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Orania et la condition des petits blancs
Je voyais hier un reportage télévisé sur une communauté d'Afrikaneer en Afrique du Sud qui refuse le mélange avec les Noirs : Orania. J'avoue que son existence m'avait échappé, à ma grande honte car des médias, de gauche notamment comme L'Humanité, s'y sont intéressés. Participent à cette communauté pas mal de gens qui se sont sentis victimes de comportements de la majorité noire (le reportage parlait d'un type dont la femme et le fils ont été tués par des Noirs). On sait que les violences anti-Afrikaneer sont fréquentes dans ce pays - voir l'oeuvre de Coetzee à ce sujet. Les Afrikaneer ont gardé le pouvoir économique et paient ce privilège en subissant des violences.
Orania est intéressante, comme tous les mouvements de petits blancs (comme, aussi, les colonies sionistes en Cisjordanie) parce qu'à la fois elle s'oppose au mélange racial ("nous sommes tous blancs parce que tous les Afrikaneers sont blancs et que nous voulons rester entre Afrikaneers, il y a des tas de communautés noires similaires à Orania et personne n'y trouve à redire" disait un Blanc dans le reportage), et, en même temps, elle justifie sa légitimité par un refus de l'exploitation de l'homme par l'homme (on peut peut-être parler d'une refondation "socialiste" de l'identité afrikaneer) et un retour aux valeurs fondatrices des Boers : le travail de chacun, le dévouement à la collectivité. Le sionisme aussi fut un projet à la fois raciste et socialiste. Les Afrikaneer d'Orania affirment avec force que l'Apartheid fut une erreur parce qu'il exploitait sur un mode colonialiste les Noirs. Eux ne veulent plus tirer leur richesse que d'eux-mêmes. Ils ont une légitimité historique à tenir ce discours, car on ne peut oublier qu'ils sont la seule communauté blanche d'Afrique à pouvoir revendiquer une occupation des terres aussi ancienne que les Bantous, et à avoir souffert du colonialisme (anglais) autant que les Noirs.
Humainement on ne peut pas traiter par le mépris ou la haine le sort de ces petits-blancs, même si leur choix est évidemment contraire à l'idéal universaliste de bon entente interculturelle qu'il faut favoriser au niveau international. C'est comme au Kosovo, en Bosnie : quand les gens ne peuvent plus vivre ensemble, quand leurs souffrances sont grandes pour cela, on ne peut pas d'emblée les considérer avec des idées toutes faites.
Le choix des Afrikaneer d'Orania pose la question du sort de ce petit prolétariat de culture occidentale qui peut être aussi bien socialiste que d'extrême-droite, et dont le programme de choc des civilisations conçu par les élites peut facilement instrumentaliser le rôle. Que faire d'eux ? que leur dire ? Je discutais encore il y a peu avec une responsable arabe d'un mouvement d'immigrés qui me disait : "Nous devons aussi nous occuper du chauffeur d'autobus ou du contrôleur de train pris à partie par des Arabes ou des Noirs qui le traitent de raciste parce qu'il veut vérifier leur ticket, parce que celui-là personne ne l'aidera, et certainement pas les tenants du discours universaliste des beaux quartiers". Elle n'a pas dit "le petit-blanc qui conduit l'autobus", mais c'est bien ce que cela voulait dire. Qui cherche des réponses aux questions que pose sa situation ?
FD
PS : à part ça, puisque tout le monde s'excite autour de Clothilde Reiss comme naguère autour de Bête-en-cour, plutôt que pour faire libérer Salah Hamouri citoyen français prisonnier à Jérusalem, une petite chanson en souvenir des victimes de nos alliés.
Sexe et impérialisme : le cas moldave
"Il se peut que la chute du dernier régime communiste d'Europe en Moldavie soit le triomphe des urnes, mais il représente aussi un nouveau succès de la théorie des jolies filles dans les révolutions.
Cette théorie, que je tiens d'un ami arménien, affirme que les soulèvements populaires ont une chance de réussir si dans un pays les filles les plus jolies descendent dan la rue.
L'idée est que même les jeunes hommes les plus in

L'article insiste aussi sur le sex appeal de Tymoshenko dans la révolution orange ukrainienne et sur la beauté des jeunes femmes géorgiennes derrière Saakachvili.

Cette théorie du sex appeal des révolutions colorées peut s'insérer dans des remarques plus générales déjà faites selon laquelle ces phénomènes marketing sont composés comme pour les ventes de voitures ou de yaourts. Il s'agit de mettre les images de la jeunesse et du plaisir du côté de la contestation tandis que les images de la vieillesse et de la mort se projètent par effet de contraste sur les défenseurs des institutions. Le roman "La Révolution des Montagnes" parodie d'ailleurs ces effets d'image en politique.
Aux dernières élections du 29 juillet, le PC moldave a perdu la majorité absolue des sièges qu'il avait gagnée en avril. Mais en obtient quand même 48 sur 101, avec 44,69 % des voix. La "révolution twitter" comme les autres révolutions pro-occidentales a eu ses limites.
Facebook und Zeit
Sur le q numéro 8 de la g de C en A hier, m rév a s d'une n d s, je lus ceci sur mon téléphone portable dans mes mails reçus sur Facebook :
"Bonjour, Nous ne sous connaissons pas mais vous devez vous rappeller de ma grande soeur avec qui vous étiez en classe de terminale à Louis Barthou : Sophie R.
Lorsqu'elle m'a surprise un soir sur Facebook, elle m'a demandé de faire la recherche de 2 ou 3 noms. Vous étiez le premier et elle avait l'air tellement émue d'avoir quelques nouvelles que face à son refus de créer son profil pour vous contacter, j'ai décidé de faire le lien secrètement.
Certaine qu'elle ne m'en voudra pas, je viens ici vous communiquer son adresse e-mail perso : sophie-@-.fr
Voili voilou.
Bonnes retrouvailles !"
Etrange coïncidence. J'étais venu chercher en vain à C des voies de bifurcation dans mon exploration de l'avenir et me trouvais au petit matin rattrappé par un passé très lointain. Cette fille moi aussi j'avais recherché son nom une ou deux fois, ici ou là sur Internet. Comme elle j'avais cédé à la tentation du "retour vers le passé" que les nouveaux sites de rencontres offrent aux quadragénaires de notre génération. Nous avions été proches l'un de l'autre au lycée, sans pour autant "sortir ensemble", ce qui explique peut-être que je fusse démeuré haut placé dans son estime. J'avais, un jour, à son insu, placé dans un coffret un de ses longs cheveux blonds tombés subrepticements sur mon blouson. On a à dix-sept ans de ces délicatesses fétichistes que l'on perd par la suite.
Ce qui m'a surpris dans ce mail c'est le "tellement émue". Figure de style imposée comme le vocabulaire conventionnel de la République des Pyrénées quand elle rend compte d'une fête villageoise ("un feu d'artifice a clôturé comme il se doit les joyeuses agapes"), expression d'un fraîcheur affective gasconne dont nous avons perdu le goût au nord de la Loire ? Quelle est le statut de l'émotion provoquée par le surgissement du passé dans le présent, du mort dans le vif ? Il y a plus, pour nous, que ces retrouvailles d'anciens camarades de régiment sur le quai d'une gare qui étaient le lot occasionnel des générations antérieures. Facebook promet aujourd'hui à tout un chacun de "ne plus jamais quitter" les êtres qui ont croisé son horizon. Pour les jeunes générations, cela signifie que les ruptures n'auront lieu que pour autant qu'ils cliqueront sur "remove from friends", encore cette action n'est-elle jamais irréversible. Pour le reste pendant toute leur existence, où qu'ils soient, toutes leurs rencontres resteront dans leur horizon à portée de clic de souris comme dans un grand supermarché virtuel. Il n'y aura même plus l' "émotion" de cet effet "retrouvailles".
Pour nous demeure encore cette sensation étrange, étourdissante, qui, à la différence de la rencontre occasionnelle du camarade de régiment, se double d'un effet "on ne se quitte plus".
Sauf que la retrouvaille enjambe un vide de vingt années. Un vide durant lequel les visages se sont ridés, les accents ont changé, et des tas de choses se sont passées qui ne font qu'accuser un triste constat : le temps n'a épargné personne, et tout meurt inexorablement en nous et hors de nous, trop de choses déjà sont mortes. Quand la fille évoque dans son mail le "refus de créer son profil", elle désigne peut-être un saint effroi, confus, plus ou moins inconscient, devant le risque d'affronter la conscience de cette mort qu'implique toute retrouvaille, autant que l'effet "on ne se quitte plus dans le supermarché virtuel" que propose la technologie. Pauvre humanité. Et pauvre génération, la mienne, génération de transition qui cumule à la fois, à de nombreuses occasions, les dures prises de conscience des vingt ans de séparation avec les gens retrouvés sur Internet, et l'entrée dans une vie où le "on ne se quitte plus" qui sera la règle dorénavant. Les plus jeunes, eux, n'auront que le second effet. Leur conscience du temps qui passe s'en trouvera peut-être altérée. En même temps, on voit à quel prix sera pour eux le déni du temps qui passe : virtualisation de tous les rapports, conservation des traces des rencontres dans les fichiers comme si la vie n'était qu'une longue séquence d'archivage - nous sommes tous des stocks de données, et nous ne sommes que ça. Un déni du temps aux inconvénients aussi lourds que les liftings. Chassez le tragique, il revient au galop.
La question germanique
Je suis sensible à ce qui a fait la singularité française au Bas-Moyen-Age de se construire contre cette entité germanique aux contours mouvants. Mais quelle que soit mon admiration pour l'expérience française, je ne puis que blâmer notre tradition qui sans cesse minimise l'ampleur de l'apport germanique à la culture de notre continent (une tradition néfaste qui fit perdre à la France la bataille culturelle dès le 19 ème siècle face au romantisme rhénan).

La grandeur de la philosophie française des années 1960 à 1990 a été de s'obstiner à étudier sérieusement l'héritage culturel allemand au moment même où les Etats-Unis s'évertuaient à le dissoudre dans le Coca. Aujourd'hui la philosophie française est à l'heure anglo-saxonne, mise au pas en quelque sorte, et l'Allemagne n'est plus qu'un pays de grabataires. La question germanique en est-elle réglée pour autant ?
Qu'y a t il à sauver de l'Allemagne dans l'intérêt de l'Europe ? Question complexe, à supposer qu'elle soit légitime. Je sais infiniment gré aux Anglo-saxons pour le rationalisme pragmatique qu'ils apportèrent à notre temps. Mais cet apport a ses limites. L'héritage allemand n'est-il que divagations mystiques (dont le nazisme fut l'omega) ? Habermas n'a pas répondu à cette question. En faisant émerger une "autre Allemagne" que celle du romantisme obscurantiste, celle de Kant et de Goethe, c'est surtout la France et l'Angleterre qu'il mettait en valeur. Quelle est l' "autre Allemagne authentique" qui peut vraiment apporter quelque chose à l'Europe ? celle des squats anarchistes de Berlin ? Celle qui rêve encore de la République Démocratique Allemande (la majorité des habitants des Länder de l'Est selon un sondage récent) ?
Délires européens

Les ennemis n'ont jamais tort sur tout. Personne n'a jamais tort sur tout. Le grand tort des nazis, comme de beaucoup de courants idéologiques, ce fut leur religiosité. Celle des nazis se cristallisait dans leur antisémitisme obsessionnel odieux, leur romantisme décalé qui les rendait nihiliste. Pourtant au milieu de ces délires certaines de leurs analyses étaient lucides, sur le capitalisme anglosaxon par exemple, sur la rouerie de Roosevelt etc. C'est précisément parce qu'ils savaient par intervalle toucher justement le réel qu'ils ont pu entrainer les masses allemandes sur leur chemin. Contrairement à ce que prétendait Védrine à propos des Serbes, il n'y a pas de "peuple envoûté". Juste des peuples qui font des choix dans l'obscurité. Les philosophes ne sont pas mieux placés de ce point de vue là. Je suis frappé d'ailleurs par l'intérêt de Goebbels pour l'opinion des gens de la rue en pleine guerre. Le régime nazi était aussi à l'écoute de sa base, semble-t-il. Par ailleurs ce régime portait en lui, à côté de ses délires, non seulement des éléments de réalisme, mais aussi des traits culturels allemands et européens très profonds (je désapprouve Jankélévitch qui les trouvait seulement allemands). Tout en refusant toute téléologie, on doit admettre que la culture européenne portait le nazisme en germe, comme elle portait beaucoup d'autres possibilités (et heureusement des meilleures).
Tout cela nous renvoie à Nietzsche. Il y a beaucoup de nietzschéisme (même si c'est un nietzschéisme tronqué) dans Goebbels (notamment dans son admiration pour Dostoïevski) comme il y avait beaucoup du romantisme européen dans Nietzsche (un romantisme en lutte contre lui-même, ce qui le rendait plus subtil).
Je me demande si l'éradication de cet héritage et son remplacement par la culture Coca Cola était la bonne façon d'arracher l'Europe à ses folies. Pour tout dire je ne le pense pas. A la pathologie nazie qui prétendait synthétiser le meilleur de la culture européenne a succédé la barbarie de la Mac Donaldisation qui au demeurant à l'égard du Tiers-monde n'est pas moins meurtrière que le nazisme. Le pharmakon des erreurs de la culture européenne reste à chercher. Je ne crois pas non plus qu'il soit dans le scepticisme libertaire qui a grandi lui aussi à l'ombre de Nietzsche dans l'université française avant de se muer en scepticisme de combat puritain dans la political correctness des universités étatsuniennes. Le vrai remède est à rechercher ailleurs. Dans le rationalisme optimiste du Siècle des Lumières ? Rationalisme meutrier lui aussi. Ce serait supposer que la réaction romantique fut la cause de tous les maux... Si seulement c'était si simple !
Fréquentation du blog

A part ça, j'ai appris hier la mort du philosophe Francis Jeanson, fondateur d'un célèbre réseau de soutien aux combattants du FLN pendant la guerre d'Algérie, le samedi 1er août, dans une clinique d'Arès, en bordure du bassin d'Arcachon (Gironde), sa région natale. Aux grands hommes l'humanité reconnaissante.
Territorialité

Evidemment quand 80 % de la population habite une grande ville et peut se retrouver à Rio de Janeiro en moins de 10 heures, ou passer une commande de presse-purée à Tokyo en un clic, pourquoi entretenir des employés de la chambre de commerce ou une sous-préfecture à 30 kilomètres dans la cambrousse ?
Evidemment... Sauf que le déni du territoire devient le déni de l'humain. C'est un eu comme ces gens qui se présentent en rang d'oignon sur Facebook, dans des listes de visages, parfois des listes de croupes, hors de l'espace, hors du temps, sans contexte. Ils sont parfois des dizaines à porter le même nom, à tenter vainement de se distinguer les uns des autres par leurs goûts culinaires ou musicaux. On dirait un alignement de tombes dans un cimetière.
On ne peut pas y couper, le vivre ensemble passe par des espaces, même quand les distances sont réduites. Refaire l'apprentissage des chemins à parcourir pour se voir, des répartitions de sol, entre individus, entre groupes. On ne peut pas tout virtualiser.
Les jeux de pouvoir en Transnistrie
Tout le monde s'intéresse à la Transnistrie en ce moment : deux français qui s'y rendent pour un documentaire, un journal luxembourgeois, la revue Ulysse...
Cela me conduit à retravailler un peu sur les luttes de pouvoir au sommet du petit appareil d'Etat de ce microcosme. Force est de constater que personne n'y voit très clair. Yevgenyi Shevchuk, chef de l'opposition, a démissionné de son poste de président du Soviet Suprême transnistrien le 8 juillet à cause de ses "désaccords profonds" avec l'homme fort de Transnistrie, I. Smirnov. Un collaborateur des services diplomatique à Chisinau dit qu'il aurait voulu protéger Shériff... Le clan Renouveau contre le clan Smirnov, pour qui, pour quoi, on ne sait jamais trop...
FD