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Le blog de Frédéric Delorca

Les Contes de Canterbury

20 Août 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Cinéma

Je prépare un bref voyage à Canterbury, dans le Kent. Cette ville est célèbre au moins pour deux choses : Saint Thomas Beckett assassiné dans sa belle cathédrale (ce qui fit de celle-ci la destination d'un important pélerinage) et les Contes de Canterbury par Chaucer (qui se présentent comme des contes de pélerins sur le chemin de la cathédrale).

 

Sur Saint-Thomas-Beckett, il y aurait beaucoup à dire - beaucoup plus que la fiche Wikipédia qui ne permet pas du tout de comprendre pourquoi cette homme a été canonisé puisqu'elle se termine même en disant qu'il fait partie des Anglais les plus détestés dans son pays (sic). Il fait partie des hommes que des auteurs comme Chateaubriand et Custine ont sans doute adorés. Homme de pouvoir et de fastes en tant que chancelier du roi d'Angleterre, il épouse la cause de l'église et de l'ascèse dès qu'il devient archevêque de Canterbury et s'oppose au pouvoir séculier. Il fait partie lui aussi des perdants de l'histoire, mais son destin fait s'interroger sur ce qu'aurait été l'Europe si, au lieu de prendre le chemin qu'elle a pris (celui d'être un espace d'Etats laïcisés), était devenue un empire ecclésiastique. Peut-être aurait-elle présenté certains traits qui surprennent Custine dans l'Espagne des années 1820 : le côté "règne des clochards" par exemple. Nous aurions été sans doute un continent de "renonçants". Peut-être plus "tibétain" en un sens (malgré le phénomène des moines paillards, qui aurait peut-être été moindre).

 

pasoliniEn ce qui concerne les Contes de Chaucer, j'ai commencé à voir ce que Pasolini a voulu en faire. On est frappé par la prééminence que le cinéaste accorde dans ce film aux culs : il n'y a pas d'autres mots, je crois qu'on manquerait sa visée si l'on parlait de popotins, de postérieurs ou de fesses. Plus que dans tout autre film, c'est un langage des culs qu'il essaie de mettre en musique si l'on peut dire, dans sa dimension aussi bien génitale que scatologique. Par exemple quand le marchand Janvier est attiré par sa promise Mai, ce n'est pas par son visage qu'il est séduit, mais par son arrière-train qui se présente spontanément dénudé à lui. Le procédé est aussi repris quand les étudiants rencontrent la femme et la fille du meunier. Ninetto Davoli dans un supplément du DVD explique que Pasolini a voulu restituer la truculence de l'anglais médiéval, quelque chose qui pourrait faire penser au français de Rabelais. Mais c'est une mystification. Quand on lit Chaucer, évidemment il y a de la scatologie (dans le Conte de l'Huissier par exemple). Mais il n'y a pas la même omniprésence des fessiers. D'abord parce que les contes sont entrelardés de beaucoup de considérations philosophiques et de références aux auteurs classiques que Pasoloni a sabrées. Et puis parce que les processus de séduction y sont bien plus convenus que chez Pasolini (même si les prises de possession sexuelles sont tout aussi rapides) : dans le Conte du Marchand, Janvier tombe bien amoureux du visage de Mai, et non de son postérieur.

 

Quand on regarde les Mille et une nuit, on devine un projet politique chez Pasolini de définir l'amour sous un jour plus "primaire", et plus enfantin en un sens que tout ce que la tradition littéraire en a fait : l'amour n'est rien d'autre que le cri d'Ali Shar recherchant sa Zumurrud par monts et par vaux. De même on peut se demander s'il n'y a pas dans les Contes de Canterbury un projet politique chez lui de remplacer les visages par des fesses, et de faire en sorte que l'essence des rapports sociaux passe par là. Projet carnavalesque d'inversion des valeurs diraient certains. Sauf qu'il ne s'agit pas de remplacer la tête par le ventre (qui pour le coup serait la version la plus orthodoxe de l'inversion). Il faut poser les fesses en "tiers parti" ou "tierce instance" entre les deux, et les porter au pouvoir. Intéressante économie du corps qui s'accompagne d'une façon de le filmer très différente des conventions de la pornographie moderne, et au fond plus compatible avec la possibilité de sauver du récit, donc de sauver du projet politique, sans asservir celui-ci à la fascination médusée du gros plan sur le corps.

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