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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #1910 a 1935 - auteurs et personnalites tag

L'écriture et la politique, les révolutionnaires velléitaires (Zweig)

6 Juillet 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Deux remarques intéressantes chez Zweig, sur le rapport entre la culture de l'écrit et les passions politiques tout d'abord :

 

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Sur les contestataires velléitaires ensuite (et il y en a de nos jours un paquet sur Internet qui occupent beaucoup trop de pages, ce sont les même qu'en 1917) :

 

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"Au dessus de la mêlée" de Romain Rolland et un mot sur le Mali

4 Juillet 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Plus je lis Romain Rolland plus je comprends pourquoi les grandes autorités morales de notre pays (et de notre Europe) refusent de le rééditer aors qu'il fut un demi-dieu pour notre continent dans l'entre-deux guerres. Son tort est que, bien que germanophile comme je le suis (et même meilleur connaisseur de la culture allemande), il ne mit jamais (à la différence de Zweig par exemple), le patriotisme républicain français (qui se battait pour la liberté mondiale) sur le même plan que le pangermanisme.

 

prusseC'est très clair par exemple dans ses écrits de 1914-15 "Au dessus de la mêlée" (33e dedition, Librairie Paul Ollendorff) p. 32 "Mais qui a lancé sur les peuples ces fléaux (de la guerre) ? Qui, sinon leurs Etats, et d'abord (à mon sens), les trois grands coupables, les trois aigles rapaces, les trois Empires, la tortueuse politique de la maison d'Autriche, le tsarisme dévorant, et la Prusse brutale !" Plus loin dans le livre il justifiera même l'alliance franco-russe (toujours indigeste au goût des Républicains) en disant qu'il préfère l'esprit de rebellion du peuple Russe face au tsarisme, que l'unanimisme belliqueux allemand derrière le Keiser qu'il retrouve jusque chez les socialistes autrefois les plus pacifistes.

 

Des vérités désagréables à notre temps sans doute. Je remarque sa sensibilité à l'atteinte aux oeuvres d'art (cohérente avec sa foi dans la mission rédemptrice et pacificatrice du Beau. Il n'a pas de mot assez durs pour condamner la barbarie avec laquelle l'armée allemande s'en est prit à Louvain, berceau de la culture belge, et à la cathédrale de Reims (dans le silence complice de toute l'intelligentsia germanique ni n'a pas eu un mot pour condamner ces crimes). Il s'agissait d'une première dans l'histoire du XXe siècle qui allait en compter beaucoup. Ce geste inaugural fut l'oeuvre de la monarchie prussienne, et Rolland demandait un tribunal international de pays neutres pour juger ce forfait.

 

kosovo-copie-1.jpgCette atteinte à l'art me fait penser au Mali, et aux attaques contre les mausolées et les mosquées dans le nord du pays. Les Occidentaux toujours aussi écervelés et méprisants se demandent s'ils ne doivent pas jouer les gendarmes dans cette contrée comme ils ont voulu le faire partout. Cette fois au nom de la défense de l'art (entre autres), comme jadis avec les Bouddhas d'Afghanistan. Selon moi, vu le très faible degré d'anticipation dont la soi-disant "communauté internationale" a fait preuve quant aux effets secondaires de son intervention en Libye, les pires dangers seraient à redouter quant à son éventuel rôle au Mali. Et puis, nos bombardiers ne sont pas de très bons conservateurs de musées. N'est-il pas vrai que le 29 avril 2011, ils ont détruit à Tripoli (Libye) le Centre du Livre Vert, la plus grande bibliothèque du pays, un ancien palais turc classé au patrimoine mondial de l'UNESCO ? Les casques bleus occidentaux n'ont-ils pas montré un enthousiasme des plus modérés à défendre les monastères orthodoxes médiévaux au Kosovo en 1999, et les Etats-Unis n'ont-ils pas construit une piste aérienne sur l'ancienne voie sacrée de Babylone en Irak ? Pas sûr que nos soldats et ceux de nos alliés feraient quelque chose d'utile pour les monuments maliens... Le souci de la protection du patrimoine est louable, mais tout comme Rolland demandait que seules les nations neutres puissent en être les juges, je nierai aux pompiers pyromanes de l'OTAN, protagonistes directs ou indirects des destructions, le droit de se poser en gardiens des chefs d'oeuvres artistiques de ce monde.

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Paris de 1901 selon Zweig

3 Juillet 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

798px-Eiffel_Tower_20051010.jpgJe poste ici deux pages de Zweig (Le monde d'Hier que je cite beaucoup depuis 8 jours) parce qu'elles révèlent un Paris très différent de celui d'aujourd'hui (avec des remarques qui rejoignent un témoignage d'Arletty relatif aux années 1915-1916 entendu à la radio il y a quelques années.

 

Zweig de manière très éloiquente relie un peu plus loin ce récit à l'image pathétique du Paris occupé par les nazis qui s'offrait à lui peu avant son suicide. Mais l'intérêt de son tableau tient au fait qu'il relie l'insouciance et la bonhommie parisiennes à l'égalitarisme introduit par la Révolution, une idée que je trouve intéressante d'autant que je réfléchis depuis longtemps aux effets anthropologiques du socialisme et des expériences révolutionnaires largo sensu.

 

La comparaison avec l'Allemagne est aussi éclairante (Zweig a visité des villes comme Berlin en Prusse, et New York aux Etats-Unis avant qu'elles ne deviennent les métropoles économiques de grandes puissances ce qui a développé en lui un sens très aigu de la comparaison spatiale aussi bien que temporelle).

 

J'ai progressé au delà de ces pages dans la lecture de l'autobiographie de Zweig et suis tombé, comme je le souhaitais sur sa rencontre avec Romain Rolland. J'ai ainsi mieux compris à quoi tenait sa fascination pour cet écrivain. Notez que lorsqu'il le vit pour la première fois, aux début des années 1910, Rolland était aussi négligé en France que Paul Valéry et Marcel Proust bien qu'ils fussent tous trois fort avancés dans leur carrière littéraire). A Romain Rolland il prête un engagement visionnaire au servir d'un art pacifiste qui unifierait l'Europe et le monde, contre la logique du capitalisme et des marchands de canons. Je reviendrai sur tout cela car il nous faudra examiner un jour ce que fut le projet de ces hommes, aujourd'hui largement dévoyé par l'européisme postmoderne de Largardère et de la finance internationale. Je mentionne d'un seul mot ici l'émotion de Zweig lorsque dans un cinéma de quartier de Tours (en 1912 ou 1913) il voit le public s'étouffer de haine à la vue d'une image de Guillaume II. J'ai déjà interrogé l'été dernier (avec un addendum en septembre) l'échec du socialisme pacifiste avant 1914, et je ne cesse de me demander depuis lors si l'équivalence relativiste France=Allemagne qu'il a véhiculée après guerre (ainsi que le bolchéviks), n'est pas une imposture. Zweig malgré tout son amour de la France adhère pleinement à cette équivalence (en comparant par exemple deux fois Krupp et "Schneider du Creusot" comme il dit, notamment dans leur façon de tester leurs armes sur le "matériel humain" des Balkans, comme les fascistes en Espagne en 1937). C'est peut-être une de ses faiblesses, qui portera en germe sa rupture ultérieure avec Rolland. Il y a peut-être quelque chose de trop "allemand" dans la lecture que Zweig fait de l'histoire dont il fut témoin. Je reviendrai sur tout cela ultérieurement.

 

Pour finir je prie le lecteur du blog d'excuser la différence de format entre les deux pages, due aux aléas du scanner.

 

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Stefan Zweig (suite) : la Belgique

30 Juin 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Nous voici enfin en juillet. Et, autre bonne nouvelle, je lis dans les dépêches que les puissances réunies à Genève sont prêtes à accepter pour la Syrie un gouvernement d'union nationale. Cela fait penser à la solution imposée par l'Afrique du Sud au Zimbabwe après que l'Occident eût échoué à imposer son "regime change" dans ce pays. Mais rien ne dit que l'issue sera aussi paisible en Syrie.

 

Mais je suis moins généreux avec le malheur des Syriens en ce moment que je ne l'étais avec celui des Serbes il y a 12 ans, même si une lettre ouverte de témoignage d'une franco-syrienne d'Alep, que vous trouverez sans doute sur le Net, m'a sincèrement ému avant hier. On ne peut pas vivre au rythme du sang versé à des milliers de kilomètres de chez soi. Et d'ailleurs cela ne sert à rien sauf à faire de vous un abruti sectaire.

 

Ambiorix.jpgJe suis les pérégrinations de Stefan Zweig. Je l'accompagne à Bruxelles. Avec lui je rencontre, en 1900, Van der Stappen et Verhaeren, des noms oubliés de notre culture mais qui comptaient à l'époque et que peut-être les Belges, eux, connaissent encore.

 

Cent ans plus tard jour pour jour moi je rencontrais dans cette ville Jean Bricmont. Je l'ai raconté en détail dans  12 ans chez les "résistants" (ce fichu livre que je ne parviens toujours pas à placer ailleurs que chez Ediivres), je n'y reviens pas. La France a toujours été injuste avec les Belges, n'a jamais su trop quoi penser d'eux voire les a toujours considérés comme des Français ratés. "Pour les Belges y en a plus, ce sont des tire-au-c*". Peut-être ne leur a-t-on pas pardonnés d'avoir failli être français à l'époque de la Révolution, d'avoir choisi la neutralité en 14 (notre "grande guerre patriotique"). Même dans l'empressement de certains de nos politiciens à accepter une éventuelle annexion de la Wallonie si la Flandre fait sécession, il y a le symptôme d'une incapacité de saisir la Belgique comme un centre autonome de production culturelle, le pays de Michaux et de Magritte, autant que de la BD et des moules frites. J'ai effleuré le génie belge en lisant Hugo Claus car lui montre son pays sans chercher à séduire la France, comme le font trop de ses compatriotes exilés à Paris. Je l'ai aussi humé directement dans les cafés de leur capitale où je me suis rendu quatre ou cinq fois et pas seulement pour y faire du tourisme.

 

J'ai des tas de souvenirs en rapport avec ce pays. Pas tous très gais, mais tous profonds, originaux. Mon fils a un huitième de sang belge. Et mes livres ? Bricmont en lisant mon "12 ans" disait de cet ouvrage qu'à chaque page j'y déclarais Horum omnium fortissimi sunt Belgae. Ce n'est pas tout à fait vrai. Mais il est exact que pendant quelques années j'ai beaucoup aimé l'anti-impérialisme belge (et celui de Bricmont), avant d'en venir à prendre résolument mes distances à son égard (à l'égard de ses coupables égarements).

 

Zweig à 19 ans (au moment-même où Rolland décrivait avec la lucidité stupéfiante que j'ai rapportée dans ce blog les réunions des socialistes français) visitait donc Bruxelles. En 1941 il n'hésistait pas à juger l'effervescence culturelle de la Belgique de cette époque supérieure à celle de la France. Verhaeren, nous disait-il, essayait de célébrer son époque, notamment sa modernité, la machine, dans ses poèmes, comme l'avait fait Whitman aux Etats-Unis. Il y a quelque chose du "continent noir" (pour reprendre le mot de Freud à propos des femmes), dans ce petit pays brumeux aux maisons de tuiles rouges, où les gens ne rient jamais exactement des mêmes choses que nous autres français, ni de la même manière, où rien n'a le même accent, où rien n'a la même teneur. Vous raconterai-je qu'un jour je me suis retrouvé dans une salle d'audience d'un tribunal de quartier de Bruxelles où l'on jugeait d'un droit au séjour d'une femme originaire de l'Est de la République démocratique du Congo ? C'était il y a moins de huit ans, et pourtant j'en ai très peu de souvenirs. Je revois les magistrats avec des tenues étranges, des grosses médiailles, comme les conseillers des Prud'hommes français qui faisaient sourire mes collègues du ministère des affaires étrangères. Et puis les enfants de la dame et de ses amies dans la salle d'attente le regard fixé dans le vague, inquiets. Enfants de Matonge. Une scène pour moi plus exotique qu'une partie de dominos sur les bords de la Mer noire en Abkhazie (alors pourtant que j'ai une certaine expérience des audiences de reconduite à la frontière en France). Peut-être à cause des personnes qui m'avaient conduit à faire le détour par ce lieu où je n'aurais jamais dû être. Quel dommage que je sois voué à ne jamais pouvoir écrire là-dessus...

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"Le monde d'hier" de Stefan Zweig (1ère partie)

29 Juin 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

zweig.jpg L’existence humaine étant longue – à maints égards trop longue d’ailleurs, car beaucoup de choses s’y répètent, et ce qui ne se répète pas change à l’excès – j’ai croisé Stefan Zweig à plusieurs reprises : durant l’adolescence à travers son roman Le Joueur d’échecs, qui ne m’a laissé aucun souvenir, à 22 ans quand j’écrivais mon mémoire de maîtrise sur Nietzsche, je ne pouvais éviter de lire les écrits de Zweig sur cet auteur, et puis, à 39 ans (ce blog en porte la trace), quand je me suis intéressé à Romain Rolland.

Mes premières lectures (avant 30 ans), ne furent pas très intéressantes. Parce que dans les années 1980-90, nous lisions tous beaucoup d’auteurs des années 1920 et 1930. Par conséquent leur style ne nous surprenait pas, leurs affinités (par exemple pour le freudisme) non plus . D’une certaine façon ils parlaient notre langage, le même que nous,  ou en tout cas un langage familier dans lequel nous baignions. Du coup, je pense que nous ne les lisions pas très sérieusement.

Le personnage de Zweig n’a commencé à m’interroger vraiment, à m’intriguer, qu’après la lecture de Romain Rolland, parce que, confronté à leur amitié, que certains disent déséquilibrée (car Zweig aima plus Rolland que celui-ci ne le lui rendît), devant leur rupture, dans les années 30, au moment de la lutte contre le fascisme, je ne pus me demander « lequel eût raison et lequel eût tort », ou au moins m’abstenir d’essayer de comprendre. J’étais prêt à prendre pour argent comptant la thèse de Rolland selon laquelle Zweig fut trop indulgent à l’égard du nazisme. Plus précisément je veux bien croire que son côté esthète l’ait dissuadé de s’engager efficacement dans une lutte collective (une lutte avec ses égarements inévitables, notamment dans l’aveuglement stalinien comme ce fut par moments le cas chez Rolland). Je reviendrai sur tout cela, car il y a là une question fondamentale concernant l’individualisme en politique à laquelle je ne puis être tout à fait indifférent, compte tenu de mon propre parcours.

Il y a peu un ami m’a confié à la terrasse d’une crêperie : « Je suis peut-être  un peu trop dans la mode, mais j’ai lu récemment Le Monde d’hier de Zweig, il dit des choses admirables sur l’Autriche-Hongrie, un pays de tolérance et de paix, et sur l’univers foisonnant de cette époque, tous les artistes qu’il a rencontrés ». Dans un premier temps, j’ai exprimé mon scepticisme en rappelant ce que Musil disait de désagréable sur la Cacanie (Keiserlig und Königlig, k&k) d’avant-guerre… Je me disais que décidément Zweig faible à l’égard du nazisme, l’avait aussi été à l’égard de la monarchie conservatrice dont les élites de Sciences Po formées à la chute du mur de Berlin sont toutes nostalgiques.

J’ai néanmoins acheté le livre de Zweig, et je ne le lis pas tout à fait comme le fait mon ami. Ce livre est tout sauf un livre nostalgique, et il est tout sauf indulgent avec l’empire austro-hongrois.

En réalité tout y est exprimé avec beaucoup de nuances, loin de tout manichéisme, et pourtant avec beaucoup de clarté, une clarté tranchante et des plus convaincantes. Il y a, c’est vrai, les bons côtés de l’Autriche-Hongrie : ce monde où tous les bourgeois souscrivent des assurances qui couvrent tous les aspects de leur vie, monde de sécurité, placé sous le culte de la raison, du progrès, et de la maturité (les détails abondent sous la plume de Zweig pour montrer combien on méprisait la jeunesse, combien il fallait toujours faire vieux pour être respectable dans ce monde là, y compris et surtout quand on était écrivain). Il y avait aussi cette religion de l’art dans la Vienne des années 1900, où même une bonne pouvait s’émouvoir de la mort d’une grande actrice de théâtre, quoiqu’elle n’eût jamais mis les pieds dans ce temple de la représentation bourgeoise. Zweig montre comment jusqu’aux faubourgs prolétariens on est touché par ce culte du beau, et comment sa propre classe de lycée (en vertu d’une spécificité aléatoire plus encore que du goût de la ville pour la création), s’est entichée des beaux arts, comme d’autres avant elle de la politique, des collections de timbres ou du football… Tout ceci est admirablement décrit. Zweig montre à quel point la passion pour l’art l’a entretenu dans le mépris pour son propre corps, et pour toutes les conversations ordinaires et les plaisirs du quotidien. Ce volet « positif » de l’Autriche-Hongrie, on le  retrouve aussi au niveau politique. Le vent des révoltes sociales souffle sur les années 1890-1900, mais d’une manière fort civilisée : les socialistes portent une fleur rouge à leur boutonnière, leurs adversaires chrétiens sociaux, une fleur d’une autre couleur (j’ai oublié laquelle), mais le goût de la répression sanglante n’existe pas comme ce sera le cas 30 ans plus tard, et le maire antisémite de Vienne ne menace pas le mode de vie des Juifs (fort bien intégrés dans la culture allemande locale au demeurant). La violence ne vient que des nationalistes allemands, qui ont eux aussi leur fleur (la violette, je crois), et usent de méthodes de terreur, mais ils ne sont représentés que dans des cantons alpins reculés (dont un où naquit Adolf Hitler) et aux marches de la Bohème (les Sudètes).

Ces remarques me rappellent l’omniprésence des fleurs dans l’œuvre (contemporaine) de Gide et son témoignage sur le jour où Barrès lui fit livrer un bouquet (si je me souviens bien). Les fleurs sont-elles le signe d’un haut degré de civilisation ? Mao Zedong aimait la fleur de prunus particulièrement résistante au froid  expliquait une chaîne de télévision chinoise en français il y a peu.  Je vous laisse juges…

Le positif est exprimé, chez Zweig, avec nuances, sans illusions, souvent avec un brin d’ironie, mais le négatif n’est pas dissimulé non plus,  à commencer par l’éducation disciplinaire dans les lycées. Il y a quelque chose de surprenant dans les propos de cet auteur. Ecrivant en 1941, il fait comme si le temps des  cours du haut de l’estrade, du mépris et de la bêtise des enseignants, de l’enfermement carcéral des jeunes corps à l’école et au lycée, qui avait marqué sa jeunesse, était définitivement révolu. C’est pourtant celui que connurent encore mes parents, et même moi dans les années 1980. Je ne crois d’ailleurs pas que les élèves en soient sortis. Aujourd’hui l’enseignement prend des côtés plus conviviaux, mais seulement en surface, par derrière on flique les enfants dès l’âge de 4 ans : l’institutrice de maternelle m’envoie hier un fiche d’évaluation de mon fils, pourvue d’au moins 35 rubriques… et se terminant par une conclusion de trois lignes… avec une grosse faute d’orthographe (deux « r » à « intéresser », pour ma part j’évalue l’évaluatrice et l’envoie bosser dans une usine à Guangdong illico).

Je n’ai pas d’opinions tranchées sur l’enseignement. Pour moi toutes les méthodes d’éducation (autoritaires ou libérales) se valent, il n’y a pas de façon idéale d’apprendre. Mais on voit Zweig touché par la psychologie de son temps et le portait qu’il fait de ses professeurs sonne assez juste de ce point de vue. Ses propos sur la sexualité, influencés par le freudisme, sont aussi d’une grande exactitude. C’est le tableau du revers de l’idéalisme. Sous les roses du culte de la pureté et de la grandeur d’âme, le limon de la prostitution de masse, de l’incarcération morale des femmes de la bourgeoisie, d’une sexualité qui au fond n’est jamais très agréable. Car au fond à part l’espace conjugal (dans lequel la bourgeoisie viennoise n’entre que très tard), les jeunes privilégiés ne peuvent trouver leur bonheur qu’auprès des danseuses s’ils sont riches et plus souvent des petites servantes, des ouvrières en manque de supplément de revenus (et qui sont donc elles aussi dans la quasi-prostitution, quoique moins sordide que celle des « quartiers réservés » où s’entassent les professionnelles infortunées). Mais avec ces filles de peu fatiguées par une journée de travail ce ne sont que des passes courtes et frappées du sceau de la culpabilité. Si je m’attarde un peu sur cet détail c’est parce l’an dernier (je ne sais plus si j’en ai parlé dans ce blog) j’étais tombé sur un numéro de la Vie Parisienne des années 50 qui célébrait le souvenir du Montmartre des années 1910 à travers une petite histoire d’amour avec une secrétaire dactylographe. Le récit se voulait léger et cependant bien involontairement y transpirait sous des dehors toute la misère sociale et morale de la fille. Zweig ne dissimule pas ce côté sordide qui empêchait Eros de « s’envoler » – pour emprunter ici les mots de l’admirable Alexandra Kollontaï.

Très honnêtement je ne sais pas si les choses allaient mieux (au moins dans la bourgeoisie) du temps où Zweig écrivait ce texte. Ni non plus dans les années 70 (la libération des mœurs a produit aussi beaucoup de misère, notamment chez les femmes). Le retour des MST dont Zweig  célébrait la quasi-disparition dans les années 40 et le déplacement du sexe vers le virtuel, tandis que l’égalité des sexes vouent ceux-ci à une forme d’apartheid ont ramené dans nos villes les cohortes de prostituées que Zweig décrit à propos de la Vienne de son époque, et avec elles, probablement, la même sexualité bâclée et sans charme. On peut regretter qu’il n’y ait plus aujourd’hui sur ce sujet la même franchise, la même lucidité. J’attends toujours qu’un écrivain s’empare du sujet des salons de massage chinois qui fleurissent aux quatre coins de Paris, ou qu’un sociologue m’explique pourquoi les étudiantes qui offrent de la relaxation à domicile pour moins de deux cents euros sont presque toutes des blacks…  Mais il est vrai qu’au moins à a différence de l’Autriche des années 1900 la société occidentale actuelle ne prétend pas aller bien et donc tout le sordide qu’on peut repérer dans son fonctionnement n’a même plus à être dévoilé.  Chacun l’admet et reconnaît comme une évidence que plus on avance, plus tout se détraque : nous sommes une espèce animale qui a échoué.

Venons en maintenant aux rencontres qu’évoque Zweig, car il eût le privilège d’être précocement reconnu, et donc de croiser des célébrités sur sa route. Théodore Herzl, tout d’abord, « directeur du feuilleton » de la Neue Freie Presse. Zweig en fait un personnage sympathique. D’apparence royale (on le surnommait avec ironie le « roi de Sion » - peut-être est-ce Karl Kraus, l’idole actuelle de l’Acrimed, qui inventa l’expression), comme Empédocle (si je me souviens bien), il avait vocation à diriger les hommes et avait employé ce talent au départ à pousser des milliers de Juifs à se convertir au catholicisme en la cathédrale Saint Etienne, sur un mode très théâtral que décrit fort bien Zweig.  Puis, choqué par la dégradation de Dreyfus dont il fut témoin comme reporter de son journal à Paris, il épousa avec la même passion la cause de la séparation des Juifs, qui lui valut beaucoup de critiques parmi ses coreligionnaires à Vienne. Il allait trouver un écho inattendu dans le prolétariat juif de Russie et de Galicie, mais sans jamais parvenir à unifier les israélites disséminés en tant de différences culturelles et d’incompatibilités de classe.

A l’heure où sur Internet circulent beaucoup d’écrits antisionistes (et antisémites) contre Herzl, il est bon de relire le portrait impartial, subtil et finalement assez favorable que Zweig propose de lui. (A suivre...)


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