Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

Montaigne à propos de Marguerite de Navarre

22 Décembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Renaissance - Auteurs et personnalités

marguerite de navarreQuand on cite l'avis de Montaigne sur l'Heptaméron de Marguerite de Navarre (née Marguerite d'Angoulême, la grande réformatrice des moeurs sexuelles des femmes françaises), on dit toujours qu'il qualifie son oeuvre de "gentil livre pour son étoffe" ce qui est une façon à la fois d'en dire du bien et de le rabaisser, mais on ne précise jamais dans quel contexte il dit cela. C'est dans le chapitre 11 de son deuxième livre des Essais quand il affirme qu'il n'y a rien d'extraordinaire à passer une nuit avec la femme qu'on aime sans la pénétrer : " Je ne prens pour miracle, comme faict la Royne de Navarre, en l'un des comptes de son Heptameron (qui est un gentil livre pour son estoffe) ny pour chose d'extreme difficulté, de passer des nuicts entieres, en toute commodité et liberté, avec une maistresse de long temps desirée, maintenant la foy qu'on luy aura engagée de se contenter des baisers et simples attouchemens."

 

2013 (1)Dans la phrase précédente il précise : "Je sçay qu'on peut gourmander l'effort de ce plaisir, et m'y cognoy bien, et n'ay point trouvé Venus si imperieuse Deesse, que plusieurs et plus reformez que moy, la tesmoignent". Le "et plus réformés que moi" doit être entendu dans le sens de "plus vertueux". C'est l'énoncé d'un paradoxe en forme de plaisanterie : les plus vertueux trouvent Vénus plus tyrannique que moi, et c'est déjà une allusion à Marguerite. On retrouve là les paradoxes de cette femme, élégante, qui selon Brantôme, importe en France pour les femmes un art de séduction italien, et en même temps à demi-protestante et presque "bonne soeur dans l'âme" dira un commentateur du XIXe siècle tant elle vibre aux charmes du néo-platonisme florentin (Entrez ici Marcile Ficin et Botticelli !).

 

L'Heptaméron est rempli de ce paradoxe qui en fait n'en est pas un : les néo-platoniciens sont des espèces de bouddhistes tantriques ou des taoïstes de l'Occident qui retiennent le coït et le transforment en stratégies de séduction et en poêmes pour mieux concenter l'énergie sexuelle, saisie dans un sens métaphysique (rien à voir avec les exercices sexuels utilitaires "à l'américaine" de notre époque). Ces subtilités étaient un chouïa trop extrémistes pour un Montaigne.

  luciano

Il va bientôt falloir que je me plonge dans le taoïsme. On me conseille une lecture en ce sens.

 

Lire la suite

Plus littéraire

21 Décembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Divers aléas de ma vie m'ont poussé à faire un doctorat en sociologie et à publier chez un éditeur plutôt orienté vers les essais (et une des raisons à cela tient aussi au goût de notre époque pour le savoir "positif" que fournissent les "experts"), alors pourtant que mes penchants initiaux me portaient vers l'écriture de romans et vers la philosophie. Il s'agit bien d'aléas. La rencontre de Bourdieu en fut un. Le fait que j'aie été publié par les éditions du Cygne en anthropologie plutôt que sur la Yougoslavie aux éditions La Différence, comme il en fut question en 2002, tout cela tient à des hasards.

 

chreibenAujourd'hui, la pauvreté de mes échanges avec les milieux universitaires (qui sont bien souvent nuls), l'indifférence complète du public à l'égard de mes livres (de quelque nature qu'ils soient), comme la relative ouverture des éditions du Cygne à l'égard du versant littéraire de ma personnalité, me permettraient sans doute de donner une dimension moins académique à mes écrits. C'est bien mon intention en ce qui concerne la façon dont je vais remanier le "tome 2" de "12 ans". Je pense que j'appliquerai aussi cette tournure d'esprit à l'écriture des ouvrages qui viendront dans la foulée. L'indifférence qui m'entoure entretient mon indifférence à l'égard de la réception de mes écrits, et donc une certaine liberté dont je vais tenter de profiter.

Lire la suite

Association d'idées n°5

20 Décembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca

A deux pas de la boutique du maître confiturier d'Uzos Francis Miot.

 

 

 

Lire la suite

Le système des objets

19 Décembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le quotidien

aragon"Le paysan de Paris" est un livre d'Aragon assez étrange, parce que l'auteur s'y lance dans une évocation "au ras des pâquerettes", des lieux parisiens, et des personnages et des objets qui s'y trouvaient. Par exemple il évoque le "Coiffeur des grands hommes", ses méthodes de rasage rudimentaires qui le rendaient moins cher que ceux qui avaient adopté les baumes onéreux. Ca ravive en moi le souvenir de mon coiffeur de la avenida de América à Madrid en1995 qui me renversait un bac d'eau chaude en émail ou en fer je ne sais plus sur la tête, "à l'ancienne à tout cas". Il y a une histoire des coiffeurs à écrire.

 

Ce genre d'évocation s'est beaucoup fait dans la littérature par la suite, mais chez Aragon c'était peut-être nouveau parce que c'était une sorte d'immersion. Ce goût pour les petites choses du quotidien me fait un peu penser, je ne sais pas pourquoi, à "L'homme qui dort" de Pérec, qui fut monté en film dans les années 70 et dont Daney disait qu'il reflétait la condition petite bourgeoise de l'homme qui ne peut ni se fondre dans la masse, ni la dominer. C'est le même mouvement vers les petites choses insignifiantes. Sauf que justement, le salon de coiffure, ou le magasin de timbres, c'est probablement le contraire de la fuite dans le sommeil. C'est, je suppose, pour Aragon, une fusion dans la masse, ou du moins dans les plaisirs populaires.

 

On a envie de donner une suite à chaque passage du livre. Par exemple on trouve chez Aragon une page singulière sur le Porto du café de Certa où se réunissaient les dadaïstes.Ca me fait penser au livre que j'ai écrit sur la résistante Denise Albert où elle parle du goût de Rol-Tanguy pour le Porto. Un de ses amis à Sevran m'a glissé : "C'est bizarre ce truc que les Résistants avaient avec le Porto, ils en buvaient tous dans les réunions d'anciens combattants". C'est peut-être bizarre tout ce que le XXe siècle révolutionnaire français a avec cette boisson. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les gens n'en boivent plus, ou alors, avec ennui, quand ils n'ont pas d'idée précise sur ce qu'ils ont envie de boire.

 

J'ai pensé à une femme qui boit des  cocktails "Simone de Beauvoir" à Montparnasse... Puis, mes conjectures, des petits détails d'Aragon, ont glissé vers le "Système des objets" de Baudrillard. Sacré Baudrillard avec son structuralisme de bazar qui a fini par se mettre les médias à dos (alors pourtant qu'il écrivait dans Libération il y a vingt-ans), parce qu'il ne supportait plus l'hégémonisme étatsunien... Baudrillard, comme les romantiques, puis Nietszche, Alain et Heidegger, parle beaucoup de vitesse et de technique. Son passage sur la voiture par exemple j'ai l'impression de l'avoir vu cent fois ailleurs.

 

deleuze.jpgAragon, lui, parle juste des objets pour eux-mêmes, sans finalité apparente, simplement à les liant aux lieux et aux hommes. On a l'impression qu'il prend juste une photo (voyez mon dernier billet sur les artistes), et, comme disait Deleuze à propos des empiristes anglais, il fait de la pure description immanente : "il y a, il y a, il y a". C'est une façon très particulière de rendre justice au réel, très particulière et intéressante.

 

Tenez, moi, qui suis en train de remanier la deuxième moitié de mon "12 ans" dont je vais faire un livre autonome à paraître dans quelques mois (et je peux vous promettre que ce sera un livre de maturité, qui ne devra rien à personne, et un livre qui décoiffera), je me rends compte que tous mes livres j'aurais pu les écrire très différemment, en mettant plus en valeur les objets, et notamment les objets insolites : la boutique d'antiquités africaines à Zemun (Belgrade) en juillet 2000 by night, le type qui peignait des grains de riz à Tiraspol, les jeux d'échec en bois à Soukhoum. Sans pour autant suivre Bruno Latour dans ses délires autour de l'idée selon laquelle les objets sont "actants" et seraient presque des acteurs sociaux, je me dis qu'il faudrait toujours plus faire des arrêts sur image sur les objets. Expliquer ce qu'ils sont. Ils ont pouvoir sur nous autant qu'ils sont une projection de nous-mêmes et pourtant, emportés dans la dynamique interne de nos projets, nous les voyons à peine.

 


Lire la suite

Il nous faut des artistes

18 Décembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Cinéma

Il n'y a pratiquement plus d'artistes aujourd'hui. Juste quelques petits fonctionnaires de l'art, et plus souvent encore des agents publicitaires, qui tentent de captiver les regards pour extorquer du fric. Il y a encore moins évidemment des artistes révolutionnaires. Au mieux il y a des types énervés qui prennent un pinceau ou une guitare mais ce n'est pas être artiste.

 

Et c'est bien dommage. Car seul l'art peut saisir en profondeur le réel. Une réalité comme Vladimir Poutine, l'Ukraine, le régime castriste à Cuba ne peut être cernée que par un artiste. Mais sous la dictature des marchés cela a disparu. Par exemple les Pussy Riot ne sont pas des artistes, mais des agents publicitaires comme les Femen. Leur message comme leur style est compatible avec Coca Cola. Il y aurait peut-être plus d'artistes s'il y avait des philosophes pour les inspirer (car parfois l'art doit quelque chose aux idées, pas toujours certes). Mais la fac soumise au capitalisme a tué la philosophie.

 

Je lisais sous la plume de Daney une critique au vitriol d'un film de Barbet Schroeder sur Amin Dada (qu'il accuse de racisme) Je ne suis pas surpris car Schroeder a aussi pondu un documentaire lamentable sur Jacques Verges. Les chiens ne font pas des chats, et ceux qui nous font honte aujourd'hui étaient déjà lamentables il y a 40 ans. Il faudrait de vrais artistes pour faire de l'anti-Schroeder. Les vrais artistes aujourd'hui sont plus de côté de la photo.  J'ai parlé de Guillaume Poli en novembre par exemple. Parce que la photo doit moins aux mots que le cinéma, et même que la peinture. Veritas index sui. Le réel s'impose de lui-même, et il tyrannise le photographe pour l'empêcher de devenir un agent publicitaire. Aucune médiation des mots ne vient en atténuer la force. Mais qui sait faire quelque chose d'une exposition de photos ? qui utilise les impressions provoquées par les images pour changer sa vie ? Au mieux le spectateur se mettra lui-même à faire des photos dans l'esprit du petit copiste, du Bouvard et Pécuchet de l'image. On ne se fait pas artiste en versant dans cette facilité-là. Benjamin et l'infinie reproduction des images...

Lire la suite
1 2 > >>