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Souvenirs plotiniens
Quand j'étais étudiant à la Sorbonne (Paris IV), en licence de philo, en 1991, je me sentais à la fois auréolé du double prestige d'avoir été lauréat en philo du concours général des lycées, et étudiant en cursus parallèle à Sciences Po (ce qui était rare à l'époque), et, en même temps, un peu idiot du village dans cette fac, moi, qui étais très branché "philosophie contemporaine" (Hegel, Nietzsche, Heidegger), surtout lorsque je côtoyais des gens qui traitaient des sujets particulièrement exotiques...
J'avais notamment été sonné quand j'avais croisé un petit mec grassouillet aux cheveux raides qui m'avait dit qu'il comptait faire sa maîtrise sur Plotin (je ne me souviens plus exactement sur quel aspect du plotinisme). Il me paraissait proprement fou d'avoir envie de traiter pareil sujet. Pour moi (et pour la vulgate de l'époque) Plotin était une sorte de forme abâtardie (et rifidifiée avec ses "hypostases") du platonisme, suspendue un peu au dessus de rien (puisque cela n'annonçait même pas le christianisme), une branche morte, tardive, un peu folklorique avec ses croyances dans la magie, son végétarisme ascétique etc. Ni Hegel, ni Nietzsche, ni Heidegger n'en avaient (à ma connaissance) rien dit de bon, donc ça ne méritait pas qu'on s'y attarde (je pense que j'aurais pensé la même chose de la cohorte des philosophes que cite Diogène Laërce et qui ont fait le délice des méditations solitaires du présent blog depuis cinq ans...). Donc le type qui se lançait dans une maîtrise là dessus me semblait d'une audace folle, et cela m'impressionnait beaucoup (ne serait-ce d'ailleurs que parce que cela supposait de bien maîtriser le grec ancien).
Aujourd'hui je suis intrigué de lire des petites lignes sur la théorie de la puissance chez Plotin et ses similitudes avec le shivaïsme du Cachemire. J'y perçois une familiarité avec tout mon fonctionnement intime, mes valeurs, ma façon d'être, sans même avaler des livres entiers là dessus (à quoi bon ?). Tout revient tout le temps, finalement...
Prohodos-epistrophe
Je lisais ce matin un texte universitaire très intéressant sur le double mouvement prohodos-epistrophe (dispersion de l'Un, reconcentration) chez Plotin. Le chercheur mettait l'accent sur les points communs entre ce monisme idéaliste néo-platonicien et celui du shivaïsme du Cachemire (dont bien sûr je n'avais jamais entendu parler). Il est amusant de voir que la notion plotinienne au fond est très accessible, intuitivement, pour quiconque a pratiqué Heidegger dans sa jeunesse (avec sa problématique du "retrait de l'être").
Dans les années 80, Heidegger était un ersatz de spiritualisme et de mysticisme. Sa présence comblait un vide intellectuel dans l'école républicaine rationaliste française. S'il disparaît aujourd'hui au profit de l'étude de l'empirisme anglo-saxon, je ne suis pas sûr que ce soit un gain réel pour la formation des ados de notre époque.
J'ai appris aussi que le shivaïsme offre une variante "féminine" (tantrique) fondée sur l'Un comme pouvoir plutôt que comme pureté immobile (qui est sa vision "masculine" dans les Upanishad). On reconnaît là le langage de la filiation Héraclite-Hegel-Nietzsche.
Also sprach Ganesh
Que celles et ceux qui ont trahi mes combats cet été ne me recontactent plus jamais. Qu'ils aient au moins la décence d'aller se murer dans leur trou à rats.
Jupiter
Souvenir des écrits de Nietzsche sur la solitude. Souvenir de la fascination de Deleuze pour l'art japonais de l'épure. Contrairement à ce que soutiennent les "coach" et thérapeutes en tout genre, la vie n'a pas pour but de "devenir ce qu'on est". La vie n'a tout simplement aucun but, et c'est cette absence de but qui devrait nous la rendre très légère à vivre.
Journée de samedi dans une solitude complète à terminer l'écriture d'un livre (j'en suis à 94 pages A4) dont je n'attends strictement rien (je pense le faire paraître chez Edilivres, complètement incognito). Puis pour faire plaisir à Pierre Piccinin qui partira pour Donetsk lundi, je vais tenter d'écrire les premiers chapitres de ses chroniques de terrain sur l'Ukraine qui paraîtront sans doute chez l'Harmattan. Ces écrits politiques me paraissent moins fondamentaux que tout ce que je fais d'inutile loin des regards.
Je songe beaucoup à cette image de Caton d'Utique dans Lucain renonçant à visiter le sanctuaire d'Amon en Egypte (où Alexandre le Grand avait consulté l'oracle, marrant comme les philosophes se définissent souvent par opposition à Alexandre, pensez à Diogène) parce que, disait-il, "Jupiter est en moi", de sorte qu'il n'y avait pas besoin d'aller le consulter en plein désert. Cela rappelle bien sûr ce passage de l'Evangile où Jésus fait scandale en disant que le temple de Salomon n'a aucune valeur car Dieu peut le détruire d'une pichenette, aucune valeur à côté de la présence de Dieu en nous. Si l'on agit en politique, si l'on tente de faire connaître la vérité, si l'on fait de l'art, si l'on écrit, si l'on aide son prochain, c'est pour manifester le Jupiter qui est en nous. Mais cette théophanie ne doit être qu'un élément accessoire d'une présence en soi d'une force qui doit être à elle-même son propre but.
Si cette présence n'est pas suffisamment tangible il existe des techniques pour mieux l'éprouver en soi. Mais l'action (l'écriture, le combat etc) ne doit être qu'un attribut secondaire de la présence, pas un succédané.
Encore les soldates chinoises !
Trois de mes lecteurs hier provenaient du forum ici sur lequel quelqu'un a posté mon article de février 2012 sur la milice chinoise (ici). Cela m'a donné envie de revoir cette vidéo du défilé militaire de 2009.
Les femmes sous nos latitudes sont si décevantes à titre individuel à tous égards (bon d'accord, les hommes le sont aussi, mais ce n'est pas le sujet de ce billet), que le regard masculin français va trouver une satisfaction compensatoire à les contempler par "blocs de bataillon" sous des cieux orientaux... Il en admire l'ordre, la puissance, en même temps que le côté décalé (il fallait être chinois pour oser concevoir ces uniformes roses fushia !).
Même si le Parti communiste chinois n'avait à son actif que l'organisation de ces défilés et l'entretien de ces formations militaires pour le plaisir de nos regards, cette réalisation à elle seule excuserait toutes ses éventuelles erreurs à la tête du pays le plus peuplé du monde. Dis kai tris to kallon ! (Que ce qui est beau revienne deux ou trois fois !)
Donetsk va tomber
Ca fait quelques jours que je le dis à mon camarade qui veut m'emmener à Donesk : inutile d'aller nous exposer aux missiles Grad car la ville va bientôt tomber. Parce que Poutine l'a lâchée. Poutine c'est le capitalisme russe et le capitalisme ne connaît aucune loyauté. La Transnistrie avait une 15ème armée russe commandée par Lebed sur son sol. Pas la République populaire de Donetsk. L'issue de l'Histoire tient à ce genre de "détail".
Cette nuit je pense à la chute de Barcelone, telle que narrée par mon grand-père... Selon lui ç'avait été aussi une affaire de trahison. Je crois que c'est Alexandre Zinoviev qui écrivait dans Homo sovieticus, que la trahison se cache sous chaque aspect de la vie et qu'il faut apprendre à faire avec. Si c'est si vrai... Seuls les gens peut exigeants, adaptés à la routine et à la dimension la plus superficielle de la vie, ne voient pas à quel point ils sont trahis à longueur de journées...
Deleuze sur Israël, le suicide, Caton le Jeune
Avez-vous vu ce texte de Deleuze sur Israël ici ? Je ne savais pas qu'il avait écrit là-dessus aussi...
J'ai déjà dit il y a peu combien Deleuze a compté pour moi du temps où je lisais beaucoup Nietzsche (et du temps où Deleuze vivait encore car je suis un vieux de la vieille). Ca ne veut pas dire que je suis un inconditionnel. Je ne sais plus qui lui reprochait d'avoir un peu abaissé la philosophie en écrivant sur le tennis et ce genre de trivialité. Et puis je n'ignore pas tout le débat qu'il y a eu contre les facilités de la "pensée 68". Aujourd'hui j'aime bien le côté chamanique de Deleuze, je l'ai dit, notamment sa position sur le langage et le cri animal. Peut-être aurait-il même pu aller plus loin sr ce terrain là, mais le milieu universitaire reste singulièrement coincé sur la question des instincts, et de l'animalité (c'est pourquoi aussi ce milieu est dépourvu de générosité, d'où le fait qu'il a trahi la révolution et minutieusement flingué la gauche en quelques décennies).
En tout cas, je me réjouis que ce philosophe ait écrit cela sur la Palestine. Ce qui se passe à Gaza est criminel, inique, et la lâcheté des Occidentaux dans leur inaction d'une vulgarité sans nom. Hollande et Valls seront jugés par la postérité à l'aune de leur couardise sur ce dossier aussi.
A part ça, loin de Deleuze, mon inconscient (car j'ai trop d'articles et de livres à écrire en ce moment pour avoir consciemment le temps et l'énergie de lire) rumine des bouts d'idées dont je ne sais pas quoi faire. Par exemple je pense beaucoup au suicide. Parce que je songe à des amis qui ont une propension à se rendre dans des zones de combat. Et parce que je regarde aussi ce qu'il y a eu de suicidaire en moi, plus d'une fois, dans mon comportement au cours des derniers lustres. Est-ce une pulsion suicidaire soft ? Je ne sais pas. La question m'intrigue beaucoup parce que pendant longtemps j'ai condamné, sous l'influence de Nietzsche, le bouddhisme comme étant une pensée suicidaire (le christianisme aussi d'ailleurs). Mais en même temps j'admire le stoïcisme, qui peut-être n'est pas moins suicidaire que la sagesse du Bouddha. Et la Bhagavad Gita hindouiste n'est elle pas elle aussi suicidaire ?
Le suicide chez les stoïciens est-il essentiel ou accessoire dans leur doctrine ? L'homme qui place les principes au dessus de la vie n'est-ils pas suicidaire ? Voilà une considération très nietzschéenne. Les principes sont un concentré de vie à très haute intensité, selon moi. Donc si c'est se suicider que de les défendre, c'est sans doute non pour rechercher une destruction, mais pour accéder à une vie d'un niveau supérieur. C'est un suicide pour "plus de vie". Il n'y a peut-être pas de paradoxe dans cette affirmation.
Je tiens intuitivement Lucain pour un génie, au vu des quelques pages que j'ai lues au hasard dans sa Pharsale. J'ai déjà dit pourquoi ici à propos du siège de Marseille ou de la retraite de Pompée. Je rumine en ce moment, quand je me promène dans les rues, ses lignes sur l'avancée des légions de Caton dans le désert des Syrtes. L'essence suicidaire de l'idéalisme stoïcien de Caton y apparaît dans toute sa crudité...
Une pensée pour le portrait du Caton d'Utique trouvé à Volubilis qu'on peut encore admirer en Provence dans une exposition temporaire. Présentation très correcte de ce portrait ici. Le culte de Caton d'Utique dura jusqu'à Marc-Aurèle, ce n'est pas pour rien. Caton d'Utique était aussi le père spirituel de Brutus qui était son gendre, ne l'oublions pas...
"La lente reconquête du Donbass et l’enlisement du régime de Kiev"
Bernard-Henri Lévy a une curieuse manière de présenter les mineurs et les ouvriers du Donbass enrôlés dans les milices d’auto-défense de la République populaire de Donetsk : «Dans l'est de l'Ukraine, le moins que l'on puisse dire est que Poutine a joué avec le feu, écrivait-il dans le bloc-note du Point fin juillet. Il a ramassé et mobilisé ce qu'il y avait de pire dans la région. Il a transformé en soldats des voyous, des voleurs, des violeurs, des repris de justice, des pillards.» Ses mots ont le mérite de mettre des images colorées sur l’opinion distillée par nos grands médias à longueur de journées à propos des milices d’auto-défense du Donbass.
Ces grands médias s’intéressent cependant davantage à leurs missiles. Et sur ce point, la destruction de l’avion de lignes MH 017 de Malaysia Airlines est devenu un enjeu majeur de propagande de guerre à l’Ouest.
Dans un premier temps, il ne s’était agi « que » de mettre en cause les séparatistes de Donetsk. La suite de cet article sur Esprit Cors@ire ici