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Le blog de Frédéric Delorca

Pussy Riot, les valeurs affectives, la narrativité

22 Août 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous

Je ne l'aurais pas cru (vu ma méfiance actuelle à l'égard de la "pensée 68"), mais le rapport à la sexualité (qui est en réalité un rapport à l'individualité, puisque, décidément, la sexualité reste un facteur de construction de soi face au groupe) demeure très influent dans la définition des positionnements politiques. Tous les articles que je lis en ce moment pour défendre la Russie de Poutine dans l'affaire de Pussy Riot sont marqués par une haine sous-jacente de la culture punk (très gentiment louée dans la comédie "Le Grand Soir" signalons le au passage). Un ami anti-impérialiste qui se dit pourtant de gauche, qualifie dans un message privé les filles de ce groupe de "petites putes".

 

Franchement je trouve cela nul. La mobilisation internationale pour ce groupe ne m'enthousiasme pas parce qu'elle sera sans doute récupérée, une fois de plus, par le Big Business d'USAID, de la fondation Soros, et des multinationales, mais je ne suis pas non plus d'accord avec l'hostilité que les réacs déploient en ce moment. La contestation de l'ordre par l'exhibition sexuelle est une valeur prisée par les anarchistes, c'est une valeur qui a acquis sa légitimité au fil de dernières décennies. Bien sûr elle ne peut pas être généralisée car elle perd alors de son sens. Mais tant qu'elle s'affirme par des voies artistiques (et nul ne peut douter des ambitions artistiques des Pussy Riots) elle reste respectable en soi. On ne peut pas dire "c'est une valeur de bobo, tout juste bonne pour les lecteurs de Libé ou du Nouvel Obs", parce qu'alors cela signifie qu'on entretiendra éternellement les classes populaires dans la haine de ce genre. Au nom de quoi ? D'un sacro-saint Ordre moral ? La récupération marchande de la subversion ne doit pas renvoyer aux conservatismes d'antan.

 

P1000086-copie-1.JPGSi vous n'avez qu'un seul texte à lire sur le sujet, voyez l'interview de Joël Bastenaire ancien attaché culturel à Moscou et spécialiste du rock russe. Il a notamment le mérite de comparer le régime de Poutine au Second Empire français sur le plan du pluralisme politique (vous vous souvenez peut-être que je m'étais demandé pourquoi une communiste comme George Sand avait pu garder sa liberté sous Louis Napoléon Bonaparte, et comment un autre communiste, Anatole France, pouvait avoir la nostalgie de la liberté de pensée sous le Second Empire, les remarques de Joël Bastenaire sont utiles pour comprendre la version "soft" du césarisme, la version "hard" étant le fascisme).

 

Et laissez de côté toute la littérature sur les "complots de la CIA" et autres qui intoxiquent ceux-là même qui s'en font les chantres.

 

Au milieu de tout cela je tombe ce matin sur une intéressante étude sociologique (dont à l'instant je ne trouve hélas plus l'adresse URL) sur les moeurs affectives des Français. Les jeunes ne rêvent pas de libération sexuelle comme les soixante-huitards, ils veulent de la stabilité des affects, mais tout autour d'eux va dans le sens de la précarité, non seulement leurs jobs, mais ils voient aussi que le taux de séparation des couples n'a jamais été aussi élevé qu'aujourd'hui. Contradiction patente qui, nous disent les enquêtes, voue les gens à fétichiser leur progéniture (pour le meilleur et pour le pire de ce qui en résultera pour celle-ci), comme seul facteur de stabilité. Les causes de cette évolution sont connues : récupération mercantile et hygiéniste du corps, coupure de la sexualité de tout schème narratif (du story telling si on veut). N'en doutons pas, c'est la crise du schème narratif qui est en cause ici ! On ne peut plus rien créer autour du corps, sauf des happenings nihilistes à la Pussy Riot, parce que le "sens de l'histoire" fait défaut (non pas celui de la grande Histoire, mais des histoires au quotidien, dans le quotidien). Moralité : il est grand temps de réhabiliter la fiction ainsi l'affect de chacun trouvera des voies de créativité et de libération quand même plus intéressantes qu'un "vivement Noël avec mes enfants"...

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