Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Frédéric Delorca

Une trace yougoslave effacée : "Ca commence par un péché" (1954)

24 Juillet 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Peuples d'Europe et UE

La chronique cinéma de La Vie parisienne de juillet 1956 relève ceci:

 

ca-commence-par-un-peche.jpg"Un film yougoslave, Ca commence par un péché, fait actuellement les délices des amateurs de sensualité rustique.

 

On ne doit pas s'embêter au pays de Tito, pensent les spectateurs en assistant aux assauts désordonnés que Peter Carsten livre aux très belles (et peu rebelles) Ruth Niehaus et Laya Rakz.

 

En quoi d'ailleurs ils se trompent, car le scénario de Ca commence par un péché est tout bonnement tiré d'une nouvelle de notre Maupassant, La Fille de ferme".

 

Ca commence par un péché (The beginning was sin en anglais) est un film du cinéaste Frantisek Cáp, né en Bohème et mort en Slovénie, qui a 41 ans lors de la sortie de ce film en Yougoslavie (en 1954). Sa fiche sur  Internet Movie data base précise qu'il est sorti le 8 juin 1956 en France. Pour cinéfiches, ce n'est pas un film yougoslave, mais allemand...

 

Un cinéaste né dans la bohème autrichienne, et mort dans la Slovénie yougoslave est-il un yougoslave ? Grande question. Il semble que pour les Français de 1956 en tout cas, le film fût sans équivoque yougoslave. Certes il est sorti à Vienne un mois avant de sortir à Ljubjana, mais si c'est le critère, il faudrait le qualifier plutôt d' "autrichien" (car les Allemands de RFA ne l'ont découvert, comme les Français, qu'en 1956). Pour Wikipédia, Cap est tchécoslovaque. Les acteurs sont allemands, la production est à la fois allemande (Saphir films) et yougoslave (Triglav films basé en slovénie). Incontestablement l'empreinte germanique est forte, chacun se fera sa propre opinion sur la manière opportune de classer cette "oeuvre".

 

Si le public parisien se rinçait l'oeil devant ce film en rêvant de liberté sexuelle yougoslave, celui-ci ne semble guère avoir marqué l'histoire du cinéma puisqu'on ne trouve même pas un résumé de l'intrigue sur le Net.

 

En slovène, le titre de "Ca commence par un péché" s'écrit "V zacetku je bil greh". Chose étrange, en 1962, un film sortira avec les mêmes acteurs sous le titre Greh. Peut-être une adaptation pour la TV du film de 1954. Le pitch est un peu différent de la description de la Vie parisienne. Si celle-ci juge que Ruth Niehaus n'était pas "rebelle", selon Movies.tvguide elle est "raped" (violée) par Carsten... Le film a-t-il été "durci" dans le remake de 62 ou la version initiale a-t-elle été édulcorée par le machisme hédoniste de La Vie parisienne ? Pour le savoir il faut sans doute se reporter à la nouvelle de Maupassant qui inspira directement le scénario initial.

 

Au sujet de ce film on ne peut que se perdre en conjectures. Le compositeur de la musique était Bojan Adamic, un slovène, il y a une danseuse gitane, les personnages ont des prénoms yougoslaves. On peut supposer que cette transposition de Maupassant en Slovénie donnait au public allemand une image pittoresque de leur arrière-cour balkanique. Que le public français ait dû attendre deux ans pour découvrir ce film n'est pas très surprenant (d'ailleurs sans doute n'aurait-il jamais vu cette bizarrerie qu'il croyait purement yougoslave si elle n'était inspirée d'une nouvelle hexagonale). Qu'il en ait fallu autant en RFA est étrange.

 

Je suis évidemment, à titre de curiosité, preneur de toute information supplémentaire sur ce film disparu de nos archives.

 

-----

 

NB : puisque nous parlons de Yougoslavie, je signale que je suis choqué par la présentation que le magazine Philosophie de mois-ci fait de Peter Handke :

 

"Peu d'écrivains auront autant marqué leur époque, tant par le tempo de leur prose que par leur aptitude à saisir les émotions. Depuis quinze ans, cependant, l'Autrichien Peter Handke s'est en partie discrédité par ses déclarations sur le conflit en ex-Yougoslavie. Pour prendre du recul sur son parcours, à l'heure où il publie quatre nouveaux livres en France, nous l'avons rencontré dans sa retraite des environs de Paris."

 

L'incise sur la Yougoslavie dans cette introduction est scandaleuse. A supposer même que Handke ait tort sur la Yougoslavie (ce que je ne pense pas), il est totalitaire de coller ça dans la moindre présentation de cet auteur. Une revue littéraire aurait-elle eu la goujaterie dans les années 60 de présenter Malraux comme quelqu'un qui s'est "en partie  discrédité par ses écrits sur les communistes dans les années 1930" ? Ses opinions politiques sur tel ou tel sujet n'ont pas à figurer dans la présentation de cinq lignes d'un auteur car une oeuvre ne se résume jamais à cela, et même lorsque la politique semble consubstantielle à l'oeuvre, il faut alors laisser à l'écrivain le bénéfice du doute, surtout sur un sujet aussi complexe que la Yougoslavie. Je suis aussi en total désaccord avec la présentation faite par un documentaire sur l'histoire récente du Kosovo diffusé par une chaine parlementaire la semaine dernière. Un mensonge répété cent fois ne fait pas une vérité.

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article