Déclin d'un écrivain
J'ai trouvé assez drôle cet article sur Annie Ernaux dans Paris-Match (que je lis toujours attentivement chez mon coiffeur). Cela rejoint un peu mes impressions sur son livre "Les Années" que j'avais commenté en 2010 sur Parutions.com (et encore j'avais tenté de rester gentil car Mme Ernaux m'avait soutenu - dans des courriers privés - il y a douze ans sur la Yougoslavie). C'est daté du 20 avril dernier.
" Hyper Rasoir
Annie Ernaux se transforme en sociologue de grande surface dans un essai... au rabais.
Annie Ernaux se transforme en sociologue de grande surface dans un essai... au rabais. Annie Ernaux est entrée pour la première fois dans un hypermarché en 1968. C’était à Annecy, chez Carrefour, où elle a rempli un chariot entier par crainte de la pénurie. Très petit bourgeois, comme attitude. Daniel Cohn-Bendit en aurait fait des gorges chaudes. Mais faites confiance à la romancière : même si elle s’en rendait compte, elle l’écrirait. Dans ses textes, Annie Ernaux manifeste une allergie violente à l’égard de toute forme d’humour, mais cultive avec autant d’intransigeance son souci de la vérité. Son truc, c’est l’autofiction sociale. Lire son dernier livre, par exemple, c’est comme feuilleter de la documentation. Sujet : les hypermarchés. En particulier, celui de Cergy, géré par Auchan. Elle ne nous épargne aucune description. Balzac était déjà long dans la pension Vauquer du « Père Goriot » mais, au moins, on ne connaissait pas les lieux.
Là, c’est carrément bizarre. On entre dans le détail pour montrer ce que tout le monde a vu cent fois : « Le niveau 1, non alimentaire, a la forme d’un rectangle profond. Un Escalator le relie au niveau 2, d’une surface double, divisé en deux espaces communicants, mais décrochés à angle droit l’un par rapport à l’autre, ce qui, en réduisant l’horizon infini des marchandises, atténue l’impression de grandeur »... C’est beau comme du « nouveau roman », mais soyons indulgents pour le style : c’est de l’écriture « grande surface ». Cela ne va pas chercher loin, mais ça n’y prétend pas. Même si ce sont les trois heures les plus longues de la semaine, la lecture de ce petit essai ne prend pas plus. Dans le genre plongée en France, Florence Aubenas est mieux inspirée : elle rencontre des gens, raconte des histoires, soigne son écriture. Annie Ernaux, elle, nous apprend ce qu’on sait déjà tous.
Va-t-elle écrire « femme noire » ? Ou « africaine » ? Ou « femme », tout court ?
Page 12, elle écrit : « Les femmes et les hommes politiques, les journalistes, les “experts”, tous ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un hypermarché ne connaissent pas la réalité sociale de la France. » Croit-elle vraiment qu’il y en a ? On dirait plutôt que c’est elle qui découvre les lieux : chez Auchan, en grande banlieue, elle cherche la Quinzaine littéraire qu’on ne trouve même pas à Saint-Germain-des-Prés ! Finalement, si on n’apprend rien sur ces hypermarchés qui assassinent les petits artisans et étranglent les agriculteurs en serrant les prix comme l’étrangleur ottoman, on voit, en revanche, à merveille comment (dys)fonctionne une intellectuelle parisienne. Page 21, devant elle, une acheteuse noire lui pose un problème de conscience. Va-t-elle écrire « femme noire » ? Ou « africaine » ? Ou « femme », tout court ? Après une page d’hésitation, elle choisit l’audace : ce sera « une femme noire » !
Un peu plus tard, en revanche, elle n’ose pas photographier un joli petit garçon dans une allée par crainte de céder à un besoin de « pittoresque colonial » ! Tombée sur un immense rayonnage illuminé de poupées Barbie, elle frémit de rage et songe, émue, au beau saccage que pourraient s’autoriser les Femen. Plus loin, ce sont les Mulliez, propriétaires d’Auchan, qui lui inspirent des sentiments réservés. Dès que quelque chose la heurte, elle l’attribue à l’action d’une volonté malfaisante. Autant que des explications, elle cherche des adversaires. Quand, face aux ordres crachés par la voix synthétique des caisses automatiques, elle observe qu’à présent les machines ont l’air intelligentes et les hommes désorientés, c’est à elle qu’on pense.
Gilles Martin-Chauffier
« Regarde les lumières mon amour », d’Annie Ernaux, éd. Seuil, 72 pages, 5,90 euros" http://www.parismatch.com/Chroniques/LIVRESQUE/Hyper-rasoir-560588
Le grand "oui"
Tout ce qui m'est arrivé depuis six mois, et peut-être même depuis un an, est parfait. Il n'est pas un seul événement, même minime (même un micro-événement), qui me paraisse illégitime. Tout s'est passé comme cela devait se passer, tout me semble très cohérent, justifié. Il n'est pas une seule chose dans tout ce qui a été dirigé vers moi, jusqu'au moindre petit bout de mail que j'ai reçu en ce mois d'avril (en intégrant aussi les non-dits qu'il y a, entre les lignes de ces petits bouts de mails, lesquels parfois signifient le contraire de ce que les mots explicites expriment) dont je ne puisse dire : "oui, cela est juste, cela me convient".
Bien sûr, quand je dis cela, je ne parle pas des milliers de morts du Soudan du Sud sur lesquels j'ai écrit un billet hier pour le blog de l'Atlas alternatif, ni des assiégés de Slaviansk en Ukraine, des licenciements à deux pas de chez nous, des maladies, des souffrances des gens. Je parle uniquement de ce qui a été dirigé vers moi, et je dis : oui, cela a sa logique, cela m'a fait évoluer dans le bon sens, cela me convient parfaitement. Je n'éprouve pas l'ombre d'un ressentiment.
Paul Morand et Alberto Moravia
Dans "Hécate et ses chiens" (1954), de Paul Morand, je retrouve un thème favori des romans de Moravia : cet étrange grain de sable, qui se glisse dans le parfait amour des couples mariés ou adultérins, et qui transforme aussi insensiblement que mystérieusement leur paradis en enfer. Moravia découpe ses phrases au scalpel, avec un esprit tout analytique, dépouillé, positiviste ; Morand, en vieux réac vichyssois précieux, avec un luxe de mots rares et de métaphores inattendues.
Lequel des deux rend l'énigme plus angoissante ? On ne saurait le dire. Les deux en tout cas s'épargnent une facilité : celle d'aller tout de suite chercher une explication transcendante, dans les esprits ou dans le karma. "Contrainte professionnelle" de l'écrivain qui, à la différence du prêtre, doit produire des mots à tout prix, et donc rester dans les effets verbaux ? Je ne sais. En tout cas chez l'un comme chez l'autre le mystère reste nu de toute élucidation possible. Plus sombre donc qu'une nuit sans lune.
"J'ignorais que les draps d'un lit sont une cage de fer où l'un des insectes combattants doit dévorer l'autre, une guérilla sans pardon ni quartier, où chaque heure change les faces du combat, bref que rien n'est moins naturel que l'acte fondamental de la nature, car la réalité y débouche sur le rêve et le sexe dans le cerveau, son maître. Je ne connaissais encore que la face de l'amour ; j'allais en voir la croix". Ca a un petit côté "L"Empire des sens", je trouve.
Le livre se termine un peu comme le film "Gueule d'Amour", je trouve.
"La Pharsale", la "retirada" des pompéiens
Les Républicains espagnols ont eu leur "retirada" en 1939, le digne et pauvre repli de leurs troupes militairement défaites et moralement victorieuses à travers les Pyrénées, mais sans grand écrivain pour la narrer. Les Républicains romains, les pompéiens, quelques décennies après leurs hauts faits, ont eu La Pharsale de Lucain.
Je vous conseille de la lire par petits bouts en français sur Internet à défaut de l'acheter dans le commerce (car elle est fort chère, on ne vend qu'Amélie Nothomb à des prix abordables).
J'aime bien le portrait attendrissant que Lucain fait au livre VIII de la femme de Pompée, la noble Cornélie descendante des Scipions, après la défaite : A Lesbos "quoique le malheur de Pompée eût affligé tous les cœurs, c'était moins ce héros qu'on plaignait que celle avec qui ce peuple était accoutumé à vivre comme avec une de ses citoyennes, et qu'il voyait avec douleur s'éloigner. Quand même elle irait joindre un époux triomphant, les femmes de Lesbos en lui disant adieu auraient peine à retenir leurs larmes, tant sa pudeur, sa dignité, la modestie répandue sur son chaste visage lui ont attiré leur amour. Ce qui les a le plus touchées, c'est que loin de se rendre incommode à ses hôtes, et loin d'humilier même les plus petits, elle a vécu à Mytilène dans le temps des prospérités et de la gloire de Pompée comme s'il eût été vaincu."
Pompée s'intéresse aux astres à la manière d'Auguste : sur le bâteau il interroge le matelot. "Souvent l'âme accablée de ces pénibles soins, et rebutée de l'affligeante image que lui présente l'avenir, il écarte pour respirer, ces idées tumultueuses, et l'abattement de ses esprits, qu'un trouble si violent épuise, lui laisse un moment de relâche. Il questionne alors le pilote sur tous les astres, comment on reconnaît les rivages, quel moyen le ciel lui donne de mesurer l'espace parcouru de la mer, quel astre lui montre la Syrie, quels feux du Chariot le font se diriger vers la Libye."
Rappelons que le pythagoricien Apollonios de Tyane disait être la réincarnation d'un matelot égyptien... je viens de comprendre pourquoi en lisant Lucain...
Lucain a des accents à la Chateaubriand évoquant Napoléon quand il décrit la déchéance grandiose de Pompée : "Son fils fut le premier qui, du rivage de Lesbos, suivit ses traces sur les mers. Après lui vinrent une foule fidèle de patriciens, car même depuis sa ruine et la défaite de son armée, la Fortune ne put l'empêcher d'avoir des esclaves couronnés, et dans sa déroute, il traînait après lui tous les rois de la terre, tous les sceptres de l'Orient. "
Comme Chateaubriand il réfléchit aux alternatives stratégiques quand il fait dire à Pompée, chargeant Déjoratos de recruter de nouvelles troupes : "j'ai perdu tout ce qui sur la terre était au pouvoir des Romains, mais il me reste à éprouver le zèle des peuples du Tigre et de l'Euphrate, où ne s'étend point encore la domination de César. Allez en mon nom soulever l'Orient et le Nord, pénétrez jusque dans le fond des États du Mède et du Scythe, allez dans un monde qu'un autre soleil éclaire, rendez au superbe Arsacide ces paroles que je lui adresse : Si l'ancienne alliance que nous avons jurée, moi par Jupiter Latin, vous par le culte de vos mages, subsiste encore entre Rome et vous, Parthes, remplissez vos carquois, tendez vos arcs, souvenez-vous qu'en chassant devant moi les peuples du Caucase, je vous laissai la liberté d'errer en paix dans vos campagnes, sans vous réduire à chercher dans les murs de Babylone un asile contre moi. J'avais déjà franchi les bornes du vaste empire de Cyrus, et vers le fond de la Chaldée, je touchais aux bords où l'Hydaspe et le Gange vont se jeter au sein des mers. Cependant lorsque la victoire me soumettait tout l'Orient, je voulus bien excepter le Parthe du nombre des peuples que je rangeais sous les lois de Rome, et leur roi fut le seul que je traitai d'égal. Ce n'est pas une fois seulement que les Arsacides m'ont dû la conservation de leur empire, et, après la sanglante défaite de Crassus en Assyrie, quel autre que moi eût apaisé le ressentiment des Romains ? Engagés par tant de bienfaits, ô Parthes ! Voici le moment de passer l'Euphrate qui devait à jamais vous servir de barrière. Courez sur cette rive que vous interdit le fondateur de Zeugma. Venez vaincre en faveur de Pompée ; et Rome elle-même consent à être vaincue à ce prix". S'ensuivent des réflexions intéressantes sur les possibilités de s'en remettre aux Maures ou aux Parthes, les inconvénients de l'une ou l'autre option, et le risque que Cornélie finisse dans un harem du roi des rois arsacide où "Un même lit reçoit des épouses sans nombres ; les lois, les nœuds de l'hyménée y sont souillés par ce mélange impur ; ses mystères les plus secrets y sont célébrés sans pudeur, en présence de mille femmes."
Puis c'est Caton d'Utique traversant le désert des Syrtes en Libye, refusant de consulter l'oracle d'Ammon en disant à Labienus : "Pourquoi chercher si loin des dieux ? Jupiter est tout ce que tu vois, tout ce que tu sens en toi-même. Que ceux qui, dans un avenir douteux, portent une âme irrésolue, aillent interroger le sort ; pour moi, ce n'est point la certitude des oracles qui me rassure, mais la certitude de la mort. Timide ou courageux, il faut que l'homme meure. Voilà ce que Jupiter a dit, et c'est assez." Les soldats de Caton tués par des serpents, les Psylles qui finissent par sauver le campement par des chants magiques pour qu'ils aillent à Leptis, tandis que César bâcle sa visite à Troie (et foule maladroitement au pied les mânes d'Hector)
Je ne suis pas un grand connaisseur, mais je trouve que cela vaut bien l'Enéide...
Hommage au Québec
En hommage au Canada francophone, ce texte de Pierre-François-Xavier de Charlevoix extrait de " Histoire Et Description Generale de La Nouvelle France: Avec Le Journal Historique D'Un Voyage Fait Par Ordre Du Roi Dans L'Amerique Septentrionnale" (1721)
Le regard sur les Indiens relève peut-être souvent du cliché, mais tout n'y est certainement pas faux.
Charlevoix - pourle regard et l'action duquel Chateaubriand avait de l'estime - n'est pas un écrivain, sa plume est sèche et sans imagination, mais c'est un explorateur, un homme de terrain, qui a du bon sens : par exemple quand il estime qu'employer des esclaves noirs sur les plantations (lorsqu'il voyage plus au sud que le Canada - il pousse même à plusieurs reprises jusqu'à la Havane) est une erreur, car les esclaves, à la différence des "engagés" ne voient pas dans la terre qu'ils cultivent une patrie, et, dominés par la seule peur, un jour se révolteront. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les événements de Saint Domingue à la Révolution lui donnèrent raison après coup...
Ce qu'il dit du monde amérindien nord-américain, déjà sur le déclin quand il l'observe, est une grand source de réflexion pour nous sur ce que pouvait être cette culture, une culture qui imprègne le Québec, le Canada anglophone, et le nord des Etats-Unis (puisque Charlevoix ne parle ici que des Illinois et des Iroquois) peut-être plus qu'on ne le pense, ne serait-ce que dialectiquement, ou sur le mode de l'absence, ou sur celui de la présence obscure...
Badiou, l'Ukraine, mes activités diverses et variées
Je ne connais pas mes lecteurs. J'ignore s'ils s'attendent à ce que je parle de littérature,de politique internationale, ou que je traite ce blog comme un journal intime (car il y a aussi un public pour les journaux intimes). N'ayant plus aucun commentaire dans les colonnes du blog depuis un mois je ne sais vraiment pas du tout pour qui j'écris ni ce que je dois écrire.
Vais-je vous parler par exemple du film "Les Carabiniers" de Godard que je regardais à nouveau hier et dont Vecchiali a fait la critique ?
Ou de ce débat fort ennuyeux que je visionnais ce matin entre Badiou et Aurélien je-sais-plus-qui ?
Badiou me déçoit. Lui qui théorisait "l'événementialité pure" quand il écrivait sur Saint Paul ne sait plus que nous réciter Marx et nous parler du sens de l'Histoire. Jeanne d'Arc allait elle dans le sens de l'Histoire ? Ou, pour prendre un exemple plus laïque, Gengis Khan ? En vieillissant, je finis par rejoindre Malraux : je crois plus en l'action des volontés individuelles qu'aux lois qu'imposent les forces de production.
L'ami avec qui je prenais un verre vendredi et qui revenait de Syrie, voulait me faire plaisir, et flatter mes convictions stoïciennes, en me parlant de morale individuelle qui résiste à la bêtise grégaire. Je pense que je suis même cette année au delà du stoïcisme. Mais oui Monsieur Badiou, les individus vous surprendront peut-être un jour. En bien ou en mal d'ailleurs, et subséquemment les masses aussi. Ce n'est sans doute pas seulement à cause de Moravia, mais c'est vrai que je valorise désormais l'opacité du réel, et de cette opacité, comme de la prochaine nuit, qui sera une nuit de pleine lune, on ne sait pas du tout ce qui pourra bien sortir. L'avenir est enceint de tant de choses étranges !
Prenez l'Ukraine. Comme elle préoccupe, et comme elle inquiète. Les oligarques et les apprentis sorciers (on devrait les appeler les "apprentis Erdogan" même, vu le penchant du personnage pour les coups fourrés, il en devient emblématique de son temps, comme Bandar Ben Sultan et quelques autres) qui ont voulu leur nouvelle révolution orange en décembre avaient-ils prévu qu'il déchaineraient tant de colère à l'Est en lâchant leurs chiens néo-nazis dans les rues de Kiev ? Qui arme aujourd'hui les milices dans le Donbass ? M. Poutine ? Des agents provocateurs pro-occidentaux ? La CIA ? Ou les gens sont-ils assez grands pour s'armer tout seul ? Envoyez des journalistes indépendants sur place ! dites nous ! On sait si peu de choses.
Je collabore désormais à une revue en ligne qui sera lancée en mai, je vous en reparlerai lors de sa sortie, consacrée au Maghreb et au Proche-Orient et qui fonctionne avec des correspondants sur place. Il leur manque des gens en Arabie Saoudite, en Egypte et en Turquie. Si vous en connaissez, faites moi signe. J'espère que cette revue nous aidera à percer l'opacité du monde. Je me rapproche aussi des gens de Mondafrique. On reparlera de tout cela à l'occasion.
Pour le reste il va falloir que je retravaille la suite de mon bouquin sur l'ingérence de l'OTAN (lequel est d'ailleurs dans les rayonnages de la bibliothèque publique de Beaubourg, je l'ai découvert récemment). Cette suite était la seconde partie du livre "12 ans chez les Résistants", mais je vais la remanier à la lumière de la "sagesse" de mes quarante et quelques piges et je l'enrichirai de considérations sur l'Ukraine et sur la Syrie.
Je devrais être aussi sollicité prochainement juste pour une petite causette par une équipe municipale de ce qu'il reste de l'ancienne ceinture rouge parisienne. Je tenterai de les faire profiter de mon expérience acquise à Brosseville il y a cinq ans (déjà !). Au fait, Brosseville est passée à droite... Sans surprise... Mais ne comptez pas sur moi pour vous parler davantage des élections ni de M. Valls à deux temps (ces petits pantins aux dents longues comme il y en a tant au PS et au centre droit ne m'inspirent rien du tout).
Déterminations sociales et métaphysiques
Un ami me disait hier : "La déstabilisation de la société par le libéralisme fait sentir ses effets à tous les échelons, et dans tous les domaines de la vie, même les plus intimes. Le langage est désarticulé, le sens des mots et des choses ne correspond plus. Les rapports sociaux relèvent maintenant du chamanisme. On envoie un mail ou une lettre, on ne sait plus si on vous répondra, ou on vous répondra à côté. Hier un jeune m'a demandé son chemin dans la rue. Je n'ai même pas compris sa question. L'alignement sujet verbe complément ça n'existe plus. Du coup, on en est réduit à agir conformément à ses principes sans plus se soucier des conséquences, et pour le reste je fais du yoga pour rester zen".
J'ai repensé aux journalistes qui l'an dernier m'accueillaient à bras à ouverts, devaient publier un de mes articles, et aujourd'hui, sans raison, ne répondent plus à mes mails. A l'ancienne mairesse de Bobigny qui avait lancé une offre de recrutement. J'avais répondu en tant que haut fonctionnaire. Même pas une réponse polie. Même chose avec des sergents recruteurs de la DATAR... L'impolitesse à tous les niveaux, l'aléa partout, le chamanisme. Plus de prévisibilité nulle part.
Marrant que cet ami comme moi en vienne à réhabiliter le principe du "renoncement dans l'action", même s'il ne le formule pas dans les mêmes termes que moi. Ne plus se soucier de l'impact social de ce que l'on fait. Obéir juste à ses principes, dans tous les domaines.
Heureusement, au milieu du désarroi, l'ordre social crée aussi parfois sa propre télépathie. Ainsi cet ami et moi nous comprenons nous sans même parler. A propos de télépathie, une histoire amusante que j'ai apprise par mes lectures hier. Vous savez que Godard dans "Le Mépris" cite spontanément dans ses références cinématographiques "Voyage en Italie" de Rossellini, qui n'est pas mentionné dans le roman initial de Moravia. Cependant, ce que Godard ne savait pas en tournant son film, c'est que, lorsque le roman "Le Mépris" est sorti (l'année qui a suivi la sortie de "Voyage en Italie" sur les écrans italiens), le scénariste de "Voyage en Italie" est allé voir Moravia et lui a dit : "Sans le savoir vous avez écrit mon histoire. Moi aussi je vivais un bel amour réciproque avec ma femme, et elle m'a plaqué quand nous avons acheté une maison ensemble, une maison que j'avais payée grâce à mes scénarios, je m'étais mis à en écrire exprès pour cela". Si ce n'est pas de la télépathie en chaîne ça. Bon, bien sûr, un bon sociologue vous dira qu'il y a des conditions sociales qui font que, au même moment, beaucoup de créateurs s'interrogent sur l'instabilité de leurs compagnes, se font plaquer par elles, etc (et ce n'est pas non plus un hasard complet si à travers le face-à-face homme-femme dans "Le Mépris" de Moravia, se joue par anticipation l'affrontement Jason-Médée de Pasolini, grand ami de Moravia, et bien des problématiques de l'Ecole de Francfort). Appelez cela détermination sociale ou détermination métaphysique. En tout cas la télépathie est là.
...
"Hue donc mes chevaux s'écriait le petit Claus" - dans Les Carabiniers (en 63), Andersen, et Prévert (en 64)
"Journal de l'Amour" d'Anaïs Nin
De très belles choses dans le "Journal de l'amour" d'Anaïs Nin. Son rapport à la passion, au corps, mais aussi son refus de la politique, de la pulsion destructrice des hommes, en pleine guerre d'Espagne notamment. Un regard de femme, en défense de la vie, de la création. Beaucoup d'échos en moi à des thématiques sur la féminité auxquelles je réfléchis depuis six ou sept ans.
"Un homme qui ne trompe pas sa femme n'est pas un homme" disait Hélène, la femme de Morand (journal du 28 mai 1969).
Le Québec passe aux libéraux
Je n'ai jamais aimé l'expression, souvent entendue à la TV française, "nos amis québécois" ou même "nos cousins québécois". Je lui ai toujours trouvé une connotation paternaliste. Je n'aimerais pas qu'on dise "nos amis béarnais" par exemple. Mais peut-être est-ce mon côté parano. En tout cas je saisis l'occasion des élections générales d'hier pour dire un mot au sujet du Canada francophone.
Vendredi dernier Le Devoir parlait d'un troisième siège de député (tous les 3 sont sur l'île de Montréal) à la portée de Québec Solidaire (QS), mouvement altermondialiste indépendantiste, qui connaît une croissance importante dans les intentions de vote au niveau de l'ensemble de la province (13 % d'intentions de vote, selon le dernier sondage de CTV-Ipsos), les solidaires récolteraient treize pour cent des suffrages aux prochaines élections. La circonscription montréalaise de Sainte Marie Saint Jacques pouvait revenir à sa candidate Manon Massé. Finalement le pari de Manon Massé a été gagné mais le parti plafonnerait au niveau de l'ensemble de la province à 7,5 %.
Les libéraux avec 41,5 % des voix ont gagné (au grand dam des Femen locales semble-t-il) face au centre-gauche souverainiste (Parti québécois - PQ- de Pauline Marois qui perd même son siège), 25,4 %. Coalition avenir Québec (centre-droit) fait aussi un bon score. Taschereau (à l'Ouest du Québec), où nous avons un lecteur fidèle, reste aux mains d'une députée du PQ, Agnès Maltais.
"Le Mépris" de Jean-Luc Godard
Arte diffusait hier soir "Le Mépris" de Godard (vous pouvez le voir en replay). J'avoue que je ne l'avais jamais vu, bien que Godard ait été une des idoles de mes 20 ans (aujourd'hui je le trouve un peu trop surévalué). J'ai poussé le côté dilettante jusqu'à le prendre en cours de route et rater une bonne partie de l'intrigue (mais je suis comme Deleuze, commencer un livre ou n'importe quelle oeuvre par le milieu, sans en comprendre la moitié, ou en devant la deviner, me plait bien).
Je vais pousser ici le côté dilettante jusqu'à m'autoriser à dire ici ce que je veux sur ce film, ce que je veux et n'importe quoi, c'est-à-dire ce qui m'intéresse moi. Je précise cela parce qu'hier encore quelqu'un a été surpris d'apprendre que j'étais quelqu'un de passionné. Apparemment beaucoup de gens qui lisent mes textes ne comprennent pas vraiment ma démarche et croient que j'accumule juste une érudition "pour le plaisir intellectuel", avec un détachement (voire un vain narcissisme) de collectionneur. En réalité, je n'ai jamais voulu acquérir une culture ni accumuler un savoir. J'ai toujours poursuivi une quête. Et, plus encore depuis les événements de cet hiver, je ne perçois cette quête d'abord et avant tout que comme une façon de tirer un fil d'Ariane. Je prends ce qui advient sur mon chemin, j'essaie de le comprendre, et j'en suis la direction jusqu'au prochain événement, jusqu'à la prochaine coquille d'escargot trouvée sur le talus. Sur mon chemin il y a eu la Bhagavad Gita, Vecchiali, Grémillon, Godard, une phrase de Finkielkraut entendue par hasard samedi dernier à la radio dans une discussion avec Pierre Manent qui disait que Montaigne voulait ménager les animaux en se fondant sur Plutarque et de beaux vers de Lucrèce sur la vache séparée de son veau. Je prends, je prends tout, je tire les fils d'Ariane.
Sur mon chemin il y a donc ce film de Godard, pris en son milieu. Je m'ennuie un peu devant les scènes d'intérieur, le face à face Bardot-Piccoli... Mais quand même ce hiatus entre Piccoli (pardon je n'ai pas retenu le nom du personnage) qui veut absolument que Bardot (qui s'appelle Camille, comme Shenandoha Camille) lui dise qu'elle ne l'aime plus, m'intrigue. Et elle qui est dans le déni. Cette insistance de Piccoli qui "ne lâche pas", qui veut la Vérité. Et puis ce moment où la Vérité éclate (veritas index sui), et Bardot laisse effectivement tomber qu'elle ne l'aime plus. C'est très beau parce que cela vient à l'improviste, et sans fiuriture. C'est une vérité radicale, terrifiante, et cependant discrète dans sa forme, banale, livrée de façon anodine comme on dirait "passe moi le sel". Piccoli a enfin sa vérité (une vérité qui d'ailleurs le renvoie à toute sa crainte antérieure de la vérité, la crainte de la catastrophe). Maintenant il veut savoir pourquoi. Pourquoi. Mais il n'y a pas de "parce que". Bardot est dans le "c'est ainsi", "admettons que ce soit à cause de ceci ou de cela", "c'est parce que c'est toi, à cause de toi" (pensez au "parce que c'était lui parce que c'était moi" à propos de La Boétie), "peu importe après tout". Bardot est elle-même surprise par son désamour, triste d'en arriver à ce point "je t'en veux, je t'aimais tant". La victime du désamour (Piccoli) est en plus victime du reproche : c'est de sa faute.
Je repense à l'autre victime de la trahison, Gabin dans "Gueule d'amour". Gabin se féminise, s'adoucit, se replie sur son échec. Piccoli, lui, veut encore se battre, giffle Bardot, se promet de "reconquérir" son amour. Il est toujours en action.
"Le mépris" est un beau film sur le désamour, surtout sur le désamour féminin (je ne sais pas si le désamour masculin est du même ordre). Du coup il fait apparaître la féminité sous son jour le plus mystérieux (et bien sûr cela allait bien à Bardot). Sous son côté lunaire. Artémis-Séléné. D'ailleurs je pense que Godard aurait pu faire un film moins solaire, plus nocturne, mais il aurait fallu une autre actrice, peut-être la Liz Taylor de "Suddenly last summer". Bardot ne pouvait inspirer que de l'apollinien. J'ai pensé à "Et Dieu créa la femme", et je découvre ce matin sur Wikipedia que Jean-Louis Bory a écrit que "Le Mépris" était le véritable "Et Dieu créa la femme" de Bardot. Nos intuitions se rejoignent.
Alors il y a ces scènes tournées à Capri, l'île de la solitude de l'empereur Tibère. L'île de la mélancolie solaire. Il y a celle que je trouve magnifique, tournée en plan fixe, où Piccoli s'endort contre un rocher tandis que Bardot plonge nue dans la mer. Elle s'éloigne comme un poisson, indépendante et libre, dans l'élément aquatique féminin, quand l'homme rivé à son rocher fuit dans son sommeil.
Piccoli est toujours dans le parallèle avec Ulysse sur lequel un film se tourne. Il est Ulysse lâché par Pénélope qui va devoir tuer les amants de celle-ci. Il s'interroge : Ulysse est-il délaissé par Pénélope, ou bien a-t-il été faire la guerre de Troie parce qu'il n'aimait plus sa femme ? A travers Pénélope c'est son propre amour qu'il interroge : aurait-il cessé d'être aimé par Bardot/Camille parce qu'au fond c'est lui qui ne l'aimait plus ? Le scandale et la violence du désamour inexplicable soulignent le mystère de l'amour lui-même. On ne sait plus qui aimait qui.
Mais on voit bien qu'au fond les interrogations de Piccoli ne servent à rien. A rien d'autre qu'à le maintenir dans l'action, à ne pas le laisser se reposer et sombrer dans le désespoir. Parce qu'en réalité, le désamour soudain de la femme, la volte-face impromptue, obéit à une injonction métaphysique. Tout est métaphysique de part en part. On le voit bien quand, après avoir quitté Piccoli pour partir avec son metteur en scène, Bardot/Camille meurt dans un accident de voiture. C'est au fond "karmique" comme diraient nos médiums new-age : la rencontre Piccoli-Bardot, leur amour et leur désamour, comme la mort de Bardot à la fin obéissent à une nécessité qu'aucun des personnages ne maîtrise.
Piccoli trouve-t-il une forme de sérénité dans l'accomplissement de ce "karma" à travers la figure d'Ulysse retrouvant sa "patrie" à la fin ? On ne le sait pas. Godard n'est pas Brisseau. Godard est un joueur, souvent même un fou du roi, un hystrion. Il s'arrête à la frontière de la métaphysique, toujours. Il y avait une sorte d'injonction dans la philosophie des années 60, notamment dans le structuralisme je trouve, à toujours rester à la frontière du chamanisme. Même chez un non-structuraliste comme Deleuze, mais dont la théorie des agencements a quelque chose de structural, il y a une fascination pour la métaphysique et le chamanisme (je pense à son interview dans l'abécédaire où il parle de l'écrivain à la limite du cri animal) qui reste à la frontière ("Fools rush in where angels fear to tread" comme dirait Alexander Pope).
Tout le regard de Godard sur la féminité est dans ce film. Je trouvais hier soir chez Bardot/Camille mille échos au personnage central de "Je vous salue Marie" que Godard écrivit vingt ans plus tard : notamment à cette scène où Marie à plusieurs reprises rabroue Joseph parce que la caresse n'est jamais la bonne, la façon de caresser n'est jamais adéquate ("Vous faites l'amour très bien, mais en somme comme un professionnel, il n'y a pas de quoi se vanter" comme dit Hélène Surgère dans "Corps à coeur" de Vecchiali). Il y a, dans "Le Mépris", toute l'énigme métaphysique du rapport homme-femme, je trouve.
Maintenant il me restera à lire le roman de Moravia qui a inspiré le film.
Agora
Un ami m'envoie, à propos des dernières élections municipales françaises, un commentaire d'un réac qui reproche aux socialistes "bobos" d'avoir trop longtemps méprisé le "bon peuple" rempli de schémas identitaires supposément vertueux. Il me fait remarquer que cette posture est typiquement élitiste, et ajoute une remarque critique du blogueur Jean Zin à l'égard de ceux qui, chez les écolos, ressortent les vieilles théories tout aussi élitistes, de Gramsci sur l' "hégémonie idéologique".
Pour gagner du temps, je vous livre ici ma réponse (un peu décousue mais qui décrit mon état d'esprit du moment) :
"Je suis d'accord sur le fait qu'idéalement il faudrait dépasser le clivage entre la gauche "sociétale" bobo (Anne Hidalgo, mairesse de Paris, disant lors de son élection "j'aime tous les enfants parisiens quelle que soit leur couleur, leur orientation sexuelle etc" sic) et le populisme identitariste néo-réac, dont ton Christian Roux, comme Eric Seymour, Finkielkraut etc font partie. Mais personne n'a pour l'instant la clé de ce dépassement.
La sociologie ne produit pas de politique comme le dit ton ami Jean Zin, c'est très vrai. Et le gramscisme est un élitisme, c'est vrai aussi.
Je ne crois pas trop au "mouvement social" qui a des côtés très petits bourgeois (Bourdieu dans certains moments de lucidité a reconnu son propre côté petit bourgeois aussi), ce qui ne veut pas dire que le "peuple" (de droite ou abstentionniste) qui ne se reconnait pas dans les mouvements sociaux ait plus raison que les petits bourgeois de ces mouvements.
Je suis très sceptique sur la possibilité de dépasser la césure entre le peuple et les élites. La fusion entre les uns et les autres, dans le cadre d'une élection ou d'une révolution est souvent le fruit de malentendus réciproques, ce qui ne veut pas dire que ces malentendus ne sont pas parfois féconds sur le plan de l'évolution politique des uns et des autres. Tout ce qu'on peut faire d'utile dans ce genre de dispositif est de jouer les commis voyageurs entre les différences régions de l'espace social pour au moins ne pas être dupe des illusions de la "représentation officielle" du monde.
L'alternative que j'évoquais dans le Programme pour une gauche française décomplexée et que je généraliserais aujourd'hui, serait d'introduire du tirage au sort à 50 % des effectifs dans tous les corps dirigeants de la société (politiciens, journalistes, haute administration système judiciaire, armée, police etc), mais cela ne règlerait pas le problème de la technicité des sujets, qui ferait que les 50 % non tirés au sort resteraient les véritables décideurs.
La démocratie produit à la fois une aspiration de chacun à contrôler le destin collectif, et une complexité sociale qui donne le pouvoir aux spécialistes et empêche de garder une vue d'ensemble. Et les spécialistes imposent une vision d'élite. Le paradoxe me semble assez indépassable, les frustrations qu'il provoque aussi.
D'où ensuite l'importance de l'effort individuel (l'effort de commis voyageur) pour au moins "rester humain" c'est à dire continuer à garder une vision ou une sensibilité "d'ensemble", et à pousser d'autres personnes à faire de même. Mais c'est un exercice qui demande beaucoup d'énergie et qui a ses propres limites. Un regard de cinéphile, de philosophe, d'artiste, peut y aider (en se disciplinant bien sûr, la discipline étant la clé de tout)."
Zénon
Les stoïciens recommandent le suicide en cas d'extrême nécessité. Zénon s'est suicidé par auto-strangulation. Personnellement pour ma propre mort j'ai une petite préférence pour la pendaison.
Quinzième anniversaire de l’agression de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie
Il y a quinze ans, le 23 mars 1999, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, en violation de la charte des Nations Unis (puisque aucune résolution du conseil de sécurité ne l’y autorisait) lançait une campagne de bombardements sur la République fédérale de Yougoslavie, campagne qui, selon le ministre Hubert Védrine à l’époque, ne devait durer que quelques jours, et qui en fait dura plus de deux mois.
Carta a Eva
Il n'y a pas de grande politique sans grande humanité, et pas de grande humanité sans grands sentiments, c'est-à-dire sans grandes amours et sans grandes haines (mais "La grandeur effraie" comme dirait l'autre).
Si en ce moment rien de marquant ne sort de France, ni dans ses milieux dirigeants (le PS et l'UMP), ni dans son opposition (atomisée et asservie à des intérêts mesquins), c'est parce que l'humanité dans sa mesure et dans sa démesure n'y est plus assumée.
Le personnage d'Eva Peron se rappelle à mon souvenir de temps en temps, souvent quand je m'y attends le moins. C'est encore le cas à travers cette série télévisée diffusée récemment en français sur Arte "Carta a Eva" que vous pouvez voir en intégralité en espagnol ci-dessous. Le jeu de contrastes entre l'héroïne (fort brillamment interprétée, je trouve, par Julieta Cardinali) et le couple présidentiel madrilène ne pouvait pas ne pas parler à mon coeur de républicain espagnol, et surtout à ma sensibilité existentielle au delà de tout particularisme. Je ne verse pas dans l'angélisme : la compassion d'Evita ne peut pas être en soi une vertu politique si elle n'est pas secondée, par ailleurs, par une sorte de profondeur inspirée à la Bonaparte ou à la Epaminondas (mais qui sait, du reste, si cette profondeur Eva Peron ne l'avait pas elle aussi, sans hélas avoir la chance d'être à la tête ni d'un grand pays ni d'une grande armée pour pouvoir en faire la démonstration). C'est en tout cas par cette voie d'une intuition humaine poussée jusqu'à ses extrémités métaphysiques que la politique peut atteindre un dépassement, sans quoi on est condamné à rester le Pompidou d'un de Gaulle, ou le Nicolas Maduro d'un Hugo Chavez.