Débat intellectuel
Michel Serres, dans des entretiens avec Bruno Latour, déplorait le climat de guerre civile qui a toujours soustendu le débat intellectuel français.
J'y songeais en lisant le passage d'un texte récent de Grégory Rzepski et Henri Maler sur Alain Finkielkraut et Serge Halimi. Ce texte et la version sonore des propos de Finkielkraut peuvent être consultés sur http://www.alterinfo.net/-Touche-pas-a-BHL-,-par-Ruquier-et-Finkielkraut_a14154.html.
Je crois avoir suffisamment lu, et même parfois fréquenté personnellement ,certains intellectuels parisiens depuis dix ans, pour pouvoir confirmer - et ce passage de Rzepski et Maler l'illustre - qu'en effet des moeurs belliqueuses animent ces intellectuels. Les "dominés", comme Halimi, refusent souvent de se rendre dans des émissions où ils savent qu'ils se retrouveront à 10 contre un (l'animateur étant généralement de mêche avec ses adversaires). Etonnamment, et symétriquement, les "dominants" s'en plaignent et se sentent eux-mêmes victimes d'une "terreur" bolchévique face à l'intransigeance de leurs opposants (un peu comme les partisans du "oui" au référendum sur le traité constitutionnel européen voyaient dans leurs adversaires des sortes de chevaliers de l'Apocalypse qui amèneraient en Europe la guerre et le chaos).
Je ne crois pas qu'il y ait dans ces comportements de la tartuferie ou de la vaine rhétorique. Chacun des deux camps semble vivre sincèrement dans la crainte de l'autre. Et chacun, c'est exact, se replie sur diverses formes de sectarisme. Les proches du Diplo, de l'Acrimed, de PLPL ont raison de dire que l' "élite" proche des grands médias évolue en cercle fermé. Les "dominants", quant à eux, n'ont pas tort de voir dans le Diplo, ou dans l'émission de Mermet, des sortes de citadelles, où l'on ne peut pénétrer qu'en donnant des gages d'allégeance extrêmement lourds, et qui n'acceptent pas facilement la contradiction en leur sein (nombre de mes proches, y compris des gens très à gauche, en ont fait l'amère expérience).
Faut-il se féliciter de ce qu'une guerre intellectuelle existe en France et fonctionne comme un miroir (parfois déformant) de la lutte des classes réelle nationale et mondiale ? Ou faut-il souhaiter quelque chose de mieux pour le débat d'idée ? Je vais oser une expression qui va scandaliser certains marxistes : les idées ont besoin d'autonomie, il faut à leur service refuser toute forme d'embrigadement. Le travail de l'intelligence a besoin de vérité, et, si la vérité ne peut se trouver sur le terrain de la compromission, elle ne peut pas non plus triompher sans esprit d'ouverture et de dialogue. Plus on diabolise l'autre, plus on limite ses chances d'accéder au réel et de pouvoir le penser dans toutes ses dimensions. Dans l'ordre du travail de réflexion, la confrontation de points de vue opposés loyale, sans insultes nu procès d'intention, est nécessaire à l'affinement des connaissances, à la justesse des analyses.
Finkielkraut a raison de louer l'ouverture d'esprit de Castoriadis. La logique d'embrigadement qui ne cesse de prévaloir en France, du côté des dominants comme des dominés, est le meilleur moyen de ne jamais faire progresser l'intelligence de notre époque.
Comment dépasser ce blocage ?
J'ai fait l'apologie il y a peu du Dissident, parce que c'est un homme d'action, un homme qui joue. Il échappe de la sorte à la logique des mobilisations façon "Le Monde Diplomatique" qui ne servent qu'à valoriser de petites organisations sans prise réelle sur l'évoliution du monde. Mais l'action n'est pas la seule réponse. Il faut aussi repenser complètement la structure du champ intellectuel, peut-être la remettre en cause de fond en comble, ne plus vouloir être un intellectuel, pour retrouver un sens plus profond de la discussion et de l'intelligence.
Au fil des lectures
Résistance difficile
Il faut endurer chaque jour le venin de toute cette mauvaise foi, qui se diffuse à grande vitesse sur le ton de l'évidence dans des couches vastes de la société. Dans mon entourage professionnel, il ne se trouve pas une seule personne qui ne trouve la grève des trains "absurde" et qui n'attende (comme le leur annoncent les journaux) la reprise du trafic pour le lendemain. Pour eux, il faut absolument que la grève s'arrête, que la parenthèse se referme, pour que l'on passe à autre chose (c'est à dire à liquidation du statut de la fonction publique - alors qu'eux mêmes sont fonctionnaires - et à l'allongement de la durée de cotisation des retraites dans le secteur privé). Les forces de résistance vont-elles tenir le choc comme elles y parvinrent en 1995 ? Mélenchon sur son blog évoquait la nécessité de mettre en place des collectes au profit des grévistes. Il a cent fois raison. Ce serait l'occasion d'exprimer la solidarité des usagers.
Interview
La guerre d'Iran
Chavez à Paris
Il faut en tout cas saluer ici la très grande habileté de Chavez, qui débarque en France en libérateur potentiel d'Ingrid Betencourt, et vient ainsi couper l'herbe sous le pied des bobos delanoïstes et sarkozistes (et notamment de Reporter sans frontières) qui hurlent à la tyrannie vénézuélienne. Chavez libérateur d'otages en Colombie rencontre Sarkozy libérateur d'otages au Tchad, c'est en ces termes que se pose la visite du président vénézuélien, qui ajoute l'image à l'image pour mieux aveugler nos médias (qui adorent ça), ce qui lui permettra ensuite de négocier tranquillement en coulisse les contrats de Total.
Chavez l'a dit : il veut vendre du pétrole à tout le monde - y compris à la France - mais pas aux Etats-Unis qui le gaspillent (dans l'interview ci dessous il les qualifie de "Dracula"). Peut-il contribuer à décrocher un peu Sarko de Bush, notamment sur le dossier iranien ? L'avenir le dira.
Stockholm
Faut-il voir du syndrome de Stockholm dans le vote massif des Français pour Sarkolène en mai dernier ? dans l'ardeur de la CGT à casser le mouvement de grève en ce moment ? dans le fait qu'en Espagne seul le député Francisco Garrido parmi les élus aux Cortes ose attaquer frontalement la petite phrase du Roi contre Chavez au dernier sommet ibéro-américain ? (cf http://www.elmundo.es/elmundo/2007/11/15/espana/1195097477.html?a=ec9044ef44bb19edf923daddc3d9108b&t=1195116376)
Chavez et l'OPEP
Chavez c'est le courage, physique, intellectuel, politique et c'est un Verbe qui se déverse généreusement sur son peuple (dans l'émission "Allo présidente" notamment). Il y a peu à l'ambassade du Vénézuela à Paris quelqu'un a demandé si la réforme constitutionnelle de décembre limiterait les pouvoirs du président, et le sociologue qui tenait une conférence là a répondu quelque chose comme "on ne peut pas arrêter le verbe de Chavez". Le glissement de la notion de "pouvoir" à celle de "verbe" était significatif. On a le sentiment d'un pays qui coule sous un flot de paroles, des paroles de vérité comme il n'en avait jamais reçu auparavant, c'est ce qui est touchant dans le Vénézuela chaviste (d'où d'ailleurs le côté absurde du "por qué no te callas" espagnol dont on parlait hier). Or quand ce verbe, parle des rapports Nord-Sud, il va tout de suite à l'essentiel. Je lisais ce soir un article sur Aporrea à propos des projets de Chavez autour de l'OPEP. S'il gagnait son pari, la face du monde en serait changée.
Lisez plutôt :
"Le président Chavez a annoncé qu'il apportera plusieurs idées au sommet de l'OPEP, qui aura lieu les 17 et 18 novembre à Ryad, pour changer la méthode de mesure des prix du pétrole, bien qu'il n'ait pas donné de plus grands détails. Il a indiqué que la production de West Texas Intermediate (WTI), brut utilisée comme référence à la Bourse de New York, est très petite par rapport à la production mondiale de pétrole, "donc ce n'est pas l'indicateur le plus adéquat". Il a souligné l'importance d'accorder des prix préférentiels aux pays les plus pauvres : "Nous proposerons des mécanismes de protection pour que le prix à 100 dollars ne se transforme pas une bombe destructive pour les sociétés affaiblies du Tiers Monde". Il a publiquement
considéré que les prix doivent osciller entre 80 et 100 dollars le baril. "Je crois que nous devons retourner à l'OPEP originaire, avec une forte charge géopolitique. Nous travaillons sur quelques idées pour faire des sondages entre les chefs d'états de l'organisation. J'ai dit qu'il serait formidable de vendre le pétrole à 200 dollars et à cinq pour les pauvres, ce serait un mécanisme pour la croissance de l'économie. Si les prix arrivent à 100 dollars on pourrait destiner quelque 100 milliards de dollars pour combattre contre la misère en Afrique, les Etats-unis et tous les pays, à travers un fonds de développement social ", a continué le mandataire dans
son discours." (http://www.aporrea.org/tiburon/n104676.html)
Au fait, je conseille aux gens qui s'intéressent à Chavez de jeter un oeil à cette vidéo :