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Le socialisme dans un seul pays
C'est un point que j'avais développé dans "Programme pour une gauche française décomplexée" juste après l'élection de Sarkozy : on ne peut pas se limiter à des combats partiels - contre l'impérialisme, pour l'émancipation des classes subalternes, pour l'écologie, pour l'égalité des sexes, pour la liberté sexuelle, pour le rationalisme. Il faut tenir tous ces combats ensemble dans une vision socialiste. Ne pas garder cette perspective globale est une première forme de capitulation, et de résignation devant la victoire de la marchandisation du monde.
Une autre forme de trahison serait de ne pas envisager la tactique pertinente pour conduire vers cet idéal. Mélenchon a fait beaucoup pour définir une tactique à lui : la création d'un front unissant des dissidents socialistes (sous l'étiquette PG), écologistes, trotskystes (Gauche unitaire), communistes (FASE), à l'appareil du Parti communiste. Il a avancé un imaginaire intéressant pendant la campagne présidentielle mêlant populisme chaviste, référence au jacobinisme, à Jaurès et à la Commune, et laïcisme (parfois un peu excessif mais bon). L'expérience a montré ses limites pour séduire les écologistes et la gauche du PS. Et elle est dans l'impasse à l'égard de l'Union européenne (le PG n'ose pas rompre avec l'euro, le PCF remplace sur ses cartes la faucille et le marteau par le sigle "Gauche européenne"). Or il est évident que, même si M. Hollande haussait le ton face à l'Allemagne comme le lui demande le Front de gauche, il n'obtiendrait aucune relance économique au niveau de l'Union, et il vaut mieux préparer les esprits à une nouvelle forme de "socialisme dans un seul pays" en attendant mieux : c'est à dire redonner à la France les moyens de son propre socialisme, en lui redonnant le goût de la valorisation de ses propres ressources et de la définition de son propre non-alignement diplomatique et militaire.
Il faut redire cela de temps à autre, et ne pas laisser croire qu'on perd de vue cette perspective, car le laisser entendre est un moyen d'empêcher sa réalisation, et de concourir soi-même à sa liquidation.
Détailler davantage la méthode au delà de ce point devient cependant très difficile. On voit bien que la mobilisation sociale est basse (voir la désaffection du 1er mai en France comme en Espagne), ce qui ne veut pas dire que rien ne peut être fait, mais que l'impulsion doit venir "du haut", de programmes élaborés par les représentants qui, seuls peuvent dynamiser leur base (et non l'inverse, en tout cas dans la séquence actuelle). Et même au niveau des représentants les forces à rassembler ne sont pas nombreuses. Le Front de gauche étant, à mes yeux, durablement dans l'impasse en raison de son absence complète de stratégie à l'égard de l'Union européenne, il est urgent de revitaliser et fédérer les forces qui, à gauche, peuvent servir cette vision du socialisme dans un seul pays en favorisant leur fédération : POI, PRCF, chevènementistes, MPEP. Si ce pôle trouvait une unité, il pourrait peut-être jouer un rôle de locomotive et attirer à lui à terme le PS et le Front de Gauche sur une ligne de renouveau.
Il faut en revanche bannir les solutions "ni gauche ni droite", qui ont le don d'attirer à elles les militants qui ont une culture d'extrême-droite et qui font nécessairement perdre de vue la perspective et les valeurs du socialisme sur cette voie.
Il faut, au niveau de cette plateforme commune, penser un programme original qui concilie les avancées possibles du socialisme libertaire (plus attractif pour la jeunesse), sur le volet sociétal, écologique etc, y compris dans certaines de ses dimensions utopiques, avec certaines nécessités d'un socialisme plus "vertical" (dans le domaine militaire par exemple). Je vous renvoie à ce sujet à un article que j'ai publié dans la revue "Commune" de septembre 2008 "Le socialisme derechef et de plus fort".
Et si l'austérité européenne coulait l'indépendantisme catalan ?
Il y a quatre jours, Pere Navarro, premier secrétaire du Parti socialiste de Catalogne (PSC), était l'invité de l'émission politique "El Debate" de TVE. Il est reproché au PSC de faire le lit du nationalisme catalan en acceptant le principe d'un référendum inconstitutionnel sur l'indépendance (tout en disant qu'il prônera le "non" à ce référendum). Je me demande si, paradoxalement, la politique d'austérité dictée par l'Allemagne à l'Union européenne n'a pas un effet collatéral positif : en obligeant la Catalogne (comme les autres communautés autonomes espagnoles) à définir une politique d'austérité, l'Union européenne fait éclater la coalition nationaliste qui dirige la Generalitat, entre d'une part le centre-droit nationaliste (CiU) "austéritaire" et la gauche nationaliste utopiste (Esquerra republicana de Catalunya) plus progressiste, de sorte qu'aucun budget n'est voté et que le PSC (noniste du référendum) pourrait être appelé en renfort pour intégrer la coalition dirigeante. Cela lui confèrerait un pouvoir d'influence pour couler le projet de référendum. Voilà peut-être une "ruse de l'histoire" comme disent les hegeliens.
La problématique de l'enracinement chez Benda
extrait de "La trahison des clercs"
Les incontournables du weekend : Sahelistan, lyssenkisme, hollandisme
1) Le livre de Samuel Laurent "Sahelistan" et l'interview de l'auteur sur Rue89 qui explique pourquoi la guerre du Mali ne sert à rien. Les anti-impérialistes dogmatiques qui croyaient que les Touaregs pro-Kadhafi ne s'allieraient pas à l'Aqmi en raison de leurs convictions idéologiques (voire que l'Aqmi n'existe pas -tant qu'on en est du délire) en seront pour leurs frais. Le témoignage de Laurent est d'autant plus respectable qu'il s'est rendu sur place. Son info sur les tensions entre djihadistes du Nord et du Sud en Libye sont importantes. Je me demande si l'Ouest pourra éviter une nouvelle intervention militaire en Libye.
2) Contre le stalinisme en sciences humaines qui rejaillit sur le débat sur les races après avoir atteint celui sur les sexes, voir cet article de Nancy Huston et Michel Raymond. Staline avait son Lyssenko, nous en avons 2 000... Notez aussi que les partisans de l'indifférenciation sexuelle ont obtenu une victoire aux USA. La police de New-York n'arrêtera plus les femmes sans le haut. De plus les éventuels attroupements autour d'une ou plusieurs d'entre elles devront être dispersés. Les femmes poursuivies pourront réclamer des dommages-intérêts. Le tout au nom de l'égalité des sexes et de la parité. Faut-il rappeler que le lyssenkisme était cité comme exemple paradigmatique de l'errance irrationnelle par le préfacier de l'édition de 1974 "La Trahison des Clercs" André Lwoff, prix Nobel de médecine ? Les constructivistes sont les nouveaus lyssenkistes.
3) Enfin un film complaisant sur l'entourage de Hollande "Le Pouvoir" de Patrick Rotman qui montre la médiocrité de celui-ci. Le Monde disait la même chose il y a peu. Connaissant une ou deux personnes dans ce milieu je ne suis pas surpris.
Au moins aussi important que la liberté d'expression
Il y a des gens qui pensent que le vrai combat c'est la liberté d'expression et qui disent qu'ils sont juste trop "bien élevés" pour "faire le geste de la quenelle". Moi, je n'aime ni le geste homophobe que suppose la "quenelle", ni toute la bouillie imaginaire glauque qui tourne autour de ça. Je ne comprends même pas qu'on puisse imaginer que le refus de ce geste et de cet imaginaire soit juste une question de bonne éducation (qu'on défende la liberté d'expression des "quenelliers", et des gauchistes, et des raéliens etc pourquoi pas, mais qu'on s'excuse presque de n'être pas des leurs certainement pas).
En revanche je trouve que le problème posé par cette petite vidéo est au moins aussi important que celui de la liberté d'expression en Europe. Qu'il faut y prendre garde. Que la solution ne passe pas uniquement par le boycott des produits, qu'il y a un problème de solidarité internationale (solidarité avec les syndicats notamment), et aussi un problème de rapports de forces politiques au sein desquels la France a un rôle à jouer.
La poubelle d'Internet, la mémoire sélective de R. Debray, le blog "Atlas alternatif"
La culture des geeks sur Internet commence à me donner la nausée. Tous les jours me voilà bombardé de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Il y a celles dont l'imposture plus ou moins humoristique crève les yeux comme ce billet qui annonçait que Woody Allen aurait qualifié Dieudonné d'humoriste juif, ou celle-ci qui prête à François Hollande des déclarations en faveur du RPR et une appartenance à ce parti quand la gauche est arrivée au pouvoir en 81 alors qu'il suffit de lire sa bio pour voir que,déjà à l'Unef en 74, il est entré au PS en 1979 et qu'il fut tout de suite chargé de mission au cabinet de Mitterrand dès le début de l'alternance.
Et puis il y a d'autres news dont on ne peut pas savoir si elles sont vraies à 5-10 ou 30 %. Par exemple celle selon laquelle Poutine aurait menacé Obama de guerre s'il continuait à défendre les pesticides de Monsanto qui tuent les abeilles (je la crois peu probable, mais il y a peut être une chance que les Russes à un certain moment aient parlé aux Américains de la fin des abeilles, allez savoir, et je voudrais savoir surtout dans quelle proportion on est sûr que ces pesticides tuent effectivement des abeilles), ou encore celle selon laquelle l'usine PSA d'Aulnay aurait pu être sauvé s'il n'y avait pas eu d'embargo économique sur son ex-client iranien (là encore, c'est probablement faux, mais on aimerait quand même savoir quel pourcentage des ventes l'Iran représentait naguère pour Peugeot, de même que je voudrais savoir si l'offre de reprise iranienne sur Petroplus écartée par Fabius pour cause d'embargo était solide et aurait pu sauver la raffinerie de Seine-Maritime, l'histoire ne le dira jamais).
Je lis et entends tant de sottises mes amis ! Sur Internet, mais à la TV aussi. Hier soir Régis Debray qui déteste le jeunisme à "Ce soir ou jamais" expliquant que jamais on a tant vanté la jeunesse que dans les mouvements fascistes et sous Pétain "qui avait créé les chantiers de jeunesse". A bon ? Moi je me souvenais aussi du fait que les organisations de jeunesse était un truc des communistes tout autant que des fascistes, et les maisons de la jeunesse et de la culture, c'était pétainiste ? Affirmations gratuites, mémoire sélective. On connaît ça chez nos publicistes, de Michel Onfray à Bernard-Henry Lévy. Après 10 minutes de blabla qui tournait en rond de Debray et Badiou j'ai éteint ma TV.
Pour revenir à Internet, j'observe que les billets du blog de l'Atlas alternatif qui étaient "likés" par 60 à 80 personnes sur Facebook pendant la guerre en Libye, ne le sont plus que par 8 ou 9 depuis la reprise du blog après une suspension de six mois, alors pourtant que le nombre d'abonnés n'a pas variés, et que nous avons toujours environ 5 500 "amis" sur les trois profils "Atlas alternatif" de Facebook. Certains me disent qu'il faudrait créer un profil Tweeter pour ce blog. Mais alors nous ne pourrions publier que les titres, n'est-ce pas ? Pas sûr que cela attire des lecteurs. De toute façon il n'est pas sûr que je n'opte pas pour une nouvelle suspension de ce blog de l'Atlas cet été. Pour l'heure je l'utilise surtout comme un bloc-note, un aide-mémoire.
Claudine Chonez et l'univers de la passion dans la mouvance communiste
Il y a un passage des Mémoires d'infra-tombe (de 1951, p. 81) où Julien Benda (qui était assez misogyne) s'énerve contre Claudine Chonez parce que celle-ci dans la revue littéraire "la Nef" l'accuse de ne rien comprendre à la poésie moderne (il la qualifie de "Walkyrie du nouvel art" peut-être parce qu'elle a été correspondante de guerre). Benda en profite pour s'énerver contre les poésies absconses, ce qu'on retrouve aussi dans Marcel Aymé ("Le confort intellectuel").
Cela m'a donné envie de m'intéresser au personnage. La fiche Wikipedia en dit hélas peu de choses. Cette vidéo où elle apparaît en 15ème minute nous renseigne sur ses débuts en 1936, à 24 ans, comme journaliste à la radio "Le poste parisien", ce qui lui permit de rencontrer Colette qui fut pour beaucoup dans sa promotion intellectuelle puisqu'elle lui a proposé de faire des critiques de livres dans le cadre de "La demi-heure de Colette".
On peut trouver étrange qu'une journaliste ait été ainsi promue au rang de critique littéraire sur un concours de circonstances - notamment le fait que son prénom correspondît à celui d'une héroïne de l'écrivain si l'on en croit son interview - et que cela lui ait conféré ensuite une assise pour attaquer des sommités de l'envergure de Julien Benda. Et l'on comprend que Chonez et son mentor Colette incarnât aux yeux de ce dernier tout ce qu'il détestait (le culte des passions, de la spontanéité, de l' "authenticité" contre la raison), et qu'il se soit étranglé d'être attaqué par cette univers-là... On voit cependant que ce monde de la passion dans l'après-guerre était très valorisé dans la mouvance communiste (à l'époque où Breton et Aragon étaient au pinacle), et que "la femme étant l'avenir de l'homme", des femmes tout particulièrement en ont profité (Wikipedia souligne son statut de "compagnon de route" du PCF, ce qui lui valut d'avoir une note nécrologique flatteuse dans l'Humanité en 1995 - Alexandra Kollontaï, enterrée dans l'indifférence générale, en eût pâli de jalousie).
Clémentine Autain est fille de cette histoire-là.