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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #ecrire pour qui pour quoi tag

Mon journal de 1997

10 Avril 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

saint jeromeJe m'en excuse auprès des lecteurs qui ne consultent ce blog que pour lire des considérations politiques ou sociologiques, mais il me faut aussi parler à ceux d'entre eux (même s'ils sont rares), qui prennent au sérieux ma prétention à faire de la philosophie, je veux dire à penser le sens de l'existence humaine, du rapport à l'autre etc, ceux qui, par exemple, ont lu  La Révolution des Montagnes et ne l'ont pas pris juste pour un divertissement. Ceux là ont beaucoup de mérite car je ne leur facilite pas la tâche. Et je ne la leur facilite pas, parce qu'on ne me la facilite pas non plus. Peut-être parce qu'à 20 ans j'ai fait Sciences Po plutôt que Normale Sup, parce que je n'ai jamais eu le confort de l'enseignant dont on loue le brio et dont on attend le écrits, je n'ai pu faire de la philosophie qu'à temps partiel, par intervalles, entre deux trains, sur le fil du rasoir. Je n'ai pas pu soigner mon style de pensée comme je le voulais, faute de temps, mais aussi faute d'avoir derrière moi des éditeurs importants qui croient en moi (puisque je n'ai jamais eu l'occasion de développer de réseaux solides dans ces milieux-là).

 

Pourtant je continue de penser que ma recherche philosophique, tâtonnante, maladroite, reste plus importante que tout le reste. Prenez le thème de la non-ingérence dans les relations internationales par exemple. C'est un thème qui est souvent défendu sans subtilité aussi bien par l'extrême droite que par l'extrême gauche, les uns parce qu'ils fantasment sur des "communautés" fermées sur elles-mêmes, les autres parce que simplement ils n'aiment pas le système capitaliste. Or la vraie légitimité de la non-ingérence, elle se trouve dans la dignité des hommes : incompatible avec la prétention de nos bourgeois à prendre des décisions et même donner des conseils au mépris de l'histoire et de la sensibilité de ceux qui vivent à 3 000 km de là. Mais pour poser correctement cet enjeu de dignité, il faut tout prendre en compte (sans naïveté ni paternalisme) et notamment le besoin de ces gens à 3 000 km de croire par moments en la légitimité, voire en la nécessité, de l'intervention du bourgeois (quel pays, quel mouvement depuis 30 ans n'a pas un jour voté en faveur d'une intervention occidentale ?).

 

Pour bien prendre en compte ces enjeux, il faut un style d'approche de l'humain, du sens du devenir collectif etc qui est nécessairement philosophique. C'est pourquoi j'ai été furieux qu'aucun éditeur, pour des raisons commerciales, ne publie mon "Douze ans", alors que n'importe quel compte rendu d'escapade en Abkhazie bien moins important avait droit de cité dans le domaine de l'édition. "Douze ans", dont Edilivre a hérité, est le livre dans lequel je traite avec le plus de subtilité et de profondeur le rapport à l'altérité dans un contexte de guerre (dans l'idéal le livre devrait être lu avec mon "Eloge de la liberté").

 

"Douze ans" et "Eloge de la liberté" sont deux livres qui tournent autour de 1999-2000 et de mon expérience serbe. Malgré leurs insuffisances propres, leurs maladresses, leurs égarements même, ces deux livres sont précieux car c'était une "one shot experience", un vécu qui, dans son rapport aux sentiments et à l'écriture (et donc à la philosophie), ne pouvait être éprouvé qu'une fois. Je veux dire que si j'avais eu 29 ans pendant la guerre de Libye plutôt que pendant la guerre de Serbie, je n'aurais jamais pu en tirer des livres comme ces deux-là, tout simplement parce qu'en 2011, le rapport de toute notre société à l'écriture, à l'altérité, et au devenir historique n'est plus du tout le même qu'en 1999. Tout est beaucoup plus froid, plus tourné vers des objectifs matériels concrets, que douze ans auparavant. Même si j'avais rencontré en Libye des personnages aussi troublants que ceux que la Serbie m'offrit, l'équation de l'écriture et des sentiments de 2011 au niveau macrosocial ne permettait tout simplement plus l'investissement de 1999. Ne serait-ce d'ailleurs que parce que le terrain était moins vierge qu'en 1999 : il était désormais encombré de la prose de Meyssan,  des contrefeux du souvenir de la guerre d'Irak, pas aussi abandonné à l'hubris de l'occidentalisme que la guerre de 1999.

 

Mais dans l'ordre de la philosophie, il y a plus important encore dans mon itinéraire que 1999 qui est une année déjà chargée de  considérations pragmatiques, de besoin d'utiité et d'efficacité (à cause notamment des illusions de vitesse que crée Internet). Plus importante pour moi fut 1997, année beaucoup plus dense en contacts humains, plus riche en expérimentations, et en même temps moins bousculée et moins déterminée (moins susceptible de déboucher sur des objectifs clairs). J'ai retrouvé non seulement mon journal vidéo de 1997, mais aussi le livre-journal que j'avais rédigé alors - et dont un type de Canal Plus l'année suivante suggéra que je fisse un scénario de film, mais cela n'aboutit à rien au final. Je ne cesse depuis deux mois de retravailler ce journal, tout en me demandant par quel biais je pourrais le présenter aux éditeurs, sous quelle identité, dans quelle perspective. J'y repère bien des sottises, mais aussi deux ou trois choses que je trouve littéralement sublimes (et bien supérieures à ce que je serais capable d'écrire, penser et vivre aujourd'hui, des choses elles-aussi solidaires d'une époque, l'époque d'avant Internet...). Il faut que je continue à retourner ce texte dans tous les sens. Je sais que je ne pourrai jamais être un écrivain à plein temps qui explicite tout. Et donc ma philosophie il faudra la deviner, entre les lignes, par combinaison entre les livres, en fonction des échos qu'on y entend d'un titre à l'autre. Mais pour qu'on y comprenne quelque chose, il faut nécessairement que ce journal de 1997 sorte. Oui, mais comment ? Chez quel éditeur ? Dans quelle perspective ? Je retourne ces questions sans réponses. Et je n'ai plus que trois mois. Dans trois mois plus une seule minute ne me sera accordée pour réfléchir à cela.

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Marché culturel

24 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

J'accompagnais tantôt un copain auteur (qui s'autopublie) à une séance de dédicaces chez un libraire. Le type n'a eu presque aucun "client", un peu comme lors de mes propres dédicaces, et pourtant il est sur un créneau de livre plus porteur que le mien (livre avec photos), malgré l'envoi de 38 000 mails dans la mailing list de son blog (dont seulement 10 % d'ouvertures de mails il est vrai) et la distribution de 5 000 flyers dans des commerces à Paris.

 

p1000056.jpgLe libraire lui donnait des conseils pour accéder à des diffuseurs, et aussi pour attirer le chaland : notamment de tuyaux pour modifier la couverture de son livre. C'était assez terrible, parce que je voyais bien qu'à mesure que le libraire parlait il remettait complètement en cause le projet de mon ami. Le message était  : "si tu veux te vendre standardise toi, tant pis si tu dévoies ce que tu fais". C'était très violent.

 

En écoutant ça je songeais évidemment aux refus de publication auxquels je me suis heurté récemment. Au fond il n'y a rien d'original là-dedans. Nous sommes des milliers à créer, à avoir des projets dans tous les domaines (et encore on ne parle que de livres ici mais il y a aussi ceux qui font des films, qui se prennent pour des DJ etc). Chacun est dans sa petite bulle, à fignoler son concept, dans son rêve. Dans la vie réelle, tous ces projets, tous ces rêves, créent un effet de trop plein (il y a trop d'offre, et le libraire racontait notamment les efforts incroyables qu'il faut fournir pour être sur les étals d'une Fnac après avoir séduit une vendeuse, puis son chef de rayon, puis le chef au dessus etc). Dans ces conditions, les gens pour se faire connaître doivent à la fois 1) se montrer (dans les salons par exemple), 2) élaborer des statégies, 3) raboter beaucoup leur approche de leur propres projets pour entrer dans des "cases" calquées sur les attentes réelles ou supposées d'un public.

 

Bien sûr cette loi du rabotage est très cruelle, et de nature à tuer toute créativité puisqu'elle voue tout à la standardisation. C'est ainsi que le marché a de fait liquidé toute orginalité. On a beau le savoir dans l'abstrait, il est toujours intéressant de le vérifier à nouveau in vivo, dans un échange avec un professionnel.

 

De même j'ai découvert une fois de plus de choses que j'avais vécues précédemment mais qu'il est utile de voir se confirmer chez des tiers (car ça prouve que ce n'est pas lié à l'idiosyncrasie de tout un chacun), notamment sur le rapport des gens à la dédicace (leur façon de promettre sur Facebook qu'ils y seront, de ne pas venir ensuite, le rapport d'évitement que les clients de librairie ont souvent à l'égard de l'auteur qui dédicace dans son coin, ce qui rend assez vain l'exercice finalement).

 

Toute la folie de ce monde saturé de productions littéraires et artistiques vouées à ne trouver aucun débouché pourrait convaincre le créateur de rester finalement dans les délices du plaisir solitaire (de l'écriture, de l'expérimentation loin des foules) en faisant définitivement son deuil de l'idée-même d'avoir un public, tant il est vrai qu'il vaut mieux pouvoir se reconnaître dans ce qu'on fait que produire du vent bien adapté au conditionnement marketing.

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Hypnotic Tango

21 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Encore un refus de publication ce matin, de l'Harmattan dans une collection qui pourtant publie de sacrées nullités (dont le livre dont je parlais récemment qui confond Heidegger et Sartre). Eux, le Cygne, les Arènes sont déterminés à me foutre la tête sous l'eau et me pousser vers Edilivre. Il est épuisant de marcher contre le vent. Je suis bien conscient que, malgré mes efforts pour concentrer ce que j'ai à dire en seulement deux livres, ces deux ouvrages vont finir chez Edilivre. Les autres éditeurs avec leurs arguments commerciaux à deux balles me font gerber.

 

Mais tant pis, si c'est Edilivres, va pour Edilivres. Je m'en fous complètement.

 

De toute façon, il y a tellement de sujets plus importants. Par exemple la question de savoir si on va pouvoir bouffer Burger King ou Autogrill à Saint Lazare, hein ? ça c'est bigrement important. Comment les "marques" ont fait des annonces et des démentis - les "marques", parce que c'est bien la  "marque" qui compte, pas ce qu'on bouffe ni le sourire de la vendeuse. Méditez, mes amis, méditez. Cet article capital est ici. A lire plusieurs fois, jusqu'à l'hypnose, comme tout ce que le monde de l'édition et des médias nous sert, c'est tellement plus planant !

 

 

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Eloge du bricolage

5 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

Deux éditeurs pourtant ouverts à mes idées très minoritaires, les Editions du Cygne et les Arènes, ont refusé mon dernier manuscrit provisoirement intitulé "Politiquement incorrect" pour de pures raisons de positionnement commercial - ce n'est pas assez "vendable". La même mésaventure m'était arrivée avec "Douze ans". Lecteurs prenez le pouvoir, écrivez sur leurs sites Internet pour dire que vous n'êtes pas d'accord avec cette censure par l'argent !

 

P1020365.jpgMais bon allez, voyons le bon côté des choses : les censures d'éditeurs me situent différemment dans l'espace social. Elles font de moi un auteur mineur voué à "Edilivres", donc un auteur sans public, dont le blog est la seule tribune légitime. Cela m'encourage à laisser tomber les grands sujets politiques et à m'en tenir à du petit bricolage sur des billets historiques ou philosophiques comme ceux que je ponds depuis quelques semaines. Bref, comme beaucoup, je vais cultiver une vision épicurienne (dans la dimension "retrait du monde") et onaniste (le mot n'est pas de moi mais de Cristina Kirshner) de l'exercice de la pensée.

 

De toute façon la politique roule pour ainsi dire toute seule et je ne peux l'influencer. Sur l'ingérence occidentale par exemple quand je vois que même un idiot fini comme David Rieff qui avait soutenu l'intervention de l'OTAN en Bosnie et au Kosovo finit quand même par trouver (dans le magazine Books de ce mois-ci) qu'en Libye l'hypocrisie se voit trop et fait tâche, et qu'un autre sot Michel Rocard met en garde contre un alignement trop visible sur les Anglosaxons dans une guerre avec l'Iran qui pourrait impliquer la Chine (et provoquer des millions de morts), je me dis qu'il finira bien par y avoir quelque forme de lucidité quelque part. Ou alors ce sera juste que les gens sont vraiment trop cons, et alors, dans ce cas, mieux vaut laisser les tristes sires à leur triste sort... Sur l'écologie c'est la même chose. Et sur l'Europe. Les gens finiront par voir, ou ne verront jamais, indépendamment du grain de sel que je puis apporter. Moi, avec 15 ans d'écriture dans l'espace public, j'ai assez donné.

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Le poids des héritages religieux

21 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi

saint jeromeLorsque j'aborde l'actualité, les grands sujets de société ou même l'histoire, j'essaie de le faire en des termes aussi peu religieux que possible.

 

C'est pourquoi notamment j'évite de parler trop souvent de la Palestine qui était un thème anticolonialiste dans les années 70, peut-être pas tout-à-fait "comme les autres" dans les années 1970 mais qui est aujourd'hui porté sur un mode très malsain par des pulsions philosémites ou antisémites directement liés aux héritages du monothéisme. Or il y a tant d'autres sujets d'injustice que la Palestine dans le monde ! J'en parle peu, sans que cela signifie que je m'en désintéresse puisque j'ai toujours milité pour le droit des Palestiniens à avoir un Etat viable (non encerclé par des colonies).

 

Penser sur un mode a-religieux n'implique pas que l'on méprise les religions ni les croyants, au contraire (car le mépris des religions procède souvent d'un réflexe de fuite lui-même lié à des héritages réligieux mal assumés). Il s'agit juste de penser leurs croyances dans la globalité de tout ce à quoi l'humanité a pu adhérer, y déceler des "schèmes" pour parler comme Kant qui participent de mécanismes de la psyché humaine depuis 200 000 ans. C'est dans cet esprit par exemple que je me suis penché sur la réforme protestante en Europe eu XVIe siècle, ou pourrais me pencher demain sur la réforme politico-religieuse du Bahrein au Xe siècle si quelqu'un me mettait entre les mains un livre intéressant là-dessus.

 

Mais on ne tient cette ligne a-religieuse qu'en assumant parfaitement ses propres héritages comme ceux du monde où l'on vit. C'est pourquoi par exemple j'ai souvent évoqué mon enfance catholique dans les années 1970.

 

On ne peut pas nier ce que le passé religieux imprime dans la tournure de pensée. Par exemple je pense que ma très forte sensibilité à l'écoulement du temps et à la mort des univers (intérieurs) que nous portons en nous aussi bien que de ceux (extérieurs) dans lesquels nous baignons s'est sans doute forgée en interaction avec (sinon sous l'influence de) la religion catholique de mon absence. Et je la revendique comme une partie intégrante de mon esthétique existentielle (en employant ces mots, je songe à une phrase d'un commentateur d'Anatole France selon laquelle l'écrivain reprochait aux Américains d'avoir un idéal moral mais pas d'idéal esthétique, j'y reviendrai peut-être un jour).

 

De ce point de vue-là, je vois bien que mon a-religiosité diffère de celle de beaucoup de gens de notre époque qui, eux, sont complètement absorbés par le "faire", la préoccupation, les agendas, et de ce fait considèrent la contemplation (au sens aristotélicien de la théoria) du temps, comme un élément accessoire de leur vie, qui ne les concerne qu'accidentellement lors de la mort d'amis ou de parents, lors des anniversaires, et dont il faut se débarrasser parce qu'il faut toujours être "résilient". Ceux-là pour qui il faut avant tout "fonctionner", et pour lesquelles les abstractions comme "l'instant" (toujours fugace), l' "absolu" (toujours vague) etc doivent être bannis de la vie, me semblent plus proche de la machine (je ne dis même pas de l'animal) et il est clair que la symbiose avec la machine est l'horizon de notre civilisation (voir Le Breton et Andrieu là dessus), ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé.

 

Je me demande si, de fait, cette évolution de l'a-religiosité vers le purement mécanique ne va pas progressivement me reléguer vers le christianisme plus que je l'eusse voulu, dans la mesure où mes interrogations sur le temps, la paix, le devoir, etc ne seront peut-être bientôt plus intelligibles que par les gens qui auront eu une éducation chrétienne. Si tel était le cas, je le vivrais comme une perte car ma formation (à l'école laïque, elle) m'a enclin à considérer l'espace de l'écriture comme tourné vers l'universalité, y compris quand j'y exprimais les choses les plus intimes. La "République des Lettres" n'a pas de frontière mentale. Mais peut-être finirai-je, moi-même, comme tant d'autres, par être communautarisé, par la force même d'une évolution générale de la société autour de moi dont je ne pourrai plus tout adopter les valeurs. Frédéric Delorca finira-t-il par être publié par les éditions du Cerf comme Christian Arnsperger ?

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