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A la niche !
Ah mes chers lecteurs comme elle est douce et tendre cette fin de mois de décembre, vous ne trouvez pas ? Les plans de licenciements se multiplient, mais la France bourgeoise persiste dans son ronronnement paisible (une fausse paix, bien sûr hantée par mille culpabilités et mille découragements mais qu'importe). 640 euros le budget moyen des cadeaux de Noël, qui dit mieux ? Donc ne nous étonnons pas s'ils ne se passe rien, strictement rien. Les Indignés, les Anonymous, et autres jeunes exaltés fumeurs de teuch sont rentrés gentiment chez papa-maman. Les complotistes s'exaltent entre eux, au fond de leur chambre, contre les "sionistes", les "francs-maçons" etc pour surtout n'avoir pas à organiser des luttes sociales. Il n'y a pas d'action politique, nulle part. Et le gouvernement peut à loisir tancer le PCF pour une vidéo trop incive contre notre président adoré, avec des menaces à peines dissimulées pour les prochaines municipales. "A la niche le PC". A la niche les contestataires !
J'ai ri en lisant Le Monde cet après-midi, quand j'ai vu qu'un collectif de profs de Sciences Po (surtout des profs américains, dont l'ineffable Fukuyama, l'ex-prophète de la "fin de l'Histoire"), tancent la Cour des comptes, et lui reprochent de n'être point assez sensible au charme de la "fluidité" ! Ah, la fluidité de M. Descoings ! Laissez nous donc être fluides, et cessez d'embêter le très fluide M. Casanova. En 1981 on se demandait s'il fallait absorber Sciences Po dans l'université, aujourd'hui on soumet l'université à la loi des grandes entreprises, et l'on blâme l'Etat actionnaire de l'IEP d'oser reprocher à M. Descoings son salaire, encore bien inférieur à celui de directeurs de grandes écoles américaines (sic). L'Humanité rappelle aujourd'hui dans son édito que Mme Bettencourt est assise sur un capital égal au PNB de la Tanzanie ou de la Côte d'Ivoire. But who cares ? Who cares ?
"Nous nous battrons jusqu'à ce que plus aucun d'entre vous n'ait le sens de la dignité politique". Voilà la devise de notre grande presse et de nos responsables politiques. Et l'entreprise marche assez bien. Tout le monde s'accommode assez bien de l'abjection. Quand je dis "tout le monde", je dis aussi toute notre planète. La raison du plus fort et du plus riche n'y a jamais été aussi populaire.
Bali
Vijay Prashad le rappelle dans son livre "Les nations obscures" : 8 % de la population de Bali ont été tués au cours de la grande répression anti-communiste de 1964 (avec les armes et la bénédiction occidentales), tout autour des hôtels de luxe. Si j'étais un écrivain reconnu, payé pour voyager et armé de réseaux relationnels qui relaieraient ce que je fais, je prendrais un caméraman avec moi (puisque "la vidéosphère a remplacé la graphosphère"), et j'irais enquêter auprès de la population de Bali, pour en connaître tous les aspects et en éclairer les diverses strates. Je ferais parler les vieux à propos de la répression de 64, et les jeunes à propos de l'exploitation capitaliste actuelle (de l'islamisme aussi car l'île est une des rares d'Indonésie à ne pas être majoritairement musulmane, je crois, ce qui lui vaut quelques problèmes).
Elections régionales au Venezuela
Sur la situation au Venezuela, je vous recommande la lecture (en français) de ce petit billet, non pas tellement pour son thème principal (les scores du tout petit Parti communiste vénézuélien qui, en soi, n'ont guère d'importance) que pour ce qu'il révèle de la complexité de la situation de ce pays : on y apprend que certains gouverneurs pro-Chavez mènent des politiques anti-sociales et anti-communistes. Les choses ne sont décidément pas simples dans ce pays. A part ça intéressant aussi le score du PSUV.
Fourberies républicaines, terrorisme de droite, Torreton/Depardieu, libertarisme des Femen
Bon, je continue de visiter les règlements de compte de Bernanos avec la droite "bien-pensante" de 1870 à 1937 (car j'ai aussi acheté son "Les grands cimetières sous la lune"). Je laisse le côté de l'anti-sémitisme qui, un jour, méritera un commentaire spécifique. Ces livres soulèvent d'importante questions : qu'eût été le monde si une sorte d'ultra-monarchisme "intègre" dont rêvait Bernanos avait réussi sa restauration ? Je me suis posé des questions similaires dans l'autre sens en 2009 quand je me demandais ce qu'aurait donné une république communiste en France. Il faut toujours se demander ces choses-là, car ces questions vous guérissent de l'impression de "Weltgeschichte ist Weltgeright" qui s'impose à nous à travers les catégories scolaires. Quand Bernanos dit que la bourgeoisie à partir de la Révolution a privatisé les droits et socialisé les devoirs (en faisant peser sur l'Etat l'obligation d'éduquer le peuple par exemple), je trouve que c'est une parole forte, mais, en même temps, je ne vois pas bien comment le ultra, eux, avec leurs écoles catholiques, auraient réussi une aussi complète élévation de la paysannerie à la culture que ne le fit Jules ferry (et ce quoi que l'on pense de cette culture républicaine qui était loin d'être totalement honnête...)
Il y a toujours du bon à lire ses adversaires. J'apprécie de trouver sous la plume de Bernanos le portait d'un Jaurès en universitaire démagogue qui rallia la classe populaire au dreyfusisme (identifié par la droite à la trahison des clercs), comme j'aimais lire sous la plume de Romain Rolland une présentation d'un Jaurès faible, trop jovial, trop enclin au compromis. Il faut connaître toutes les facettes des icônes historiques, toutes les façons dont elles ont pu être considérées en leur temps, sans pour autant adhérer à aucun des points de vue. Et je vais même vous dire : alors que ma famille fut victime du franquisme espagnol (puisque mon grande père, qui fit partie des gardes civils républicains lui fit la guerre et s'exila, sans quoi je serais né aragonais), j'aime à lire ce jugement de Bernanos selon lequel les républicains ne sont pas fondés à se plaindre de ce que des généraux fêlons fussent instrumentalisés par la réaction, puisqu'eux-mêmes n'avaient pas hésité à utiliser la trahison d'autres généraux pour renverser la monarchie en 1931. Et j'aime d'autant mieux cela que le propos émane d'un écrivain ultra qui a le courage de dénoncer l'essence terroriste du franquisme (avec d'ailleurs des lignes lumineuses aussi sur le terrorisme catholique espagnol en Flandre au XVIe siècle) et le risque (avéré en 1940) que la droite française capitule complètement devant ce terrorisme-là. Oui, il faut entendre quand on nous dit certaines vérités désagréables sur les partis de gauche, républicains ou autres. La politique n'est jamais menée par des enfants de coeur, et la question est de savoir jusqu'où un intellectuel doit valider la Realpolitik, surtout celle de son camp. Bernanos a un argument fort : la peur ne peut pas légitimer une politique, et ce aussi bien lorsqu'elle est le moteur de compromis iniques que celui du terrorisme.
Ce voyage dans le passé bien sûr éclaire le temps présent : cette triste aventure de notre gouvernement Ayrault-Hollande, frêle esquif embarqué sur les eaux d'une société où l'égoïsme, la lâcheté conformisme, la bêtise en un mot (grand thème de Bernanos) gouverne aussi sûrement les coeurs que les grandes banques le porte-feuille. L'affaire Depardieu cristallise l'ultime volonté d'un peuple de croire qu'il pourrait vouloir être solidaire. L'ultime "volonté de volonté". L'appel de Torreton dans Libé et les morsures que lui infligent en retour les vedettes du show-biz (Lucchini, Gad Elmaleh, Deneuve) en disent aussi long sur la difficulté de dire encore quelque chose "de gauche" dans ce pays, que les grands moulinets dans le vide du camarade Montebourg.
Alors ont-ils raison de vouloir déplacer le combat sur le terrain "sociétal" nos camarades socialistes ? Oui et non. Cette dictature grossière des "théories du genre" qui veulent interdire aux petites filles de jouer à la poupée et aux petits garçons les jeux de guerre constitue, comme l'a noté à juste titre Pinker, une queue de comète du stalinisme dont on se serait bien passé... Queue de comète sur le mode de la répétition comique de tragédies anciennes, avec la nonne Clémentine Autain dans le rôle du nouveau Jdanov. Et cependant tout n'est pas à jeter dans cet effort pour réformer les moeurs. Prenez les Femen par exemple : en regardant la prose de ce mouvement, qui jusqu'ici se bornait à imposer la violence phallique de corps d'Amazones transformées (avec plus ou moins de succès) en Robocop, je vois émerger ça et là en leur sein (quoique souvent honteusement, et sans doute sous l'éteignoir des bonnes soeurs intégristes de leur club) d'intéressants appels à la liberté sexuelle, dont l'Egyptienne Alia Elmahdi, qui manifestait avec elles en Suède cette semaine, se fait l'avocate (maladroite certes, mais bon). On aurait tort de ne voir là que des manipulations de la Fondation Soros. Cette liberté là ne viendra peut-être pas complètement à bout du pouvoir des banques, mais elle en sera toujours un frein, car, même si Cohn-Bendit est trop sot pour le voir, elle reste incompatible avec le productivisme libéral. C'est pourquoi je reste proche à certains égards de la mouvance écologiste, plus que ne le furent les staliniens de la mouvance anti-impérialiste qui n'y voyaient que des alliés "verts de gris" de l'autoritarisme de l'OTAN. Le nouvel ordre écologique et le libertarisme sexuel restent des instruments très importants de la réforme sociale à venir.
L'intelligence comme "lethal mutation"
Un argument que j'ai entendu récemment dans une conférence de Chomsky, mais qu'il a emprunté aux biologistes, et que je trouve résumé ici : "If you take a look at biological success, which is essentially measured by how many of us are there, the organisms that do quite well are those that mutate very quickly, like bacteria, or those that are stuck in a fixed ecological niche, like beetles. They do fine. And they may survive the environmental crisis. But as you go up the scale of what we call intelligence, they are less and less successful. By the time you get to mammals, there are very few of them as compared with, say, insects. By the time you get to humans, the origin of humans may be 100,000 years ago, there is a very small group. We are kind of misled now because there are a lot of humans around, but that’s a matter of a few thousand years, which is meaningless from an evolutionary..."
De quoi il est déduite que l'intelligence est une "mutation mortelle" ("lethal mutation") à l'échelle du devenir des organismes vivants.
Lorsque Chomsky l'énonçait dans la conférence que j'écoutais, il disait qu'une prochaine guerre mondiale finirait sans doute par "réaligner" l'humanité sur cette norme biologique qui veut que plus on est une espèce intelligente plus on est voué à être en nombre restreint et à s'éteindre au moindre changement d'environnement. Sur le moment je n'ai pu m'empêcher de songer que c'était là typiquement la pensée d'un théoricien vieillissant qui trouve commodément dans la biologie une légitimation de son pessimisme personnel, et procède, ce faisant, à une extension abusive des conclusions de cette science (laquelle, pour l'heure, est plutôt vouée à voir dans l'intelligence humaine une exception au sort funeste réservé aux autres organismes élaborés). Mais il est clair que je n'évacuerai pas simplement cette intuition chomskyenne sur la base d'un diagnostic psychologique un peu léger, et que je vais sans doute dans les années à venir creuser cette idée, tenter d'en comprendre mieux les fondements, les implications, et la mettre à l'épreuve de diverses autres objections possibles dans des registres variés.
Effets des sanctions occidentales sur le peuple iranien
L'artiste Sanaz Sohrabi travaille sur un projet de performance pour dénoncer l'effet catastrophique des sanctions occidentales contre l'Iran sur le plen de l'accès aux médicaments et aux soins. Elle a demandé aux Iraniens de témoigner sur leur difficulté récente à se soigner, les témoignages vont être glissés dans des capsules et déposés demain devant le siège de l'ONU à New York.
La situation de l'Iran sur le plan pharmaceutique est devenue critique en ce qui concerne des maladies comme l'hémophilie (la vie de 10 000 personnes serait en jeu de ce seul fait), la leucémie, les problèmes cardiovasculaires.
Voyez ce témoignage en anglais de Muhammad Sahimi, en août dernier.
"Although Iran produces a large part of the medications and drugs that its population needs, based on the generic versions of brand-name pharmaceuticals, it is unable to produce the most advanced drugs that have come to the market over the past 10–15 years that deal with a variety of illnesses and medical problems, simply because their generic versions are not yet available. As a result, Iran must still import a significant amount of drugs every year to deal with illnesses such as leukemia and AIDS. But the sanctions that the United States and its allies have imposed on Iran’s banks and other financial institutions have made importing necessary drugs and medical instruments almost impossible. At the same time, as Iran’s oil exports continue to decrease because of the sanctions, the financial resources of the nation become increasingly strained, making it more difficult to pay for expensive drugs, even if a way can be found to import them. As a result, the shortage of drugs will soon become a catastrophe if not addressed. I have been able to personally verify the shortage, as two of my brothers-in-law are pharmacists and run large pharmacies in Iran. They have confirmed to me that the crisis is reaching dangerous levels.
The board of directors of the Iranian Hemophilia Society recently informed the World Federation of Hemophilia that the lives of tens of thousands of children are being endangered by the lack of proper drugs caused by international economic sanctions. According to the Society, while the export of drugs to Iran has not been banned, the sanctions imposed on the Central Bank of Iran and the country’s other financial institutions have severely disrupted the purchase and transfer of medical goods. Describing itself as a nonpolitical organization that has been active for 45 years, the Society condemned the “inhumane and immoral” U.S. and EU sanctions and appealed to international organizations for help.
Tens of thousands of Iranian boys and men have hemophilia and need certain drugs that must be imported. Many of them need surgery for a variety of reasons, but in the absence of proper drugs for their hemophilia, the surgeries cannot be performed. In fact, several reports from Iran indicate that all surgeries for all hemophiliac patients have been canceled.
But the problem is not restricted to hemophiliacs. Reports indicate that advanced drugs for a variety of cancers (particularly leukemia), heart diseases, lung problems, multiple sclerosis, and thalassemia cannot be imported, endangering the lives of tens of thousands of people. There are about 37,000 Iranians with multiple sclerosis, a debilitating disease that can be controlled only with advanced medications; without them, the patients will die. And given that, even under the best medical conditions, 40,000 Iranians lose their lives to cancer every year, and that it has been predicted by many experts that Iran will have a “cancer tsunami” by 2015, because every year 70,000–80,000 new cases of cancer are identified in Iran, the gravity of the situation becomes even more glaring. "
Et encore ce rapport qui mentionne la failite en chaîne des pharmacies en Iran :
"Rahbar Mozhdehi Azar, the Head of the Society for Pharmacists of Iran, in an interview with Mehr News, has stated that the “majority of pharmacies are up for sale” due to a four-fold increase in taxation on pharmacies and serious delays in insurance payments. As a result, around 100 pharmacies have been put up for sale in recent months."
Suite de la visite de l'histoire de France à travers les yeux de la droite
Est-il vrai que, comme le soutient Bernanos sur la base d'une interview de Werlé, maire de Ferrières, dans Le Figaro Bismarck n'aurait pris à la France que 5 km le long du Rhin et Strasbourg si celle-ci avait accepté l'armistice plus tôt en 1870 ? Bernanos a en tout cas des mots intéressants - un peu les mêmes que Flaubert - quand il décrit cette fièvre révolutionnaire républicaine un peu théâtrale qui s'empare du peuple français après la chute de Napoléon III. Les raisons de la chute de l'empereur d'ailleurs sont d'ailleurs évoquées en des termes convainquants par l'auteur : cette idée que l'il entretenait à la France le rapport d'un amant illégitime à une maîtresse qu'il couvre de cadeaux et demande régulièrement "m'aimes-tu ?" à travers ses plébiscites, en sachant qu'il ne pourra jamais l'épouser. Un pouvoir illégitime, mal assuré.
Tout de même cet imaginaire de la levée en masse, cette conviction quasi-religieuse qu'elle aboutira à un Valmy miraculeux, à l'image de cet ouvrier français qui se jette avec une baïonette sur les flancs d'une soldats prussien. Bernanos (qui esquisse aussi une comparaison intéressante avec la résistance espagnole des années 1810) décrit magistralement cette superstition comme Flaubert le fait de la Commune (d'ailleurs saluons l'honnêteté avec laquelle Bernanos dénonce, comme Flaubert, la bassesse de la répression versaillaise). L'Histoire se répète sur le mode de la comédie comme l'avait noté Marx (un peu comme, si l'on veut, le hollandisme aujourd'hui est une répétition comique du mitterrandisme de 81, nous y reviendrons un jour), et il n'y eut pas de second Valmy. La fièvre de 1870, nos professeurs nous apprirent à la considérer comme une résurgence "normale" de l'instinct républicain de notre peuple, pourtant le phénomène n'a rien de normal, et il n'y a rien de normal dans le fait de voir un Gambetta, un homme fraîchement naturalisé comme le note Bernanos, envoyer des tas de pauvres bougres au casse-pipe avec des "fusils à tabatière"...
Etrange que la mystique révolutionnaire ait si bien fonctionné en France en 1870, alors que les Républicains étaient si minoritaires dans le pays. Tout le monde y a vu l'effet d'un fond chimérique de l'esprit français, en retard à maints égards sur le "positivisme" prussien. La création de Sciences Po est née de là, à l'époque, la volonté de remédier à la bêtise d'un peuple à travers la regénérescence de ses élites.
Etrange a contrario que cette mystique-là n'ait pas du tout marché en 1940, pas même dans les rangs des marxistes, alors qu'il y eut un appel dans ce sens lancé par le communiste Charles Tillon à Bordeaux le 17 juin. On peut pousser plus loin encore l'étonnement philosophique : pourquoi n'y eut-il pas de sursaut révolutionnaire à Bagdad à la chute de Saddam (qui était le Napoléon III de son pays) en 2003, face à l'invasion US ? Question faussement naïve, bien sûr, qui nous aide juste à mesurer le fossé entre le monde actuel et celui de 1870.
Encore un pas sur le sentier de Bernanos
"L'activité bestiale dont l'Amérique nous fournit le modèle, et qui tend déjà si grossièrement à uniformiser les moeurs aura pour conséquence dernièr de tenir chaque génération en haleine au point de rendre impossible toute espèce de tradition. N'importe quel voyou, entre ses dynamos et ses piles, coiffé du casque écouteur, prétendra faussement être à lui-même son propre passé, et no arrière-petits-fils risquent d'y pedre jusqu'à leurs aïeux" (Bernanos, "La grande peur des bien-pensants", 1930 p. 50). C'est assez bien vu non ? Et ça ne vous rappelle rien ? Oui, le point de vue sur l'Amérique de ce vieux communiste d'Anatole France trois ans plus tôt que j'évoquais ici il y a 8 mois.
Je ne devrais pas lire les auteurs d'il y a cent ou deux cents ans. Mon pote le blogueur Edgar me l'a sorti déjà il y a un mois à propos du côté XIXe siècle de Mélenchon, qu'il ne fallait pas vivre dans le vocabulaire de ces époques lointaines parce que "c'était avant Auschwitz"... Il aurait d'autant plus raison que là, dans Bernanos, il y a de l'antisémitisme ouvert (même s'il s'est "racheté une conduite" avec la guerre d'Espagne). Sauf que je ne peux pas m'arrêter à ça, parce que de l'antisémitisme il y en a tellement dans la première moitié du XXe siècle. J'en trouve des traces même dans la correspondance de Clemenceau... Il faut bien lire Platon malgré sa haine de la démocratie, et Bernanos malgré son antisémitisme de jeunesse, on ne peut pas faire autrement. Même Elie Wiese le dit dans "Le Mal et l'Exil" alors...
En fait je ne sais pas trop pourquoi je lis Georges Bernanos ou George Sand (tiens deux Georges...), ni pourquoi je suis content de retrouver chez l'un et l'autre le même surnom donné à Napoléon III : Badinguet. Si je suis Edgar, puisque tout ça se passait avant Auschwitz, ou, du point de vue de quelqu'un de plus jeune encore, avant les ordinateurs, il n'y aurait rien à en tirer. Mais précisément : ils sont nos aïeux, et nous sommes leurs arrières-petits-enfants (arrière-arrière-arrière-arrière pour George Sand) dont Bernanos craignait que nous les oubliions... Je les écoute donc sans les juger, en admettant leur droit à l'erreur et au délire. Je les écoute pour comprendre, pour saisir de quel monde on vient, de quelle France, sans le regard biaisé et fade des historiens.
J'écoute souvent sans comprendre, et souvent aussi sans retenir. Du précédent livre de Bernanos "Les enfants humiiés" je n'ai rien retenu du tout, et j'ai trouvé, sur le même sujet, Ernst Jünger plus juste, allez savoir pourquoi. Je ne sais pas ce que je retiendrai de "La grande peur des bien-pensants". Peut-être rien non plus. Pourtant là tout de suite, je retiens des formules saisissantes. Parfois il y en a trop, beaucoup trop, on s'y perd, et cela perd toute saveur. Parfois on rencontre un mot juste, des détails inattendus qui s'entrechoquent. Parfois on se demande pourquoi on prend un livre plutôt qu'un autre. Pourquoi je préfère acheter un Bernanos que finir de lire les mémoires du Cardinal de Retz, qui traînent dans ma bibilothèque, et dont Bernanos cite le nom (mais me replonger dans le XVIIe siècle me demanderait beaucoup d'effort). Pourquoi Bernanos me donne envie de relire Péguy. Sans doute parce qu'il a une drôle de façon de parler de Victor Hugo, comme c'était aussi le cas de Péguy. Pourtant jusqu'ici à chaque fois que j'ai rôdé autour de Péguy, je n'en ai rien tiré de plus que de Bernanos. Juste le souvenir d'une langue bizarre, d'odeurs d'un pays disparu. C'est peut-être cette odeur que je recherche. Mais pourquoi ? Pour en faire quoi ?Moi qui suis un progressiste, grand défenseur de la liberté du reggaeton, des innovations technologiques et des pays émergents... Allez, je vous en dirai plus quand j'aurai avancé davantage sur le sentier de Bernanos.