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Le blog de Frédéric Delorca

Marx, Foucault, Habermas, leurs lecteurs indiens, Darwin

19 Octobre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Philosophie et philosophes

Un collègue me passe, de temps en temps, "Actuel Marx", ce qui a le mérite de m'obliger à revenir un peu à la philosophie - ce que je n'ai guère fait sérieusement depuis la publication de mon livre sur Nietzsche en 2004.

 

J'y retrouve toutes sortes de considérations - de déviations et d'enrichissement - du marxisme contemporain qui va chercher du côté de Gramsci, d'Habermas, de Foucault, de Derrida et même de Banjamin des moyens d'assouplir et de complexifier ce qu'il y eut de trop mécanique dans le léninisme ou d'autres versions de ce courant.

 

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Il faudra un jour que je revienne à la question du marxisme qui ne peut pas être balayée d'un revers de main. Je continue de penser qu'il y a un problème fondamental dans le marxisme, c'est son héritage hegelien. C'est une manière de traiter en des termes métaphysiques l'activité sociale humaine en forgeant des concepts totalisants autour des rapports sociaux comme la métaphysique classique en forgeait sur la nature des choses (sur l' "être" pour parler vite).

 

L'héritage métaphysique est un biais de la pensée, quoique Marx ait tenté de le corriger par la mobilisation de connaissances plus empiriques comme en fournit la science économique par exemple.

 

En même temps, je ne partage pas le radicalisme d'un Bricmont selon lequel faire de la philosophie serait superflu, ou ne servirait à la rigueur qu'à se prémunir de la (mauvaise) philosophie des autres.

 

Or la philosophie peut-elle complètement éviter les totalisation hasardeuses ? Dans Marx il y a sans doute à sauver la valorisation du substrat matériel comme condition de possibilité des représentations et du devenir politique (à condition de corriger Marx par Gramsci, l'Ecole de Francfort, et même Bourdieu pour rendre à la sphère intellectuelle une autonomie partielle), et la problématique de l'aliénation de l'individu dans son travail, celle de la domination de classe, des possibilités d'émancipation par sa subversion, d'une certaine "dialectique" qui se joue dans les dépendances mutuelles entre dominants et dominés (à condition de ne pas sacraliser cette dialectique, et d'éclaircir ces notions floues de dominants et dominés, que j'emprunte d'ailleurs plus à Bourdieu qu'à Marx), peut-être aussi la réflexion sur la fétichisation.

 

Mais il faut ménager dans l'étude des relation sociales des aspects qui transcendent l'historicité des rapports de forces pour s'ancrer dans une historicité plus lente - celle de l'évolution naturelle. Tel est le cas notamment des rapports de genre, du sens de l'éthique et de la justice, de la rationalité théorique ou pragmatique. De ce point de vue là par exemple j'approuve l'effort de l'Allemande Sonja Buckel dans Actuel Marx du premier semestre 2010 pour - à partir de Gramsci et de Luhmann - dégager une autonomie relative de la forme juridique comme espace intellectuel potentiellement disponible pour une appropriation par les dominés (mais alors il faudrait remonter jusqu'à la transcendance du sens de la justice et de l'éthique chez l'humain, transcendance que l'article suivant de Massimiliano Tomba va chercher dans les apories d'une politique abandonnée à ses propres valeurs mais qu'il faut ancrer dans les dispositions neuronales du cerveau comme le fait Dawkins). Je pose ceci en précisant que je reste malgré tout assez réservé devant l'enthousiasme contemporain pour le néo-darwinisme, et d'autant plus sceptique lorsque je lis Fodor. Au fait : Marx a beaucoup aimé les livres de Darwin, paraît-il.

 

Un texte intéressant aussi dans cet Actuel Marx n°47, celui de l'indien Ranabir Samaddar "Lire Foucault à l'ère postcoloniale" qui explique étrangement que les marxistes indiens pouvaient moins adhérer aux théories du dernier Foucault sur la gouvernementalité et la biopolitique parce que cette forme là (non disciplinaire) de la modernité ne fonctionne pas dans les pays du Sud.

 

1majmumbai.jpgLes marxistes indiens m'intriguent toujours. Cela me fait penser qu'en février dernier (comme le temps passe !) je voulais vous dire un mot de "Can subaltern speak" de Gayatri Chakravorty Spivak, un livre indien qui critique encore plus vertement le foucaldisme. J'avais jeté quelques notes dans le brouillon de ce blog mais n'avais pas pu les publier. Il s'agit d'un ouvrage assez ancien (1988) récemment republié, dans une traduction française d'un certain Jérôme Vidal (le sieur Sébastien-Budgen-de-Cambridge-et-de-la-LCR, que j'ai rencontré en 2006 pour la publication de l'Atlas alternatif en anglais, a aussi trempé dans cette entreprise). Ce genre de texte est une bible des postcolonial studies aux Etats-Unis, et, pour cette raison, il est aussi cité par certains petits bourgeois intellectualisants de la mouvance des Indigènes de la République.

Spivak, qui est une grande lectrice et traductrice de Derrida à Columbia University, commence par une attaque en règle contre les théories de Foucault et de Deleuze qui, selon elle, en introduisant une vision totalisante du désir et du pouvoir, et en refusant l'idée qu'une idéologie de classe; pouvaient tromper les opprimés. Elles réintroduisent, dit-elle, une forme de subjectivité politique homogène, non probématique, qui désarme toute possibilité de révolte collective (Spivak estime même que Foucault et Deleuze de ce fait s'excluent de la gauche, et font le jeu du système capitaliste et colonialiste, tout comme le positivisme scientifique, en s'en remettant à l'expérience des acteurs).

Pour contrer cette vision de l'ordre politique, Spivak fait un retour par Marx, un Marx relu par Derrida dans lequel le "négatif" serait à l'oeuvre dans les consciences de classes au point de défaire toute subjectivité politique possible, au moins au niveau individuel, tandis que la composition de consciences de classes collectives serait une construction artefactuelle à rechercher à travers des procédures discursives.

Spivak reproche ainsi à Foucault d'avoir construit le sujet colonial comme un grand Autre en le dépossédant du coup de toute possibilité de se construire en sujet politique.

Je n'aime pas beaucoup cette inspiration intellectualiste derridienne qui, tout en refusant le logocentrisme, pense le monde comme texte et abuse de métaphore graphologiques : par exemple "le sous-texte du récit palimpsestique de l'impérialisme" (p. 38). Ce n'est pas seulement un problème stylistique : c'est un biais dans la façon de poser le problème lui-même. Il s'agit toujours de réintroduire le maître du texte (les petits intellectuels de la LCR, du PIR ou de Colombia university) dans le rôle des éclaireurs, ce que Foucault et Deleuze avaient au moins eu le mérite de vouloir briser. Mais je pressens aussi bien à travers Spivak qu'à travers Samaddar que les sociétés postcoloniales dans la problématique spécifique de leur émancipation sur fond d'une aliénation radicale - qui est celle de l'oblitération pure et simple de leur passé par le colonisateur - ont en effet de sérieuses objections à adresser au foucaldisme européen et à toute critique sociale qui prétendrait s'en inspirer.

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Quelques vidéos : Woerth-Bettencourt, Minc-Mathieu

18 Octobre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La droite

Woerth-Bettencourt, une petite vidéo qui fait rire jaune. Minc-Mathieu c'est carrément glauque : surtout la façon dont Minc interrompt Mathieu (qui ne lui avait pas coupé la parole) et cherche à le prendre de haut jusqu'au bout. Bourdieu toujours d'actualité sur ce coup là. Heureusement le syndicaliste a du répondant.

 

Je ne sais pas pourquoi ça me fait penser au film "Hors la loi" que j'ai vu récemment et qui a beaucoup de qualités mais un défaut : il place sur un pied d'égalité la violence de la police française en 1960 et celle du FLN. Or il y avait une hiérarchie du mépris entre la France et les Algériens de l'époque, qui condamnait les dominés à la violence. Les dominants eux, avaient d'autant moins le droit d'entrer dans la spirale - par le biais de paramilitaires - que leur police était justement censée être gardienne de la loi... Tenir la balance égale entre le FLN et la police française est aussi peu correct que le "ni ni" appliqué à la Palestine et à tant d'autres situations d'injustice dans le monde...

 

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Les vérités de Mélenchon et le fonds de solidarité avec les grévistes

14 Octobre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

Quelques vérités bonnes à entendre :

 

 

 

Notez aussi la proposition d'un fonds de solidarité avec les grévistes sur http://www.retraites-enjeux-debats.org/spip.php?article411

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A propos des manifs (suite)

13 Octobre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Programme pour une gauche décomplexée

Un ami marxiste m'écrit : "Dans la situation actuelle, je ne vois que deux aboutissements à terme : l'effilochement ou la grève générale et totale, genre mai 1968, ...qui permettrait d'annuler aussi toutes les dettes (qui aujourd'hui vont paralyser le mouvement : les gens sont étranglés par les rembourements de crédits). Grève insurrectionnelle de fait donc, "illégale", pour défaire le droit bourgeois au moins à cette étape, sur la question des dettes. Exiger de renflouer les surendettés comme le gouvernement a renfloué les banques.
 
Je pense que le prochain cheval de bataille de la lutte de classes devrait être le combat contre le crédit, l'usure et le surendettement. D'abord sur le terrains des aides auprès des personnes concernées, concrètement, puis de leur mobilisation pour une annulation des dettes et une suppression des taux de crédit usuraires ...bref une lutte contre l'essence même du capitalisme .."

 

L'argument est intéressant. On peut admettre, même sans être marxiste (je ne le suis guère pour ma part), que la base matérielle joue un rôle très important dans les grèves, même si elle n'est pas l'unique facteur.

 

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Pour ma part, je maintiens comme je le disais hier qu'on est à un point intéressant de la dramaturgie de l'histoire du peuple français. C'est sans doute une des dernières fois (une des dernières avant un hypothétique grand effondrement financier, mais ça nul ne sait s'il arrivera) où les Français peuvent tenter d'agir sur leur destin collectif par une action de masse, avant de tomber complètement dans le désespoir capitaliste (les dettes, la marchandisation de tout, l'atomisation, le cynisme généralisé).

 

Je crois qu'ils en ont obscurément conscience. Cette mobilisation ils ne peuvent pas se permettre de se la faire voler. En même temps leurs "élites" (à gauche) sont incapables de donner une forme quelconque à leur combat (même pas l'option "chaviste" de Mélenchon, qui est pourtant la moins mauvaise à gauche).

 

Ca ne peut basculer dans l'insurrection (la grève générale) que si la violence s'installe : contre les manifestants, contre les policiers etc, et surtout si la violence d'Etat empêche les classes moyennes de se coaliser derrière Sarkozy contre les "radicaux". L'entrée en lice des jeunes peut être un facteur d'introduction de cette violence. A condition que ceux-ci soient motivés pour faire payer à Sarko, à travers la question des retraites, tous les mauvais coups qui leur ont été infligés depuis des années (autonomie des universités et autre "réformes" anti-jeunes). Mais la retraite, sujet très éloigné des préoccupations d'un jeune de 20 ans, n'est pas forcément le meilleur thème... Heureusement Ségolène, toujours plus atypique que les caciques du PS, sait les remobiliser (cf ci-dessous).

 

Donc pour ma part je pense que la balance penche plutôt du côté d'un pourrissement de la situation à la grecque (avec tous les effets de désagrégation du lien social à long terme que ça impliquera) plutôt que de "re-gauchisation" même timide de la société (sans même parler d'insurrection) telle qu'on l'avait connue à la fin des années 1990. Mais il ne faut jamais parier sur le négatif. Donc voyons ce qui va "s'inventer" dans les semaines qui viennent.

 

 

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Jour de mobilisation

12 Octobre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

3 millions et demi de personnes étaient mobilisées aujourd'hui. La jeunesse commence à être au rendez-vous. Quelle Forme va prendre ce mouvement ? Les leaders de l'opposition sont-ils capables d'en faire une alternative poltique ? Ou tout cela va-t-il couler lamentablement dans le cynisme globalisé, comme il y a deux ans la révolte de la gauche alternative grecque ?

 

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Les gens qui descendent dans la rue aujourd'hui jouent leurs dernières cartouches, surmontent pour la dernière fois peut-être le lavage de cerveau ambiant qui les rive à une logique de survie et de fascination pour la trivialité, suspendus à leurs crédits bancaires, au mélange de peur du lendemain (peur de perdre son emploi, peur de la dégradation de l'éducation et des services publics pour ses enfants), de peur de l'autre, de ses voiles, de ses particularismes, de la violence (qui n'est pas qu'un épouvantail médiatique) et de dépendance à la consommation, aux technologies, à la fuite en avant. Une dernière fois peut-être les gens s'indignent, pointent vers la possibilité d'une société plus juste, plus vraie, plus solidaire.

 

Trop de "culture du larbin" (comme dit le pseudo-professeur Mehlang Chang), trop de magouilles, de tours de passe-passe, de foutage de gueule généralisé éveillent en eux ce dernier réflexe. Tout le monde pressent que quelque chose peut se passer, là, dans les semaines qui viennent. Quelque chose. Et peut-être aussi rien du tout. Un Strauss-Kahn, un FMI ex-machina peut juste venir calmer tout le monde, comme l'avait fait la "gauche plurielle" sans idée en 1997 après le grand mouvement de 95. Des choses peuvent bouger... ou bien tout le monde peut rentrer bredouille dans ses chaumières, embobiné,  floué, une fois de plus. C'est quitte ou double. Le grand Jeu de l'Histoire, une fois de plus.

 

Les boues toxiques de Hongrie, les grandes envolées pour la liberté d'expression en Chine ou en Iran ne peuvent plus détourner l'attention des Français de ce qu'il se passe à leur porte : de ces employés des raffineries et des ports autonomes qui arrêtent le travail, des lycéens qui descendent dans la rue. Ils peuvent aujourd'hui changer quelque chose dans leur société, cesser de jouir du fatalisme obscène, de la résignation, se réapproprier quelque chose de leur liberté collective spoliée. Le coulées de boue en Hongrie ne le leur fera pas oublier.

 

Que vont-ils faire ? Que peuvent-ils faire pour tracer leur sillon sans que les élites les trahissent ? Quel sera ce sillon ? Qui va le dessiner ? Ces questions sont derrière toutes le têtes ce soir. Et bizarrement personne n'ose les poser explicitement. On se demande juste s'il y aura des incidents, si le gouvernement remettra la réforme des retraites dans le circuit de la négociation sur des bases plus saines. Comme si renégocier la réforme était l'oméga, non l'alpha, comme si cela n'impliquait pas, aussi, une remise en cause profonde du mode de fonctionnement mondial, européen et national d'un modèle néo-libéral imposé systématiquement "par en haut". Quel chemin l'audace et l'imagination peuvent maintenant se frayer dans le choeur de mécontentements qui commence à faire boule de neige ? Et quel sens des responsabilités et du réel peut donner à ce chemin les moyens d'aboutir à une inversion durable dans notre pays, du rapport capital/travail, entourloupe/honnêteté, mépris/respect des gens, asservissement/liberté ? Voilà comment il faut maintenant formuler les questions pour les semaines qui viennent.

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