Solitudes préférables
Certaines solitudes valent mieux que les actions de groupe. Depuis que je ne collabore plus à aucun collectif, mes livres ne sont pas cités, mes articles ne sont plus repris sur le Net et l'on ne me propose plus de figurer parmi les premiers signataires d'aucune pétition. Certains s'en désoleraient, je m'en réjouis plutôt.
Et de temps à autre certaines anecdotes confortent cette satisfaction en moi. Ainsi, hier, j'ai reçu le texte d'une pétition anti-OTAN dont il vaut mieux que je ne vous donne pas le lien (car je ne souhaite pas polémiquer ni entrer dans des logiques de critiques ad hominem). Certains signataires sont de mes amis ou anciens amis, mais leur nom figure à côté de ceux de guignols. Je suppose qu'ils n'ont pas eu le choix. En outre la pétition dénonce la "Révolution orange" ukrainienne. Elle n'a que 10 ans de retard... car le problème aujourd'hui c'est Euromaïdan, pas la Révolution orange des années 2000...
Ce genre de texte montre que l'opposition aux logiques bellicistes n'est point à la hauteur de la gravité des événements. Le député à qui j'ai proposé une question au gouvernement sur l'Etat islamique s'est bien sûr gardé de me répondre - aujourd'hui les juges en font plus que les députés en matière de relations internationales, et je plains celui qui devra, après la plainte du Qatar, dire, au vu de ses très faibles pouvoirs d'investigation, si oui ou non cette pétromonarchie soutient l'EI, pour décider si le propos de M. Filippot était diffamatoire ou pas...
Et pourtant il y a tant à faire quand je vois par exemple le sinistre Porochenko appeler à la "guerre totale" contre la Russie !
La faiblesse structurelle de l'opposition au système atlantiste se révèle dans le caractère éphémère des sites sur le Net. Esprit corsaire a fermé ses portes en décembre dernier, La Tour de Babel en novembre (dommage, j'avais besoins de clés pour comprendre la résistance des profs au Mexique, La Jornada ne me donne que des fragments)...
Pour ma part j'attends toujours qu'un site d'info en géopolitique apparaisse qui fasse clairement la part des choses entre les diverses propagandes, et nous donne au moins toutes les versions en présence. Par exemple, quand on lit le 20 mai dernier sur le site de la chaîne du Hezbollah libanais Al Manar :
"Le dirigeant du Kurdistan d’Irak, Massoud Barzani souhaite la reprise des relations avec Israël comme durant les années 70 et 80 du siècle dernier. Barzani a tenu ses propos dans une interview accordée à la deuxième chaine de télévision israélienne, dont l'équipe se trouvait au Kurdistan de l'Irak, pour un reportage sur la situation politique et sécuritaire."
Il est bon de trouver dans la foulée sur Kurdpress News :
"Barzani’s Media Advisor, Kefah Mahmoud Karim, has denied the president has interviewed with any Israeli media. He told al-Maalomeh that the Lebanese daily report is completely baseless. Karim stated Barzani has not made any interviews with any Israeli media as the stance of the region towards Israel is quite known. "
Ce travail de confrontation systématique des infos à partir d'un point de vue indépendant n'est hélas fait nulle part. Ni dans les médias mainstream trop serviles, ni chez les fragiles opposants.
Zizek et les cultures
Zizek dans Libération : ~~«On a cru que le capitalisme nous permettrait de dissoudre les identités partielles… Pour l’heure, il y a une forme de capitalisme où la globalisation du marché peut coexister idéalement avec une très forte identité ethnique, raciste… Lacan avait prédit déjà que le marché commun allait nous pousser vers des formes de racisme. La limite de l’universalisme, c’est ce qu’on appelle les modes de vie. Ce qui m’intéresse, c’est le racisme qui se reproduit dans les petites choses du quotidien. J’ai des amis qui sont de gauche, antiracistes, mais quand un type asiatique ou noir s’approche, il y a un certain malaise. Ils sont embêtés par certains petits détails : "Je n’aime pas cette cuisine-là", "cette façon de s’habiller", etc. L’universalisme, pour moi, ce n’est pas l’idée d’une valeur de l’universel régnant partout qu’indiquent les ouvrages publiés par l’Unesco : la culture mondiale, la vision béate d’un patrimoine culturel universel… Je déteste tout ça. Je crois que la seule universalité, c’est l’universalité de la lutte sociale et politique, le front commun qui permet une identification, une solidarité authentique. Je n’aime pas les libéraux de gauche, les multiculturalistes qui disent : «On doit comprendre l’autre.» Non, je ne veux pas comprendre l’autre, je m’en fous. Mon idéal, ce n’est pas de vivre dans un immeuble où il y a une famille viet, une autre latino, une autre noire. Bien sûr, j’y vivrais bien, mais, comme l’a dit Peter Sloterdijk, on a besoin d’un "code de discrétion". C’est ça l’antiracisme authentique : une "ignorance", une discrétion très polie, un respect. Je veux vivre dans une ville avec toutes les cultures, mais je pense qu’elles doivent garder une distance, et que ce n’est pas une mauvaise chose.»
Dawkins, Sheldrake, Deepak Chopra
Il y a sur You Tube des débats intéressants entre Dawkins et Deepak Chopra (en face à face) et entre Dawkins et Sheldrake (par des voies plus indirectes). Je vous invite à les regarder. Ayant été longtemps un admirateur de Dawkins, je me garderai de le critiquer et de condamner le rationalisme militant, qui garde son utilité. Mais il faut reconnaître que dans un univers composé de 95 % de matière noire dont on ne sait rien, la défense des lois de la physique telles que nous les connaissons doit rester prudente, plus prudente que celle que mène Dawkins. Pour le reste Dawkins a raison de tenir à "séparer" les registres, la séparation étant, comme l'a souligné Benveniste, la raison d'être de la science au risque de l'enfermement dans l'ultraspécialisation, mais je suis enclin à penser que cette cause de la séparation doit être conçue en des termes plus dialectiques, plus hégéliens, plus dynamique, et donc finalement inclusive (jusqu'à inclure la foi aussi), mais ce serait un peu difficile à expliquer ici.
Je découvre (honte à moi !) Sheldrake. Son panthéisme est séduisant, mais instruit par GW Hegel et Jakob Böhme (je suis indécrottablement germanophile), je pense, à la différence de Sheldrake, que Dieu est dialectiquement au delà du monde, tout en étant dedans, ne serait-ce que du point de vue historique (il est nécessairement hors du temps). La passion de l'immanence chez Sheldrake le conduit d'ailleurs à nier que la mémoire puisse exister sans support matériel et hors des interactions (il condamne par exemple l'idée d'une mémoire akéshique). En cela (et dans sa manière par exemple de créditer les astres d'une conscience, mais de refuser la conscience à l'immatériel), on le situerait plutôt sur les rivages du stoïcisme qui, sur le terrain de l'épistémé, me paraît un peu faible. Encore un effort !