Anthropologie et socialisme
Je viens d'apprendre le décès de Claude Lévi-Strauss, un anthropologue dont l'itinéraire commença à la SFIO comme Mauss et s'acheva dans les colonnes du Figaro. Je n'ai jamais été pas follement enthousiaste de son oeuvre, a recherche de la mathesis universalis dans les mythes des diverses civilisations sous le label du structuralisme fut largement un leurre. Mais elle aura eu le mérite, comme le bourdieusisme pour la sociologie, d'attirer de nombreux esprits brillants vers l'ethnologie.
Juste avant d'apprendre cette nouvelle je venais de faire l'apologie de l'anthropologie dans un mail à un ami qui m'écrivait qu'il faudrait "qu'un ouvrage soit écrit sur le communisme et le rapport au corps, au plaisir et à l'esthétisme plus généralement", "il y a l'homme integral (rappelons-nous que le libre developpement de chacun est la condition du libre developpement de tous), dont on ne saurait à mon avis exclure la dimension "plaisir" " ajoutait-il.
J'avais répondu à ce garçon : " A vrai dire il y a une longue tradition de réflexion sur le rapport au corps développée dans la mouvance du socialisme "utopique" (les fouriéristes par exemple) qui en effet a été occultée par le socialisme autoritaire, surtout par le stalinisme (mais déjà par le léninisme), ce qui n'a toutefois pas empêché à cette réflexion de percer dans le cadre de certaines révolutions. (...) On se souvient de la grande marche nue des femmes à Moscou et à Kiev en 1917 réclamant la liberté sexuelle. Cette marche rejoint plus directement nos interrogations sur le socialisme et le corps car elle était inspirée par Alexandra Kollontai et toute une frange du parti bolchévik qui pensait que le socialisme devait libérer le désir.
Wilhelm Reich père du freudomarxisme a beaucoup écrit sur la libération sexuelle qui eut lieu en Russie entre 1917 et 1922. Il y a dans ces réflexions beaucoup de naïveté souvent, mais aussi des choses justes. En outre comme tu le soulignes, il faut penser le rapports aux plaisirs et aux souffrances dans son ensemble, pas seulement sur le volet sexuel.
Il est clair que la pensée politique ne peut faire l'économie d'une anthropologie du corps. Par exemple si le socialisme suédois fut très différent de celui de Cuba ou de celui de la Corée du nord, c'est aussi parce qu'on est à chaque fois dans des schémas de rapport à soi-même et à autrui, des rapports qui se cristallisent dans les gestes du corps, les regards, les sensations, dont on ne peut faire abstraction en partant au niveau des concepts abstraits.
La sociologie s'est ouverte progressivement à la problématique du corps à travers Mauss, Bourdieu, et, plus récemment, l'apport de l'éthologie animale (on apprend à regarder l'humain avec le même regard que celui qu'on porte sur les autres primates). Il faudra bien que cela soit importé dans la réflexion politique à un certain moment.
J'ai écrit dans la revue Commune en 2008 un petit texte sur le socialisme qui présentait celui-ci comme un "fait politique total" ayant vocation aussi à porter une anthropologie du corps. Je suis heureux de voir qu'Arnsperger dont j'ai fait la recension il y a peu (cf http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=94&ida=11529 ) défende aussi une approche anthropologique de l'option anti-capitaliste. Le changement politique passe par un travail sur les corps. "
Day
Sur le versant lumineux, ma petite interview dans la presse bourgeoise vendredi où je cite pour le fun Kierkegaard à propos du collagène (normal que ça plaise à Neuilly, j'attends les courriers enthouisastes des lectrices), il y a ce groupe d'historiens qui décortique les mémoires de mon grand père sur la guerre d'Espagne pour reconstituer une micro-bataille en Aragon. Il y a des toutes, toutes petites choses. Ca ne tue pas la mélancolie de la fraîcheur automnale, des impasses de la vie personnelle, du midi de la vie. Mais ça existe tout de même.
Un pote me dit à propos du prix littéraire accordé à Beigbéder : "A ce qu'il raconte dans son bouquin, ses grands-parents étaient propriétaires de la Villa Navarre à Trespoey.Quand il est venu à Pau, il était accompagné et cornaqué par Patrick de Stampa, actuel propriétaire de la villa (qui est devenue un hôtel 4 étoiles) et président de la CCI Pau Béarn et Pays de l'Adour, ancien président du MEDEF et candidat RPR à la mairie de Pau en 2001". Il n'appelait plus à voter Robert Hue. De toute façon, Hue, lui, n'appelle plus non plus à voter Hue non plus et passe au Parti socialiste.
Et Marie N'Daye, c'est quoi ses réseaux à elle qui l'ont conduite chez Gallimard ?
La gauche anti-impérialiste peut-elle créer une alliance durable avec l'immigration postcoloniale ?
J'ai pensé qu'il y avait du vrai dans son analyse. Mais les réalités de terrain telles que je les découvre en banlieue parisienne me font toucher du doigt toutes les difficultés du projet. D'une part il y a toute une petite bourgeoisie (ou une aristocratie ouvrière) d'origine maghrébine qui a déjà rejoint le Front de gauche (notamment ses structures municipales) et qui est assez laïque de sorte qu'elle n'a pas forcément envie de voir celui-ci se rapprocher d'organisations confessionnelles. Ensuite il y a une grande complexité du positionnement des gens issus de l'immigration qui sont souvent très pragmatiques, et peuvent miser sur plusieurs partis politiques à la fois (à la fois le Front de gauche, le PS, et l'UMP) sans qu'aucune alliance stable puisse être envisagée. Il y a aussi un jeu très complexe dans lequel sont pris les mouvements communautaristes - musulmans, antillais etc - par rapport aux néo-conservateurs (l'UMP, le CRIF).
Des aventuriers comme Soral qui ont flirté avec l'extrême droite pour soi-disant échapper au communautarisme voulu par les néo-conservateurs s'en rendent sans doute compte aujourd'hui. Son frère ennemi Jean Robin le lui a reproché, mais si l'on étudie les liens de Soral avec l'UOIF, et les rapports de l'UOIF avec le CRIF, on voit bien quelle dynamique est en train de happer tous les communautarismes, de sorte que la gauche de la gauche a tout intérêt à rester éloignée de ces spirales.
L'idéal serait de pouvoir travailler avec des structures qui, à la fois prennent en compte la spécificité de la condition des immigrés (le racisme, l'islamophobie etc) non prises en charge par les partis "classiques", et en même temps continuent à cultiver un progressisme universaliste, des structures comme les Indigènes de la République. Mais cela n'est envisageable que si celles-ci ne sont pas de purs groupuscules, et surtout si elles ne s'enferment pas dans un intellectualisme décalé par rapport aux réalités sociales profondes de l'immigration.