Articles récents
Le coup d'Etat permanent
Il avait bien raison celui qui désigna le régime de la Ve République comme celui du "coup d'Etat permanent". Grâce à ce système en effet, les partis politiques ne sont plus que des écuries de sélection de candidats à la présidence et ne pèsent pas dans les décisions de l'Exécutif, ou si peu.
Grâce à la Ve République, Giscard a pu imposer comme premier ministre un économiste à sa botte sans choisir un élu du principal parti de sa majorité (l'UDR), Mitterrand a pu effectuer le "tournant de la rigueur" en 1983 et libéraliser les marchés financiers sans débat interne au sein du PS, et, aujourd'hui, Hollande peut choisir comme premier ministre un homme dont l'option politique représentait seulement 5 % au sein de son parti il y a peu.
Ce qui est intéressant c'est que cela ne choque personne. Je crois que très profondément les Français sous leur vernis droit-de-l'hommiste aiment les dictatures quand elles émanent de leurs propres rangs, d'où leur amour pour Clemenceau, de Gaulle et quelques autres.
Il y a un mois, j'ai été surpris d'entendre deux de mes collègues faire l'éloge du régime de Napoléon III "régime le plus stable et le plus prospère que la France ait connu" (sic). Ces gens sont pourtant de bons électeurs du parti socialiste, issus de la bourgeoisie de droite (vendéenne et bordelaise) mais aujourd'hui enthousiastes de la social-démocratie "réformistes", des droits des minorités sexuelles, bref des sociaux-libéraux comme Emmanuel Valls les affectionnent. Pour eux Napoléon III était la synthèse de l'ordre et du souci des pauvres ("De l'extinction du paupérisme"). Si seulement chaque Français avait la sincérité d'avouer cette passion dictatoriale qui lui fait aimer la Ve République !
Marie Dubois
Marie Dubois, second rôle de "Tirez sur le pianiste" de Truffaut (1960) décédée la semaine dernière dans la sainte ville de Lescar (Béarn), où elle vivait (je l'ignorais). Lescar-Beneharnum où est enterrée l'immense soeur du roi de France François Ier et écrivaine, Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre. Deux grandes âmes ont traversé Lescar.
Le choix des mots
J'avais une discussion sémantique hier avec une correspondante dont je peux bien dire un mot ici puisque c'est un sujet que j'ai abordé dans un de mes livres. C'est sur cette "chose" qu'on appelle "l'amour passion".
Comment faut-il le nommer ? Passion ? Le mot fait égocentrique je trouve : on a la passion de la politique, de la chasse aux papillons etc, ça ne fait pas ouvert à l'autre. "Amour parfait" ou "amour véritable" ? Ca fait prétentieux. En fait c'est un amour qui a ses défauts comme toutes les choses humaines : ne serait-ce que parce qu'on fait subir à l'autre de temps à autre ses faiblesses - ses côtés possessifs, son besoin d'être rassuré, ses envies de fuite -. Un amour "véritable" ne devrait rien faire peser sur l'autre, mais l'être humain n'en est pas capable. Faut-il le nommer "amour fusionnel" ? Le terme fait trop "psychologique", et un tantinet méprisant même, péjoratif en tout cas - les pseudo-spécialistes de la psyché diront que ce n'est pas bien d'être fusionnel, qu'il faut "bien doser ses sentiments" etc.
Moi qui ne suis enclin ni à trouver la passion égoïste, ni à lui attribuer aucune perfection, ni pour autant à la dénigrer, car il me semble que c'est un des plus grands biens si ce n'est le plus grand qui puisse être donné dans une vie, je ne saurais trop comment la nommer...
Cela dit il est très fréquent que les aspects vraiment importants de l'existence n'aient pas de mots adéquats pour les désigner, ou qu'en tout cas, une fois qu'on les a bien connus, on trouve les mots conventionnels inadéquats pour les décrire.
Guérillas
Le gauchisme (ou le socialisme) armé, fait parler de lui en ce moment. Au Kurdistan syrien, au Mexique (où une armée révolutionnaire menace d'imposer la "justice populaire" face à l'inefficacité du gouvernement devant les crimes des narcotraficants).
Je lis une interview d'un membre de l'ETA non repenti dans "El Mundo". A propos de l'Ecosse il dit ceci : "Si vous allez demander aux Basques un par un s'ils sont pour l'indépendance, la plupart le sont. Sauf si vous faites la campagne qu'ont faite les Anglais en Ecosse : et si vous perdez votre retraite, si vous vous retrouvez en dehors de la livre sterling ... c'est jouer sur la peur. Ce qu'a fait l'Angleterre en Ecosse ça a été de la terreur. Laissez les gens libres et vous verrez."
La démocratie et la peur... Grand sujet de dissertation. On se souvient du prix de la peur qu'on nous fit payer au moment du référendum sur la constitution européenne. Combien de personnes n'osent pas être anti-capitalistes, réfléchir plus sur la société, s'engager plus politiquement, simplement par peur (à commencer par la peur du regard de leurs proches) ? Et combien même parmi celles qui ont opté pour des idées de gauche ont ensuite peur de continuer à réfléchir plus loin (à remettre en cause de temps en temps certaines de leurs croyances de gauche par exemple) simplement par peur du regard des nouveaux camarades d'engagement qu'elles ont trouvés ?
Passion séparatiste chez les Russes
Le premier ministre de la République populaire de Donetsk (une république autoproclamée, rappelons le, qui a des relents très populistes de droite et qui n'est pas "très" socialiste malgré son nom) Alexandre Zakhartchenko déclare "Nous ne pourrons plus vivre au sein d'un seul Etat avec l'Ukraine. Tout porte à croire que nous resterons non reconnus. D'une part, c'est mauvais, dirait-on, mais, de l'autre, c'est très bien au contraire. Notamment pour l'économie. Etre non reconnus signifie gagner davantage. Cela signifie l'absence de tout engagement international"...
Avouez que ce genre de déclaration a quelque chose d'étrange. Le complexe nord-coréen qui fait paniquer nos économistes ne semble pas effrayer les pro-russes (on devrait même dire "les russes" d'Ukraine). Côté politique monétaire les dirigeants de Donetsk envisagent l'introduction de toutes les devises à la fois, que ce soit les hryvnias, les roubles, les dollars, les euros ou les yuans (sic- c'est dans Ria Novosti).
C'est assez drôle parce que la passion séparatiste que les Russes ont déployée en Ukraine (comme d'ailleurs en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Transnistrie), ils la projettent aussi sur les territoires français. Le 8 octobre dernier sous le titre "Océan Pacifique séparatisme - Sur le chemin de la République populaire de Polynésie",le site Lenta.ru, crée un étonnant parallèle entre le Donbass et Papeete. "Dans les prochains mois, dans l'un des grands pays européens doit organiser un référendum. Les résidents d'une de ses régions éloignées vont voter sur l'indépendance. Ce n'est pas à propos de la Catalogne comme on pourrait le penser, mais de la Polynésie française: près de la moitié de la population locale pense qu'ils en ont assez de dépendre de Paris. Parmi ceux qui ont mis leur vie sur l'autel de la liberté polynésienne : un descendant de l'ancienne famille royale et le petit-fils d'un général de la Garde Blanche russe", écrit le journaliste Alexeï Koupriyanov. Pas sûr que cela plaise aux gaullistes français encore enclins à souhaiter le rapprochement avec Moscou.
Cela dit, il faut souligner que depuis quelque temps la Russie s'intéresse au Pacifique, notamment quand elle a obtenu contre quelques subventions la reconnaissance de l'Abkhazie par l'île de Nauru (puis par Tuvalu et Vanuatu qui se sont ensuite rétractées).
Le site rappelle aussi que le précédent du maintien de Mayotte dans la République française a été utilisé par l'argumentaire russe à l'ONU pour justifier l'annexion de la Crimée...
Revue Europe du 15 juillet 1930
Je vous ai parlé il y a un an de la revue Europe du 15 février 1932, revue sympathique et représentative de l'éclectisme de Romain Roland qui incluait dans sa réflexion sur le socialisme aussi bien Gandhi que Lénine. Celle du 15 juillet 1930 que je parcours ce matin accorde aussi une grande place à l'Inde avec des lettres de Gandhi préfacées par Rabindranath Tagore. Une belle phrase de Tagore à propos de l'Asie (p. 309) "Nous n'avons pas vu ce qui est grand en Occident parce que nous n'avons pas pu faire éclore ce qui est grand en nous". Je la dédicace à Houria Boutedja...
Encore une phrase de Tagore qui dit tout du colonialisme : "Le malheur pour nous en Asie c'est que l'avènement du monde occidental dans notre continent fut accompagné non seulement de la science qui est la vérité et donc la bienvenue, mais encore d'un usage impie de la vérité dans un but d'égoïsme violent qui la transforme en une force destructrice" (p. 310).
Vient ensuite un courrier de Gandhi au vice-roi des Indes qui compare le salaire du premier ministre anglais à celui d'un ouvrier indien... Un article de Romain Rolland sur Goethe musicien... (on y apprend entre autre que Goethe avait entendu le petit Mozart jouer en 1763). Il y avait un véritable fétichisme de Goethe à l'époque, je me souviens des écrits de Zweig ému d'avoir rencontré dans son enfance une vieille dame qui avait connu Goethe de près. Un poème de Gabriel Audisio sur Ulysse, une nouvelle de Jean Prévost, des contes populaires coréens adaptés et traduits par un certain RH Seu.
Puis une chronique de Léon Werth, l'écrivain anti-militariste, sur "Grandeur et misères d'une victoire" de Georges Clemenceau paru chez Plon. Loin de s'extasier devant le Clemenceau admirateur des impressionnistes comme on le fait aujourd'hui il écrit que son livre sur Monet était composé "dans un incroyable pathos, amplification scolaire ou sénile, livre smplement ridicule". Il a vu le Tigre à l'enterrement de Monet "pas si mongol que sa légende, pas si mongol que ses portraits. Mais en lui rien de cette trivialité si apparente, si rayonnante chez tant de parlementaires. Un bourgeois, un vrai bourgeois de l'époque où il y avait encore des bourgeois. De la tenue comme il y a vingt ans chez les notaires et les avoués dans les petits centres. Comme lui notoires dans leur cercle, puissants et croyant savoir". Sur son style il ajoute "mon professeur de quatrième, qui était vraiment un vieil humaniste, se moquait de ses élèves quand ils écrivaient ainsi". Il lui reconnaît toutefois un talent comique pour dépeindre les "fantoches" Foch et Poincaré. Précisément sur "Grandeur et misères d'une victoire", Werth trouve que Clemenceau "pense l'histoire selon le manuel qu'il apprenait quand il avait dix ans", ne lui trouve aucune hauteur de vue, estime que ses différends avec Foch "apparaissent parfois comme des chipotages de dactylos dans un bureau". Cette phrase de Werth me fait penser à mes impressions sur les débats sur la Yougoslavie chez Régis Debray en 1999 : "Qu'il s'agisse du Congo ou du Palatinat, [Foch, Poincaré et Clemenceau] ne saisissent du réel que ce que la politique en peut absorber. Aucun d'entre eux ne sait qu'il pense et agit dans l'irréel, dans une sorte de chimère organisée."
Werth trouve Clemenceau "stupide comme un joueur qui explique sa chance ou sa guigne. Stupide aussi comme un adjudant".
Marcelle Auclair, fondatrice de la revue Marie-Claire, épouse de Jean Prévost déjà cité dans la revue, et qui a grandi au Chili, commente deux ouvrages mexicains sur la révolution de Pancho Villa dont "Ceux d'en bas" de Mariano Azuela récemment réédité. "Nous nous méfions de l'abondance des poètes sud-américains, de leur facilité" écrit-elle, mais ces deux auteurs échappent à ces travers selon elle. Belle phrase d'Emmanuel Berl, écrite à Saint-Tropez, à propos du régionalisme d'André Chamson dans son livre sur le Sud-Tyrol annexé par Mussolini : "Les particularismes locaux n'empêchent ni les impérialismes, ni les invasions". Le journaliste Emile Dermenghem disserte sur des livres sur l'Egypte dominés par la figure de cheikh Mohamed Abdou, disciple d'Al Afghani, auquel il trouve le mérite de purifier l'Islam loin des excès du wahabisme et du laïcisme kémaliste, mais qu'il trouve quand même "un peu primaire". Robertfrance commente Soupault, Prévost chronique René-Louis Doyon. Articles intéressants aussi sur le cinéma et le théâtre russes, sur le fascisme italien. Plus que jamais j'apprécie de lire les années 30 au miroir de cette revue qui, en des temps difficiles, semait pour l'avenir. Quel dommage que notre époque l'ait oubliée !
La difficulté des projets collectifs dans nos milieux
C'est un problème que j'ai bien connu quand je dirigeais l'Atlas alternatif : quand on est investi dans des projets collectifs contestataires, il faut toujours composer avec des egos un peu fragiles de gens qui ont besoin de se mettre en valeur, de se rassurer en en faisant un peu trop dans l'ostentation etc. Et puis il y a l'éternel problème des gens qui lorgnent vers l'extrême droite ou qui relativisent le clivage-gauche droite, dans le choix même de leur vocabulaire et peuvent faire glisser vos textes vers le rouge-brunisme. On marche sur un fil, et dans ce contexte difficile le moindre petit malaise relationnel peut anéantir la confiance.
Je retrouve un peu ces problèmes dans le projet de livre sur l'Ukraine que j'avais lancé en août, et, pour cette raison, je vais probablement y mettre un terme cette semaine, car je suis devenu moins persévérant dans la gestion des relations à quarante-quatre ans qu'à trente-quatre, d'autant que j'ai beaucoup d'autres activités sur d'autres terrains. A la différence d'il y a dix ans, les constats d'échec dans les projets collectifs ne m'inspirent pas de rancoeurs. J'y suis presque habitué, pourrait-on dire. Ils me paraissent dans l'ordre des choses, compte tenu des conditions de vie complexes de la petite intelligentsia contestataire.
Samedi, un ami journaliste me parlait d'un sien ami et collègue qui l'avait trahi en dévoilant une de ses sources, ruinant ainsi un beau projet de journal alternatif (un de plus). Une question d'ego là aussi, à l'heure où tant de journalistes "alternatifs" se rêvent en nouveaux "Edwy Plenel" (si si, ne riez pas).
Je m'étonne juste d'avoir cédé à la tentation cet été de me lancer à nouveau dans un livre collectif alors que je m'étais promis de ne plus le faire. Heureusement je l'avais fait avec beaucoup de mesure et de détachement, juste dans l'esprit d' "aider un peu" (j'ai toujours aimé aider) mais sans trop d'illusion.
Ce petit égarement me rappelle qu'il y a un certain nombre de deuils que j'ai amorcés au début de cette année et que je n'ai peut-être pas suffisamment mené à leur terme. Je suis dans un processus de "recentrage" tous azimuts de mon regard... Beaucoup de scories des années précédentes sont à éliminer. Ma disponibilité mal pondérée pour des coups d'essais collectifs fragiles, avec des gens que je connais peu, fait partie, je crois, de ces petits résidus du passé à faire disparaître.