tombe sur ce mauvais pudding ("bien lourd nappé de crême pâtissière" comme le chantait Anaïs) à la gloire du "naturel" si beau, si libre de l'auteur de ces lignes, et surtout sur cette jolie cerise sur le gâteau, du Dasein aussi pompeusement que maladroitement transformé en "étant" et "das sein", on se dit que c'est bien joli de ne pas vouloir que les maîtres vous apprennent quoi que ce soit et laissent libre cours à votre "nature profonde". Ca va bien avec l'idéologie de notre temps. Mais le résultat est qu'on ne forme avec ça que des esprits "demi-habiles" comme disait Bourdieu, qui veulent faire les malins avec de fausses traductions, des références tronquées qui révèlent simplement qu'ils ne lisent pas, qu'ils ne comprennent pas, qu'ils n'ont aucune rigueur, qu'ils cherchent juste à parader pour soigner leurs bobos intimes. Pauvre culture ! Ces gens si fiers de leur "authenticité personnelle" feraient bien au contraire de se remettre à l'école des grands auteurs. Non pour être "guidés" par eux,  mais pour au moins savoir ce qu'ils ont écrit et façonner leur propre pensée en fonction de cela. Tout montre ici que les fétichistes de la "nature profonde" ne sont même pas capables de ça...

Lire la suite

Conversation avec Vesna : l'universalisme, la place de la création, les bouquins

9 Mai 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous

Conversation avec Vesna cet après midi.

 

Elle : "Tu n'as pas peur de te perdre dans tous les engagements dans lesquels tu t'investis ?

Moi : - J'essaie d'être universel.

Elle, ironique : - Tu crois que c'est possible ?"

 p1000118.jpg

Etre universel sans être abstrait. Difficile, très difficile. Je lui racontais combien j'étais resté étranger à la culture abkhaze en décembre dernier, beaucoup plus encore que je ne l'avais été à l'égard de la culture serbe en 1999. Bien sûr on n'a pas besoin d'être en empathie parfaite avec une culture pour dire des choses justes sur ce que vit un pays.

 

Mais le risque d'être trop "à côté" à force d'être "en surplomb", "au dessus", n'est pas mince.

 

L'autre jour, le maire de Brosseville parrainait un show africain. C'est moi qui ai écrit son discours, mais je n'étais pas là pour l'entendre. Une fille d'origine kabyle qui y assistait m'a dit le lendemain : "Les Africains et les gens d'origine africaine ont beaucoup applaudi le passage où tu disais qu'en France ils étaient toujours considérés comme des étrangers, alors que dans leur pays d'origine on les considérait comme des Blancs. Moi aussi j'ai beaucoup aimé ce passage. Je me suis dit : 'Pour une fois qu'un discours de politicien parle de nous'. Moi je suis née en France, je me sens française, mais on me fait souvent comprendre que je ne le suis pas." J'ai trouvé intéressant qu'elle s'englobe dans le même "nous" que les Noirs auxquels la soirée était destinée. En fait je n'ai fait que ressortir cette thématique de la "double absence" sur laquelle Abdelmalek Sayad a beaucoup écrit, un problème si fondamental dans le vécu des "diasporas" comme on dit, et dont m'avait spontanément parlé, à partir de son vécu, un des organisateurs africains de la soirée.

 

La soirée était coparainée par un maire d'une autre ville, qui était absent mais qui s'était fait représenter par son adjoint, un intellectuel communiste que j'aime bien, très engagé sur des combats anti-impérialistes. La jeune Kabyle me disait que son discours était beaucoup moins bon, beaucoup plus convenu, et que le public l'a beaucoup moins apprécié. Ca m'a  surpris. Mais peut-être faut-il voir là justement le problème des engagements trop "abstraits", quand l'universalité de l'intellectuel est trop "universelle" justement, elle ne parle plus à personne, elle ne trouve plus les mots.

 

Pourquoi, moi, ne suis-je pas abstrait sur cette thématique de la "double absence" ? Pourquoi m'obsède-t-elle même ? Parce que je suis moi aussi issu d'une diaspora en tant que Béarnais sur les bords de la Seine ? Ou parce que je suis un intello issu du prolétariat, et donc devenu aussi "atopos" que Zénon de Cittium ?

 

Je ne sais. Vesna aussi, quand je l'avais interviewée, il y a 10 ans (10 ans déjà !) m'avait beaucoup parlé de sa double absence (sans utiliser le terme évidemment), en tant que Française d'origine serbe. Ca m'avait pas mal interpelé à l'époque. Mais elle ne croit pas du tout qu'on puisse devenir universel. Elle, elle reste archi-balkanique, et archi-serbe, notamment dans son regard sur les musulmans du "9-3", dans sa crainte irrationnelle d'être "colonisée" par eux comme les Serbes le furent par les Turcs.

 monastere-copie-1.jpg

Moi ça m'agace un peu ce refus de devenir universel, cette revendication de l'enracinement. J'ai trouvé le symétrique dans une association comme Ishtar (dont la librairie est menacée de fermeture en ce moment) qui avait refusé de faire une conférence sur l'Atlas alternatif parce que le chapitre sur les Balkans ne faisait pas l'éloge du nationalisme albanais. Ishtar était prisonnière d'un point de vue pro-musulman qui doit obligatoirement célébrer l'UCK, comme les Serbes sont prisonniers du préjugé orthodoxe à l'égard de l'Islam. Avec cette mystique de l'enracinement on en vient à ce genre d'impasse.  L'an dernier le Dissident internationaliste m'avait aussi fait remarquer un appel à manifester d'associations musulmanes françaises par solidarité avec des Ouïgours musulmans condamnés à mort en Chine. Dans cette répression contre les sécessionnistes, des Chinois hans aussi avaient été condamnés, pour les mêmes chefs d'accusation que ces Ouïgours avec lesquels ils avaient agi de concert, mais l'appel à manifester les oubliait.

 

Entre ces enfermements communautaires, et l'universalisme abstrait de l'adjoint au maire dont le discours ne parle à personne, la voie est toujours difficile à tracer. Mais je la crois possible.

 

Nous parlions de cela avec Vesna, et aussi de ses projets cinématographiques. Après ses premiers pas dans le court métrage, elle cherche un producteur. Elle va ainsi passer du stade de l'autofinancement à celui d'une forme de "salariat" à l'égard d'un système qui lui dictera ses ordres (et qui déjà, avant même qu'elle ait trouvé le moindre financeur, lui "glisse" des conseils, comme celui d'axer son futur film sur la comédie).

 

La progression de Vesna dans la jungle du cinéma me renvoie souvent à ma propre incursion dans celle du monde littéraire. Vesna comme moi fait de la création en dilettante, à côté de son boulot principal. Comme moi, au détour de la quarantaine, elle atteint un stade où le basculement dans du "plus professionnel" devient possible. Elle est à la croisée des chemins. Pour elle, cela dépendra de son aptitude à trouver un producteur dans les trois ans qui viennent. Pour moi, cela dépendra de ma capacité à faire sauter les verrous des gens qui me boycottent. Le Mensuel de gauche par exemple.

 

"On ne nous aide pas beaucoup, disait Vesna. Les Français c'est chacun pour sa pomme, ils ne s'intéressent pas trop aux sujets qu'on met sous leur nez et qui les sortent de leurs problématiques habituelles. Ils sont conformistes, aux ordres de leurs chefs."annakarina.jpg

 

Je ne sais pas trop si c'est ça le problème. En même temps, si Vesna se sent prête à obéir aux commandes d'un système dans lequel elle serait plus institutionnalisée, je ne crois pas que ce soit mon cas. Je serais plutôt embarrassé d'avoir à répondre de ce que je fais devant des milliers de lecteurs actuels ou potentiels. De ce point de vue là, la faible diffusion de mes livres m'arrange plutôt. Surtout je serais gêné d'avoir à tenir une place dans un système aussi mal fichu, biscornu.

 

Voyez la place de Badiou par exemple : un homme qui se sent obligé d'écrire des articles bancals, au style alambiqué comme celui du Monde du 8 mai dernier, tout ça pour attaquer le livre indigent d'un type comme Onfray. C'est quand même dépenser de l'énergie pour rien. Badiou ne fait pas que gaspiller son énergie. Il se diminue lui-même, il se déconsidère, il tire sa propre pensée vers le bas en entrant dans des débats aussi stupides.

 

Je crois vraiment que le système culturel occidental est une grande machine à stériliser les talents, et à tirer les créateurs vers le bas. Voilà pourquoi moins on y est institutionnalisé plus on y gagne. Et il me semble que, bon an mal an, j'aurai quand même pu faire passer plus force créative dans mes petits livres bricolés "aux marges des baronnies", au cours des cinq dernières années, que si j'avais eu une place reconnue dans le débat public. Bien sûr la marginalité épuise aussi, dans un sens, parce que tout ce qu'on y fait paraît terriblement contingent, gratuit, évanescent. Mais au moins il n'y a là rien qui oblige à devenir ce qu'on ne veut pas être.

 

En ce moment, je continue de travailler à mon livre sur le stoïcisme amoureux. Il est écrit. De temps en temps je retouche une page, une autre. Souvent je me dis qu'il faudrait le reprendre de fond en comble. C'est le livre le plus fragile de tous ceux que j'ai écrits. Celui qui se tient à la limite de toutes mes possibilités, et à la limite de la plus grande illégitimité. Parce que c'est un livre qui prétend être le dernier. Et donc un livre qui s'écrit malgré mon acte de foi selon lequel il ne faut plus écrire de livre. Autant dire que c'est un livre que j'écris contre moi-même. Un livre absurde. En plus je sais que je l'impose à mon éditeur qui n'a pas la capacité d'en faire une grande diffusion et finit par me trouver financièrement pesant... Et pourtant je dois faire cet ultime sacrifice pour avoir le sentiment d'avoir réellement TOUT écrit.

 

Hier je découvrais des bizarreries : que mon roman "La Révolution des montagnes" est sur les étagères de la bibliothèque d'Harvard aux USA, que sept bibliothèques universitaires (dont celle de Yale !) ont acheté mon "Incursion en classes lettrées", on se demande bien pourquoi. Dans le chaos de la "grande recomposition" des médias et des réseaux culturels, il se passe toujours des choses étranges. Vesna me racontait qu'elle avait obtenu la projection de son court-métrage sur les bombardements de Belgrade de 1999 à Normale sup grâce à l'aide d'un ancien collaborateur de Védrine (un normalien) rencontré dans une conférence. Anecdotique mais amusant. Aux marges du système, on ne se nourrit que d'anecdotes...

Lire la suite