Quand l'Occident ne dominera plus le monde
7 Août 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme
L’émergence progressive (même si elle est encore balbutiante) de pays comme la Chine et l’Inde, commence à nous faire entrevoir la possibilité d’un profond déclin de l’Occident, un déclin qui peut prendre diverses proportions – l’Occident peut rester dynamique, tout en étant « un peu moins riche » que l’Asie ou au contraire devenir une terre de désolation durablement marginalisée, comme l’Italie après la conquête ostrogothe.
Ce déclin de l’Occident, s’il se réalise véritablement, et dans des proportions importantes, libèrera-t-il des possibilités nouvelles pour des continents qui furent longtemps victimes de son exploitation économique comme l’Amérique du Sud ou l’Afrique ? C’est ce qu’espèrent nombre de leurs gouvernants qui déjà réorganisent leurs flux d’échange en direction de l’Extrême-Orient. Il est très difficile de savoir si la mort de l’impérialisme occidental, à la supposer inéluctable (ce qui à mon avis est loin d’être le cas) laissera la place à de nouveaux impérialismes, aussi féroces ou aussi pervers que celui que les Européens, puis les Euro-états-uniens ont imposé pendant plusieurs générations.
Il ne fait aucun doute en tout cas qu’après la mort politique et culturelle de l’Occident, les chercheurs ou les penseurs qui viendront auront à évaluer son rôle d’une manière assez différente de celle dont nous le faisons nous, en situation, lorsqu’il s’agit de dénoncer les guerres du Pentagone ou les traités inégaux qu’impose l’Europe.
Dans la mesure où l’Occident sera devenu inoffensif, l’humanité, affranchie de sa menace, sera peut-être encline à plus d’indulgence à l’égard de l’Ouest.
Toutefois, je crois que, sauf si la Chine ou l’Inde se muent en des puissances terroristes assoiffées de sang comme le fut l’empire aztèque, ce qui relativiserait, par effet de contraste la violence des conquêtes occidentales (mais on ne voit pas pourquoi cette hypothèse se réaliserait), ce que l’on retiendra de l’expérience occidentale sera son extrémisme, l’absence totale de concession qui aura présidé à son développement, pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur, ç’aura été sans doute la reprise de l’héritage rationaliste grec et une manière de le faire triompher contre les us et coutumes traditionnels jusqu’à le placer au cœur même du système économique et de toutes les relations interpersonnelles. Et ce meilleur aura été aussi le pire, puisque, en permettant un développement des technologies, il aura poussé leur détenteur à conquérir l’ensemble de la planète sans aucune considération pour les voix des peuples qu’ils asservissaient.
La source de cette intransigeance occidentale résidait-elle précisément dans les fondements de sa pensée (métaphysiques, grecs, radicalisés par le christianisme, lequel, sur le volet de l’intransigeance, était le revers de la même pièce que l’athéisme militant) ou résulta-t-elle de la force économique que lui conféraient son avance technologique ? Il est possible que ces deux facteurs se soient mutuellement renforcés. Le caractère maritime de l'Europe, simple péninsule de l'Eurasie est aussi un facteur qui explique sinon l'intransigeance, du moins la démesure de sa politique de conquête (la Chine lorsqu'elle eut les moyens maritimes d'une conquête des Océans, au 12 ème-13 ème siècle s'est bien gardée d'en faire usage, pour des raisons qui mélangent géographie et idéologie).
Il est assez peu probable que les peuples du monde puissent être un jour reconnaissants au rationalisme occidental d’avoir détruit toutes les cultures traditionnelles pour les remplacer par un système d’optimisation des profits et d’absolutisation de l’individu-consommateur. Car même s’ils admettent que ce déracinement a entraîné des progrès alimentaires, hygiéniques ou dans la connaissance objective de la matière et des perspectives collectives de l’humanité, ils reprocheront sans doute à la culture occidentale d’avoir mené cette révolution planétaire tambour battant, sans aucun souci de la discussion et du partage équitable des bienfaits du progrès (car si l’on nous parle aujourd’hui, en Occident, des « bienfaits de la colonisation », ou des « bienfaits » actuels du néo-impérialisme en terme de niveau de vie pour les populations du Sud, on oublie toujours que ce sont là des « bienfaits » inéquitables, arrachés par les colonisés, ou qui leur retombent dessus d’une manière collatérale, avec un temps de retard, mais sans aucun souci de justice et de respect réel de leur point de vue). Les voix d'intellectuels qui s'élevèrent à chaque étape des crimes commis de suffisant pas à exonérer les systèmes occidentaux de leur responsabilité en la matière.
L’épopée occidentale apparaîtra ainsi comme une entreprise collective un peu folle, qui n’aura véritablement profité à tout le monde que par une « ruse de la raison » (et notamment par la ruse des peuples opprimés qui auront retourné contre l’Occident ses propres armes).
Ce qui atténuera sans doute principalement la sévérité collective de l’humanité à l’égard de l’expérience occidentale (et qui déjà l’atténue), est que son héritage est à la charge de tout le monde (autrement dit les crimes de l'Occident sont présents en filligrane dans la culture commune que le monde entier partage désormais, et donc dans cette mesure, tout le monde hérite de ses crimes), et que c’est un héritage irréversible. La possibilité de fonder un système économique sur le seul profit commercial, la négation des dettes morales familiales, la relativisation de l’affect au profit de la rationalité pragmatique et de la pulsion de consommation ont été tant et si bien semés sur les cinq continents (même si les peuples dominés n’excellent pas autant que leurs oppresseurs dans ces domaines) qu’il est vain de rêver au retour des « valeurs traditionnelles ». Tout ce que peuvent faire les peuples du Sud, c’est « bricoler » des mix de valeurs traditionnelles (à travers l’Islam, les « valeurs africaines », ou les « valeurs asiatiques ») et de modernité occidentale, mais qui, dans tous les cas, doivent malgré tout « quelque chose » à la folle aventure occidentale.
Etrangement il semble que le jugement le plus radical que l’humanité pourrait porter sur l’Occident à l’avenir serait un jugement construit sur les bases d’un cataclysme (une guerre nucléaire ou un désastre écologique). L’anéantissement total du système capitaliste dans ce genre de catastrophe, s’il faisait renaître des sociétés à base traditionnelle, pousserait sans doute celles-ci à reconnaître dans l’expérience occidentale une aberration complète au sein de l’aventure humaine, une aberration telle qu’elles la trouveraient complètement étrangère à la condition « normale » de notre espèce (à supposer d’ailleurs que ces peuples aient suffisamment de sens historique pour pouvoir s’intéresser à cette expérience qui sera enfouie très loin dans leur passé).
FD
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