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Le blog de Frédéric Delorca

L'amortissement par les technostructures

19 Février 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

C'est une phénomène assez général qui n'est étudié que par bribes : ce que je nommais dans le précédent article "l'amortissement par les technostructures". Le mécanisme est complexe est subtil, mais il maintient la paix civile en Europe depuis au moins vingt ans malgré le cynisme et l'aveuglement des élites. engrenage.jpg

Le principe est celui-ci : on spolie les individus, les groupes, les nations, d'éléments essentiels de leur mémoire, et de possibilités d'agir sur leur avenir - on développe une règlementation anti-démocratique, on noie la politique dans des effets d'image, on détruit tous les cadres habituels de pensée (et pour ce faire on va même jusqu'à détruire des pays comme la Yougoslavie). Puis, on s'arrange pour désarmer toute possibilité de riposte, en rendant l'individu dépendant du système : on l'incite à s'endetter, on le rend accro à la pub, aux slogans, on lui fait miroiter des biens qui lui font oublier sa dignité (le "supplément de pouvoir d'achat" qui permit à Sarko d'être élu, "l'adhésion à l'Union européenne" qui poussa les Serbes il y a un mois à élire un candidat  à la convenance de Bruxelles et de Washington). Le phénomène dans le détail est très complexe. Le sociologue Niklas Luhmann l'a par exemple étudié sur le terrain juridique : en multipliant les procédures un peu partout, a-t-il noté, on prend les gens au piège des structures institutionnelles. Au lieu d'infliger des mesures unilatérales, on fait semblant de consulter. Ainsi l'individu qui a eu l'impression d'avoir mené une bataille pour se faire entendre, intériorise sa défaite comme un échec personnel qui le diminue à ses propres yeux. Les procédures consultatives deviennent un instrument par excellence d'écrasement des oppositions (de sorte que, lorsque le pouvoir redevient ubuesquement unilatéral, comme par exemple lorsque Mme Dati impose sa réforme judiciaire sans consulter personne, on retrouve une forme d'espoir : des oppositions plus solides naîtront).

Quand on essaie d'anticiper l'évolution des situations politiques, on sousestime toujours l'incroyable pouvoir d'amortissement de leurs propres erreurs et de leurs crimes que les élites mettent en oeuvre via les technostructures. Aussi n'est-il pas du tout impossible que les technostructures finissent par "endormir" les crises frontalières que le crime de la reconnaissance du Kosovo ne manquera pas de provoquer. Peut-être l'Union européenne parviendrat-elle a assoupir les Albanais de Macédoine, les Serbes de Bosnie, les Transnistriens, les Russes, les Turcs, les Basques, les Bretons, les Flamands, que-sais-je encore, en les traînant de commissions en commissions, de cour des droits de l'homme en grand forum européen des minorités, d'OSCE en UEO, et de G8 en sous-commissions de l'ONU. L'aptitude du système à provoquer des palabres, des signatures de protocoles, tout en débloquant ici où là des fonds qui entretiennent l'espoir est immense, et surprend toujours les pronostiqueurs les plus pessimistes. C'est ce pouvoir là qui enivre les dirigeants européens et les entretient toujours dans l'idée confiante que "une fois de plus ça passera". Avec Lisbonne, avec le Kosovo, avec tout le reste. Or qui peut dire à coup sûr qu'ils ont tort ?

Cependant on voit bien que sur le long terme cette machine à diluer le ressentiment dépossède les êtres sans rien leur donner en échange. On pressent alors que ce sera de deux choses l'une : soit les technostructures transformeront totalement les Européens en parfaits consommateurs décérébrés, déstructurés (voyez Vivre et penser comme des porcs de Chatelet), sans espoir politique ni sens de la dignité, soit la machine à amortir se grippera et le système s'effondrera. Vous pouvez le jouer à pile ou face.

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