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Le blog de Frédéric Delorca

Les bourdes du Monde sur l'ex-Yougoslavie

3 Septembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Revue de presse

Nous y avons eu droit pendant toutes les années 1990, et cela continue. Décidément Le Monde ne sera jamais le "journal de référence" sur la guerre de Yougoslavie. Voici ce qu'un mien ami vient d'écrire à un de ses journalistes à propos d'un article récent sur Karadzic. Une fois de plus, Le Monde mélange tout - le Parti socialiste de serbie, les radicaux, les nationalistes du parti de Karadzic -, se trompe sur les faits et les dates. Confusion voulue, évidemment (avec en plus toujours les mêmes sottises sur ce Mémorandum de l'académie des sciences que le journaliste n'a pas pris la peine de lire, bien qu'il existe en version française). Rien de neuf sous le soleil...

FD
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> Cher Ourdan
>.
> Je me permets de vous signaler (avec retard) que votre article du 22
> juillet consacré à Radovan Karadzic « fourrier du nationalisme serbe »
> contient de graves erreurs d'interprétation en raison d'une chronologie
> défaillante, tout particulièrement dans le passage concernant Dobrica
> Cosic. Ainsi vous écrivez :
>
> « Lorsque le président serbe, Slobodan Milosevic, lui ordonne d'accepter
> un plan de paix international, _en 1994_, Radovan Karadzic refuse, et
> humilie son maître. Encouragé par le président yougoslave, Dobrica
> Cosic, écrivain qui avait allumé la mèche du nationalisme serbe dans les
> années 1980 en inspirant un Mémorandum de l'Académie des sciences et des
> arts de Belgrade, Karadzic se voit en futur dirigeant de la "Grande
> Serbie". _Milosevic, trahi, organise la destitution de Cosic à Belgrade
> _et, s'il continue d'approvisionner l'armée de Mladic, rompt
> politiquement avec Karadzic. »
>
> La destitution de Cosic (par le parlement fédéral) date en effet de
> _juin 1993_ (et pas de 1994). Elle s'est faite à l'initiative des
> radicaux du SRS (et non des socialistes du SPS). Le parti de Seselj
> soupçonnait en effet Cosic de mener une négociation secrète avec Tudjman
> en vue de la restitution de la Krajina à la Croatie.
>
> D'autre part, Cosic n'a rien à voir avec la rédaction du Mémorandum SANU
> à laquelle il n'a pas participé, et il n'a pas non plus encouragé
> Karadzic à refuser le plan Vance-Owen (rejeté par le parlement
> bosno-serbe_ en mai 1993_). Soucieux d'obtenir une lévée des sanctions
> de l'ONU contre la RFY, Cosic (président fédéral) et Milosevic
> (président de Serbie) s'étaient d'ailleurs tous deux prononcés en faveur
> de ce plan et ont désapprouvé la position intransigeante de Pale (à
> l'époque, en Serbie, seul le SRS a approuvé cette décision du Parlement
> bosno-serbe).
>
> En espérant que vous ferez preuve de plus de rigueur dans vos futurs
> articles sur le sujet, je vous adresse mes salutations.
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"Une femme à Berlin - Journal 20 avril-22 juin 1945"

2 Septembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Il est des livres qui vous posent une foule de questions, du fait même de leur existence, et du fait de leur contenu. Tel est le cas de «  Une femme à Berlin », journal anonyme tenu entre avril et juin 1945, publié en poche en France en 2006.

Des questions du fait de l’existence même du livre : parce qu’on ne peut pas être à l’aise avec un livre écrit dans une cave, un livre qui n’est pas de la fiction, une femme qui a fait le choix de s’isoler des angoisses qui l’entouraient pour jeter son point de vue sur des pages. Le geste même pose des questions à son lecteur, placé en position de complice de ce « splendide isolement » (même s’il n’est que sporadique, l’auteur étant aussi investie dans des processus d’entraide à divers moments), de son égoïsme peut-être (mais est-ce de l’égoïsme, ou une suprême générosité à l’égard de l’humanité ?). De complice, et de voyeur. Pas seulement voyeur de la souffrance (ne versons pas dans le misérabilisme) mais voyeur de l’existence des autres, tout simplement, sans le « filtre » de la fiction. L’existence du livre pose des questions au regard de ses conditions d’écriture. Au regard de ses conditions de réception aussi. Il tombe à la mauvaise époque, peut-être la pire d’ailleurs. Celle, où, pour des raisons idéologiques, le sacrifice de l’Armée rouge soviétique est en permanence sous évalué en Europe, voire dénigré, tandis que les pays baltes dressent des statues aux divisions SS. Comment justifier alors la lecture d’un livre sur la chute de Berlin, écrit par une femme, qui évoquera donc nécessairement les exactions de cette même armée ? 

Je pense que l’auteur anonyme du livre, même si elle n’avait pas l’intention de publier ses pages, était consciente des obstacles moraux et idéologiques qui pourraient pervertir son intention profonde, et délégitimer, à différentes époques et pour des raisons différentes, les raisons-mêmes de son existence (même si son cercle de lecteurs devait se limiter à trois ou quatre personnes). Elle savait nécessairement qu’elle devait relever ce défi, et qu’elle ne pourrait le faire que par un surplus d’intelligence (ce qui toujours sauvera l’humanité de l’abjection).

Ce qui fait la grandeur de ce livre, c’est qu’il gagne son pari, sur toute la ligne. Il affronte la situation la pire, avec la finesse la plus grande, avec une froideur de ton, une sobriété, une force, qui fait honneur à notre espèce, et, disons le, qui fait honneur à la féminité (bien que fort peu de femmes seraient capables d’écrire un tel livre). L’ouvrage est si juste, si implacable, si intense, qu’on ne peut manquer de s’interroger sur la source profonde de tant de pertinence. Une expérience singulière, une heureuse disposition d’un corps (puisque tout passe par là dans l’écriture), peut-être aussi la richesse d’une culture allemande qui, même enivrée de nazisme, et même au seuil de sa plus grande catastrophe, jette ses derniers cris, les plus sublimes, à travers le poignet de cette femme dans une cave.

J’ai songé à « Nord » de Céline, à cause du cataclysme qu’il décrit. Exactement le même. Et pourtant cela n’a rien à voir. C’est plus concret, peut-être parce que plus féminin, et donc plus juste. Il y est toujours question d’achat de pommes-de-terre, de salles bains qu’on nettoie. Ce ne sont pas les propos d’un écrivain qui défend une posture, qui met un style, déjà bien rôdé, à l’épreuve d’une réalité, comme le fait Céline. C’est une écriture qui n’a pas le temps de chercher sa posture. Une écriture sous l’empire des faits, une écriture qui leur reste attachée sans pour autant en être esclave. Car d’un bout à l’autre il s’agit d’une écriture contre la servitude, sous toutes ses formes, y compris la servitude à l’égard des émotions et des passions.

On s’étonne parfois de voir mobilisées au service de cette entreprise des considérations sur la nature humaine chargées d’analogies avec le règne animal. Des considérations qui auraient été diabolisées en France aux grandes heures du structuralisme (de ce point de vue là, il est heureux que l’auteur du livre, qui eut trop d’ennuis lors de sa première publication en 1957, ait exigé qu’on attende son décès, en 2001, pour sa réédition). Il s’agit là sans doute des bienfaits de la première vulgarisation des études darwiniennes et de l’éthologie animale (Lorenz est le contemporain de ces textes), vulgarisation pervertie par l’hitlérisme, mais qui déjà permettait au regard d’une femme lucide de ne pas polluer son témoignage avec des considérations spiritualistes ou chrétiennes qui, en diminuant sa pertinence, auraient nui à sa liberté.

Aujourd’hui on parle de froideur, de cynisme dans ce récit. C’est une erreur. Il ne s’agit que d’exactitude. Et l’exactitude se paie d’une mise à distance permanente, laquelle fait justement ressentir, par son mouvement-même, l’atroce proximité de tout ce qui est décrit, tout  en le rendant supportable.

Ainsi donc c’est une histoire de caves sous les bombardements, comme à Belgrade en 1999, comme à Bilbao en 1937, au Vietnam en 1967, comme en tant de villes depuis un siècle, surtout pendant la seconde guerre mondiale. C’est une histoire bien connue de survie d’une humanité dans des situations extrêmes. Humanité réduite à sa plus simple expression, à son animalité égoïste. Et qui pourtant même là reste marquée par ses caractéristiques sociales, sa culture – la discipline germanique par exemple.

C’est une histoire de confrontation avec l’Autre, le « Grand Autre » pourrait-on dire dans un ricanement antilacanien, car l’Autre est grand, c’est un moujik russe, qui pue l’alcool et le cheval. Il mesure souvent une tête de plus que ces femmes allemandes qu’il viole, et il pèse un quintal. Un moujik pluriel et pourtant toujours un peu le même à l’heure de se frayer un passage dans les sous-vêtements déchirés. Néanmoins, l’Autre n’est pas celui avec lequel nul dialogue n’est possible, au contraire. En partie parce que l’auteur a des connaissances rudimentaires de russe qui vont bien vite faire d'elle l'interprète du quartier, la passeuse. On peut envisager des stratégies de séduction avec lui, pour l’égarer, ou pour le mettre à son service contre d’ « autres Autres », si l’on peut dire. Chez lui aussi au cœur de son animalité transparaissent les traces de son vécu social, avec diverses nuances : celui-ci est un paysan directeur d’une coopérative de lait, celui-là un instituteur subtil avec qui on peut parler de marxisme. A mesure d’ailleurs que se noue l’échange au fil des étreintes forcées, la narratrice parvient à esquisser une psychologie fine de cette armée populaire, ces paysans imprévisibles, plus divers qu’il n’y paraît, qui n’aiment pas monter les escaliers parce que leurs maisons en Russie sont de plain-pied (les femmes allemandes ne découvrent que trop tard que celles qui habitaient aux étages sont épargnées par les viols à répétition), qui s’extasient devant les bébés et les petits enfants (alors que les SS, en Russie, les massacraient).

A travers ce témoignage, le lecteur masculin ne peut manquer de retrouver quelque chose d’un éternel féminin qu’il n’aime jamais voir : un instinct de manipulation lorsque la survie est en jeu, ainsi même qu’un certain mépris pour le genre masculin (lorsque l’auteur avoue par exemple que déjà au collège les filles ne parlaient des garçons qu’avec condescendance), qui transcendent peut-être le contexte très particulier de la guerre.

Ce livre est aussi une contribution importante à l’histoire du viol comme on l’étudie dans les UFR de gender studies… Il aborde le sujet dans toutes ses dimensions les plus universelles : la peur, le sentiment de souillure, la négation de la subjectivité, la crainte de la grossesse et des maladies vénériennes ; mais aussi dans toutes ses particularités historiques : notamment le fait que, dans un contexte où aussi bien les allemands que les russes hiérarchisent les civilisations (entre les « vieilles », raffinées mais « décadentes » d’Europe, et les « jeunes » comme la Russie), les femmes allemandes, élégantes, parfumées, sont toujours « supérieures » à leurs nouveaux maîtres.  Parmi ces caractéristiques, le fait que le viol soit devenu à cette époque un fait social majoritaire au milieu des autres crimes, et donc presque une norme. L’auteur aborde cet aspect avec beaucoup de nuances quand elle évoque le viol des vierges (p. 226-227): « Je regarde la fille de seize ans, la seule jusqu’ici dont je sais qu’elle a perdu sa virginité avec des Russes. Elle a toujours le même visage stupide et content de soi. J’essaie de me représenter ce que ce serait si j’avais vécu ça pour la première fois de cette manière-là. Je me freine dans mes pensées, car, pour moi, c’est impensable. Une chose est claire : si un tel viol avait été perpétré sur la fille en temps de paix, par un quelconque maraudeur, on aurait eu droit à tout le saint tremblement habituel, des annonces, les procès-verbaux, les auditions, et même les arrestations et les confrontations, les articles de journaux et tout le tralala chez les voisins… et la fille aurait réagi différemment, et aurait subi un tout autre choc. Mais ici, il s’agit d’une expérience collective, connue d’avance, tellement redoutée d’avance…. De quelque chose qui frappait les femmes à gauche, à droite et à côté, et qui, d’une certaine manière, faisait partie de tout un contexte. Cette forme collective de viol massif est aussi surmontée de manière collective. Chaque femme aide l’autre en en parlant, dit ce qu’elle a sur le cœur, donne à l’autre l’occasion de dire à son tour ce qu’elle a sur le cœur, de cracher le sale morceau. Ce qui n’empêche évidemment pas certaines natures, plus fines que cette vraie petite chipie berlinoise, puissent s’en trouver brisées à tout jamais ou garder des séquelles pour la vie. »

En réfléchissant à ce livre, j’ai pensé à la RDA. Il y a 6 mois, je parlais avec des gens de la génération antérieure (des intellectuels connus dans les milieux résistants : un communiste et une progressiste « chomskyenne »). Tous les deux disaient de l’Allemagne de l’Est : « C’était une construction politique authentique, exactement comme la Yougoslavie. C’était un projet politique ex nihilo. Une utopie. Cette nouveauté éliminait beaucoup de facteurs de conservatisme qu’on trouvait en Pologne ou en Hongrie. C’est pourquoi, outre des Allemands de l’Ouest communistes, des étrangers venaient en RDA par conviction, des blackpanthers américains par exemple. ». Il y a d’ailleurs chez de nombreux anti-impérialistes une nostalgie pour la RDA qu’ils décrivent comme le pays le mieux organisé du bloc soviétique de l’époque (à cause de la discipline prussienne).

Je veux bien accorder à ce pays toutes les vertus qu’ils lui prêtent et d’autres encore – notamment celle d’avoir tenté de laver les crimes du nazisme par la création d’une société réellement juste. Mais on peut se demander comment on peut construire un projet politique noble, égalitaire, résistant, avec des femmes violées, et des pères, des maris, des enfants, tous forcés au silence. Je crois que cette question mérite d’être posée, même si j’entends toutes les nuances sur les « circonstances particulières » de cette affaire, la misère et la mort, omniprésentes chez les Berlinois comme chez les soldats russes, le crime érigé en norme sociale etc, et le fait que ces viols « compensaient » dans l’esprit des Russes des abominations commises par le IIIème Reich à l’Est. La question de ce silence, de l’interdiction de la vérité, me paraît importante. On répondra en haussant les épaules : « hé, oui ça prouve bien qu’on ne pouvait pas construire le socialisme sous la botte des envahisseurs ». Et pourtant un certain socialisme a été construit en République démocratique allemande, un socialisme que les Allemands de l’Est ont ensuite regretté, du reste.

Les conservateurs verront dans cet exemple la preuve que les utopies se construisent toujours dans le déni des crimes. Les résistants réalistes, au contraire, diront qu’il fallait que le silence fût fait sur ses viols-là, pour que la RDA puisse, dans le monde, contribuer à lutter contre d’autres viols : le viol de la Palestine par le sionisme (la RDA aida les marxistes palestiniens), le viol de l’Afrique par les colonisateurs, le viol du Chili par la Junte militaire (Honecker après sa destitution a été hébergé par des communistes chiliens reconnaissants), le viol des consciences mondiales par la publicité, les supermarchés, l’abrutissement médiatique. C’est un sujet des plus complexes.

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Un crime colonial en Asie peu connu

2 Septembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Voici une lettre de Victor Hugo, que publie aujourd'hui un blog consacré à l'Asie (un blog qui pourtant soutient l'ingérence impérialiste contemporaine, au soutien des nationalistes tibétains http://www.agathejolybois.net/article-22438184.html), et qui peut aider à comprendre le souvenir que nous avons laissé à la Chine... Evidemment comme on le notera, V. Hugo ici développe le point de vue occidentalocentré qui était celui de son époque. Mais, comme Octave Mirbeau 40 ans plus tard, il sait au moins appeler un pillage, un crime, un viol, par leur nom. Et ils n'étaient pas très nombreux à le faire dans l'intelligentsia française à ce moment-là ... Ce texte est lu en ce moment aux touristes par les guides chinois qui font visiter Pékin.

Le 6 octobre 1860, alors que l'empereur chinois Xianfeng  est en fuite, en pleine guerre de l'Opium, les troupes franco-britanniques envahissent sa résidence d'été, d'une beauté exceptionnelle, la saccagent, la dévastent. La guerre de l'opium, guerre de la mondialisation coloniale de l'époque, avait pour finalité de permettre aux Occidentaux d'innonder la Chine de leurs produits, notamment de l'opium de la Compagnie des Indes anglaise qui fonctionnait comme un cartel de la drogue. Mike Davis dans Génocides tropicaux (Editions La Découverte) a détaillé les méfaits de ces guerres coloniales en termes de destruction des structures étatiques asiatiques et des réseaux d'approvisionnement en blé, causant la mort de dizaines de millions de personnes et la désorganisation durable de ces sociétés.

FD

Hauteville House, 25 novembre 1861

Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l'expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l'expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l'empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l'Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d'approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.

Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :

ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. L'art a deux principes, l'Idée qui produit l'art européen, et la Chimère qui produit l'art oriental.
Le Palais d'été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal.
Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là.
Ce n'était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c'était une sorte d'énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.

Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d'été.
Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c'était là ce monument.

Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l'énormité d'une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples.
Car ce que fait le temps appartient à l'homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d'été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d'été en Orient.
Si on ne le voyait pas, on le rêvait.

C'était une sorte d'effrayant chef-d'œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d'Asie sur l'horizon de la civilisation d'Europe.

Cette merveille a disparu.

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été. L'un a pillé, l'autre a incendié.
La victoire peut être une voleuse, à ce qu'il paraît.
Une dévastation en grand du Palais d'été s'est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs.
On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon.
Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser.
Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l'orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'œuvre d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries.

Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant.
Telle est l'histoire des deux bandits.

Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares.
Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.

Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre.
Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.

L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été.

J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.

En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.

Telle est, monsieur, la quantité d'approbation que je donne à l'expédition de Chine

Victor Hugo

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Deux témoignages d'Ossètes du Sud

2 Septembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Posté sur il y a 4 a jours http://ossetie.canalblog.com/
FD
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27 août 2008

Deux témoignages de Tskhinval

Voici les témoignages respectifs d'amis sud-ossètes m'ayant récemment écrit par e-mail, l'un est celui d'un un jeune homme ayant vécu l'attaque géorgienne sur place, l'autre, celui d'une jeune femme originaire de Tskhinval et vivant à Moscou. Elle est arrivée le 14 août à Tskhinval pour retrouver sa famille qui était sur place. Il est très difficile de recevoir des messages de Tskhinval, donc le témoignage de R. est précieux. La jeune femme, A., m'écrit de Djaewdjyqaew (Vladikavkaz en ossète) où elle était pour quelques jours entre deux voyages à Tskhinvali.

Aujourd'hui, la langue ossète s'écrit officiellement en cyrillique mais peut également s'écrire en alphabet latin (qui fut officiel de 1923 à 1937). Le mail de R. utilise l'alphabet latin tandis que celui de la jeune femme l'alphabet cyrillique. Je traduis au fur et à mesure. Certains passages (surlignés en marron) me posent encore difficulté mais seront bientôt traduits.

A., 29 ans, originaire de Tskhinval, gynécologue à Moscou, de retour à Tskhinval, le 14 août où demeure sa famille - témoignage.

Mail du 25 août

Салам, Лоpан!!!
> куыд дае?аез ныр Дзаеуджыхъаеуы даен,райсом Цхинвалмае цаеуын!!))
> Цхинвалы куы уыдтаен,уаед дае sms-тае райстон ,фаелае маенаен мае бон нае уыд ныфыссын даеуаен..((цхинвалы аевзаер кусынц телефонтае,sms та нае цаеуы.

Salut Laurent!!!

Comment vas-tu? Je suis maintenant à Dzaewdjyqaew, demain je retourne à Tskhinval. Quand je suis arrivé à Tskhinval, j'ai reçu ton sms, mais je ne pouvais pas te répondre..(( à Tskhinval, les téléphones ne fonctionnent pas bien, les sms ne partent pas non plus.

мае райгуыраен горает нал базыдтон...Пыpx,сыгъд,рынчындон нал ис..дохтыртае бирае аерцыд маескуыйае(уырысы иннае гораеттаей даер),мае аеххуыс сае тынг нае хъуыд..уыдон хорз дохтыртае сты-ахаем уаваерты кусын зонынц..сылгоймаегты,гуырынмае чи хъавыд,акодтой дзаеуджыхъаеумае.. 

>> je n'ai pas reconnu ma ville de naissance, détruite, nettoyée, l'hopital n'existe plus... Beaucoup de médecins sont arrivées de Moscou (et des autres villes de Russie également), et ils n'avaient pas besoin de mon aide.. Ce sont de bons médecins — qui savent travailler dans ce genre de situation. Les femmes qui cherchent à aider, ils les envoient à Dzaewdjyqaew.

ныр рынчындоны баесты уынджы аерываердтой 8 фатер,--уый хуыны "рынчындон"))уаеззау рынчынтае дзы нал ис-дзаеуджыхъаеумае аемае маескуымае аерцыдысты..

>> Maintenant, en guise d'hôpital, ils ont posés huit tentes dans la rues, --qu'ils ont appelé «hôpital» )) Il n'ya plus de blessés lourds — ils ont été envoyés à Dzaewdjyqaew et Moscou..

> мае заердае ты
НГ фАЕрыст мае гораеты уынгты куы ацыдтаен,ме скъола,ме мбаелтты хаедзаердтае куы федтон....уый ныхаестаей наей заегъаен....бирае адаем амард..бирае адаем басыгъд сае хаедзаертты..бирае хаедзаерттае заеххимае аесраст кодтой танктаей....(( 

>> J'étais très triste en arrivant dans les rues de ma ville, à mon école, en voyant les maisons de mes amis... Il n'ya pas de mot pour décrire ça... Beaucoup de gens sont morts... Beaucoup de gens nettoient leurs maisons... Beaucoup de maisons gisent sur le sol à cause, détruites par les tanks.

> Уырысаей бирае аеххуыс цаеуы:адаем ,машинатае,уынгтае аефснайынц,отел(
hotel) аразын райдыдтой..скъолатае амайынц 1 сентябрмае.. 

>>Beaucoup d'aide arrive de la Russie, des gens, des voitures, ils nettoyent les rues, commencent à construirent des hôtels... Les écoles reprendront[ ?] le 1er septembre...

> Аезae мад аемае мае сыхаегтаен аеххуыс кодтон мае бон цы уыд уый:хаеринаг кодтон,дзул,дон хастон..аемае аенаемаенг--медицинон консультаци даеттон,каей хъуыд уымаен..
 

>>Pour ma mère et mes voisins, j'ai aidé comme je pouvais : j'ai préparé les plats, le pain, apporter l'eau... et bien sûr je donne des conseils de médecine parce qu'il y a besoin...

> ныр дзаеуджыхъаеуы мах цаераем мае мады хойы бинонтаем.аестаем бираейае(9!)фаелае хыл нае каенаем!!))))маен фаенды
лаеггад каенын мае бинонтаен:уыдон тынг зындзинаедтае бавзаерстой!!! 

>>Maintenant à Dzaewdjyqaew nous somme dans la famille de ma tante (la soeur de ma mère). Nous sommes nombreux (neuf!), mais nous ne nous disputons pas! )))) Je veux être utile à ma famille : ils ont traversé de très éprouvantes difficultés.

> фаестаедаер аез таехын маескуымае(1-12сентябры ахуыр каенын),стаей маен фаенды мае мад,ме фсымаеры ус,сае лаеппу(Олег,1аз аемае 3маей-дзыд)акаенын улаефынмае,денджызы былмае,1 къуыри.нае зонын кыд,цы уыдзаен,каедаем цаеудзыстаем--фаелае наемаенг цаеуаем!!!!
 

>>Ensuite, je pars pour Moscou (pour étudier [enseigner?] du 1 au 12 septembre) après quoi je veux partir avec ma mère, la femme de mon frère et leur fils (Oleg un an et trois mois) pour nous reposer à la mer, une semaine. Je ne sais pas comment, de quelle manière, ni où ce sera, mais quoi qu'il en soit, nous partirons!!!!


> каед хъуыддаегтае хорз цаеуой
(мае мызд)уаед мае хъуыдытае баззадысты-барселонамае сае каенын..каеннаед-Уырысмае,каеннаед Абхазмае (уым асламдаер у)..((мае мад никуы уыд денджызы..))

>> Quand j'aurais bien préparé mes affaires, [...] je laisserai mes affaires à Barcelone...Sinon, en Russie, sinon en Abkhazie (c'est moins cher).. ((Ma mère n'a jamais vu la mer..))

 

R., 34 ans, médecin à l'hopital de Tskhinval – témoignage.

Mail du 25 août

Salam Loran!

Aermaest dzy iu fyst rast naeu.

Salut Laurent! 

Une seule lettre n'est pas suffisante.

Max surynmae nae qavydysty, guyrdzy faendyd max iuyldaer amaryn, skuynaeg kaenyn.

(?)...Les géorgiens voulaient tous nous tuer, s'ils avaient pu ..... (?)

Goraety alvars bacaxstoi aemae goraet baidytoi samolettaei, artileriae, grad,tankataei aexsyn goraety adaemy. Goraetaei nikaei uahtoi aettaemae.

Ils ont nettoyé autour de la ville et ils ont bombardé par l'aviation, l'artillerie, les missiles grad, les tanks, afin de nettoyer la ville de sa population.

Adaem sae syvaellaetty kodtoi goraetaei aemae sae guyrdzy tankataei mardtoi.

Des gens ont fuit de la ville avec leurs enfants et les géorgiens les ont tués avec les tanks.

Birae adaem faemard. Maxaei. Guyrdzyiae.

Beaucoup de gens sont morts. Des nôtres. Des géorgiens.

Nae laepputae laeuuydysty sae nyxmae aemae nae bauaxtoi bacaxsyn goraet Tskhinval.

Nos garçons sont restés en face d'eux et... (?)

Adaem aeppaetaei sae nyxmae laeuuydysty. Rynchyndon aexstoi,caeftae podvaly rynchyndony bynmae uydysty.

Parmi tous, des gens sont restés en face d'eux. Quand les géorgiens ont détruit l'hôpital,[...] ils se sont cachés sous l'hôptial.

Russian naem aexxuysmae kuynnae aercydaikoi, uaed nae iuyldaer amatdtaikoi.

Nyrtaekkae max aeppaetaei shok staem.

Si les Russes n'étaient pas venus nous aider, alors, ils nous auraient tous tués. Maintenant, nous sommes plus que tout choqués.

Faelae kusaem,goraet syhdaeg kaenaem,xaedzaerty kaeldtytae caelcaeg kaenaem.

Mais nous travaillons, nous nettoyons la ville, nous réparons les ruines des maisons...

Posté par Iryston à 13:34

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