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Le blog de Frédéric Delorca

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De Kosovska Mitrovica à Lhassa

17 Mars 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme



Les soldats français de la Kfor s'interposent au Kosovo

17.03.08 | 22h44
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Par Matt Robinson

 

MITROVICA, Kosovo (Reuters) - Les forces de l'Otan se sont interposées lundi face à une foule de Serbes en colère à Mitrovica, dans le nord du Kosovo, théâtre d'émeutes qui ont entraîné le départ de la police de l'Onu et du personnel civil de l'organisation.

Phares allumés et moteurs tournant, des véhicules blindés de l'infanterie française ont pris position à l'avant d'une colonne de camions de transports de troupes français et espagnols sur l'un des deux ponts qui séparent les communautés serbe et albanaise de la ville, véritable abcès de fixation du conflit kosovar.

L'Otan a promis de répondre avec fermeté aux incidents, d'une violence sans précédent depuis la proclamation unilatérale d'indépendance du 17 février, qui se sont produits lundi. Des soldats français de la Kfor ont notamment essuyé des tirs d'armes automatiques.

Les heurts ont suivi l'intervention de policiers de la Minuk et de soldats de la Kfor dans un tribunal de l'Onu occupé par des Serbes depuis vendredi.

La presse serbes fait état d'environ 70 civils blessés. D'après la Minuk, 63 policiers de l'Onu ont été blessés en plus d'une dizaine de membres de la Kfor.

Cet accès de violence est un défi majeur pour l'Alliance, les Nations unies et la balbutiante mission de justice et de police de l'Union européenne dans l'ancienne province serbe. Ils mettent en évidence le risque d'une partition ethnique entre les deux millions d'albanophones et les 120.000 Serbes du Kosovo.

La Russie, alliée de la Serbie, a réclamé une plus grande modération de l'Otan, et Belgrade a dit consulter Moscou sur des mesures conjointes en vue de protéger les Serbes kosovars.

Trois Serbes ont été grièvement blessés, dont l'un à la tête "par un tireur isolé", rapporte le directeur d'un hôpital serbe. Un porte-parole de l'Otan a fait état de tirs de sommation en l'air, assurant qu'aucun de ces tirs n'avait visé la foule.

L'Otan condamne ces violences "dans les termes les plus vigoureux" et "répondra fermement à tout acte de violence, comme le prévoit son mandat des Nations unies", a dit un porte-parole de l'Alliance, qui commande les 16.000 hommes de la Kfor.

"POLITIQUE DE LA FORCE"

Alexander Ivanko, porte-parole de l'Onu, a fait savoir que plusieurs centaines de policiers et neuf employés civils de la Minuk avaient été transférés du nord de Mitrovica vers le sud de la ville mais qu'ils reviendraient "dès que la situation sur le plan de la sécurité le permettra".

Vojislav Kostunica, Premier ministre serbe démissionnaire, a accusé l'Otan d'"appliquer une politique de la force contre la Serbie", ajoutant que Belgrade et Moscou s'entretenaient des moyens de faire cesser "toutes formes de violence contre les Serbes du Kosovo".

Rappelant les émeutes albanaises du 17 mars 2004 dans lesquelles 19 personnes avaient été tuées et des centaines de maisons serbes incendiées, le président serbe Boris Tadic a évoqué le spectre d'un nouveau "pogrom" albanais contre les Serbes.

Lors des affrontements survenus à l'aube, des policiers de l'Onu - en majorité ukrainiens et polonais - et des soldats français de la force de l'Otan ont tiré des grenades lacrymogènes pour contenir des centaines de manifestants qui lançaient des pierres, des grenades et des pétards. Des véhicules de l'Onu ont été attaqués et, selon l'Otan, des coups de feu ont été tirés sur des soldats.

"Huit soldats français de la Kfor ont été blessés par des grenades, des pierres et des cocktails Molotov" mais aucun des blessés n'est en danger de mort, a dit le porte-parole militaire français Etienne du Fayet de la Tour. Il a précisé que les soldats avaient tiré en l'air et non sur la foule.

Dans un communiqué, Bernard Kouchner et Carl Bildt, ministres des Affaires étrangères français et suédois, condamnent "avec la plus grande fermeté les violences commises contre les policiers de la Minuk et les soldats de la Kfor".

L'UE a recommandé la modération aux parties impliquées tandis que Moscou réclamait de la retenue de la part des forces internationales.

Le ministre serbe chargé du Kosovo, Slobodan Samardzic, a parlé de "provocation" et exigé la libération d'anciens magistrats et d'employés serbes du tribunal de Mitrovica arrêtés lors de l'opération888.

Tibet: les troubles suivent le scénario  
kosovar (expert)

20:49 | 17/ 03/ 2008
Version imprimée

daliwhitehouse.jpgMOSCOU, 17 mars - RIA Novosti. Des forces politiques influentes aux Etats-Unis ont intérêt à utiliser le scénario kosovar pour pousser la population du Tibet à lancer une lutte armée pour l'indépendance à la veille des J.O. de Pékin, estime Alexeï Maslov, sinologue et chef de chaire d'Histoire générale à l'Université de l'Amitié des peuples à Moscou.

"Des forces politiques influentes aux Etats-Unis (...) manipulent le mouvement indépendantiste des Tibétains pour empêcher le renforcement impétueux des positions géopolitiques de la Chine dans le monde", a estimé le chercheur dans un entretien accordé à RIA Novosti lundi.

Selon lui, de nombreux messages vidéo et audio parvenant de "Tibétains anonymes" depuis les lieux d'accrochages avec l'armée chinoise témoignent de la réalisation du "scénario kosovar".

"Les témoignages sur les violations des droits des Tibétains relayés par les médias occidentaux poursuivent le seul objectif d'exciter au maximum l'opinion mondiale et de parvenir à l'isolement international de la Chine à la veille des J.O. de Pékin", a indiqué l'expert.

La Chine fait l'objet de pressions de la part de médias internationaux et d'organisations de défenseurs des droits de l'homme pour accepter des négociations avec le soi-disant "gouvernement du Tibet exil" qui se trouve en Inde, a-t-il poursuivi.

"Le principal objectif des pressions internationales exercées sur Pékin consiste à obtenir de la Chine la reconnaissance de l'existence du problème d'un "territoire insurgé" qui exige une indépendance d'Etat envers la PRC", a indiqué le chercheur.

"A n'en pas douter, la reconnaissance par la Chine des droits du soi-disant "gouvernement tibétain en exile" à l'indépendance menacera l'intégrité territoriale de la République populaire et constituera un risque de répétition de la variante kosovare. La Chine ne l'admettra jamais", a ajouté le chercheur.

L'expert prédit que les Etats-Unis tenteront bientôt de faire voter par le congrès la décision de boycotter les Jeux olympiques de Pékin et de décréter des sanctions politiques contre la Chine comme un pays qui viole grossièrement les droits de l'homme. Il s'attend également à ce que les autorités officielles, pour combattre les tendances séparatistes dans le Tibet et les provinces chinoises voisines qui comptent d'importantes diasporas tibétaines, acceptent de faire des infusions financières massives dans le but d'élever le niveau de vie dans ces régions.

Selon les données officielles, les troubles qui ont éclaté dans le Tibet le 10 mars ont fait 13 morts civils. Les partisans du dalaï-lama évoquent 80 morts et 72 blessés.

http://fr.rian.ru/russia/20080317/101526999.html

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Version des faits du Quotidien du Peuple (Organe du PC chinois)

Full disclosure: Dalai coterie's secessionist attempts doomed to fail


Memories of horror were alive again. Rioting that erupted in Lhasa on Friday resembled two previous riots in 1959 and 1989, only in its cruelty and always indisputable links to peace-preaching Dalai Lama.

On March 10th, more than 300 monks from the Zhaibung Monastery ventured into downtown Lhasa. The monks, who were supposedly converted to peace, were invective and aggressive, and flagrantly confronted with the security forces.

In the Sera Monastery, ten monks held up flags of the so-called Tibetan exile government and shouted "Tibetan independence". In the ensuing days, a few monks chanted independence slogans and challenged officers who were maintaining order. Lime and boiling water were poured over those around them, and stones rained down.

In blatant attempts to create sensation, three monks in the Zhaibung monastery lacerated their bodies with knives and took pictures of one another, photos that were to be used to blame others for the harm they inflicted upon themselves, police said.

Affrays turned violent, and losses were grave. The mob on Friday set off a destruction rampage and spared nothing and nobody along their way. Rioters set fire to buildings, torched dozens of police cars and private vehicles and looted banks, schools and shops. Innocent civilians were stabbed, stoned and scourged. At least 10 died, mostly from burns.

In the shocking degree of cruelty which local Tibetans said they had not seen in their whole lives, "brutal" was an understatement of the true picture, but the word was only reserved for the mob, and not for the policemen.

Throughout the incident, Lhasa police officers exercised great restraint. They remained patient, professional and were instructed not to use force. In humanitarian spirit, they even rescued the malicious monks who attempted sensation through hurting themselves. But such restraint was met with even more malice.

Young officers -- fathers, husbands and brothers -- were stoned, lunged, stabbed and clubbed, like any other innocent victim. Twelve of them were badly injured, two of them critical.

Such hostility was not "non-violence" as Dalai preached, but what the "revered" monk practiced. Religious leaders, local Tibetans and other residents stood out and condemned the riot.

It is obvious that the latest well-planned sabotage in Lhasa was another bloody exercise of Dalai clique's political conspiracy.

The Dalai coterie fled to India following a failed armed rebellion in 1959, but they were neither willing to say farewell to their privilege under the feudal serfdom, nor to see a flourishing new Tibet.

From the frequent armed assaults along the border areas in the 1960s, to the bloody Lhasa riot in 1989, the secessionist activities backed by the Dalai clique never stopped.

In recent years, the Dalai clique has been telling the world that they has stopped seeking "Tibetan independence". However, it is just another huge lie.

In an effort to fan up the international community to link the "Tibet issue" with the Beijing Olympics, he repeatedly preached during his frequent international trips that the year 2008 is of key importance and the Olympic Games would be the "last chance" for the Tibetans.

How can the Dalai clique justify themselves when the Tibetan Youth Congress vowed to pursue "Tibet independence" at the cost of blood and lives in a March 10 statement, which says "they would never give up the fight for Tibet independence"?

Starting from March 10, the group launched a so-called "Marching to Tibet" in India. Organizers claimed that once they were blocked outside China, they would stage protests and instigate followers to echo them by making troubles inside China.

After the riot broke out in Lhasa, the Dalai clique maintained real-time contacts through varied channels with the rioters, and dictated instructions to his hard core devotees and synchronized their moves, police sources say. Evidence again mounted against the Dalai coterie's trumpet for "non-violence", exposing them as a deceitful bunch.

It has been the common understanding of the international community that Tibet is an inseparable part of China. No country in the world recognizes the so-called "Tibetan government-in-exile". The series of farces and sabotages by the Dalai clique were strongly opposed by the international community.

On March 10, several Tibetan separatists staged a torch lighting ceremony in front of the ancient archeological site of Olympia of Greece to protest against the upcoming Games in Beijing. The much-ridiculed episode was soon over when police drove them out.

The "marching to Tibet" in India became another aborted act as the crowd were greeted by Indian police awaiting in the midway.

All these facts have come to say and will continue to prove that the Dalai group's ill-willed attempts to destabilize Tibet, in whatever forms, will not succeed, since such efforts go against the popular will of the international community and 2.8 million people in the Tibet Autonomous Region.

Xinhua's Lhasa Bureau contributes to this report
http://english.peopledaily.com.cn/90001/90776/90785/6374438.html

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Pas très élégant

13 Mars 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Pas très élégants l'éditorial du Monde aujourd'hui, et les déclarations de l'Elysée, qui essaient une fois de plus de transformer les agresseurs en victimes dans cette affaire de Salon du livre parisien. Mais c'est une spécialité occidentale, on a entendu la même chose sur le Kosovo. C'est toujours le peuple dont on travestit l'histoire, qu'on encercle, qu'on assiège, sur lequel on pointe nos missiles, qui est accusé de nous menacer. Donc le refrain que l'on nous sert en ce moment c'est "les boycotteurs du salons du livre prennent la littérature en otage", "ils s'en prennent à des écrivains innocents". Pas très élégant, et pas très digne. Une façon pharisienne de se faire croire qu'on a les mains blanches, à bon compte. D'abord parce que les livres ne sont pas si innocents qu'on le croit. Ils sont sur le long terme plus efficaces que les armes. Ensuite parce qu'il faut être particulièrement borné pour ne pas voir ce qu'a de provoquant l'existence d'un "Pavillon d’honneur aux couleurs d’Israël " au milieu du Salon du livre, à l'heure où ce pays, qui s'est imposé sur le territoire d'un autre peuple, continue de menacer ses voisins et de mépriser le droit international. undefined

Il y a souvent des excès dans la dénonciation des crimes commis par Israël, mais cette fois l'excès est clairement du côté des autorités françaises organisatrices de cette manifestation littéraire. Hélas une fois de plus c'est un excès rempli de bonne conscience.  C'est le propre de nos soi-disant "élites".

Je note une contradiction dans l'argumentation du Monde (en plus de sa mauvaise foi) : "Quoi qu'il exprime du réel, le livre est d'abord l'expression d'une singularité individuelle." explique-t-il. Mais alors pourquoi célébrer collectivement, en tant qu'expression d'une entité collective - la culture israélienne - des auteurs dont on prétend qu'ils n'ont que des mérites individuels, en tant qu'individus ?

Et puis méditez cette phrase de l'éditorialiste (heureusement anonyme) : "Boycotter les livres, voire récuser une langue, a toujours été l'arme des dictatures". Et demandez-vous combien de fois Le Monde, et l'intelligentsia parisienne, dans leurs colonnes, ont boycotté des auteurs, des ouvrages, des éditeurs. Il y a vraiment de quoi rire jaune...

Pour ma part tout ce que je souhaite aux écrivains israéliens, c'est qu'ils parviennent un jour à déployer leur talent, dans la langue qu'ils veulent, dans un Etat qui ne soit plus dominé par une idéologie militariste et colonialiste. On a appris cette semaine qu'Israël voulait relancer la colonisation. Les bons esprits qui dirigent le journal Le Monde, et leurs lecteurs ont-ils réfléchi une seule seconde à la signification de cette annonce ?
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Temps pluvieux pour l'anti-impérialisme

11 Mars 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Pas beaucoup de bonnes nouvelles à se mettre sous la dent ces derniers temps.

Je participe toujours à diverses initiatives fédératives autour de l'idée de souveraineté des peuples face à l'impérialisme. Mais les fédérateurs n'ont pas bonne presse, par les temps qui courent. Chacun préfère se replier sur ses certitudes communautaristes .A  preuve ce jeune militant anti-impérialiste arabe, qui tient un site aux idées proches du mien, mais qui a refusé tout dialogue avec moi et avec le Dissident sur la question des Balkans, parce que les Serbes y auraient commis un "génocide". undefinedCe n'est pas la première fois que l'on se heurte à ce type de dogmatisme de la part  de gens issus de pays de culture musulmane, ainsi que je le raconte dans un livre à paraître.

Les conseillers de Bill Clinton qui dans les années 1990 ont soutenu les islamistes de Tchétchénie, de Bosnie et du Kosovo, à grand renfort de propagande dans ces trois guerres, ont réussi une belle opération : empêcher une alliance entre les peuples de culture chrétienne orthodoxe et ceux de culture musulmane. Il en résulte dans la vie de tous les jours que les gens qui ne sont ni orthodoxes ni musulmans comme moi et qui s 'efforcent simplement d'encourager les énergies à s'unir contre des logiques planétaires perverses n'arrivent absolument à rien (sauf à pondre de temps à autre des articles sans influence sur le cours effectif des choses). Les responsables du système politique mondial peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

Je l'avais dit aux lobbyistes serbes récemment : votre cause avancera le jour où dans vos manifs, non seulement il n'y aura plus qu'une minorité de drapeaux serbes, mais aussi quand vous aurez à vos côtés des Algériens, des Palestiniens, tous les non-alignés.

Autre mauvaise nouvelle pour l'anti-impérialisme en ce moment : ce salon du livre parisien consacré à Israël - une confiscation de la culture au service d'un projet idéologique qui maintient le Proche-Orient dans une triste situation depuis maintenant 60 ans... Quels éditeurs, quels auteurs se rendront à ce salon alors que les organisations pro-palestiniennes appellent au boycott ?

A part cela vous aurez noté que Chavez, Uribe et Correa se sont réconciliés. Ceux qui se sont empressés de hurler au projet de renversement de Chavez en sont pour leurs frais. Il y a toujours trop d'alarmisme autour de la question venezuelienne. Cela se retourne toujours contre ceux qui s'investissent corps et âme dans la défense de Caracas. Chavez, comme Uribe, sont des impulsifs. Il faut prendre en compte le côté imprévisible de ce genre de dirigeant et ne pas foncer tête baissée au premier froncement de sourcil. Si un jour le Venezuela est attaqué, je serai le premier à être solidaire contre l'agression. Mais il ne sert à rien de s'agiter à l'unisson de son bouillant président.

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Ainsi parlait Malraux... sur le Kosovo

6 Mars 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Voici un article de Zivorad Stojkovic paru en 1989, qui témoigne du point de vue d'André Malraux sur le Kosovo en 1975. Malraux est loin d'avoir toujours eu raison sur tout. Mais sur le Kosovo il pourrait donner bien des leçons aux actuels soi-disants spécialistes français de l'ex-Yougoslavie...

FD

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L’histoire a condamné la Yougoslavie à mort et c’est aux fils albanais du Kosovo que revient l’honneur de lui porter le coup de grâce”, a déclaré, il y a quatre ans déjà, un des accusés, au tribunal de Belgrade où se déroulait le procès d’un “groupe d’irrédentistes albanais” composé en majorité de jeunes gens. A ces paroles proférées devant l’opinion publique yougoslave, je voudrais ajouter comme témoignage mes notes sur deux rencontres avec André Malraux, non seulement à cause des prédictions de l’écrivain, “légende de ce siècle”, mais aussi à cause des questions qui surgissent sans cesse des deux côtés de la barre des tribunaux et dans les destins des deux peuples, Serbe et Albanais. On peut penser qu’au-delà de l’hostilité exprimée par l’étudiant Kurtesi, il y a une certaine honnêteté dans sa révolte. Son attitude face au tribunal est émouvante, elle témoigne de l’aveuglement dans La condition humaine d’un endroit trouble, de plus en plus sombre. malraux-copie-1.jpg

André Malraux avait appris qu’Isidora Sekulic (1877-1958 - “une grande dame de la littérature serbe”) avait publié une critique de la Voie royale dans une revue de Belgrade en 1931, l’année même de la parution du roman. Et c’est avec enthousiasme qu’il parlait de ce texte dont il venait de recevoir la traduction : “C’est incroyable ! Ici ce roman était passé presque inaperçu et moi-même j’étais presque inconnu. Et voilà qu’une femme, à Belgrade, réfléchit à ce que je voulais dire par ce livre et sait le faire mieux que moi. J’aurais été heureux de lire cette critique, il y a une quarantaine d’années. C’est pour moi aujourd’hui une révélation a posteriori sur mon livre. Hélas, le temps me manque pour étudier votre littérature. Ce serait bien si j’arrivais à mieux connaître votre Moyen Age pour la Métamorphose des Dieux. La peinture murale en Serbie au XIIIe siècle est un grand moment de l’art médiéval européen. Il faudrait que j’aille dans votre pays. Byzance est un univers spirituel, mais ses styles, je n’aime pas ce mot, ses espaces plastiques sont divers”. Cependant, ce voyage posait un problème à Malraux. Il lui semblait impossible d’aller en Yougoslavie à titre d’écrivain et d’y être l’hôte de son éditeur de Zagreb ou de Belgrade, au nom duquel j’étais venu lui parler de la publication en serbo-croate de la Métamorphose. “Si je n’y vais que pour ce qui m’intéresse, on risque de mal comprendre que j’évite les rencontres. Et j’ai trop perdu de temps en réceptions protocolaires.”

Lorsque j’observais que Lamartine, traversant la Serbie à son retour d’Orient, avait refusé l’invitation du prince Milos, bien qu’il ait écrit par la suite des pages inspirées sur la Serbie et sa lutte de libération, Malraux, avec une étonnante rapidité, répliqua : “Lamartine a traversé la Serbie en poète, il n’est devenu ministre que beaucoup plus tard. Moi, j’ai été ministre d’État pendant dix ans.” Il me rappela que certaines obligations liées à la fonction ministérielle ne cessent pas avec elle et il ajouta quelques mots que je n’ai pas bien saisis. Soudain, l’homme d’État émergea de l’écrivain : “De toute manière, à ce qu’il me semble, les choses ne vont pas pour le mieux dans votre pays. Vous avez beaucoup de vaines dissensions, mais le vrai danger vient des Albanais. Prenez garde ! C’est de ce côté-là que peut venir le pire. Toutes les combinaisons associant l’Albanie sont possibles. Elle est contre tout et elle est isolée, mais elle est, actuellement, plus indépendante que les Grecs et que vous. Les deux blocs comptent sur elle, mais les Albanais, qui ont besoin de tout, survivent sans rien. A quel prix ? C’est une question que le communisme orthodoxe ne se pose pas. La tyrannie de Tirana n’est pas originale, mais elle est tout de même exceptionnelle. Il me semble que l’Albanie actuelle est une absurdité concertée et bien troublante ! Son orgueil forcené dans la pauvreté ne sera pas altéré par la condition que vous faites aux Albanais de chez vous. Je suis étonné que vous autres Yougoslaves ne compreniez rien de tout cela. Savez-vous que la seule frontière ouverte en Europe est la frontière albano-yougoslave ? Vous êtes fous ! Entre deux États qui ont les plus mauvais rapports du continent, on circule comme s’il n’y avait pas de frontière. Et ne me dites pas que c’est parce que là-bas vous êtes émancipés ! Non. Votre pays poursuit une politique nationale qui se joue de l’État. Les sentiments nationaux doivent se réduire à une appartenance simple et claire. Mais vous, vous prenez au sérieux, ce qui, chez les Soviétiques — hypercentralisés — n’est que de pure forme: “l’Union des Républiques”. Vous considérez votre État, ethniquement hétérogène, comme un État plurinational. Où cela mène-t-il ? Tous les État européens sont, en gros, centralisés, sauf la Yougoslavie. Ça ne vous dit donc rien ? La citoyenneté peut se substituer à la nationalité, sans menacer un sentiment humain aussi valable que le sentiment national. J’ai beaucoup de sympathie pour votre pays : j’ai admiré la Serbie durant la Grande Guerre ; j’ai été impressionné par l’organisation et la force de votre Résistance pendant la dernière guerre ; j’ai gardé le souvenir de la Yougoslavie d’avant-guerre, bien qu’elle fût une monarchie, pour son opposition au fascisme, pour avoir refusé de s’allier à L’Axe. Au prix d’une guerre ! Votre conflit avec Staline en 1948 est historique. Mais comment pouvez-vous relever le défi de votre indépendance, si vous n’êtes pas un pays fort et uni. Toutes ces divisions à bases nationales ne me disent rien de bon. Quel pays ne connaît pas de rivalités ni d’antagonismes régionaux, fût-ce au sein d’un même peuple ? S’ils ne le sont pas déjà, vos nationalismes peuvent être manipulés, pour vous affaiblir. La minuscule Albanie les exploite déjà et, je le crains, pour le pire. Qu’en sera-t-il des grandes puissances qui se mêlent partout de tout. J’entends parler de supputations liées aux accords de Yalta : on dit que toutes ces divisions administratives et les prérogatives données aux unités territoriales seraient une façon de jouer la carte du partage à fifty-fifty. Comme si Yalta avait été un partage, et non une tromperie de Staline à l’égard des deux autres “grands”. D’ailleurs, des trois “grands” d’alors, il ne reste plus que deux aujourd’hui. Voilà. Vous comprenez maintenant qu’en allant en Yougoslavie, je ne pourrais pas m’intéresser uniquement à votre Moyen-Age et à mes livres. Je regrette de souhaiter plutôt que de croire, pouvoir faire ce voyage. Pourtant, j’aimerais voir la Métamorphose publiée dans la langue d’une femme qui a si bien compris la Voie royale. “ Malraux parlait avec plus de difficulté apparente que dans la série télévisée, la Légende du siècle, projetée à l’époque ; mais sans énervement : il attendait que les mots se frayent une voie jusqu’à sa bouche, aiguisant, du coup, l’attention de son interlocuteur. La participation de son regard à son effort d’articulation donnait plus de force à ses opinions qu’à ses arguments. Dans un entretien précédent, il avait soutenu que la Chine et la Yougoslavie étaient indépendantes des Soviétiques parce que le guide de la Grande Marche et le chef du P.C. yougoslave n’avaient pas été des hommes de la Maison grise (le siège du Komintern à Moscou). “On m’a dit que je me trompais, mais, vous savez, l’exactitude et la vérité sont parfois deux choses différentes.” — Un biographe de Malraux a écrit à propos de sa manière de parler politique : “II y a là un mélange de vues pénétrantes et d’approximations aventureuses”. De nombreux historiens de l’art partagent, à peu près, la même opinion sur son Musée imaginaire ; mais d’autres considèrent que les improvisations de Malraux, voire même ses mystifications, sont plus intéressantes que certaines œuvres rédigées avec plus de compétences et de minutie.

Quelques mois plus tard, en été 1975, Malraux téléphona au Grand Palais et demanda qu’on vînt chercher le manuscrit qu’il voulait offrir à la Bibliothèque nationale de Belgrade. J’arrivai à Verrières-le-Buisson où il habitait, le soir, après les cours, au moment où il s’apprêtait à sortir. J’avais apporté un ouvrage sur les Fresques byzantines en Yougoslavie, publié à Belgrade en cyrillique. Il apprécia la richesse et la qualité des reproductions. Il ouvrit le livre au hasard et tomba sur le portrait du roi Milutin, fondateur de Gracanica. Malraux dit, sur le champ, comme s’il pariait : “Quatorzième !” Il se sentait si sûr de lui qu’il lui paraissait normal d’avoir deviné juste. Lorsque je lui traduisis la légende, il me demanda où se trouvait Gracanica, car ce nom semblait lui dire quelque chose. Je lui montrai le lieu sur la carte jointe au livre en précisant que l’église est située au Kosovo, le Champ des Merles. Il me demanda de lui répéter le nom de la région en serbe, soudain, sursautant presque, il s’écria : “Mais c’est déjà l’Albanie… mais oui, je vous le dis et vous verrez bien”, poursuivit-il sans chercher d’explication à mon étonnement. “Vous êtes inconscients, vous avez permis à votre peuple et aux Albanais de créer un enfer. On vous a joué un mauvais tour, mais tout le mal ne vient pas de là. Vous devez regarder en face la tragédie qui s’annonce. La haine n’est pas seulement un aveuglement, elle peut aussi être un chantage. Le sens des réalités peut la refréner à condition de rester ferme et plus sûr de soi que de la répression. Je souhaite à votre pays beaucoup de bien, mais je n’en vois pas venir, car je ne vous comprends pas, je l’avoue. Une guerre d’Algérie ne profiterait à personne et il ne faut pas garder rancune aux Yougoslaves de n’avoir pas compris nos difficultés. Vous êtes dans une situation néfaste. Vous avez raison, votre Algérie n’est pas outre-mer, sur un autre continent, elle est dans votre Orléanais. Si le Kosovo n’était que le pays de votre histoire, ce ne serait pas l’essentiel, mais il est au cœur de votre culture, et la culture, puisque c’est le bien le plus précieux que l’on possède, n’appartient jamais au passé. Je pressens plus que je ne comprends l’ensemble de la question. En plus de la détermination, il faut avoir le courage d’aborder toutes les possibilités de solutions raisonnables, ce qui ne veut pas dire des solutions molles. C’est absurde, j’ai l’air de vous donner des conseils, alors que je ne fais que parler sincèrement, en ami…”

En raison de ses difficultés d’élocution, Malraux articulait ses phrases mot à mot, comme s’il dictait ses monologues. Lorsque je notais ces rencontres, il m’était plus aisé de transcrire ses paroles, qu’il me semble encore entendre, que de les interpréter.

Après m’avoir remis le manuscrit, Malraux s’avisa qu’il n’avait pas rédigé la lettre de donation. Il me promit de l’envoyer. Elle parvint à Belgrade, quelques jours plus tard.

Monsieur l’Administrateur
de la Bibliothèque Nationale
de Serbie à Belgrade

le 29 Juin 1975

« Monsieur l’Administrateur,

Pour répondre à l’appel du comité de liaison créé en Sorbonne, j’ai remis à Monsieur Zivorad Stojkovic, le manuscrit de La Tête d’Obsidienne, qui doit vous être déjà parvenu.

Je voudrais en quelques mots vous donner les raisons de ce don. Tandis qu’aux heures les plus sombres de la dernière guerre, après Varsovie, Rotterdam et Dunkerque, des nations encore épargnées remettaient aux puissances du Pacte à trois leur destin et leur territoire, Belgrade, un matin du printemps 1941, s’est soulevée. Avec tout son peuple, elle choisissait la liberté alors que le continent tout entier s’était soumis. Les représailles qui suivirent furent à la mesure de la rage que son insoumission avait suscitée. Dès les premières heures du bombardement de la ville, commencé sans déclaration de guerre, des dizaines de milliers de vies humaines étaient anéanties et, avec elles, la Bibliothèque, institution fondamentale de toute culture nationale.

C’est en mémoire de ces événements que j’ai décidé de confier mon manuscrit à la Bibliothèque nationale de Serbie, aujourd’hui reconstruite. Je vois dans le destin de votre Bibliothèque le destin d’un peuple pour qui culture et liberté ne font qu’un. La dignité humaine, qui a toujours coûté cher à votre pays, inspire encore son indépendance.

Je vous prie de croire, Monsieur l’Administrateur, à tous les vœux que je forme pour celle-ci, pour le développement de la Bibliothèque, et pour vous même,
André Malraux »

Au cours de son Assemblée annuelle qui eut lieu le 27 mars 1988 à Belgrade, l’Association des écrivains de Serbie adopta à l’unanimité, entre autres, la décision suivante :

“L’Assemblée des écrivains de Serbie adressera une pétition aux organes juridiques compétents et à l’opinion publique yougoslaves les invitant à réclamer la mise en liberté de tous les détenus coupables de ce qu’on appelle “délit d’opinion” sur le territoire du pays tout entier et, en particulier, de ceux du Kosovo, qui sont les plus nombreux en Yougoslavie et dont la majorité est constituée par des jeunes et des mineurs. ”

Ce sont les entretiens annoncés entre la Société des écrivains du Kosovo et l’Association des écrivains de Serbie qui ont motivé cette pétition. La mise en liberté de ceux qui ne sont
“coupables” que d’exprimer une opinion différente, fût-elle erronée, créerait des conditions préliminaires considérablement plus favorables à des entretiens ouverts, réfléchis et tolérants, les seuls qu’il soit prudent de mener aujourd’hui, dans cet instant plus que grave.

La rencontre des écrivains albanais du Kosovo avec leurs confrères serbes fut organisée à Belgrade fin avril 1988 : les différences y prédominèrent et cela pas seulement en matière d’opinions. Des discours qui n’étaient au fond que des monologues rendirent impossible tout échange et confirmèrent que, sur les bancs des accusés et dans les prisons du Kosovo et de la Metohija se trouvent de nombreux jeunes Albanais à la place des véritables ennemis. Ils s’imaginent lutter pour une libération, alors qu’ils achèvent l’élimination de compatriotes d’une autre ethnie. Les peines sévères qui leur sont infligées retombent sur leurs victimes : des Serbes qui, chaque jour, reçoivent au Kosovo “le coup de grâce”.

Il est de plus en plus tard pour espérer que les défenseurs d’une foi qu’on leur a inculquée fassent preuve d’un autre courage, celui d’affronter la vérité de leur haine dans toutes ses significations, jusque dans ses intentions.

La rencontre des écrivains serbes et albanais à Belgrade n’a pas apporté de réponse à la question de savoir si l’on verra se réaliser le défi que le jeune Kurtesi avait jeté à la face du tribunal et qui est cité au début de cet exposé. Mais, des deux côtés, les écrivains ne peuvent pas nier que dans les régions centrales des Balkans, dans le sud de la République de Serbie, ne soit déclenchée une “Troisième guerre balkanique pour la création d’un second Etat albanais en Europe”. La poursuite des entretiens prévue pour la mi-mai(l) de cette même année, est peut-être le seul résultat favorable de cette première rencontre. En effet, la franchise en matière de divergences, fussent-elles diamétralement opposées, peut s’avérer plus fructueuse que les efforts pour les passer sous silence. Les écrivains albanais et serbes ont au moins éclairé les vrais problèmes de leurs nations, et aplani en même temps les voies menant à la compréhension mutuelle qui ne sera pas facile à atteindre. Une première tentative a été faite et son échec est plutôt un défi qu’une perspective décourageante.

(1) Sur proposition des écrivains albanais, la rencontre avait été fixée au 23 mai 1988 à Pristina. Les Belgradois acceptèrent cette invitation, mais leurs hôtes la retirèrent par la suite, si bien que la poursuite des entretiens n’a pas eu lieu.

Le récit des deux rencontres avec A. Malraux a paru dans Revue des Etudes slaves, fascicule 1, Paris 1984.

Zivorad Stojkovic, “Si le Kosovo est au coeur de la culture serbe. Deux rencontres avec André Malraux”, L’aventure humaine, hivers, n° 10, 1989, pp. 50-52.

 

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Un petit point de philosophie - statut ontologique du vivant et éthique politique

5 Mars 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Il y a trente ans, on attribuait à Marx, Freud, et Nietzsche, la vertu d'avoir introduit le soupçon dans l'ordre du discours. Notre époque, avec notamment le développement des sciences de la nature, est revenue à une certaine foi dans les énoncés assertoriques, et dans la légitimité du sujet à y accéder - notamment à la légitimité du sujet humain comme produit de la nature à produire un discours sur elle.

Et en même temps l'on nourrit désormais un plus grand scepticisme sur chacun de ces trois auteurs. De Nietzsche on n'est prêt qu'à garder un sens de l'exaltation de la volonté, et une critique du ressentiment, de Freud l'idée d'une activité inconsciente du cerveau (mais je crois que de moins en moins de gens adhèrent aux théories psychanalytiques construites sur du sable, et je m'en réjouis). Qu'a-t-on gardé de Marx ?

Toute l'eschatalogie philosophique empruntée à Hegel me paraît périmée. L'idée de dialectique ne relève plus que d'un snobisme rhétorique. Beaucoup de marxistes que je connais ne se réclament de Marx que par pur fétichisme, et bien peu ont mené une réflexion philosophique indépendante (je veux dire une réflexion qui prenne en compte tout ce que l'on peut savoir de nos jours), aux termes de laquelle ils pourraient dire en toute connaissance de cause ce qui est encore pertinent chez Marx. A mon avis, ce qu'il faut garder de Marx, c'est cette idée que les discours dominants protègent des avantages de classe, que des rapports de classe existent, et qu'il faut les organiser en luttes (mais non pas que ces luttes puissent s'organiser effocacement d'elles-mêmes) si l'on veut que les classes inférieures accèdent à un plus grand niveau de partage des pouvoirs et d'égalité. Cela étant, même si j'ai pris mes distances par rapport aux théories de Bourdieu, je pense tout de même que Marx doit être "filtré" au travers d'analyses comme celle de ce sociologue qui réintroduisent une meilleure approche de l'autonomie de certaines sphères intellectuelles, et même aller plus loin que Bourdieu, en reconnaissant que certaines activités intellectuelles - comme les sciences ou le droit - ont une force de contrainte intérieure, cognitive, si forte qu'elles sont absolument, dans leurs mécanismes profonds, largement indépendantes des rapports de classe (et des rapports de domination au sein des "champs" de professionnels qui en vivent).

Mais laissons ce point de côté pour l'instant.

Le grand mérite de Marx en son temps fut de rompre avec les dernières vieilles lunes idéalistes, queues de comète du christianisme, dont Hegel avait été l'exemple le plus éclatant (et la synthèse la plus remarquable). Marx prolongeant le geste libertin et les théories du XVIII ème siècle français replaçait l'humain dans sa naturalité matérielle.galaxy-copie-1.jpg

Aujourd'hui, plusieurs décennies après la "mort de Dieu" - qui ne subsiste que sous forme d'une fixation fétichiste identitaire chez les pratiquants des diverses religions -, nous pouvons considérer avec une lucidité particulière et sans aucun romantisme la question de la naturalité de l'humain (dont les théories de l'évolution ont éclairé tant de dimensions obscures), naturalité que l'humain connaît si bien qu'il en est même venu à pouvoir la manipuler par la technique, et façonner presque pleinement, dans les gènes, toute la nature à l'image de la sienne propre.

La naturalité humaine, comme sous-ensemble de la naturalité animale, elle-même sous-ensemble de la naturalité biologique prise en général est un phénomène que la science nous révèle avec une telle précision que la plupart des idéalisations mystiques ou esthétiques sur son compte relèvent plutôt du conte pour enfant, de la fable consolatrice, que du discours digne de foi. L'humain n'est qu'un sous-ensemble d'un règne biologique, né sur le Terre il y a 4 milliards d'années, et qui évolue en vase clos, perdu dans une galaxie minérale qui n'a rien produit d'équivalent et aux yeux de laquelle le vivant n'est qu'une forme parasite de l'étant - le bios est un parasite de l'oxygène apparu par erreur sur la planète Terre.

Par conséquent, sub specie absolutis, le règne biologique n'est qu'une absurdité, qui évolue en cercle fermé - les êtres vivants naissant, mourant, se nourrissant d'autres vivants selon les règles de la chaîne alimentaire, L'humain en tant qu'espèce n'est intéressant que pour lui-même, et le règne vivant ne l'intéresse que pour autant qu'il lui permet de survivre (ou pour autant que sa présence l'aide à soulager une culpabilité diffuse, comme c'est le cas chez de nombreux écologistes). L'ensemble du règne vivant est donc un processus complètement vain, et l'humain en son sein participe de cette vanité, même si les chimères qui naissent de son instinct d'animal social le soustraient la plupart du temps à ce rude constat.

Il me semble qu'il faut se tenir à cette frontière de la non-humanité, et même de la non-appartenance au règne biologique (ce que nous permet de faire le travail intellectuel), pour considérer en toute lucidité ce que sont nos vies et leur sens. Pour autant ce constat nous conduit-il au nihilisme quand il s'agit de morale et de politique ?

Sans doute pas. Car l'humain ne franchit jamais la fontière du non-biologique. Il est toujours, quoi qu'il fasse, dans le domaine de la vie - même le suicide, en tant qu'élimination de sa vie propre, ne lui permet pas de voir le monde du point de vue de la non-vie. Même à cette frontière - qui est le seul lieu de lucidité possible - l'humain ne peut pas vouloir autre chose que le bien de sa propre espèce, et du règne vivant en général, car il doit, s'il est rationnel, vouloir persister à être dans un monde vivable pour lui et pour ses proches.

Or la définition de ce bien - et c'est une leçon des derniers siècles, même si peu de gens encore la comprennent - ne peut être entendue que comme un bien global pour son espèce, c'est à dire en terme d'équilibres universels, qui accordent à chacun la plus grande part de liberté et de dignité, ce qui passe par un renforcement autant que possible (et là dessus on revient à Marx) de l'égalité. Ce bien ne peut être obtenu par des règles spirituelles que prônent les religions monothéistes ou le bouddhisme dans lesquelles à raison les marxistes ont vu des impasses, si elles ne se doublent d'une action concrète (au besoin, dans certains cas, d'une action violente). C'est en ce sens que, en vertu d'un paradoxe qui n'est qu'apparent, le combat contre les inégalités, contre les injustices planétaires, contre les logiques impériales, est le corrélat nécessaire du constat de l'isolement du règne vivant dans une galaxie minérale et du non-sens de son développement.

FD
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