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Le blog de Frédéric Delorca

Cynisme des classes moyennes et éthique anticapitaliste

2 Juin 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

Dans un commentaire récent, un certain M. Dustyboy (ah le bonheur de l'anonymat sur le net) a décrit dans des termes précis et convaincants la résignation des classes moyennes devant le cynisme de notre monde (ce qu'il nomme "le bordel que je vois depuis la classe moyenne dont je viens"). N'étant pas masochiste, je ne souhaite pas épiloguer trop longtemps sur ce sujet, d'autant que ce qui m'intrigue plus en ce moment (pour mes projets politiques), ce sont les classes populaires (toujours susceptibles d'être conquises par l'idéologie des classes moyennes), et notamment celles qui sont issues de l'immigration postcoloniale.

 

Le témoignage de M. Dustyboy sur "un cynisme d'une puissance, et je dis bien puissance, qui a vraiment de quoi désespérer" qu'il a constaté dans divers milieux doit être pris au sérieux. Les gens sont "piégés par notre ignorance de l'histoire sociale, piégés par notre confort matériel (l'eau chaude, la télé, l'abondance de nourriture, la possibilité de s'habiller décemment)", écrit-il (en même temps s'ils n'avaient pas cela, ils seraient encore plus fragilisés et impuissants à devenir sujets d'une histoire collective). Il a raison aussi sur le rapport au temps, à l'éphémère, qu'a créé l'esprit de consommation.

 

Son mot sur Zinn qui aurait dit qu' "il y a bien plus d'exemples de violences et de domination que de bonté et d'altruisme général" m'étonne car, dans la mouvance chomskyenne à laquelle appartenait Zinn, on était plus sensible à l'altruisme et aux progrès moraux accomplis par l'humanité sur plusieurs siècles.

 

Le complément de Laurent dans son propre commentaire sur l'intellectualisme petit bourgeois de la gauche radicale est intéressant aussi. J'en ai fait les frais pendant quinze ans et cela continue.

 

Je suis d'accord avec tout ça, mais en ce moment, comme je le disais plus haut, je m'intéresse davantage à ce qui dans les classes moyennes et dans les classes populaires crée du dissensus par rapport à la doxa médiatique totalitaire.

 Chavez_reelu_dimanche_AFP_-2-copie-1.jpg

Dans les classes moyennes ce sont notammment les sujets historiques, le devoir de mémoire - ce n'est pas un hasard si Dustyboy évoque l'héritage de l'esclavage dans les Caraïbes, tout comme moi je pourrais mettre en avant en ce qui me concerne personnellement la colonisation de la culture occitane ou l'abandon des Républicains espagnols par la France. Dans les classes populaires (dans la partie intéressante des classes populaires), c'est une culture de l'entraide et de la bonté (souvent adossée à la religion) qui, sans toucher l'ensemble du peuple, fleurit dans ses secteurs les plus dynamiques, une culture qui se développe dans un praxis quotidienne qui en fonde la nécessité, une culture qui se combine beaucoup avec des convictions religieuses (Islam, catholicisme). Comme la politique est un art, plutôt que de prier pour que la catastrophe financière plonge les gens dans la tragédie, les adversaires de la dictature du cynisme devraient précisément travailler à faire entrer en symbiose tous ces facteurs de dissensus pour créer un projet commun fondé sur des valeurs de vérité, d'honnêteté, de réciprocité entre les gens (ce qui fut le projet altermondialiste mais qui était bien trop abstrait et pour tout  dire fumeux pour pouvoir entrainer les classes populaires et déboucher sur des réussites politiques).

 

Arnsperger dont un des visiteurs de ce blog m'avait conseillé la lecture (et qui est publié, ce n'est pas un hasard, par des éditeurs religieux) a raison de vouloir fonder l'anticapitalisme sur une éthique, sauf que son éthique du "yoga" est encore trop abstraite, philosophique, bourgeoise. Une éthique susceptible de changer politiquement le système ne peut être pensée qu'en fonction de la praxis concrète des classes les plus dominées et construite en interaction avec elles.

 

J'y reviendrai peut-être. En attendant je termine par cette vidéo amusante sur la difficulté de faire converger justement les éthiques des dominés :

 

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D
<br /> <br /> Bonjour. Tout d'abord, je m'excuse du retard de ma réponse mais bon j'étais pris ! Alors d'abord merci d'avoir pondu un billet qui permet d'entamer la discussion. J'en profite pour apporter<br /> quelques précisions sur mon commentaire et la réponse que vous avez formulé.<br /> <br /> <br /> Sur Zinn tout d'abord, j'ai mal écrit. Je n'ai pas été au bout de mon idée. Il a bien écrit qu'il y avait bien plus d'exemples de violence et de domination dans l'histoire mais<br /> effectivement qu'il y avait aussi eu du progrès depuis plusieurs décennies. Dans mon élan j'ai omis de rajouter ça. Deuxièmement je suis entièrement d'accord avec vous sur la nécessité<br /> d'avoir un minimum de sécurité existentielle pour s'engager. Je ne crois pas trop au mythe (si tant il existe...) du militantisme héroïque qui brave faim et coups de matraque. Il faut une<br /> force collective considérable pour en arriver là, or nous n'en sommes pas vraiment à ce point. Et puis tiens je pose la question suivante en passant, vous m'en direz ce que vous en pensez :<br /> jusqu'où peut-on, et, par extension, doit-on aller dans l'engagement politique ? j'y réfléchis beaucoup depuis la crise financière. Je suis absolument scandalisé par ce qui se passe et ce ne sont<br /> pas des marches "bastille nation" "république opéra" qu'il aurait fallu. C'était bien plus que ça et je suis vraiment en colère contre la CGT et FO. La CFDT et ses intellectuels de proposition<br /> n'en parlons pas.<br /> <br /> <br /> Pour appuyer un peu le cynisme dont je parlais, j'aimerais développer quelques petites choses. Pour en avoir pas beaucoup, beaucoup, beaucoup discuté depuis mon adolescence, je pense (et je m'y<br /> mettrais cet été, vacances oblige) qu'il est absolument crucial et  "rhétoriquement" structurant que les individus ayant une sensibilité de gauche développent des arguments<br /> et contre-arguments solides sur le présupposé de la nature humaine corruptible et méchante. Bon là dîtes moi ce que vous en pensez mais c'est surprenant comment ça ressort.<br /> <br /> <br /> Deux illustrations : une connaissance à moi a fait un stage de trader à la Société Générale  et nous avons discuté pendant 2h et quelques sur la finance. Et le fossé était incroyable ! J'ai<br /> comparé les traders mais plus globalement les agents de la finance à des flibustiers. On scrute tel marché, tel prise de risque et on prend position : en Asie, en Afrique, en Europe etc etc. Bon<br /> la discussion s'est vite articulée autour des produits financiers techniques et puis inévitablement quant on parle sérieusement d'économie, c'est-à-dire quand on se pose la question la plus<br /> difficile en économie à savoir la satisfaction du bien-être du plus grand nombre, la question devient philosophique. Et c'est là que le fossé apparaît. Cette connaissance m'a clairement dit et<br /> répété plusieurs fois qu'elle ne croyait pas en l'Homme. Pour elle, il était trop tard pour faire machine arrière. La finance a été dérégulée : "mais tu te rends pas comptes ?! Mais c'est pas<br /> possible de revenir en arrière ! mon gars t'as pas idée de la force du truc". Pour lui la course à l'argent est plus forte que le reste. L'Homme voudra toujours de l'argent et fera toujours tout<br /> pour dominer les autres.<br /> <br /> <br /> Deuxième illustration : la discussion que j'évoquais avec mon cousin s'était terminée par son regard désabusé sur l'affluence de gens qui a eu lieu à Paris pour une distribution de billets et<br /> avait rameuté plus de 4000-5000 personnes. Et il a eu cette phrase illustrant à merveille sa position philosophique : "Et tu crois que tu peux les changer ces gens là ?" Alors il y a de tout dans<br /> cette question : la fatalité, le sous-entendu utopiste et bien sûr le mépris des autres. Parce que la spécialité de notre époque c'est de fabriquer toute une ordre de contestaires de salon.<br /> Chacun est plus lucide ou plus rebelle que l'autre en regardant la télé ou en écoutant son poste de radio. Heureusement que ça va se structurer tout ça (j'ai confiance en<br /> l'avenir...).<br /> <br /> <br /> Et donc, pour en revenir à cette idée de nature humaine, je pense que nous devons développer des arguments très forts qui nécessitent des connaissances en histoire, en anthropologie mais aussi en<br /> biologie car qu'en est-il des recherches sur les zones du cerveau où nous pouvons localiser la colère, la frustration etc ? Je réponds en général les choses suivantes sur la nature humaine<br /> corruptible et méchante : comment a été structurée et se structure la sécurité existentielle de l'Homme ? Si pléonexie il y a, qui en tire partie ? Enfin je pratique la<br /> théorie du court-circuit : chaque personne a des fondements d'éthique. Et rien n'empêche de mettre en question ces fondements pour en trouver la justification, si elles sont faiblement<br /> argumentées alors elles sont court-circuitées. Et je dis parfois que le pire truisme, la pire banalité qu'on puisse dire sur l'Homme c'est justement ça. Qu'il corrompt et qu'il<br /> domine. Une fois qu'on a dit ça on fait quoi ?<br /> <br /> <br /> Dans mon idéal socialiste, oui l'Homme peut tuer, voler, violer, torturer etc etc. Orwelle a rappelé à juste titre que le socialisme ce n'est pas gommer des défauts mais tendre à<br /> les atténuer et qu'ensuite les choses iront un peu ou beaucoup mieux. Ce n'est rien d'autre qu'un humanisme. bref c'est réintroduite un peu d'aufklarung comme on dit.(Ne trouvez vous<br /> pas absolument paraxodal que ce sont dans les lieux et des époques les plus confortables matériellement que l'on trouve le plus de raisons justifiant l'impuissance ? Personnellement c'est une<br /> question que je trouve vraiment intéressante mais je ne sais pas par où commencer pour y répondre) Et c'est pour ça que je vous rejoins sur l'urgence de trouver une éthique. Parce que je pense<br /> que ce cynisme a quelque chose de puéril, de touchant. Voici pleins de gens déçus, touchés, désespérés parce que comme l'a écrit Bourdieu dans les méditations pascaliennes, le monde social offre<br /> une chose rare : la reconnaissance. Et avec l'âge c'est terrible, presque accablant de le constater. Je me dis souvent que notre sens de la distinction (dont je préfère partir pour remplir la<br /> coquille vide qu'est le mot "individualisme") a presque été conçu pour exacerber l'atomisation. C'est un pur délire paranoïaque sans fondement et sans sérieux mais c'est fascinant de voir comment<br /> ça fonctionne sociologiquement. Je suis intimement convaincu qu'une part de notre cynisme provient d'une lassitude anthropologique si je peux me permettre une telle pirouette. Je crois que nous<br /> nous fatiguons les uns les autres mais que désormais tellement différenciés alors nous avons peur les uns des autres. Or la position moyenne est la plus inconfortable. C'est comme les immigrés ou<br /> les enfants d'immigrés, c'est comme la position de gens comme Annie Hernaux : elle soumet à un nombre infini de paradoxes et de tensions. C'est terrible ça... <br /> <br /> <br /> comment surmonter ça ? Je suis pas désespéré loin de là. Comme à d'autres époques nous avons nos verrous mentaux et matériels mais ce n'est rien ou du moins peu. Je reviens d'une réunion de<br /> mobilisation sur les retraites et ça donne le peps. Je crois que nous devons travailler dur à court-circuiter les faux fondements. J'ai retenu une chose particulière chez Chomsky: nous avons<br /> besoin d'éducation populaire. Et je rêve de mettre ça en place : nous devrions connaître des pans entiers du code du travail, savoir ce qu'est la monnaie, comment elle circule, la formation des<br /> prix, des salaires, c'est quoi la science, à quoi ça sert ? quelle est l'histoire sociale de la France etc etc !<br /> <br /> <br /> Outre la critique sociale "classique"  je crois que nous avons besoin d'une force de persuasion immense parce que comme je vous le disais plus haut, à mon sens, notre cynisme est aussi (et<br /> peut-être avant toute chose) une crise de scepticisme.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
F
<br /> <br /> ok, je réponds dans un billet à part à votre commentaire (cf sommaire du blog)<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> <br /> Bonsoir Frédéric, je viens de lire un article de Robert Merle sur le site de « La Sociale » sur la culture classique, l'hédonisme contemporain et le nouveau<br /> capitalisme qui me semble être dans la même veine que votre article<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> http://la-sociale.viabloga.com/news/culture-classique<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
F
<br /> <br /> Merci Gilles, je vais essayer d'en dire un mot.<br /> <br /> <br /> <br />