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Le blog de Frédéric Delorca

L'honneur assassiné de Léontine de Villeneuve

21 Août 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #XIXe siècle - Auteurs et personnalités, #Divers histoire, #Les rapports hommes-femmes, #La droite, #Cinéma

Dans le livre qu'il a écrit contre Deleuze "Apocalypse du désir" mais que je ne vous recommande pas car je le trouve un peu trop labyrinthique, Boutang voit dans le cavalier blanc du chapitre 6 de l'Apocalypse de Jean la figure du désir immédiatement adhérant à l'instant et sans but, désir pur et enfantin, à la différence du désir de guerre, du désir de mathématisation des rapports humains et du désir de néant qu'incarnent les trois autres cavaliers.

Châteaubriand éprouve à l'égard de cette forme de "désir pur" la même méfiance que Boutang. Il dit l'avoir vécu à 60 ans en 1829, dans sa vieillesse, sur le chemin de Cauterets (en Bigorre) et le compare au "repos inopiné" de Palinure dans l'Enéide qui s'était mal fini.

Il allait rencontrer dans la station thermale une de ses admiratrices de 26 ans, Léontine de Villeneuve, qui le lisait depuis deux lustres et entretenait une tendre correspondance avec lui depuis deux ans. Hélas pour le grand écrivain (que je soupçonne d'être un peu mythomane comme comme Malraux), celui-ci n'hésita pas à la diffamer dans ses Mémoires d'Outre-tombe en faisant croire qu'elle l'avait forcé à la raccompagner chez elle dans ses bras alors qu'elle n'avait que 16 ans (sic). Boutang dit que la plénitude de l'instant précède souvent un meurtre. Là c'est l'honneur de Mlle de Villeneuve (devenue ensuite comtesse de Castelbajac) que Châteaubriand tua.

La petite fille de Léontine a publié plus tard en 1925 ses lettres sous le titre Le roman de l'Occitanienne et de Chateaubriand, et tenté de rétablir la vérité.

"Il a fallu l'étrange passage des Mémoires de M. de Chateaubriand pour troubler mes souvenirs, écrivait à plus de 40 ans Léontine après être tombée sur cet extrait des mémoires dans  un journal. En présence de ce vrai et de ce faux.ainsi mêlés, et je puis ajouter ainsi travestis, l'effroi m'a saisie (*). Je me suis demandé si je me trouvais réellement vis-à-vis de moi-même dans cette personne dont je ne reconnaissais pourtant ni les sentiments, ni les actions. Mais ma fierté a pu se relever lorsque j'ai traduit chaque ligne de cette page au tribunal de l'exacte vérité. "

Elle expliquait plus loin que la différence d'âge (puisqu'il pouvait être "deux fois son père") l'avait poussée à vivre à Cauterets en toute innocence son amitié avec le grand homme et lui faire lire sa poésie, elle qui ne voulait vivre que de cet imaginaire là, et pour cette raison n'était toujours pas mariée. Chateaubriand qui apprit à ce moment-là qu'il était évincé du pouvoir, fit miroiter à Léontine la perspective qu'elle pourrait intégrer à titre permanent le cercle d'amis qu'il comptait fonder à Rome. Après avoir refusé cela parce qu'elle devait tout de même à son père de se marier, Léontine, le lendemain même, propose quand même d'aller attendre l'écrivain à Rome tandis qu'il irait règler des questions politiques à Paris. L'attendre, mais en tout bien tout honneur, pour intégrer ce groupe d'amis qu'il voulait réunir. Car, elle le dit dans son texte, elle est légitimiste, et politiquement plus à droite que Châteaubriand (trop libéral à son goût). Et dans ce milieu là on ne badine pas avec l'honneur !

"Vous me retrouverez entre les murs d'un couvent, sous la sauvegarde de la protection religieuse. Là, ma réputation sera mise à l'abri... Je ne parle pas de mon honneur : personne n'aura jamais le pouvoir d'y porter atteinte. Vous pourrez venir me voir tous les jours dans cet asile où nous nous donnerons hautement le nom d'amis, même en présence de Mme de Chateaubriand. Et, plus tard, lorsque les années seront venues pour moi comme pour vous, pourquoi ne deviendrais-je pas une nièce d'adoption qui se consacrerait à soigner et à consoler votre vieillesse?" lui aurait-elle dit... Et Chateaubriand refusa ce beau projet sacrificiel puis quitta Cauterets. Ils allaient s'écrire plusieurs fois encore (alors que dans ses Mémoires Chauteaubriand fait comme s'il connaissait à peine la jeune sylphide). Ils se revirent même en 1838 à Cauterets, puis rue du Bac à Paris juste avant la mort de l'auteur du Génie du christianisme. La correspondance publiée montre bien que la version de Léontine était la bonne.

Notre époque qui aime ajouter le crime au crime, le mensonge au mensonge, en 2008, sortit le film "L'Occitanienne",  dans lequel Châteaubriand et Léontine s'enlacent et se caressent longuement au milieu d'images suggestives du flot rageur du gave qui roule ses galers (j'aurais encore préféré une version avec Rocco Siffreddi et Clara Morgane...). Tant pis pour ce qu'était réellement Léontine de Villeneuve, son idéalisme littéraire, et sa vertu royaliste rigide. L'important n'est pas de rendre justice aux gens du passé, à ce qu'ils ont vécu ni ce en quoi ils ont cru. Léontine n'est plus ici qu'une jeune fille de notre époque qui aurait abusé d'une correspondance sur Facebook, et, arrivée dans la chambre de l'écrivain auquel elle était prête à se donner et même à qui elle voulait donner un enfant (ce qui, suivant les critères du XIXe siècle, est le comportement d'une catin...) réaliserait que tout est plus compliqué qu'elle ne l'avait initialement pensé. Notre époque n'aime pas rendre justice aux êtres, ni au passé... seulement idolâtrer ses propres valeurs, sa propre médiocrité...

Le réalisateur du film a le culot d'écrire en postface du film dans le générique que Léontine fut profondément blessée de "l'entrefilet" que Châteaubriand lui consacra dans ses mémoires ! (comme si lui, l'homme de notre époque, prétendait lui rendre justice et réparer l'offense faite à la jeune femme de 1829 en lui versant à son tour un pot de chambre sur la tête). Mais qu'eût elle dit du film alors ! Léontine n'avait pas été blessée du peu de place que l'écrivain lui accordait dans son livre mais du fait qu'il ait laissé entendre qu'elle voulait coucher avec lui, comme une fée des forêts un peu follette, alors que, comme ils étaient membres de la bonne société aristocratique tous les deux, et ayant de nombreux amis en commun (elle y insiste pour éclairer l'arrière-plan de leur rencontre), elle avait placé leur complicité littéraire à un tout autre niveau... Est-ce si dur à comprendre de nos jours ?

(NB : je n'ai pas le temps de développer ce point, mais il faut bien voir que notre temps aveuglé par sa fascination pour le désir charnel, et soucieux de rendre justice aux femmes - mais pas à la femme idéaliste, seulement à la femme sexuellement disponible, et mécontente de n'avoir pas assez de pages dédiée à son égo dans les mémoires d'un écrivain - non seulement ne comprend rien à l'honneur aristocratique et la vertu chrétienne qui le soutenait - à la différence de l'aristocrate romaine païenne antique qui selon Paul Veyne se donnait au noble le plus offrant dans un adultère sans état d'âme -, mais encore ne comprend rien à toute la beauté dont l'art littéraire se parait au début du XIXe siècle, beauté que Châteaubriand ne croyait pas ternir en se vantant d'avoir séduit une sylphide, mais qu'une aristocrate encore vierge aurait bien sûr anéantie en vautrant sa délicate poésie dans une sombre coucherie prénuptiale avec l'idole de son tabernacle épistolaire).

(*) c'est moi qui souligne

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Invitation yézide

20 Août 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Aide aux femmes yezidies

Je suis invité au mariage d'une jeune yézidi irakienne en Allemagne. Mon hôte m'écrit dans son anglais approximatif : "The sister of my man with her husband and son were kidnapped by ISIS, and they have a sad story. I am sure at least 50 survivors will attend the wedding and i promised them to not speak or do any thing make them sad, it will be only Yazidi traditional dances and a dinner, my people need hope and i want to give them this hope that they really need it now."

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Chavez et la sorcellerie

16 Août 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Grundlegung zur Metaphysik

Traduction de l'interview du journaliste hispano-venezuélien David Placer auteur du livre "Los brujos de Chavez", une enquête menée auprès d'une soixantaine de personne, entretien publié dans le journal mexicain "El Universal" du 28 mai 2016.

- Qu'est-ce que révèle le livre?

- Il explique comment la politique et la superstition ont entremêlées au Venezuela, dans un phénomène politique unique dans lequel la Santeria cubaine a servi à exercer un contrôle sur les dirigeants politiques et militaires. Il offre une vision jusqu'ici inédite montrant comment Chavez et  le chavismese sont tournés vers Santeria pour accumuler et conserver plus de pouvoir.
 

- Comment influencé Castro a influencé Chavez?

- Chávez avait un caractère profondément superstitieux. Il a grandi dans les plaines vénézuéliennes écouter des histoires de fantômes et d'esprits. Et Fidel Castro, voyant en lui cette personnalité nettement croyante et superstitieuse, a profité de cette faiblesse. Il l'a rempli de babalawos  [hauts prêtres] de la santeria cubaine censé le le guider dans ses voies spirituelles. Mais ces conseillers qui ont accompagné non seulement Chavez, mais aussi les officiels chavistes de haut rang, les gouverneurs, les militaires et chefs d'entreprises publiques, étaient des espions. Cette révélation surprenante dans le livre est faite par Raúl Baduel, ancien ministre de la Défense [vénézuélien], et qui était compagnon et ami de Chavez [Baduel a rompu avec Chavez depuis 2007].


- A la mort de Chavez, comment le phénomène s'est-il prolongé dans le chavisme?

- Maduro a hérité de cette superstition présidentielle si présente au Venezuela parmi nos dirigeants. Le président est un disciple de Sai Baba, qui était le chef jusqu'à sa mort d'une sorte de secte en Inde. Et Maduro a également dit que l'esprit de Chavez lui apparaît partout: dans le métro, à la Caserne de la Montana [où les restes de Chavez reposent] et même sous la forme d'un petit oiseau. En plein palais présidentiel Miraflores, il y a des éléments de Santeria comme une tête d'alligator, des bonbons et des pétales de rose sur l'épée de Simon Bolivar. Et de tout cela je peux en témoigner de mes propres yeux parce que j'étais dans les salles du palais présidentiel et j'a pris des photos de tous ces éléments qui ne sont pas explicables autrement dans une perspective différente de celle de Santeria.
 

- Qui a été la vénézuélienne Cristina Marksman pour Chavez ? 

- Ce fut la première sorcière, soeur de sa maîtresse pendant plus de 10 ans, Herma Marksman, et elle lui lirait les lettres, lui faisait prendre des bains dans les rivières pour éloigner les mauvais esprits.
 

- Que vous a dit Baduel de la pratique de la Santeria?
 

 - La Santeria et la sorcellerie ont été utilisés par de hauts responsables du chavisme avec la conviction que, avec elle, ils pourraient obtenir plus de puissance. L'un des passe-temps des hiérarques supérieurs est d'invoquer les esprits, généralement ceux des Libérateurs. C'est un passe-temps qui continue à Miraflores (le palais présidentiel). Les administrateurs eux-mêmes me l'ont avoué. Ces épisodes ne sont pas seulement exposés par Baduel, mais aussi par une grande partie de cercle intime de Chavez.


- Voulez-vous dire que les grandes décisions ont été influencés par Santeria?


- Sans doute. Chaque fois que Chavez avait une réunion importante ou un voyage, il courrait chez sa sorcière principale, Cristina Marksman.Devenu président il a fait la même chose avec ses babalawos. Il était un homme qui comptait beaucoup sur ces pratiques pour prendre des décisions ou organiser des réunions.


- Quel lien y a-t-il entre la mort de Chavez et les os de Bolivar?


- Il y a une croyance répandue, non seulement parmi les adeptes de la Santeria et du Palo, qui qui sont ceux qui effectuent des rituels avec des os humains, que l'exhumation des os de Simón Bolívar [en 2010] a eu des conséquences fatales pour Hugo Chávez. La cérémonie, diffusée à la télévision tôt le matin, et où Chavez a parlé aux os de Bolivar, a été comprise de cette façon, non seulement par les opposants adeptes de la santeria et du palo, mais par les chavistes eux-mêmes. C'est ce qui est connu dans les milieux populaires comme "la malédiction de Bolívar". C'est là une conviction sans aucun fondement scientifique.
 

Selon ces croyances, la malédiction est tombée Chavez. Mais il est curieux que, après la publication du livre, un certain nombre de sorciers de l'opposition ont pris contact avec moi. Ils me demandent de révéler le lieu d'un des sortilèges réalisés par Chavez, parce qu'ils comprennent que grâce à cet endroit, le chavisme reste au pouvoir. C'est là aussi une perception sans fondement scientifique ou rationnel, mais une partie de Vénézuéliens sont convaincus que tous ces sortilèges, toute la sorcellerie présidentielle, a eu des conséquences pour le pays.
 

- Il y avait un plan pour diffuser Santeria au reste du pays? 

 - En effet. Santeria cubaine a commencé dans la hiérarchie des chavisme et s'est diffusée jusqu'auxbases sociales du pays. Dans les ports, à l'aéroport, dans les ministères et les entreprises publiques où prédomine le chavisme, domine également la Santeria. Elle est devenue la religion officielle du régime. Et les chavistes le savaient: s'ils étaient adeptes de la Santeria, étaient plus susceptibles de monter quand leurs chefs étaient aussi des santeros. Le but était d'avoir une religion officielle, parce que l'Eglise catholique a toujours été très critique du chavisme.

- Le phénomène a-t-il été sapé par la crise au Venezuela?
 

- Il reste plus vivant que jamais. Tous ces éléments sont encore à Miraflores et Nicolás Maduro et plusieurs de ses dirigeants continuent de consulter les sorciers et les voyants. C'est une caractéristique intrinsèque et en temps de difficultés cette dépendance aux rituels et l'occulte augmente. L'incertitude leur fait demander de la certitude. Ils doivent s'autoconvaincre que les problèmes disparaitront ainsi.

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Les Indiens hispanisés des Caraïbes

6 Août 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #XVIIIe siècle - Auteurs et personnalités, #Divers histoire

Les westerns nous ont montré des Indiens habitués à traiter avec la civilisation anglo-saxonne mais, au XVIIIe siècle,il y en avait aussi en Louisiane française qui s'habillaient à la Louis XV, et en Floride espagnole certains qui avaient été baptisés par des prêtres castillans. Quand le Père jésuite de Charlevoix fait partie d'une embarcation (un bateau nommé "Adour" bien qu'il eût un équipage breton) qui échoue en 1722 sur une des "Iles des Martyrs" à 150 kilomètres de la Havane, il est cerné par des "Sauvages" qui détestent les Anglais (mais les Français se sauvent en disant qu'ils sont alliés des Espagnols), tribu dont le chef se fait appeler Dom Antonio, mais dont les bonnes manières s'arrêtent malheureusement là (voir le récit ci-dessous). Charlevoix ne saura jamais à quelle ethnie ils appartenaient. Voici deux pages de son récit savoureux.

- Dommage que Gallica n'ait scanné que 3 tomes de sa description de l'Amérique française (au point que la fiche Wikipedia sur Charlevoix affirme qu'il n'existe que trois tomes de cet ouvrage), vous ne trouverez le tome 6 qui relate l'année 1722 que sur Google Books.Quel incroyable bonhomme que ce Charlevoix auquel on doit aussi une histoire du Japon et une du Paraguay ! -

 

 

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