Fontanes et Henri IV, Vigny et Bonaparte
Hier je lisais Chauteaubriand. On ne dira jamais assez combien cet auteur est un bon compagnon pour vos soirées, comme Plutarque ou Casanova. Il faut le lire par petits bouts. Un tempérament remarquable - mélange d'exaltation et de rationnalité - un regard perçant sur tout (sur les Indiens d'Amérique du Nord, sur la Révolution etc.
Je ne veux pas développer trop longuement tout ce qu'il y a de stimulant dans cette lecture. A titre juste anecdotique je trouve chez Chateaubriand des remarques sur celui qu'il identifie comme le dernier des classique là où lui-même se considère comme le premier des romantiques : Louis de Fontanes. Fontanes a écrit "La Forêt de Navarre" qui lui valut un franc succès en 1780 parce qu'elle poursuivait l'inspiration de "La Henriade" de Voltaire.Etonnant effet de mode d'une décennie dont Chateaubriand montre par ailleurs (voir le précédent billet de ce blog), combien elle était paumée...
Tout cela contribua à la place du Béarn dans l'affect de l'aristocratie éclairée du XVIIIe siècle.Un peu comme l'Heptaméron de la Marguerite des Marguerites qui trônait dans toutes les bibliothèques nobiliaires.
Ce matin dans ma boîte aux lettres, un autre auteur qui rendit un joli service à l'image des Pyrénées dans la culture française : Alfred de Vigny, qui se maria, m'a-t-on appris, en la chapelle des Cordeliers à Pau, devenue depuis lors l'église Saint-Jacques. Nous chantions la première moitié de son poème "Le Cor" à l'école primaire jadis.
Je parcours son "Servitude et grandeurs militaires". On apprend en lisant la postface que De Gaulle en écrivit la préface pour une édition de 1946, que le maréchal Juin affirma qu'avant 14 tous les officiers le lisaient, et qu'un franquiste vomit sur cette ouvrage "pacifiste", en vantant la France militaire qui, selon lui, trouvait encore sa noblesse dans la fougue des officiers en Indochine (quelle horreur !).
Chateaubriand, Custine, Vigny sont tous, au fond, des aristocrates sceptiques, que le régime de la Restauration par sa débilité profonde a lessivés jusqu'à la moelle. J'aime le regard de Vigny sur Napoléon Ier. Quand on le voit dialoguer avec le pape Pie VII, on ne peut s'empêcher de lui trouver des airs de Nicolas Sarkozy, alternant le comique et le tragique, la fureur et l'apitoiement, quoique Vigny reconnût à l'empereur quand même un peu plus de génie que nous ne pourrions en prêter à notre ex-président; mais l'histrionisme, le mauvais goût et l'imposture se retrouvent chez les deux chefs à dose égale.
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer ci-dessous un tableau que Vigny brosse d'une célébration officielle que Bonaparte organise en Egypte - un tableau dont le pittoresque doit parler à nos temps de mondialisation et de rencontre des cultures, mais où le côté grand guignolesque de Napoléon est bien souligné par le rire de Kléber. Je trouve que nos professeurs de lettres peinent à montrer (parce qu'ils ne le ressentent pas eux-mêmes) en quoi Vigny est séduisant, même dans les préfaces qu'ils rédigent pour ses livres. Moi je repère d'emblée, presque d'instinct, ce qui fait tout son intérêt : "Servitude et grandeur militaires" est une profonde méditation sur le cocufiage historique. Comment une époque peut vous "niquer" jusqu'à l'os, voilà le sujet de Vigny. Comme le dit le commentateur, ce n'est pas la mélancolie adolescente de Musset que Vigny exprime dans ses livres, c'est l'abandon du type loyal, le soldat, qui était prêt à servir jusqu'au sacrifice suprême, mais que son commandement mène en bateau. La mélancolie des militaires est poignante. J'en ai trouvé aussi il y a quelques années une bonne quantité dans les mémoires de mon aïeul républicain espagnol.
La veille de la révolution vue par Chateaubriand
Passage court mais intéressant (Mémoires d'outre-tombe , livre IV, ch 13). Notez la remarque sur le fait que plus personne de voulait être français à la fin du règne de Louis XVI.
Après la bataille de Zamboanga
Je me suis penché un peu sur la condition des musulmans au Sud des Philippines, minorité pauvre et opprimée. Je suis loin d'en avoir fait le tour. L'histoire de la prise de Zamboanga au début de ce mois est très triste. J'ai du mal à croire que les 300 soldats de la guérilla du MNLF (Front national de libération moro) aient spontanément voulu prendre la ville en sachant qu'ensuite ils auraient l'armée philippine sur le dos et ne feraient pas le poids. Je crois plutôt qu'ils ont été piégés, comme ils le disent, par les soldats qui leur ont tiré dessus alors qu'ils manifestaient pacifiquement (il semble qu'on puisse se rendre à des manifs pacifiques avec des armes aux Philippines). Les gens du MNLF ont l'air de types biens (ce qui n'est pas le cas de leurs rivaux islamistes du MILF probablement financés par la Malaisie avec qui le gouvernement philippin négocie sur leur dos). Le François Hollande local, Aquino, les a massacrés. Ce matin dans le Manila Times, un bon article qui rend hommage à leur héroïsme, notamment celui de leur commandant, Malik.
Ca n'a rien à voir mais pour info je signale qu'on peut trouver sur Parutions.com ici, une présentation d'un livre de réflexion marxiste contemporaine sur le thème "L'être humain et la nature, quelle écologie ?. Je suis un peu marxisant, mais dans les limites du rationalisme chomskyens, néanmoins le livre m'a paru utile.
Mr Mélenchon et le "désastre dans la civilisation"
Je lis "Allemagne, un vote d'égoisme national" sur le blog de JL Mélenchon au sujet de la réélection de Mme Merkel : "Après tout, si le peuple l’a voulu que dire de plus ? Ceci : cette politique prépare un désastre dans la civilisation européenne. Il encourage les Allemands à croire que les millions d’Européens déjà soumis au talon de fer de la politique imposée par leur pays vont continuer à subir leurs mauvais traitements et leurs insultes avec gratitude et reconnaissance."
Et je me dis ceci : soit la réélection de Mme Merkel "prépare un désastre dans la civilisation européenne", vraiment (réfléchissez bien à ce que peut être un désastre dans un civilisation), et alors, il est criminel de rester ami d'un pays qui oeuvre à ce genre de cataclysme (la complicité d'un désastre est un crime contre l'humanité non ?), et il faut, d'urgence, briser toute alliance avec lui, et ré-occuper la Ruhr. Soit M. Mélenchon, exagère, n'a pas bien pesé ses mots. Et alors, je ne vois pas pourquoi je continuerais à le lire, ni à croire ce qu'il écrit, car je ne peux plus savoir quand ses propos sont dignes de foi et quand ils sont de purs artifices rhétoriques.
Nairobi, voix du silence
Les Shebab somaliens ont eu leur 11 septembre dans un mall de Nairobi. Les grands medias imbéciles se déchaînent, dénoncent un terrorisme abstrait, empêchent de comprendre. Libération quand même aujourd’hui ose le mot « représailles » contre des « crimes commis contre les musulmans en Somalie », mais aussitôt pour ajouter que ces représailles sont aveugles . Aveugles ? Des représeailles qui vont paralyser l’industrie touristique kenyane ? Moi je ne trouve pas.
Lisez la rubrique Afrique de l’Est du blog de l’Atlas alternatif. Voyez combien de fois j’ai mentionné l’ingérence inadmissible du Kenya dans les affaires somaliennes, et les crimes de guerre terribles commis par cet allié des puissances occidentales, pour le compte de ces puissances. On voudrait pouvoir continuer d’assassiner en silence, dans l’indifférence des médias, massacrer en Somalie au nom dela « lutte anti-terrorisme », mais cette impunité n’a qu’un temps.
Ce que je pense des Shebabs ? Comme beaucoup je préfèrerais une Somalie où l’on lirait Voltaire et Rousseau. Mais je connais l’histoire de ce pays. Les manipulations de Kissinger dans la guerre somalo-éthiopienne des années 1970, tous les efforts faits pour que la Somalie ne puisse jamais recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire historique (au-delà de ses frontières), puis cette politique idiotedes néocons de soutien aveugle à l’Ethiopie et au Kenya. Je me souviens de l’article de Paris Match sur les femmes enrôlées dans les Shebab, qui reconnaissait que les tribunaux islamiques avaient apporté la paix à la Somalie et que la charia était plus favorable au développement des femmes et à l’éducation de leur progéniture que la guerre.
Je ne crois pas que personne en Occident ait la baguette magique pour transformer la Somalie en Suède en quinze jours. Tout ce que beaucoup voudraient c’est que les populations réduites à soutenir les Shebab parce que c’est leur seul moyen d’exister sur une scène mondiale qui leur crache au visage, ferment leur gueule, et retournent en silence au SIDA, à la malnutrition, à leur mort programmée. Personne n’ira interviewer les militants Shebab qui ont tiré dans le mall de Nairobi. Dommage. Ils auraient des choses à nous apprendre sur ce monde.
Ne nous plaignons pas
J'écris à un éditeur bien diffusé. Je lui propose deux projets de livres : un sur le Kurdistan, un sur les Philippines. L'éditeur très gentiment me répond (c'est rare) qu'ils ont déjà leur "kurdologue" et leur spécialiste de l'archipel extrême-oriental.
Et qui s'en étonnerait ? En France en fait de fourmis universitaires et de spécialistes, il y a pléthore de tout : le type qui a passé toute sa vie penché sur le Swaziland, celui qui peut disserter pendant des heures sur le fonctionnement d'une cocotte-minute etc. Qui a besoin d'un auteur qui veut partager sa "découverte", son regard neuf, avec plus ou moins de style, plus ou moins d'originalité intellectuelle ou d'indépendance d'esprit ? Les Editions du Cygne sont bien ce qu'il me faut, pour me permettre aujourd'hui d'écrire sur les Balkans, demain de publier sur la philosophie. Elles sont les seules. Et tant pis si elles ne sont pas connues. Que mes "fidèles" notamment les lecteurs de ce blog, fassent l'effort d'aller commander mes livres sur Fnac.com s'ils le veulent. Une chose est sûre : je ne suis pas de ces chercheurs monomaniaques que les grands éditeurs s'arrachent, donc vous ne verrez jamais mes livres sur les étals des libraires. Tout restera pour "happy few". Vous devez en prendre votre partie... ou vous réjouir de faire partie du club des initiés !
Kulturkampf
J'ai beau essayer d'être lisse et consensuel en ce moment (juste pour la quiétude de l'esprit, pour faire une pause), la nécessité du combat s'impose toujours car la "dialectique" des positions est là. Hier dialogue à mon bureau. Ma chef à mon collègue "J'espère que toi et Frédéric ne vous opposerez plus sur les Balkans". Mon collègue "Bien sûr que non, je refuse juste le 'pro-serbisme des français moyens' " - bim prends toi ça dans les dents Frédéric.
Le soir je me bats pour réenseigner le mot "Espagne" à mon fils (il semble que "Belgique" et "Pays-Bas" soient les seuls pays qu'il connaisse, et il y a toujours des gens qui se chargent de remplacer le mot "torero" dans son esprit par "toreador" (invention idiote de Mérimée reprise par Bizet) - bon là dessus rassurons nous, les bobos règleront le problème en supprimant la corrida. Ca, c'est sur le volet "combat deS FranceS du Sud, contre celles du Nord". Problèmes artificiels ? Petits bourgeois ? Non messieurs. Pour moi le Pays basque existe plus que les Pays Bas (et pourtant je ne suis même pas basque), et l'Espagne que la Belgique ne vous en déplaise. Mais peu importe, ce Kulturkampf que je mène au nord de la Loire depuis 1988, en plus de mon combat social de prolo perdu chez les bourges, et de tant d'autres, m'a habitué à toutes ces dialectiques.
Et puis, derrière tout ça, il y a les combats de génération. Hier j'ai rencontré un photographe très sympa qui va prendre des clichés en Abkhazie le 25 septembre (je pourrais parler longuement parler de la photographie, du rapport au réel qu'elle implique). Il a demandé à un journaliste quadra ou quinqua de l'aider pour les contacts, un ponte qui a écrit sur ce pays. Le type l'a envoyé chier en lui disant "achetez mon livre" (pas étonnant, lui-même ne citait même pas mon "Abkhazie, à la découverte d'une 'République" de survivants" dans sa biblio). Attitude typique (et très animale) du quadra ou quinqua installé qui protège son périmètre. Moi j'ai mobilisé tout mon carnet d'adresse pour ce garçon. Les Abkhazes esseulés dans leur bout de paradis le méritent. La cause de la Vérité, le mérite. Amicus Plato sed magis amiscus Veritas... Vous oubliez que la vie c'est le polemos ? Il n'y aura pas qu'Héraclite pour vous le rappeler !
Revues, Front de gauche, activités diverses
Je parcours Afrique-Asie. Je ne suis pas d'accord avec toutes les options de ce magazine (qui a aussi son site sur le Net), par exemple sur la pub qu'il fait à Michel Collon (l'admiration pour les théories de ce militant belge n'est pas ma tasse de thé, pas plus que la villepinolâtrie qui travaille encore les souverainistes). Mais je trouve que, par les temps qui courent, l'existence de cette revue dans le commerce est un véritable petit miracle.
Hollande m'a fait rire jaune en qualifiant la crise syrienne de "plus grande tragédie du 21ème siècle". Décidément le Congo et les Grands Lacs ne diront jamais rien à nos responsables politiques... Ni l'Irak (mais il est vrai que Hollande s'était rendu à l'ambassade des Etats-Unis pour inciter au déclenchement de la tragédie, selon les câbles américains sur Wikileaks). Le Soudan non plus d'ailleurs où - vous l'aurez compris en lisant le blog de l'Atlas alternatif - Obama a encore fait une boulette.
Je suis resté à l'écart de la Fête de l'Humanité comme les années précédentes (personne ne m'y a invité, ce n'est pas une surprise). Il est vrai que rien d'exaltant ne se passe au Front de gauche. L'empressement du PC à faire des listes communes avec les socialistes n'est pas de bon augure. Le regroupement de 4 groupuscules de la coalition n'a aucune signification. Le mouvement stagne à 10 % dans les sondages. Les médias, comme M. Fillon, font une pub d'enfer à Marine Le Pen (qui se complait beaucoup dans le vocabulaire sexuel en ce moment, assimilant la France à la maîtresse de Washington, et de catin des pétromonarchies, Jeanne d'Arc dépucelée en quelque sorte...). Une "Une" de l'Huma dimanche - "Ils font échec à la guerre" -, présentant Evo Morales, Edgar Morin et Paul Laurent comme des obstacles à l'action militaire en Syrie m'a amusé.
J'ai travaillé hier à un projet de livre d'histoire de la philosophie qui avance très lentement depuis trois mois. Rien ne presse de toute façon. J'ai l'hiver pour relooker mon livre sur la guerre du Kosovo de 1999 qui sortira aux Editions du Cygne au printemps pour les 15 ans de l'ingérence (en vérité je préfèrerais oublier les souvenirs de cette guerre dans laquelle je me suis tellement impliqué !). Un photographe a demandé mon aide pour obtenir quelques papiers pour l'Abkhazie. Je le verrai jeudi à Paris. Il assistera bientôt à la fête des 20 ans de l'indépendance de ce pays. Je l'envie un peu. Il sera au milieu d'une ferveur populaire qui n'a rien de blâmable, car le nationalisme de ce petit peuple fut essentiellement défensif et n'a jamais menacé personne. Je relisais avant hier mon livre sur la Transnistrie que je voulais passer à une collègue de bureau. Mais je le trouve un tantinet faible. Il ne faudrait jamais se relire...