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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #1910 a 1935 - auteurs et personnalites tag

La "Mècheroutiette"

16 Mai 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Avant guerre, en 1913, paraît à Paris, le mensuel la "Mècheroutiette", sous-titre "Constitutionnel ottoman, organe du Parti Radical Ottoman, consacrée à la défense des intérêts politiques et économiques et des droits égalitaires de tous les Ottomans sans distinction de race ni de religion". Son directeur politique est Chérif Pacha, ancien saint-cyrien, grand officier de la légion d'honneur, ex général divisionnaire et ambassadeur de Turquie à Stockholm. Il habite 115 rue de la Pompe à Paris. Adversaire des Jeunes turcs du Comité Union et Progrès, Chérif Pacha se disait ami de Paris et de Londres et capable d'empêcher le partage de l'Anatolie après celui de la Turquie d'Europe. On trouvera dans sa brochure un remarquable panorama de l'empire ottoman et de ses enjeux à la veille de la première guerre mondiale, du temps où les Occidentaux menaient des expéditions militaires au Venezuela au soutien des créances de leurs banques, et où la Turquie rêvait encore d'unifier sous son drapeau les peuples slaves des Balkans (une cause soutenue par Chérif Pacha, ouvert à toutes les confessions)

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Léon Werth et la non-violence annamite

25 Mars 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

werthLes sagesses chinoise et indienne ont souvent coïncidé, sans qu'on sache laquelle des deux influençait l'autre. Prenait par exemple la parenté entre la conception sexuelle du taoïsme et celle du tantrisme shivaïte. Je crois qu'on peut dire la même chose du principe de renoncement dans l'action hindouïste et de la conception confucianiste du rapport à l'autre, l'un et l'autre menant à la non-violence (ce qui n'empêche pas bien sûr que les sociétés concernées puissent avoir par ailleurs des aspects très violents).

 

Léon Werth dans l'Indochine de l'entre-deux-guerres (avant que celle-ci ne se convertisse à la violence sous la direction d'Ho-Chi-Minh, tout comme la Chine a renoncé au confucianisme sous Mao, et le redécouvre à peine maintenant) a très bien perçu cela lors de son voyage à Saïgon, et ne l'exprime nulle part aussi bien que dans ce passage de Cochinchine (p. 65) :

 

"Je me suis étonné devant des Annamites à culture européenne de cette réaction impassible, lâche ou résigné du coolie brutalisé. On m'a répondu :

 

'Vous avez un mode de votre honneur qui est de rendre les coups. Atavisme ou tradition, nous avons, avant tout, le mépris de la violence. La dignité, pour nous, n'est jamais d'opposer la violence à la violence. La dignité, c'est de se vaincre, de se dominer. Ces principes vous les trouveriez dans la morale confucéenne que les plus cultivés de vos gouverneurs invoquent parfois devant nous pour nous recommander l'obéissance ou la patience. Car il est des Européens qui aiment à prononcer l'adjectif confucéen. Ils possèdent la philosophie de l'Extrême-Orient puisqu'ils connaissent le nom de Confucius. Ils possèdent aussi son art, puisqu'ils cherchent dans les paillotes des bleus de Hué.

 

Beaucoup de villages ont un nom qui signifie la paix et la sérénité. Nous avons un proverbe qui dit : 'Si tu recules d'un pas, c'est un pas de gagné.'

 

L'homme en colère n'est pour nous qu'un ovjet de mépris et de dérision. Nous avons appris à ne point être violent. A l'action de l'homme violent, un Extrême-Oriental refuse une réaction de violence. Et si la haine naît en luui, il l'accumule...'

 

Sans doute un Européen pourrait développer devant un Extrême-Orinetal la maxime de l'Evangile : 'Tendez l'autre joue' Il pourrait même trouver dans des livres et dans des milieux d'exception les traces d'une influence évangélique. Je le défie bien d'expliquer par l'Evangile les moeurs quotidiennes, les moeurs de la rue... Le mérite de l'explication confucéenne, c'est qu'en Extrême-Orient, elle rend compte parfois des faits de la rue."

 

Je précise qu'en soulignant cela, je ne juge pas les choix d'Ho-Chi-Minh, de Mao, et d'autres d'abandonner le confucianisme pour des raisons de modernité et d'efficacité dans les années 40...

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Artisanat

25 Janvier 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

werthJe me répète mais il faut vraiment lire "Cochinchine" de Léon Werth récemment réédité. Ce n'est pas seulement un plaidoyer contre le colonialisme européen (qui fut la forme de barbarie consensuelle stupide des années 1900-1930, comme le fut le droit le l'hommisme des années 1990-2000, ou l'antiterrorisme aujourd'hui*), mais aussi une réflexion profonde sur la pudeur, la politesse et la légèreté de l'Orient (je lis pas mal sur le confucianisme classique en ce moment), au miroir de laquelle la grossièreté européenne révèle sa laideur, et une réflexion adossée, non pas comme la doctrine des Indigènes de la République aujourd'hui, au pur ressentiment "made in Europa", mais à la grande tradition classique des Lumières (des Lumières très françaises et assez universelles pour être "ouvertes" au bouddhisme, au taoïsme etc).
 
On retrouve chez Werth beaucoup de l'esprit de la revue Europe de Romain Rolland à laquelle il collabora, l'esprit d'une gauche révolutionnaire attachée à une tradition de douceur et d'élégance contre ce qu'elle appelait la "civilisation mécanicienne", fauteuse de guerre, et dont les Etats-Unis et Clemenceau étaient déjà, à leurs yeux, les principaux architectes... Cette gauche a été balayée par le stalinisme, puis par l'opportunisme socialdémocrate et sociallibéral. Mais des hommes comme Werth furent aux idées de gauche, et au style de la gauche, dans les années 20, ce qu'un Vecchiali fut au cinéma des années 70.
 
Evidemment tous ces grands stylistes et ces grands créateurs sont avant tout d'humbles artisans, de petites lucioles au fond de leurs ateliers, qui trouvaient dans leur modeste grandeur la force nécessaire pour résister efficacement à la sauvagerie de leur temps sans se compromettre. Ils eurent leurs admirateurs à travers le monde, des gens de la même élégance qu'eux, de la même exigence personnelle, et même si l'histoire officielle les ignorera toujours ils auront toujours raison au tribunal clandestin de l'Histoire objective (pourrait on dire pour plagier Hegel). Ce sont en tout cas des exemples de vies bien accomplies en des temps où, comme aujourd'hui, vivre dignement et proprement était rendu impossible par des formes puissantes de totalitarisme.

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* A propos d'antiterrorisme, voyez la vulgarité des écriteaux d'Air France sur les postes d'embarquement à Orly, qui, menacent de poursuites judiciaires et de refus de laisser monter dans l'avion quiconque "agresse physiquement ou verbalement un agent". Triste France où le terrorisme est prétexte à toujours plus de fouilles physiques, d'avilissement et d'abrutissement mental, et où on ne peut plus se faire entendre des services publics (de plus en plus ineptes et incompétents dans l'univers marchand "globalisé"), qu'en gueulant (j'ai vu jeudi un cadre distingué sexéganaire se faire virer manu militari d'un train par les services de sécurité du seul fait qu'il a osé critiquer devant un contrôleur la stupidité kafkaïenne de la SNCF), tandis que le seul fait de gueuler devient passible de poursuites judiciaires pour "viol moral du consensualisme forcé". Dans cette France là, rechercher l'indépendance d'esprit, la culture, l'élégance et la dignité requiert toujours plus de solitude, de refus obstiné de parler le langage d'Internet (loin de l'esprit hargneux des commentateurs malveillants, mais aussi de la bêtise rugueuse de tant de blogueurs "amis" que je n'ose même plus lire). Messieurs de la plateforme Overblog, faites votre travail (pensez à la citation "monsieur le bourreau...") : vous pouvez liquider le présent blog ou le noyer sous la publicité, je ne renouvellerai pas l'abonnement "Premium".

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"Cochinchine" de Léon Werth

3 Novembre 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

werthNous avons déjà rencontré Léon Werth dans la lecture de ses propos sur Clemenceau dans la revue Europe de 1930 (voir mon billet ici). Il me faut parler aujourd'hui de son livre sur la Cochinchine coloniale en 1924, et d'abord vous dire que cet homme qui, humblement, trop humblement, s'est tenu dans l'ombre du Malraux des Conquérants est un écrivain, un véritable écrivain, avec un vrai style, et une très belle sensibilité (il dit quelque part avoir une sensibilité de "fille publique romantique", ce que j'ai peut-être en commun avec lui). Cette sensibilité lui fait voir avec beaucoup de pertinence ce que ses contemporains minimisent bêtement ou rendrent trop abstrait (je pense au livre d'Hannah Arendt sur l'impérialisme) : le grossièreté minable du système colonial européen dans le monde.

 

Je ne veux pas ajouter à la "culpabilité de l'homme blanc" qui de nos jours infeste un peu trop les mentalités et produit des formes de sottise et d'imposture dans la pensée bourgeoise actuelle.

 

Juste souligner l'intérêt d'avoir un regard lucide et indépendant sur les injustices. Quelques extraits intéressants (qu'il est inutile que je commente) :

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L'intérêt de Werth aussi réside dans ses analyses psychologiques qui confinent à la philosophie. Par exemple quand il estime que les coups de poings et éclats de voix des colons ne procède pas d'une réelle violence personnelle (puisque cette violence décroit à bord du Saïgon-Marseille sur le chemin du retour vers la métropole), mais simplement d'une bassesse institutionnalisée, à laquelle il oppose la retenue "confucéenne" des Orientaux. Ses remarques sur l'érotisme des rapports entre les chanteuses chinoises et leurs clients asiatiques d'un restaurant de Saïgon mériterait en soi dix pages de commentaires qui interrogeraient par effet de miroir vingt siècles de lourdeur de la sensualité occidentale...

 

Sa réflexions très esthétisante sur les formes des visages des Annamites (mais aussi des Moïs), de leurs gestes etc ouvre un horizon de remise en cause radicale de l'européanité, qui, dans un sens, peut encore relever de l' "âge du jazz" des années 20 (David Stove), la haine de soi occidentale dont parle l'académicien Matteï, mêlée aux dégoûts de l'après-guerre (quand le surréalisme français par exemple vantait systématiquement tout ce qui n'était pas "blanc"). Il faut "en prendre et en laisser" comme on dit, oui, mais tout de même en prendre, oui, essayer de prendre au sérieux cet amour de l'Orient, moins érudit et moins fort que celui d'une Alexandra David-Néel arpentant le Tibet à la même époque, mais tout aussi sincère. Tirer ce fil là, sans naïveté, juste pour voir toutes les potentialités qu'il peut donner. Je crois qu'à la lumière du témoignage de Werth, on comprend beaucoup de choses : pourquoi on ne parle plus français au Vietnam, pourquoi dans les années 2000 ce pays n'a pas soutenu l'Algérie dans sa campagne pour poursuivre la France pour crime contre l'humanité (pourtant le FLN avait tenté des pourparlers à ce sujet avec Hanoï), pourquoi la culture vietnamienne est apparemment sans complexe à l'égard de l'Europe (mais alors on peut se demander : pourquoi celle du Japon en a-t-elle ?). Pourrait-on voir le témoignage de Werth une propédeutique à un "devenir-asiatique" de l'humanité dont l'actuelle globalisation serait aujourd'hui le vecteur ? Ce serait peut-être pousser le raisonnement trop loin, d'autant que l'Asie d'aujourd'hui est peut-être d'une culture moins pure, moins exempte d'occidentalisme (via le consumérisme) qu'elle ne l'était il y a cent ans. Je ne sais. En tout cas après avoir croisé le regard de Werth, tout en finesse sans pour autant verser dans la demi-mesure, on ne peut plus se sentir européen de la même manière qu'avant d'avoir ouvert son livre.

 

 

 

 

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Revue Europe du 15 juillet 1930

18 Octobre 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

rollandJe vous ai parlé il y a un an de la revue Europe du 15 février 1932, revue sympathique et représentative de l'éclectisme de Romain Roland qui incluait dans sa réflexion sur le socialisme aussi bien Gandhi que Lénine. Celle du 15 juillet 1930 que je parcours ce matin accorde aussi une grande place à l'Inde avec des lettres de Gandhi préfacées par Rabindranath Tagore. Une belle phrase de Tagore à propos de l'Asie (p. 309) "Nous n'avons pas vu ce qui est grand en Occident parce que nous n'avons pas pu faire éclore ce qui est grand en nous". Je la dédicace à Houria Boutedja...

 

Encore une phrase de Tagore qui dit tout du colonialisme : "Le malheur pour nous en Asie c'est que l'avènement du monde occidental dans notre continent fut accompagné non seulement de la science qui est la vérité et donc la bienvenue, mais encore d'un usage impie de la vérité dans un but d'égoïsme violent qui la transforme en une force destructrice" (p. 310).

 

Vient ensuite un courrier de Gandhi au vice-roi des Indes qui compare le salaire du premier ministre anglais à celui d'un ouvrier indien... Un article de Romain Rolland sur Goethe musicien... (on y apprend entre autre que Goethe avait entendu le petit Mozart jouer en 1763). Il y avait un véritable fétichisme de Goethe à l'époque, je me souviens des écrits de Zweig ému d'avoir rencontré dans son enfance une vieille dame qui avait connu Goethe de près. Un poème de Gabriel Audisio sur Ulysse, une nouvelle de Jean Prévost, des contes populaires coréens adaptés et traduits par un certain RH Seu.

 

clemenceauPuis une chronique de Léon Werth, l'écrivain anti-militariste, sur "Grandeur et misères d'une victoire" de Georges Clemenceau paru chez Plon. Loin de s'extasier devant le Clemenceau admirateur des impressionnistes comme on le fait aujourd'hui il écrit que son livre sur Monet était composé "dans un incroyable pathos, amplification scolaire ou sénile, livre smplement ridicule". Il a vu le Tigre à l'enterrement de Monet "pas si mongol que sa légende, pas si mongol que ses portraits. Mais en lui rien de cette trivialité si apparente, si rayonnante chez tant de parlementaires. Un bourgeois, un vrai bourgeois de l'époque où il y avait encore des bourgeois. De la tenue comme il y a vingt ans chez les notaires et les avoués dans les petits centres. Comme lui notoires dans leur cercle, puissants et croyant savoir". Sur son style il ajoute "mon professeur de quatrième, qui était vraiment un vieil humaniste, se moquait de ses élèves quand ils écrivaient ainsi". Il lui reconnaît toutefois un talent comique pour dépeindre les "fantoches" Foch et Poincaré. Précisément sur "Grandeur et misères d'une victoire", Werth trouve que Clemenceau "pense l'histoire selon le manuel qu'il apprenait quand il avait dix ans", ne lui trouve aucune hauteur de vue, estime que ses différends avec Foch "apparaissent parfois comme des chipotages de dactylos dans un bureau". Cette phrase de Werth me fait penser à mes impressions sur les débats sur la Yougoslavie chez Régis Debray en 1999 : "Qu'il s'agisse du Congo ou du Palatinat, [Foch, Poincaré et Clemenceau] ne saisissent du réel que ce que la politique en peut absorber. Aucun d'entre eux ne sait qu'il pense et agit dans l'irréel, dans une sorte de chimère organisée."

 

Werth trouve Clemenceau "stupide comme un joueur qui explique sa chance ou sa guigne. Stupide aussi comme un adjudant".

 

emiliano_zapata_en_la_ciudad_de_cuernavaca.jpgMarcelle Auclair, fondatrice de la revue Marie-Claire, épouse de Jean Prévost déjà cité dans la revue, et qui a grandi au Chili, commente deux ouvrages mexicains sur la révolution de Pancho Villa dont "Ceux d'en bas" de Mariano Azuela récemment réédité. "Nous nous méfions de l'abondance des poètes sud-américains, de leur facilité" écrit-elle, mais ces deux auteurs échappent à ces travers selon elle. Belle phrase d'Emmanuel Berl, écrite à Saint-Tropez, à propos du régionalisme d'André Chamson dans son livre sur le Sud-Tyrol annexé par Mussolini : "Les particularismes locaux n'empêchent ni les impérialismes, ni les invasions". Le journaliste Emile Dermenghem disserte sur des livres sur l'Egypte dominés par la figure de cheikh Mohamed Abdou, disciple d'Al Afghani, auquel il trouve le mérite de purifier l'Islam loin des excès du wahabisme et du laïcisme kémaliste, mais qu'il trouve quand même "un peu primaire". Robertfrance commente Soupault, Prévost chronique René-Louis Doyon. Articles intéressants aussi sur le cinéma et le théâtre russes, sur le fascisme italien. Plus que jamais j'apprécie de lire les années 30 au miroir de cette revue qui, en des temps difficiles, semait pour l'avenir. Quel dommage que notre époque l'ait oubliée !

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