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Le blog de Frédéric Delorca

"Le Mépris" de Jean-Luc Godard

8 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Cinéma

Arte diffusait hier soir "Le Mépris" de Godard (vous pouvez le voir en replay). J'avoue que je ne l'avais jamais vu, bien que Godard ait été une des idoles de mes 20 ans (aujourd'hui je le trouve un peu trop surévalué). J'ai poussé le côté dilettante jusqu'à le prendre en cours de route et rater une bonne partie de l'intrigue (mais je suis comme Deleuze, commencer un livre ou n'importe quelle oeuvre par le milieu, sans en comprendre la moitié, ou en devant la deviner, me plait bien).

 

Je vais pousser ici le côté dilettante jusqu'à m'autoriser à dire ici ce que je veux sur ce film, ce que je veux et n'importe quoi, c'est-à-dire ce qui m'intéresse moi. Je précise cela parce qu'hier encore quelqu'un a été surpris d'apprendre que j'étais quelqu'un de passionné. Apparemment beaucoup de gens qui lisent mes textes ne comprennent pas vraiment ma démarche et croient que j'accumule juste une érudition "pour le plaisir intellectuel", avec un détachement (voire un vain narcissisme) de collectionneur. En réalité, je n'ai jamais voulu acquérir une culture ni accumuler un savoir. J'ai toujours poursuivi une quête. Et, plus encore depuis les événements de cet hiver, je ne perçois cette quête d'abord et avant tout que comme une façon de tirer un fil d'Ariane. Je prends ce qui advient sur mon chemin, j'essaie de le comprendre, et j'en suis la direction jusqu'au prochain événement, jusqu'à la prochaine coquille d'escargot trouvée sur le talus. Sur mon chemin il y a eu la Bhagavad Gita, Vecchiali, Grémillon, Godard, une phrase de Finkielkraut entendue par hasard samedi dernier à la radio dans une discussion avec Pierre Manent qui disait que Montaigne voulait ménager les animaux en se fondant sur Plutarque et de beaux vers de Lucrèce sur la vache séparée de son veau. Je prends, je prends tout, je tire les fils d'Ariane.

 

Sur mon chemin il y a donc ce film de Godard, pris en son milieu. Je m'ennuie un peu devant les scènes d'intérieur, le face à face Bardot-Piccoli... Mais quand même ce hiatus entre Piccoli (pardon je n'ai pas retenu le nom du personnage) qui veut absolument que Bardot (qui s'appelle Camille, comme Shenandoha Camille) lui dise qu'elle ne l'aime plus, m'intrigue. Et elle qui est dans le déni. Cette insistance de Piccoli qui "ne lâche pas", qui veut la Vérité. Et puis ce moment où la Vérité éclate (veritas index sui), et Bardot laisse effectivement tomber qu'elle ne l'aime plus. C'est très beau parce que cela vient à l'improviste, et sans fiuriture. C'est une vérité radicale, terrifiante, et cependant discrète dans sa forme, banale, livrée de façon anodine comme on dirait "passe moi le sel". Piccoli a enfin sa vérité (une vérité qui d'ailleurs le renvoie à toute sa crainte antérieure de la vérité, la crainte de la catastrophe). Maintenant il veut savoir pourquoi. Pourquoi. Mais il n'y a pas de "parce que". Bardot est dans le "c'est ainsi", "admettons que ce soit à cause de ceci ou de cela", "c'est parce que c'est toi, à cause de toi" (pensez au "parce que c'était lui parce que c'était moi" à propos de La Boétie), "peu importe après tout". Bardot est elle-même surprise par son désamour, triste d'en arriver à ce point "je t'en veux, je t'aimais tant". La victime du désamour (Piccoli) est en plus victime du reproche : c'est de sa faute.

 

Je repense à l'autre victime de la trahison, Gabin dans "Gueule d'amour". Gabin se féminise, s'adoucit, se replie sur son échec. Piccoli, lui, veut encore se battre, giffle Bardot, se promet de "reconquérir" son amour. Il est toujours en action.

 

"Le mépris" est un beau film sur le désamour, surtout sur le désamour féminin (je ne sais pas si le désamour masculin est du même ordre). Du coup il fait apparaître la féminité sous son jour le plus mystérieux (et bien sûr cela allait bien à Bardot). Sous son côté lunaire. Artémis-Séléné. D'ailleurs je pense que Godard aurait pu faire un film moins solaire, plus nocturne, mais il aurait fallu une autre actrice, peut-être la Liz Taylor de "Suddenly last summer". Bardot ne pouvait inspirer que de l'apollinien. J'ai pensé à "Et Dieu créa la femme", et je découvre ce matin sur Wikipedia que Jean-Louis Bory a écrit que "Le Mépris" était le véritable "Et Dieu créa la femme" de Bardot. Nos intuitions se rejoignent.

 

Alors il y a ces scènes tournées à Capri, l'île de la solitude de l'empereur Tibère. L'île de la mélancolie solaire. Il y a celle que je trouve magnifique, tournée en plan fixe, où Piccoli s'endort contre un rocher tandis que Bardot plonge nue dans la mer. Elle s'éloigne comme un poisson, indépendante et libre, dans l'élément aquatique féminin, quand l'homme rivé à son rocher fuit dans son sommeil.

 

Piccoli est toujours dans le parallèle avec Ulysse sur lequel un film se tourne. Il est Ulysse lâché par Pénélope qui va devoir tuer les amants de celle-ci. Il s'interroge : Ulysse est-il délaissé par Pénélope, ou bien a-t-il été faire la guerre de Troie parce qu'il n'aimait plus sa femme ? A travers Pénélope c'est son propre amour qu'il interroge : aurait-il cessé d'être aimé par Bardot/Camille parce qu'au fond c'est lui qui ne l'aimait plus ? Le scandale et la violence du désamour inexplicable soulignent le mystère de l'amour lui-même. On ne sait plus qui aimait qui.

 

Mais on voit bien qu'au fond les interrogations de Piccoli ne servent à rien. A rien d'autre qu'à le maintenir dans l'action, à ne pas le laisser se reposer et sombrer dans le désespoir. Parce qu'en réalité, le désamour soudain de la femme, la volte-face impromptue, obéit à une injonction métaphysique. Tout est métaphysique de part en part. On le voit bien quand, après avoir quitté Piccoli pour partir avec son metteur en scène, Bardot/Camille meurt dans un accident de voiture. C'est au fond "karmique" comme diraient nos médiums new-age : la rencontre Piccoli-Bardot, leur amour et leur désamour, comme la mort de Bardot à la fin obéissent à une nécessité qu'aucun des personnages ne maîtrise.

 

Piccoli trouve-t-il une forme de sérénité dans l'accomplissement de ce "karma" à travers la figure d'Ulysse retrouvant sa "patrie" à la fin ? On ne le sait pas. Godard n'est pas Brisseau. Godard est un joueur, souvent même un fou du roi, un hystrion. Il s'arrête à la frontière de la métaphysique, toujours. Il y avait une sorte d'injonction dans la philosophie des années 60, notamment dans le structuralisme je trouve, à toujours rester à la frontière du chamanisme. Même chez un non-structuraliste comme Deleuze, mais dont la théorie des agencements a quelque chose de structural, il y a une fascination pour la métaphysique et le chamanisme (je pense à son interview dans l'abécédaire où il parle de l'écrivain à la limite du cri animal) qui reste à la frontière ("Fools rush in where angels fear to tread" comme dirait Alexander Pope).

 

Tout le regard de Godard sur la féminité est dans ce film. Je trouvais hier soir chez Bardot/Camille mille échos au personnage central de "Je vous salue Marie" que Godard écrivit vingt ans plus tard : notamment à cette scène où Marie à plusieurs reprises rabroue Joseph parce que la caresse n'est jamais la bonne, la façon de caresser n'est jamais adéquate ("Vous faites l'amour très bien, mais en somme comme un professionnel, il n'y a pas de quoi se vanter" comme dit Hélène Surgère dans "Corps à coeur" de Vecchiali). Il y a, dans "Le Mépris", toute l'énigme métaphysique du rapport homme-femme, je trouve.

 

Maintenant il me restera à lire le roman de Moravia qui a inspiré le film.

 

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Agora

6 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

assnat

Un ami m'envoie, à propos des dernières élections municipales françaises, un commentaire d'un réac qui reproche aux socialistes "bobos" d'avoir trop longtemps méprisé le "bon peuple" rempli de schémas identitaires supposément vertueux. Il me fait remarquer que cette posture est typiquement élitiste, et ajoute une remarque critique du blogueur Jean Zin à l'égard de ceux qui, chez les écolos, ressortent les vieilles théories tout aussi élitistes, de Gramsci sur l' "hégémonie idéologique".

 

Pour gagner du temps, je vous livre ici ma réponse (un peu décousue mais qui décrit mon état d'esprit du moment) :

 

"Je suis d'accord sur le fait qu'idéalement il faudrait dépasser le clivage entre la gauche "sociétale" bobo (Anne Hidalgo, mairesse de Paris, disant lors de son élection "j'aime tous les enfants parisiens quelle que soit leur couleur, leur orientation sexuelle etc" sic) et le populisme identitariste néo-réac, dont ton Christian Roux, comme Eric Seymour, Finkielkraut etc font partie. Mais personne n'a pour l'instant la clé de ce dépassement.

La sociologie ne produit pas de politique comme le dit ton ami Jean Zin, c'est très vrai. Et le gramscisme est un élitisme, c'est vrai aussi.

Je ne crois pas trop au "mouvement social" qui a des côtés très petits bourgeois (Bourdieu dans certains moments de lucidité a reconnu son propre côté petit bourgeois aussi), ce qui ne veut pas dire que le "peuple" (de droite ou abstentionniste) qui ne se reconnait pas dans les mouvements sociaux ait plus raison que les petits bourgeois de ces mouvements.

Je suis très sceptique sur la possibilité de dépasser la césure entre le peuple et les élites. La fusion entre les uns et les autres, dans le cadre d'une élection ou d'une révolution est souvent le fruit de malentendus réciproques, ce qui ne veut pas dire que ces malentendus ne sont pas parfois féconds sur le plan de l'évolution politique des uns et des autres. Tout ce qu'on peut faire d'utile dans ce genre de dispositif est de jouer les commis voyageurs entre les différences régions de l'espace social pour au moins ne pas être dupe des illusions de la "représentation officielle" du monde.

programme-pour-une-gauche-copie-1.jpgL'alternative que j'évoquais dans le Programme pour une gauche française décomplexée et que je généraliserais aujourd'hui, serait d'introduire du tirage au sort à 50 % des effectifs dans tous les corps dirigeants de la société (politiciens, journalistes, haute administration système judiciaire, armée, police etc), mais cela ne règlerait pas le problème de la technicité des sujets, qui ferait que les 50 % non tirés au sort resteraient les véritables décideurs.

La démocratie produit à la fois une aspiration de chacun à contrôler le destin collectif, et une complexité sociale qui donne le pouvoir aux spécialistes et empêche de garder une vue d'ensemble. Et les spécialistes imposent une vision d'élite. Le paradoxe me semble assez indépassable, les frustrations qu'il provoque aussi.

D'où ensuite l'importance de l'effort individuel (l'effort de commis voyageur) pour au moins "rester humain" c'est à dire continuer à garder une vision ou une sensibilité "d'ensemble", et à pousser d'autres personnes à faire de même. Mais c'est un exercice qui demande beaucoup d'énergie et qui a ses propres limites. Un regard de cinéphile, de philosophe, d'artiste, peut y aider (en se disciplinant bien sûr, la discipline étant la clé de tout)."

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Zénon

6 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Les stoïciens recommandent le suicide en cas d'extrême nécessité. Zénon s'est suicidé par auto-strangulation. Personnellement pour ma propre mort j'ai une petite préférence pour la pendaison.

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Quinzième anniversaire de l’agression de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie

5 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Actualité de mes publications

1couv serbieIl y a quinze ans, le 23 mars 1999, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, en violation de la charte des Nations Unis (puisque aucune résolution du conseil de sécurité ne l’y autorisait) lançait une campagne de bombardements sur la République fédérale de Yougoslavie, campagne qui, selon le ministre Hubert Védrine à l’époque, ne devait durer que quelques jours, et qui en fait dura plus de deux mois.

 

 La suite sur Esprit cors@ire ici

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Carta a Eva

3 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Cinéma

Il n'y a pas de grande politique sans grande humanité, et pas de grande humanité sans grands sentiments, c'est-à-dire sans grandes amours et sans grandes haines (mais "La grandeur effraie" comme dirait l'autre).

 

Si en ce moment rien de marquant ne sort de France, ni dans ses milieux dirigeants (le PS et l'UMP), ni dans son opposition (atomisée et asservie à des intérêts mesquins), c'est parce que l'humanité dans sa mesure et dans sa démesure n'y est plus assumée.

 

Le personnage d'Eva Peron se rappelle à mon souvenir de temps en temps, souvent quand je m'y attends le moins. C'est encore le cas à travers cette série télévisée diffusée récemment en français sur Arte "Carta a Eva" que vous pouvez voir en intégralité en espagnol ci-dessous. Le jeu de contrastes entre l'héroïne (fort brillamment interprétée, je trouve, par Julieta Cardinali) et le couple présidentiel madrilène ne pouvait pas ne pas parler à mon coeur de républicain espagnol, et surtout à ma sensibilité existentielle au delà de tout particularisme. Je ne verse pas dans l'angélisme : la compassion d'Evita ne peut pas être en soi une vertu politique si elle n'est pas secondée, par ailleurs, par une sorte de profondeur inspirée à la Bonaparte ou à la Epaminondas (mais qui sait, du reste, si cette profondeur Eva Peron ne l'avait pas elle aussi, sans hélas avoir la chance d'être à la tête ni d'un grand pays ni d'une grande armée pour pouvoir en faire la démonstration). C'est en tout cas par cette voie d'une intuition humaine poussée jusqu'à ses extrémités métaphysiques que la politique peut atteindre un dépassement, sans quoi on est condamné à rester le Pompidou d'un de Gaulle, ou le Nicolas Maduro d'un Hugo Chavez.

 

 

 

 

 
 
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