Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

"The Plato cult" et la foi dans les philosophes

14 Avril 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Je parcourais aujourd'hui, sur les conseils du Scientifique belge, "The Plato cult and other philosophical follies" de l'Australien David Stove, en vente pour 19 euros sur Amazon, un très bon livre qui décape tout ce que la philosophie porte d'idéaliste de Platon à Popper en passant par Kant. Le livre a été justement encensé par Daniel Dennett, WV Quine, et tout ce que la philosophie américaine compte ou a compté de grands noms à la fin du 20 ème siècle (Stove a toutes sortes de qualités, sauf sur le plan politique : c'est un fieffé conservateur). Il est temps que les Français le traduisent !

Pour des raisons qui tiennent peut-être à mon idiosyncrasie personnelle, je suis au fond plus intéressé par les tentatives de démystifier les religions philosophiques, que les grands débats, à la mode dans le monde anglosaxon en ce moment, sur les religions tout court (leur utilité, leur danger - songez au dernier livre de Dawkins sur ce thème par exemple). J'ai adhéré, je l'avoue, à ce vice qui consiste à "diviniser" (ou presque) les philosophes, auxquels nous prêtions jadis toutes les vertus intellectuelles, aux pensées desquels nous accordions toute notre foi. Moi et mes condisciples considérions leur pensée comme des tableaux. Nous les choisissions selon nos goûts, renonçant à leur appliquer notre raison critique, et, qui plus est, leur accordions de surcroît une valeur de vérité objective - ce qu'heureusement personne n'accorde à l'art.

Je me demande aujourd'hui pourquoi nous étions allés si loin dans le culte des grands philosophes (et pas seulement nous, mais avant nous tous les autres philosophes, depuis que la philosophie est philosophie). Cela incontestablement nous aidait à vivre, et à supporter les inquiétudes de notre jeunesse. Sans mon cursus de philosophie à la Sorbonne, je n'aurais sans doute supporté ni Sciences Po (où j'étudiais en parallèle), ni ma solitude, ni la nullité de mon statut social, alors pourtant que l'enseignement sorbonnesque était des plus rébarbatifs. J'avais besoin de cette proximité avec Kant, avec Nietzsche, avec Heidegger, avec des problématiques que je croyais plus radicales et plus élevées que celles qui travaillaient les autres jeunes de mon âge. C'était peut être de l'ordre de la consolation philosphique à la Boèce. Je me consolais d'une existence en pointillés.

Aujourd'hui je trouve surtout chez des anglo-saxons comme Chomsky, Dennett, Stove, Dawkins, une très grande capacité à réfuter en bloc des pans entiers de bibliothèques sans même se donner la peine de les lire (la "dismissive attitude", comme on dit). Russell aussi était comme ça. Cette façon de procéder n'a pas beauoup de succès en Europe continentale où, si les écoles de pensée s'affrontent sans se lire, elles se respectent néanmoins suffisamment pour faire mine de se juger l'une l'autre respectivement dignes de lectures. Peut-être parce que la philosophie continentale n'est pas engagée dans le même Kulturkampf anti-religieux que la philosophie anglosaxonne, ni animée par la même radicalité puritaine. Je pense que cette radicalité a du bon car elle permet de ne pas perdre de trop précieuses années à assimiler des théories qui sont fausses.

Stove en adresse le reproche aux marxistes, mais je crois qu'on peut mettre en oeuvre une critique semblable à l'égard de la pensée de Bourdieu, qui est une philosophie "laïcisée" dans un savoir empirique. J'ai passé beaucoup de temps (quelques années avant de ma lancer dans une thèse de sociologie, que j'ai d'ailleurs rédigée en commençant à perdre la foi, comme j'avais perdu la foi chrétienne quelques mois avant la confirmation). Avec le recul, je pense que j'aurais dû abandonner le bourdieusisme plus tôt. Garder du bourdieusisme ses intuitions puissantes sur la "domination symbolique" mais laisser de côté tout le côté systématique de cette pensée, qui était aussi son côté le moins honnête (le plus chargé en "pirouettes" intellectuelles). Mais c'est la peur qui a retardé cet abandon, comme elle peut retarder l'abandon d'une religion. On hésite à cesser de croire en Dieu par peur de la vie que l'on devra endurer après la perte de cette foi (c'est la même chose aussi dans la passion amoureuse). J'avais peur qu'en cessant d'être bourdieusien je deviendrais un connard de droite, résigné devant les injustices de ce monde.

C'est une erreur. On affine d'autant mieux sa compréhension de l'humain, et donc sa force critique sur le plan politique, qu'on refuse les dogmes.

La difficulté est ensuite de ne pas être humainement trop sévère avec les pensées qu'on a réfutées, sans pour autant rationnellement les réhabiliter. Je n'ai pas d'affection pour Marx, je ne sais pas trop pourquoi, mais j'en ai gardé une pour Bourdieu, peut-être parce que je comprends mieux l'époque dans laquelle il a vécu, son contexte social et affectif. J'ai aussi, je l'ai déjà dit sur ce blog, une grande sympathie humaine pour Platon, et pour sa façon de positionner la philosophie dans le contexte humain de son époque. Mais la sympathie vient quand la passion est morte. Elle porte le costume du deuil.



Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article

J
Bonjour,  merci pour cet article (et les autres par ailleurs). Il faudra que vous nous expliquiez un jour pourquoi vous n'êtes plus Boudieusien. Vous avez travaillé dans quel domaine en socio? Merci,JD. 
Répondre
S
Bonjour, merci pour ce bon article et que pensez vous d'Aristote?tout ceci est teinté d'idéalisme en fin de compte n'est ce pas?
Répondre
F
<br /> Oui, bien sûr. Tout ce système des causes et de la finalité, sa théorie de l'âme relevaient de l'idéalisme philosophique, même s'ils avaient l'avantage sur Platon de tenir compte plus<br /> précisément des observations empiriques (là où Platon se focalisait sur la géométrie), lesquelles ne permettaient pas de comprendre aussi bien la logique de la matière qu'aujourd'hui.<br /> <br /> <br />