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Le blog de Frédéric Delorca

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Deux billets de 100 Francs dans "La Pharsale" de Lucain

15 Août 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

Mon petit camarade a laissé un message sur mon répondeur. Il dort avec l'armée de la République populaire de Donetsk dans un bled près de Lougansk... Demain ils prendront un train pour rejoindre la ville assiégée.

 

arcusSeul en ma demeure, ce soir, je lisais au hasard dans le tome 2 de la Pharsale le passage où Lucain médite sur la tombe dérisoire de Pompée en Egypte. Puis je lis son apothéose de Pompée. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis heureux que Lucain (comme je suis heureux de savoir que cet auteur est né à Cordoue, qu'il est le neveu de Sénèque, qu'il a écrit une tragédie sur Médée, et une Descente aux Enfers, mais il serait trop long de vous expliquer pourquoi), ait écrit ce passage. Il le fallait. Le commentateur précise que l'apothéose est nécessaire chez les stoïciens, mais elle est aussi pythagoricienne. Donc, disais-je, après ma lecture de cette très belle apothéose, je déchire quelques pages à la main. Mais ce n'est pas du joli travail. Je saisis un couteau, entaille deux autres pages... et tombe sur deux billets de 100 Francs qui y étaient intercalés...

 

Deux beaux billets même pas pliés. De quelle année sont-ils ? Peut-être les années 1980 ? Pourquoi le lecteur de la Pharsale (que je lis en livre d'occasion) a-t-il placé là ces billets entre les pages non découpées ? Voulait-il les offrir à quelqu'un ? Un mystère plane sur cet argent qui ressemble à un don fait à travers les décennies. Un don qui m'échoit. Evidemment je ne peux rien en faire (ces billets ont-ils une valeur quelconque sur le marché des collectionneurs ?).

 

Je regarde la page où ils se trouvaient, p. 146, celle qui relate le discours de Cléopâtre pour convaincre César de l'aider à reconquérir son trône d'Alexandrie juste avant la première nuit où ils firent l'amour. Je suppose que l'homme ou la femme qui ont glissé ces deux billets n'ont pas vraiment choisi la page, puisqu'elle n'était pas détachée de la suivante...

 

C'est bien la première fois que je trouve de l'argent dans un livre d'occasion, mais, à la réflexion, cela va bien avec l'esprit de l'oeuvre de Lucain qui, sous la dictature de Néron (même si l'empereur l'apprécia et le protégea pendant un temps), avait toutes les caractéristiques d'une bouteille jetée à la mer, d'un don gratuit et désespéré pour des inconnus, car on ne voit pas bien à qui la Pharsale pouvait être utile (aux nostalgiques de la République ? s'ils avaient été dans le public de la Pharsale nul doute que Néron n'en eût jamais récompensé l'auteur...). Je l'ai déjà dit ici : le stoïcisme c'est le renoncement dans l'action, comme la Bhagavadgita. Et donc on donne à la postérité une apothéose de Pompée, comme on glisse deux billets dans un livre. Une générosité inutile.

 

nietzscheDans la Pharsale, Lucain émet le voeu que les Egyptiens, quelques générations plus tard, deviennent un jour fiers du tombeau de Pompée comme les Crétois le furent du tombeau de Jupiter (que Lucain appelle "le Tonnant"). Je me souviens que Nietzsche quand il parle de la mort de Dieu, évoque ce tombeau crétois au dieu mort. Il y a quelque chose de très beau et de très profond dans cette image de la sépulture de l'Eternel, un paradoxe qui va bien aussi avec le stoïcisme.

 

Lucain s'adressait à un peuple égyptien irréel, puisque ceux-ci n'ont jamais été fiers de la stèle de Pompée (de "Magnus" comme dit l'auteur). Tous ceux qui défendent des causes perdues s'adressent à une humanité absente. Il faut avoir une sensibilité à la Châteaubriand pour aimer ce genre de soliloque.


chateaubriand

Au fait, en parlant de l'auteur des Mémoires d'Outre-tombe, je songeais ce soir qu'il avait eu la même "baraka" qu'Alexandra David-Néel dans ses tribulations américaines. Mais développer ce point me conduirait trop loin, et il est déjà tard...

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"La Pharsale", la "retirada" des pompéiens

21 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

spLes Républicains espagnols ont eu leur "retirada" en 1939, le digne et pauvre repli de leurs troupes militairement défaites et moralement victorieuses à travers les Pyrénées, mais sans grand écrivain pour la narrer. Les Républicains romains, les pompéiens, quelques décennies après leurs hauts faits, ont eu La Pharsale de Lucain.

 

Je vous conseille de la lire par petits bouts en français sur Internet à défaut de l'acheter dans le commerce (car elle est fort chère, on ne vend qu'Amélie Nothomb à des prix abordables).

 

J'aime bien le portrait attendrissant que Lucain fait au livre VIII de la femme de Pompée, la noble Cornélie descendante des Scipions, après la défaite : A Lesbos "quoique le malheur de Pompée eût affligé tous les cœurs, c'était moins ce héros qu'on plaignait que celle avec qui ce peuple était accoutumé à vivre comme avec une de ses citoyennes, et qu'il voyait avec douleur s'éloigner. Quand même elle irait joindre un époux triomphant, les femmes de Lesbos en lui disant adieu auraient peine à retenir leurs larmes, tant sa pudeur, sa dignité, la modestie répandue sur son chaste visage lui ont attiré leur amour. Ce qui les a le plus touchées, c'est que loin de se rendre incommode à ses hôtes, et loin d'humilier même les plus petits, elle a vécu à Mytilène dans le temps des prospérités et de la gloire de Pompée comme s'il eût été vaincu."

 

Pompée s'intéresse aux astres à la manière d'Auguste : sur le bâteau il interroge le matelot. "Souvent l'âme accablée de ces pénibles soins, et rebutée de l'affligeante image que lui présente l'avenir, il écarte pour respirer, ces idées tumultueuses, et l'abattement de ses esprits, qu'un trouble si violent épuise, lui laisse un moment de relâche. Il questionne alors le pilote sur tous les astres, comment on reconnaît les rivages, quel moyen le ciel lui donne de mesurer l'espace parcouru de la mer, quel astre lui montre la Syrie, quels feux du Chariot le font se diriger vers la Libye."

 

Rappelons que le pythagoricien Apollonios de Tyane disait être la réincarnation d'un matelot égyptien... je viens de comprendre pourquoi en lisant Lucain...

 

Lucain a des accents à la Chateaubriand évoquant Napoléon quand il décrit la déchéance grandiose de Pompée : "Son fils fut le premier qui, du rivage de Lesbos, suivit ses traces sur les mers. Après lui vinrent une foule fidèle de patriciens, car même depuis sa ruine et la défaite de son armée, la Fortune ne put l'empêcher d'avoir des esclaves couronnés, et dans sa déroute, il traînait après lui tous les rois de la terre, tous les sceptres de l'Orient. "

 

Comme Chateaubriand il réfléchit aux alternatives stratégiques quand il fait dire à Pompée, chargeant Déjoratos de recruter de nouvelles troupes : "j'ai perdu tout ce qui sur la terre était au pouvoir des Romains, mais il me reste à éprouver le zèle des peuples du Tigre et de l'Euphrate, où ne s'étend point encore la domination de César. Allez en mon nom soulever l'Orient et le Nord, pénétrez jusque dans le fond des États du Mède et du Scythe, allez dans un monde qu'un autre soleil éclaire, rendez au superbe Arsacide ces paroles que je lui adresse : Si l'ancienne alliance que nous avons jurée, moi par Jupiter Latin, vous par le culte de vos mages, subsiste encore entre Rome et vous, Parthes, remplissez vos carquois, tendez vos arcs, souvenez-vous qu'en chassant devant moi les peuples du Caucase, je vous laissai la liberté d'errer en paix dans vos campagnes, sans vous réduire à chercher dans les murs de Babylone un asile contre moi. J'avais déjà franchi les bornes du vaste empire de Cyrus, et vers le fond de la Chaldée, je touchais aux bords où l'Hydaspe et le Gange vont se jeter au sein des mers. Cependant lorsque la victoire me soumettait tout l'Orient, je voulus bien excepter le Parthe du nombre des peuples que je rangeais sous les lois de Rome, et leur roi fut le seul que je traitai d'égal. Ce n'est pas une fois seulement que les Arsacides m'ont dû la conservation de leur empire, et, après la sanglante défaite de Crassus en Assyrie, quel autre que moi eût apaisé le ressentiment des Romains ? Engagés par tant de bienfaits, ô Parthes ! Voici le moment de passer l'Euphrate qui devait à jamais vous servir de barrière. Courez sur cette rive que vous interdit le fondateur de Zeugma. Venez vaincre en faveur de Pompée ; et Rome elle-même consent à être vaincue à ce prix". S'ensuivent des réflexions intéressantes sur les possibilités de s'en remettre aux Maures ou aux Parthes, les inconvénients de l'une ou l'autre option, et le risque que Cornélie finisse dans un harem du roi des rois arsacide où "Un même lit reçoit des épouses sans nombres ; les lois, les nœuds de l'hyménée y sont souillés par ce mélange impur ; ses mystères les plus secrets y sont célébrés sans pudeur, en présence de mille femmes."

 

Puis c'est Caton d'Utique traversant le désert des Syrtes en Libye, refusant de consulter l'oracle d'Ammon en disant à Labienus : "Pourquoi chercher si loin des dieux ? Jupiter est tout ce que tu vois, tout ce que tu sens en toi-même. Que ceux qui, dans un avenir douteux, portent une âme irrésolue, aillent interroger le sort ; pour moi, ce n'est point la certitude des oracles qui me rassure, mais la certitude de la mort. Timide ou courageux, il faut que l'homme meure. Voilà ce que Jupiter a dit, et c'est assez."  Les soldats de Caton tués par des serpents, les Psylles qui finissent par sauver le campement par des chants magiques pour qu'ils aillent à Leptis, tandis que César bâcle sa visite à Troie (et foule maladroitement au pied les mânes d'Hector)

 

Je ne suis pas un grand connaisseur, mais je trouve que cela vaut bien l'Enéide...

 

 

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43 ans et demi à l'ombre de César-Auguste

26 Mars 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

En cette semaine où j'apprends qu'est sorti un film hollywoodien sur un épisode que justement j'explorais il y a peu en rapport avec la vie d'Apollonios de Tyane, et où les stations de métro parisiennes se couvrent de l'image de César-Auguste, au milieu de mes migraines, une petite lecture "augustéenne" pour mes 43 ans et demi. Toujours Ad Augusta per Angusta.

 

 


eneide  
Pour mémoire : dans Suétone, sur les pouvoirs de la chambre d'enfance d'Auguste : "No one ventures to enter this room except of necessity and after purification, since there is a conviction of long-standing that those who approach it without ceremony are seized with shuddering and terror; and what is more, this has recently been shown to be true. For when a new owner, either by chance or to test the matter, went to bed in that room, it came to pass that, after a very few hours of the night, he was thrown out by a sudden mysterious force, and was found bedclothes and all half-dead before the door. " et sur son lien avec Apollon :
    On disait qu'Atia, la mère d'Auguste, avait conçu son fils avec Apollon lors d'une nuit passée dans son temple et qu'elle se réveilla avec une tache indélébile en forme du serpent Python. " Coins of the eastern Roman provinces showed Apollo in several guises. On the far right is a bronze of Diadumenian from Nikopolis ad Istrum showing a nude Apollo holding a bow and a phiale, demonstrating both physical prowess and religious sensibility. This tells us something about how he was perceived."

 

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Parti de l'avenir

19 Novembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

romans.jpgStricto sensu Caton d'Utique n'était ni du parti des élites ni de celui de la populace. il était du parti des philosophes, du parti de l'avenir parce qu'il ancrait ses principes éthiques dans la nature humaine comme le fait Dawkins dans son "Pour en finir avec Dieu".

 

Dans cette mesure, même un pape 18 siècles plus tard, pouvait le rejoindre. Voyez Pie VII qui n'étant encore qu'évêque d'Imola avait dit en 1797 :"(...) Siate buoni cristiani, e sarete ottimi democratici (...) Dieu favorisa les travaux de Caton d'Utique et des illustres Républicains de Rome" (Chateaubriand, MOT II p. 418). Et l'on peut soutenir que l'Empire romain survécut à Auguste uniquement parce que les peuples soumis, avec pietas, continuèrent d'appliquer les principes de Caton. Voyez Rome en Afrique à propos de la vie civique des cités d'Afrique du Nord dominées par Rome.

 

Alors bien sûr peut-être le second stoïcisme se trompe-t-il sur cette nature humaine, peut être la rend il trop "institutionnelle". Ca c'est un autre débat.

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De Finibus (1)

25 Octobre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

P1010391.JPGEn Béarn, je m'asseois sur un lit, et ouvre au hasard "Des termes extrêmes des biens et des maux, tome 2" (De Finibus bonorum et malorum) de Ciceron (titre qui plagie le Peri Telos de Chrysippe paraît-il). Je tombe sur le morceau où il dit que de passage à Metaponte avec Pison (livre V,II,4), il "n'avait pas voulu descendre chez son hôte sans avoir vu l'endroit où Pythagore avait rendu le dernier soupir et vu le siège où il s'asseyait".

 

Bel exemple de pietas intellectuelle (comme celle de Stefan Zweig, sauf que Zweig dans ses écrits s'excuse presque de ce genre de fétichisme), et une preuve de plus de l'importance de Pythagore dans l'histoire dela pensée occidentale. Ce livre un ami me l'avait offert en 1994 quand je bossais à Madrid, mais je ne l'ai jamais ouvert. Un certain snobbisme philosophique nous faisait snobber Cicéron comme simple plagiaire des Grecs à l'époque (mais forumaujourd'hui nous sommes si en deça des Grecs et des Latins qu'on ne peut que rougir devant la grandeur de cet auteur qui à l'époque nous semblait risible. Ce livre, "Des termes extrêmes" est un peu étrange, inspiré de Platon dans la forme (comme tant de travaux philosophiques). Je trouve amusante l'idée de mettre en scène ses amis. Là c'est Marcus Pison, Quintus Tullius (frère de l'auteur), l'épicurien Titus Pomponius Atticus, l'auteur lui-même et Lucius Cicéron son cousin qui sont campés dans les jardins de l'Académie à Athènes.

 

Ce livre eut un succès énorme jusqu'à Montesquieu qui renonça à écrire un traité de morale estimant qu'il ne pouvait pas rivaliser avec cet ouvrage de Cicéron. Celui-ci l'a écrit l'année de la mort de Caton d'Utique en pleine défaite des pompéiens. Il est moins tardif donc que le De Officiis qui m'avait beaucoup impressionné (pas seulement pour son bel hommage à Marseille). J'espère en parler un peu plus sur ce blog ultérieurement...

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