Cortina
Bon, je crois avoir dit à peu près tout ce que je pensais sur tout (ou du moins le principal). Le support Internet (sur lequel n'importe quel petit geek peut balancer n'importe quoi sur n'importe qui, avec l'assentiment de quelques gogos) ne m'intéresse plus beaucoup. Je ne viendrai donc plus guère sur ce blog, sauf pour signaler quelques recensions de mes livres (s'il s'en publie) comme je l'ai fait cette semaine avec celle de "France Arménie".
Pour le reste, je ne vois plus du tout l'intérêt de traîner sur le Net. Sauf à tuer le temps. Mais il y a d'autres moyens de le faire.
Merci à tous de m'avoir lu.
J'ajoute à ce dernier propos deux vidéos. Deux femmes. Jeanne qui pleure, Jeanne qui rit. Photographies de notre époque.
"Pas d'images justes, juste des images"...
Recension dans la revue France-Arménie
Mon livre "Abkhazie" a fait l'objet d'une recension dans la revue France-Arménie d'octobre 2011 (p. 21)
Souvenirs souvenirs
Le samedi 12 octobre 1991 (il y a donc un peu plus de vingt ans), j'écrivais : "Ce que j'aime dans les cours de Bourdieu, c'est qu'ils m'aident à voir. Jamais je n'avais vu que la maison royale est une maison, comme la maison du paysan béarnais, une maison physque, et aussi symbolique (une famille, une lignée). Pendant 10 mn, jeudi dernier, Bourdieu nous a expliqué ce que signifie "être roi", ce que ça suppose de pouvoir imposer ses représentations aux autres. Le fait de dire "je suis roi" avec une forte chance d'être cru, et le fait que chacun est forcé de compter avec le fait que les autres le croient, et moi je puis aussi compter avec ce fait qu'ils le croient - notion de capital symbolique. Tout ça est évident, mais qui y songe vraiment ? Toute intégration suppose une exclusion. Qui voit toujours les deux faces de cette même pièce ? Qui pense à ses applications quotidiennes ? On a du mal à tout tenir à l'esprit de la sorte. Voilà notre myopie. Et quel spectacle de ces milliers de gens, dont la plupart nous gouvernent et font l'opinion du moment, ces gens souvent brillants, surdiplômés et bien intentionés, qui ne comprennent pas ce qu'ils disent, qui répètent des mots comme des machines sans voir les cas réels qu'ils recouvrent, les contradictions, les relations et les effets qu'ils impliquent"
Paroles d'un étudiant appliqué qui décortique les idées trois jours après un cours au collège de France.
Aujourd'hui j'ai un peu le sentiment que toutes ces réflexions sur la croyance, l'adhésion commune etc sont un peu tombées en déshérence avec l'échec de Bourdieu à faire vivre son système structural par delà son trépas physique (dont on commémorera bientôt le dixième anniversaire). Toutes ces "socioanalyses", tout comme la psychanalyse, sont passées de mode. Le sociologue n'est plus quelqu'un dont on attend une réflexion sur ce que c'est que de croire ou d'imposer une vision des choses, mais des données factuelles du genre "fait-on plus ou moins confiance à des femmes quand elles sont maquillées ?" (je fais référence là à une enquête que j'ai vu ce matin traîner sur le Net...)
Cet après-midi, il fait dix degrés de plus à Pau qu'à Paris, mais je suis dans la mauvaise moitié de la France. Il paraît que le maire de mon village d'enfance veut que je lui téléphone (je l'ai fait mais je suis tombé sur son répondeur). Le weekend prochain ils célèbreront Henri IV avec de beaux chevaux blancs comme l'an dernier (en Béarn les gens célèbrent tout le temps ce roi, et en matière d'histoire ne savent célébrer que lui, ce qui est un grand tort, d'autant que le Bon roi, n'était pas un si grand homme que ça - la mode louisphilipparde leur a légué cela, comme des modes plus récentes leur ont inculqué le culte de F. Mitterrand ou de D. Balavoine, aujourd'hui celui de François Hollande...).
Ils ont bien de la chance d'avoir des chevaux. Quand j'étais enfant ils n'avaient que des majorettes. C'était du temps (les années 70) où les "barons du gaullisme" préservaient encore l'héritage du grand chef défunt, et où Bourdieu n'était qu'un trublion de seconde zone confiné dans les volutes de cigarettes de l'EHESS... Fluide Glacial sort un spécial années 80 cette semaine. Je devrais peut-être y jeter un coup d'oeil...
Guilt by association et liste de liens
J'ai déjà indiqué à plusieurs reprises (notamment dans mes livres mais aussi sur ce blog) que je désapprouvais la collaboration avec la droite de la droite dans le combat anti-guerre, étant moi-même - faut-il le rappeler ? - fils et petit-fils de républicain espagnol (dont la famille a donc payé le prix de l'anti-fascisme, un peu plus que la plupart des petits délateurs à dix centimes qui sévissent sur le Net). Je respecte toutes les opinions mais la vision de "'l'empire" telle que la véhicule la mouvance FN par exemple se nourrit de complotisme et de beaucoup de paranoïa alors qu'il faut, selon moi, dans l'analyse de notre monde, faire preuve de rationnalisme et garder le sens des nuances. Ma grille d'analyse aux antipodes de celle de la droite dure m'a d'ailleurs valu d'être traité d' "universitaire proche de la gauche radicale très hostile au mouvement national" par le site de droite www.nationspresse.info.
De même j'ai raconté dans mes souvenirs de la guerre du Kosovo qui seront réédités bientôt qu'en 1999 je me suis engagé contre la politique de l'OTAN en n'ayant dans mes contacts yougoslaves que des opposants à Milosevic, ce qui m'a valu des frictions avec certains communistes au printemps 2000, puis en septembre de la même année. Il est donc difficile de trouver des points communs entre ma position et celle du gouvernement yougoslave de l'époque. Je regrette donc qu'un site qui polémique avec "Le Grand Soir" m'ait qualifié il y a peu de "grand fan de Chavez et de Milosevic" et m'ait inclus à ce titre dans une liste MacCarthyste. Ces listes sont fréquentes sur Internet. Elles ciblent parfois à juste titre de vrais complotistes irrationnels, parfois en revanche elles procèdent à des amalgames superficiels et simplistes au lieu de procéder à une lecture rigoureuse de ce que les uns et les autres écrivent.
Celle-là aura quand même eu un intérêt : elle m'a fait penser à détruire la liste de mes "sites amis" accessible sur la page d'accueil de ce blog. J'avais inclus dans cette liste toutes sortes de pages, depuis celles de Michel Collon jusqu'à celles de Znet, en passant par un ou deux blogs sans grande importance. Les trois lignes contre moi m'ont poussé à relire ces liens. Beaucoup d'entre eux me paraissent moins brillants que je ne les trouvais il y a 3 ou 4 ans. Le site "Les Indigènes du Royaume" par exemple, ou "Mondialisation.ca". Alors pourquoi laisser ceux-là, et ne pas en citer d'autres ? Il faudrait passer son temps à actualiser ce genre de "liens" en disant pourquoi on les apprécie, ce qu'on n'aime pas chez eux etc. Un travail fastidieux et sans intérêt. Donc je supprime la rubrique. Merci à mes détracteurs/calomniateurs de m'avoir fait penser à ça !
Assez stupéfiant quand même
"Indignez vous" est un slogan assez idiot lancé par un grand-père rocardien il y a plus d'un an et qui semble avoir fait son chemin en inspirant quelques happenings assez inoffensifs aux quatre coins du monde occidental.
S'indigner est un verbe assez doux, élégant, et par là même décalé. En réalité, il y a lieu d'être plus qu'indigné : "absourdi". Le décalage entre les aberrations dont nous sommes témoins dans notre monde et le très faible écho qu'elles reçoivent dans le débat public (dans les discours de nos hommes politiques, sous la plume de nos journalistes) est proprement stupéfiant.
Prenons deux exemples.
La guerre en Libye. On nous annonce sur certains blogs des choses vraiment épouvantables. La dernière nouvelle tombée jeudi était celle selon laquelle le pseudo-gouvernement CNT avait tirer sur la foule tripolitaine qui manifestait à la sortie des mosquées à l'appel de Kadhafi. Si l'information est juste, il s'agit d'une mesure de répression pire que celles qu'on reprochait à Kadhafi du temps où il dirigeait la Jamahirya. Je veux bien qu'on me dise que ce n'est que de la propagande de guerre, que cela ne s'est pas produit. Mais la presse de le dit même pas. Elle le passe sous silence. Donc nous ne pouvons pas savoir si oui ou non le cryptogouvernement libyen a tiré sur la foule ou pas. Tout comme nous ne saurons pas si la ville pro-kadhafiste de Sirte a été pratiquement rasée comme l'indiquent certaines sources anti-guerre, ni si des villages de Noirs ont été vidés de leur population, ni s'il y a des troupes françaises et qataris parmi les hommes du CNT. Nous n'aurons droit dans la presse qu'aux communiqués triomphalistes habituels "les troupes du camp du Bien, du CNT avancent", le progrès est en marche...
Déjà pendant la guerre d'irak je m'étais étonné de constater que la presse française parle si peu des abominations commises par le gouvernement mis en place par les forces américaines et qu'Amnesty international a dénoncé comme étant un des plus répressif du Proche-Orient. Le même scénario se reproduit en Libye. Je ne demande pas qu'on valide les assertions des kadhafistes : juste que la presse fasse son boulot et fasse sérieusement la part du vrai et du faux dans cette affaire.
Et il y a plus grave encore, du point de vue égoïste du contribuable/consommateur français (qui d'ailleurs perd aussi beaucoup d'argent dans la guerre libyenne). Je ne connais pas grand-chose à l'économie ni à l'Union européenne. Toutes les fois où je veux lire quelque chose de court et de percutant là dessus, je me reporte au blog très respectable (même si ceux qui le fréquentent le sont bien moins) "La Lettre volée". Et j'y trouve des paragraphes comme celui-ci : "s'il est normal que l'Union songe à défendre la monnaie dont elle a entendu se doter (pour 17 de ses membres), on peut s'étonner que la mise en place d'instruments (du Mécanisme européen de stabilité - MES) qui engagent des sommes aussi considérables - 144 milliards d'euros , une année de déficit budgétaire de la France, ou près de 10% de la dette publique - se fasse dans un silence aussi absolu, alors que prendre 250 millions d'euros de taxe sur les sodas suscite en France une tempête médiatique... A croire que la classe politique française ayant décidé une fois pour toutes que l'Europe c'est la paix et rien d'autre, entend ne jamais avoir à tremper dans les décisions de plus en plus ubuesques qui doivent être prises pour défendre un système qui ressemble de plus en plus à un gigantesque château de cartes..."
Ce MES a l'air d'être une belle aberration construite par et pour les banques (voir l'explication technique ici) et la confiscation de la souveraineté populaire sur les finances publiques est à peu près complète à travers ce genre de mécanisme. Mais qui parviendra à replacer ce problème au coeur du débat public ? qui nous sortira de la politique spectacle (Hollande-Bayrou-Sarko) ?
Sur nos écrans de TV MM. Juppé, Coppé and co affirment avec aplomb "tout va bien, nous tenons le bon cap", et balaient d'un revers de main méprisant quiconque tenterait quelques objections rationnelles (je pense là à Zemmour dans son face-à-face récent avec le ministre des affaires étrangères). La raison est férocement exclue du jeu...
J'avais été frappé en lisant au printemps dernier Romain Rolland sur Jaurès par son tableau du gouvernement et du parlement de l'année 1900 : en gros une bande de fondés de pouvoir des grandes banques. Hé bien nous en sommes à nouveau là. Sauf que nous n'avons pas cette fois-ci, face à eux, la petite bande déterminée des socialistes, qui allaient quelques décennies plus tard arracher les compromis de l'Etat providence au grand capital. Nous n'avons même pas un troupeau de va-nu-pieds maoïstes comme au Népal (va-nu-pieds si aisément étranglés par le FMI et le danger sécessionniste). Nous n'avons qu'une poignée d'indignés qui font du camping...
Bon, il faudra aussi un de ces jours que je vous parle des gentilles mémoires de Jacques Chirac, que je lis à mes moments perdus...
Boys will be boys : Timochenko
Mon blog a connu un regain de fréquentation appréciable hier pour deux raisons :
1) j'ai posté un commentaire juste après que M. Mélenchon ait écrit un billet sur son blog : résultat 60 visiteurs du blog de Mélenchon qui ont fait un détour par ce blog (un détour - ça ne veut pas dire qu'ils l'on lu)
2) des tas de gens ont tapé "tresse de Timochenko" et "Timochenko nue" sur des moteurs de recherche pour arriver à mon billet du 17 mai 2009, qui parlait de la candidate malheureuse aux élections présidentielles ukrainiennes. Leur regain d'intérêt pour cette personnalité politique ukrainienne tient bien sûr à sa récente condamnation à de la prison ferme pour une malversation autour d'un contrat gazier. Je ne sais comment intepréter le fait que des internautes tiennent à la voir "nue" le jour de sa disgrâce. Sans doute un vieux réflexe dominateur qui poussait aussi les foules à s'amasser aux triomphes des imperatores romains pour voir les princes d'Orient dévêtus, enchaînés et humiliés. Que faire pour satisfaire la "pulsion scopique" comme disait Lacan des visiteurs occasionnels de ce blog sans encourir un reproche de machisme ? Peut-être tout simplement les envoyer vers d'autres sites. Allez, je suis gentil : Ioulia Timochenko comme vous voulez la voir est là (mais attention l'image est interdite aux moins de 18 ans et déconseillée aux âme sensibles, vous voilà prévenus). Bon, voilà bien sûr ce n'était pas la vraie, mais l'original doit ressembler. Décevant n'est-ce pas ? Oui, tout ça pour ça. Les leurres des images. Je ne cesse pourtant de vous mettre en garde contre l'inanité des images... J'ai vu aussi qu'un sculpteur a tenté d'en faire un portrait dans le plus simple appareil. L'image est ici - et celle-là je peux y renvoyer mes lecteurs sans précaution particulière. L'histoire ne dit pas si le modèle qui a posé était la vraie Ioulia.
Sur le fond de cette affaire de condamnation je n'ai pas d'opinion. Je n'aimais pas la révolution orange ukrainienne qui a fini au tapis comme elle le méritait. Le gouvernement ukrainien actuel ne m'inspire pas un enthousiasme fou - notamment à cause de ses rodomontades sexistes. Mais je ne suis pas fanatique non plus (c'est le moins qu'on puisse dire) de ceux qui veulent intégrer l'Ukraine et toute la périphérie russe à l'OTAN et à l'Union européenne (avez vous vu M. Sarkozy défendre à Tbilissi l'intégration de la Géorgie au Traité de l'Atlantique nord ? ce qui reviendrait à avoir une partie de l'Alliance occupée par la Russie - puisque la Géorgie au sens du droit international actuel l'est - et nous mènerait donc automatiquement dans une logique de guerre, dire que même Bush avait renoncé à promettre cela à Kiev et Tbilissi). Je n'aime pas non plus beaucoup les Femen et j'ai réussi à convaincre un journaliste de la TV qui a du coup dit pour la première fois du mal de ce mouvement dans un de ses reportages.
Tout ceci étant posé, sans trop savoir si Mme Timochenko est ou non innocente de ce qu'on lui reproche (ca je ne crois pas beaucoup à l'indépendance de la justice ukrainienne), je suis tout de même choqué d'avoir entendu l'Union européenne tenter d'empêcher sa condamnation à grands coups de chantage à l'aide économique... Cette arrogance de notre Empire fait toujours froid dans le dos.
Bon. Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? Parce qu'au départ je voulais évoquer les communistes féministes du Venezuela, et notamment le travail de Mme Elena Linarez à Caracas. Mais j'attends toujours qu'elle me transmette des infos sur le mouvement qu'elle anime. Donc il fallait bien que je meuble ...
"Ah si j'étais, ah si j'avais"...
Lorsque j'avais 16 ans, je rêvais que je serais député et qu'une magnifique blonde très classe applaudirait mes interventions à l'assemblée nationale. C'est ce qu'on appelle en psychologie évolutionniste "le rôle de la sélection sexuelle dans les progrès de l'espèce". On veut se dépasser soi-même pour plaire aux meilleures femelles. Aujourd'hui je n'ai aucun regret car si j'étais devenu un politicien j'aurais plu à des Christine Ockrent ou des Audrey Pulvar, c'est à dire des premières de la classe très conformistes versées dans le journalisme politique. A mourir de tristesse.
A 20 ans je me disais "si j'étais docteur en sociologie ou philosophe, je traînerais dans les colloques, la pipe à la bouche (car à l'époque la loi Evin n'avait pas encore sévi) à parler de Spinoza avec des airs inspirés, ou bien comme Bourdieu je pourrais flinguer les faiseurs de concepts en les ramenant aux conditions sociales de production de leur système". Aujourd'hui je suis docteur en sociologie et la TV quand elle m'interviewe me qualifie de "philosophe", mais je dois passer mon temps à dire "attention je ne suis pas sociologue à la manière du couple Pinçon" (dont le dernier bouquin "Le président des riches" est une parodie de leur discipline composé juste comme un patchwork de coupures de presse) ou "ne lisez pas le bouquin du monsieur qui raconte l'histoire du chien conatus pour rendre la philo accessible aux enfants". Il faut reconnaître que dans ce monde où les idées n'ont plus rien de magique on trouve plus matière à combattre ceux qui s'enferment dans la posture artificielle du penseur qu'à vouloir en devenir un soi-même...
A part ça parlons de chose plus sérieuses. Un ami communiste canadien que je connais depuis la guerre du Kosovo écrit sur son Facebook :
"I am shocked that there is not one post about what is happening in Libya. The war goes on. The Libyan army and green resistance is smashing the Nato gang every turn, Nato planes are murdering hundreds of civilians daily, the people of Libya, alone, are fighting all the Nato countries with a rare courage-but if I came down from Mars and looked at this site I would not know there was a war going on in which the USA and Canada and the rest of that criminal gang are destroying one more socialist country. Frankly I am disgusted."
Qu'il qualifie la Libye de "pays socialiste" n'est pas si absurde. Un haut fonctionnaire qui a fait de la coopération avec ce pays me disait il y a huit jours : "Tous les projets que nous faisions devaient entrer dans leur système de planification quinquennal qui était profondément marxiste". Il est vrai que Kadhafi (comme Milosevic, comme le gouvernement syrien actuel) avait commencé à privatiser, mais les plus chauds partisans des privatisations dans son régime sont passés au Conseil national de transition dès le mois de mars, le coeur de ses partisans restent attachés au système de redistribution sociale promu par son régime, commeà la solidarité panafricaine qu'il incarnait.
Les gens sont devenus abstraits dans le regard qu'ils portent sur le monde, voilà ce que je répondrais à cet ami canadien. Personnellement je n'aime guère le style de "gouvernance" qu'incarne Kadhafi, mais j'avoue qu'en effet la résistance kadhafiste à Syrte et Bani Walid (ce "people of Libya, alone, fighting all the Nato countries with a rare courage " comme dit ca garçon) force mon admiration, tout comme ces mobilisations de Touaregs dans le désert, et la constance de l'Algérie, solidaire des loyalistes, à ne pas céder devant l'ingérence occidentale. Tout cela est assez beau, mais l'esthétique de la résistance armée échappe complètement désormais aux révolutionnaires en chambre de nos pays qui ne perçoivent qu'abstraitement et très lointainement l'idée de donner son sang pour une cause.
J'observe que même les Vénézuéliens n'ont pas envoyé de "brigades internationales" au secours de Syrte martyrisée. Sur ce terreau d'indifférence naît l'impunité des empires (le nôtre - et ceux qui émergent face à lui autour de Moscou, d'Ankara etc.) qui en viennent à négocier entre eux au Conseil de Sécurité de l'ONU l'avenir du monde (sur le thème "je te laisse t'ingérer là, si tu me laisses m'ingérer ici) sans que les peuples n'aient plus leur mot à dire...
Et pendant ce temps, les salafistes montrent le bout de leur nez en Tunisie, et l'armée tire sur les coptes en Egypte. Ceux qui ont fait assaut d'optimisme devant les Printemps arabes, en seront pour leurs frais. Je regardais dimanche une conférence de Tariq Ramadan qui, à partir d'un point de vue qui n'est pas le mien, celui du religieux musulman, menait une analyse factuelle assez précise et réaliste de ce qui s'est passé dans le monde arabe depuis le mois de janvier dernier. Une anayse sévère pour les manipulations étrangères. Il annonçait la parution d'un livre là-dessus pour le mois prochain. Un livre qui sera sans doute beaucoup lu, et beaucoup commenté dans les milieux musulmans d'Europe, et un ouvrage très utile si j'en juge par l'avant-goût qu'il en donnait ici.
La primaire socialiste et la présidentielle
Il faut bien dire un mot ce matin du paysage politique français tel qu'il se dessine à l'issue du premier tour des primaires du Parti socialiste (une primaire à laquelle je n'ai pas participé malgré mes opinions de gauche car je suis hostile au détournement d'audimat et à la captation d'argent - plus de deux millions d'euros - qu'elle offre au PS).
Beaucoup de résultats étaient prévisibles sauf la percée de M. Montebourg. Je me réjouis de la marginalisation de l'option social-libérale de M. Vals et de l'option centriste-populiste de Mme Royal qui brouillait les rapports de force au sein du PS (beaucoup de gens très à gauche soutenaient Mme Royal pour des raisons purement affectives, tout comme beaucoup on voté pour M. Bayrou en 2007).
Aujourd'hui nous avons un parti socialiste qui doit ouvrir son discours à une thématique très à gauche incarnée par M. Montebourg. Il le fera sans doute sur un mode purement lexical dans la bouche de M. Hollande, et sur un mode plus programmatique chez Mme Aubry.
C'est un progrès pour la sémantique politique, car désormais la question du protectionnisme européen est clairement posée à gauche par M. Montebourg et M. Mélenchon, à droite par M. Dupont AIgnan, et la classe politique ne peut plus diaboliser le terme ou le laisser entre les mains du Front national, de même que celui de la mise sous tutelle des banques.
Voilà pour les bonnes nouvelles. Venons en maintenant aux mauvaises. La mauvaise nouvelle, bien sûr, c'est que le protectionnisme européen est impossible, car les Allemands n'en veulent pas. Seul un protectionnisme national le serait mais il reste très minoritaire dans la classe politique. Donc même si le candidat du PS intègre le protectionnisme européen à son programme, nous savons que huit jours après son élection Berlin l'obligera à l'abandonner. MM. Montebourg et Mélenchon choisiront-ils alors le protectionnisme national contre l'Europe, ce que leur parti en 1983 fut incapable de faire ? Ils ne le feront que si l'Union européenne va très mal, et si notamment l'euro a déjà implosé pendant la campagne de l'élection présidentielle, mais tout cela me paraît assez peu probable.
De toute façon, sauf cataclysme imprévisible, il y a fort peu de chances pour que le candidat du PS puisse tenir le discours du protectionnisme européen jusqu'en mai 2011. Car les médias continuent de tirer dessus à boulets rouges. Et donc soit le candidat du PS (Mme Aubry ou M. Hollande) devront prendre leurs distances pour conquérir le centre, soit M. Bayrou libéré de l'hypothèque Borloo se chargera d'occuper le terrain du "ni-Sarkozy ni-protectionnisme" avec le soutien des médias.
En toute hypothèse donc la percée Montebourg a toutes les chances d'être assez vite neutralisée. Elle ne peut connaître un soubresaut d'intérêt qu'en 2013-2014 quand la situation économique française et européenne se sera à nouveau détérioré au point de susciter des interrogations nouvelles parmi nos dirigeants.
Evidemment la meilleure option pour pérenniser l'effet de la percée de M. Montebourg serait que le Front de gauche se renforce et dépasse les 15 % à l'élection présidentielle. Mais c'est extrêmement peu probable. M. Mélenchon est enfermé dans l'image de l'homme sectaire et caractériel. Ses incohérences sur le fédéralisme européen, sur la guerre en Libye, et ses complaisances avec certaines modes (le refus du nucléaire par exemple) ont altéré l'image de courage qui a pu le caractériser lorsqu'il a quitté le PS. En outre sa mouvance (le PC et la PG) baigne dans une grande confusion intellectuelle sur des sujets importants de notre époque comme l'a montré, par exemple, leur vote favorable à la zone d'exclusion aérienne en Libye au Parlement européen, et plus largement leur analyse des printemps arabes et des rapports de force planétaires.
Assez peu inspirées par le Front de gauche, les classes défavorisées pourraient se tourner une fois de plus vers le Front national (encore que la nouvelle recherche de respectabilité de Mme Le Pen peut en faire fuir beaucoup vers l'abstention). Dans un jeu assez ouvert on peut finalement se retrouver au second tour avec un face à face PS-UMP, PS-Le Pen, Bayrou-UMP, Bayrou -PS (si l'UMP explose), Bayrou-Le Pen, voire UMP-Le Pen. Dans ce genre de configuration les thèmes du protectionnisme et du contrôle des banques seraient de toute façon marginalisés et rejetés vers le Front national.
Précisons les termes. Quand je dis "PS-Le Pen" je veux dire Mme Aubry ou M. Hollande au nom du PS face à Le Pen. Sachant que le déficit d'image et la féminité de Mme Aubry risquent de la plomber plus que M. Hollande (comme ils avaient plombé Mme Royal en 2007). Quand je dis "UMP-Le Pen", je veux dire n'importe quel candidat de l'UMP : M. Sarkozy, M. Juppé, ou M. Fillon. Evidemment MM. Fillon ou Juppé auraient de meilleures chances de sauver la mise de la droite que M. Sarkozy, mais il n'est pas certain que celui-ci leur cède sa place.
La crise favorisant toutes les peurs et tous les conservatismes (elle va ramener le Parti populaire au pouvoir en Espagne malgré le mouvement des "indignés"), l'UMP peut enregistrer une certaine remontée dans les sondages (surtout si elle parvient à discréditer habilement ses adversaires dans un contexte international qui ne se détériore pas trop) et obtenir sa reconduction au pouvoir pour 5 ans n'est pas totalement à exclure.
Dans un contexte si figé (verrouillé par les médias et par un conformisme de pensée qui a l'air d'arranger beaucoup de monde), ceux qui veulent un véritable changement dans le système (une renationalisation des banques, une rupture avec les normes libérales de l'Union européenne, une défense réelle des services publics, une réorientation de notre politique étrangère, la nationalisation des médias etc) n'ont pas grand chose à attendre de l'élection présidentielle, mais devraient plutôt investir sur les élections législatives suivantes et sur les élections locales des années à venir pour faire la preuve sur le terrain, (et non pas seulement dans des conférences universitaires ou sur des blogs) de leur capacité à fédérer, à mobiliser, à gérer, soit dans le cadre de partis pro-système (en qualité de passagers clandestins en quelque sorte), soit dans le cadre de partis plus ou moins anti-systémiques comme le Front de Gauche, DLR, le MRC s'il existe toujours etc. Ils peuvent être aidés en cela par l'instauration d'une dose de représentation proportionnelle à tous les échelons, promise par de nombreux candidats à la prochaine élection. A mon avis c'est la seule voie d'action qui demeure ouverte, une voie d'action qui devrait être explorée dans un esprit pragmatique d'ouverture et de dialogue transcourant qui permette de fédérer de façon efficace les réseaux les plus solides possibles, capables d'apporter une réponse audacieuse le jour où nos dirigeants coincés dos au mur par une crise qu'ils ne sauront plus gérer auront besoin d'une relève. J'encourage donc tous ceux qui gardent un intérêt pour l'avenir de leur pays d'essayer d'accéder à des fonctions électives au service de leurs concitoyens, plutôt que de ratiociner derrière leurs écrans d'ordinateur. Ce n'est qu'ainsi, je crois, que les idées peuvent réellement retrouver une emprise sur le déroulement de notre histoire.
Identités postmodernes - monde globalisé - nouveautés en tous genres
La semaine dernière je parlais avec un ami : "Je devais intervenir dans une conférence en Europe, racontait-il. Tariq Ramadan y intervenait aussi. Je ne le savais pas. Quand je suis entré, j'ai vu qu'ils avaient fait mettre les femmes d'un côté les hommes de l'autre. De toute ma carrière dans aucune conférence de soutien à la Palestine ou autre qui se déroulaient en Europe je n'avais jamais vu cela. J'ai refusé de rentrer dans cette combine et j'ai quitté la conférence immédiatement".
Hier conversation avec une Réunionnaise de la "communauté " indienne (hindouiste) : "Les gens qui financent les lieux de cultes chez nous importent de plus en plus des pratiques venues d'Inde. Par exemple de faire asseoir les hommes et les femmes de façon séparée dans les temples. On n'avait pas connu ça chez nous avant. Des fois des gens sortent de nouveaux interdits dont on ne sait pas trop d'où ils viennent, des trucs que parfois ils lisent sur Internet. Une de mes cousines s'est faite engueulée récemment parce qu'elle était assise les jambes croisées".
Ca m'a rappelé une élue d'origine algérienne de Brosseville : "Maintenant dans les conversations on te sort des règles de "haram", d'interdiction, nouvelles tous les ans : les talons hauts, le maquillage. Tout c'est haram. Et des imams venus d'on ne sait pas où vont sur radio Orient recommander aux Musulmans de boycotter les guirlandes de Noël".
La jeune réunionaise exprimait tous les mélanges culturels et toutes les représentations parfois incompatibles entre elles qui ont pris racine dans sa tête. Par exemple un certain héritage à la fois républicain et tiers-mondiste qu'elle a reçu de sa famille (proche d'une grande famille communiste locale) qui entre directement en conflit avec le nouveau "clash des civilisations" auquel elle n'est pas étrangère : "Mes oncles ils étaient solidaires de l'Irak en 2003, et souvent même ils reconnaissent que les Musulmans ont raison et qu'on leur cause des injustices. Mais en même temps je sais depuis le 11 septembre que s'il y a une prise d'otage dans un avion par des extrémistes islamistes c'est moi, l'Indienne, qu'ils flingueront en premier. Je connais une fille hindoue qui avait un signe chrétien - parce que l'hindouisme et le christianisme se mélangent beaucoup - et qui n'ose plus le porter dans les avions. Donc moi je me méfie de ce qui arrive du monde musulman en ce moment, le voile etc. Et je comprends que l'Inde se rapproche des Etats-Unis". Un "clash" des civilisations qui se nourrit d'une paranoïa véhiculée par les médias. La fille reconnaît d'ailleurs que, d'une part elle ne va plus ni à Singapour, ni aux Etats-Unis parce qu'elle n'aime pas la brutalité des valeurs de ces pays, qui se manifeste notamment dans les fouilles policières arbitraires, et, d'autre part, qu'elle adore la civilisation américaine dont elle gobe toutes les productions audiovisuelles à longueur de journées. Le rapport à l'américanisation est donc vécu sur un mode des plus ambigus.
Etonnant de se dire que des millions de gens, voire des milliards composent tous les jours avec toutes ces données incohérentes. Internet, la TV, la globalisation, mettent dans leur cerveau toutes sortes de trucs qui vont un peu dans tous les sens et qui se surajoutent aux héritages familiaux sans toujours s'articuler correctement avec eux. Comment travailler à des stratégies mondiales d'intérêt général quand tout est constitué de patchworks individuels compliqués souvent contradictoires ?