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Le blog de Frédéric Delorca

Articles avec #divers histoire tag

Lili Marleen, Marlene Dietrich, Kusturica, la Yougoslavie, le XXe siècle, les lucioles

1 Avril 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Comme tous les gens de ma génération, j'ai connu l'existence de cette chanson depuis ma plus tendre enfance, sans trop y prêter attention... Et puis, un beau jour de l'année 2000, ou 2001, après avoir partagé les tourments de certaines personnes sous les bombes de l'OTAN du côté de Belgrade, j'ai regardé Underground de Kusturica, un film ponctué par cette chanson à divers moments clés... Film inspiré, profond, émouvant, qui vous promène entre rire et pleurs à chaque instant, surtout quand on connaît un peu certaines injustices des Balkans.

 

Dans "L'insoutenable légèreté de l'Etre" de Philip Kaufman la scène la plus forte est peut-être celle de l'entrée des chars russes à Prague. Dans Underground il y a aussi une scène d'entrée de chars... Les chars nazis en Yougoslavie... On ne s'attend pas à voir ces images sur fond de Lili Marleen (et c'est après avoir vu le film que j'ai appris que cette chanson avait été "le" tube de la seconde guerre mondiale, chez les Allemands comme chez les Alliés). Il est très fort de la part de Kusturica de montrer la grande tragédie nationale de son pays sur fond de cette chanson pour midinette. Très fort aussi bien sûr de juxtaposer ces images de foules enthousiastes pour la svastika à Ljubjiana, Zagreb, et des rues vides à Belgrade (à un moment, 1995, où on traitait les Serbes de nazis). Le cinéaste reprend cette chanson à la mort de Tito, comme pour montrer que cette mort est encore un épisode de la seconde guerre mondiale... avec un cercueil qui parcourt exactement le même chemin que les nazis.

 

Aujourd'hui j'apprends en lisant l'excellente revue Books de ce mois-ci que sosu l'occupation "Lili Marleen" était diffusé chaque soir sur Radio Belgrade aux ordres des nazis comme signal du couvre-feu...

 

Naturellement si cette mise en scène de "Lili Marleen" dans Underground m'a beaucoup touché (ce qui fait que je n'ai plus pu ensuite entendre cette chanson comme avant), c'est parce que Kusturica a concentré en elle toute la seconde moitié du XXe siècle, un siècle à l'égard je n'ai pas fini de payer ma dette. Regardez bien qui est aux funérailles du maréchal... Ca en dit long sur ce que la Yougoslavie a été pour le monde en ce temps là... Et voyez le visage d'Helmut Schmidt comme antithèse du regard carnassier de l'officier nazi juste avant qu'on voie le panneau "Belgrade". Rappelez vous que l'ex-chancelier allemand fut un des rares politiciens occidentaux à condamner l'agression contre Belgrade en 1999. Un homme honnête. Le XXIe siècle pressé d'oublier Lili Marlene a enterré tout cela sous son arrogance imbécile et ses bombes. Mais chaque second de ces morceaux de vidéos me parlent. Moins sans doute que si j'avais eu des origines yougoslaves (car je suppose que beaucoup d'ex-Yougoslaves ne peuvent même pas les supporter). Même les quelques secondes de ces jeunes "pionniers" aux foulards rouges qui vont poser des fleurs sur les rails... J'ai connu des gens, des gens de mon âge ou un peu plus âgés, qui ont eu ces foulards rouges en Yougoslavie. Ils savent bien sûr combien ce foulard les trompait. Mais ils savent aussi ce que les autres ont fait en prétendant les "détromper".

 

Il y a un très beau texte de Pasolini sur le moment où les lucioles ont disparu des marécages italiens et où tout le système politique occidental a changé de sens sans que les gens n'en aient conscience. C'est ce jour là aussi, bien avant la mort de Tito en vérité, que l'acte de décès de la Yougoslavie, et de tout ce qui avait fait le XXe siècle, a été signé.

 

 

 

 

 

 

 

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Ces musulmans qui crurent en Henri III de Navarre et aux protestants

4 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

moros.jpgLes Morisques (de l'espagnol Morisco, littéralement « petit maure ») étaient des musulmans d'Espagne convertis de force au catholicisme après l'abrogation par les Rois Catholiques des accords qui leur permettaient, bien que vaincus, de conserver sur le sol espagnol leur foi et leurs coutumes islamiques. Ils organisèrent quelques révoltes vite réprimées en Espagne, dans les années 1570.

 

Je lis ce matin un article étonnant à leur sujet dans un numéro de la Revue de Pau et du Béarn (*)

 

"Dès 1570, des relations s'étaient nouées entre le gouverneur calviniste du Béarn et des Morisques ; le baron d'Arros promettait d'armer les musulmans s'ils favorisaient la reconquête de la Navarre [sa partie méridionale annexée par l'Espagne] ; l'Inquisition dénonce alors quelques conversions de Moriques au "luthéranisme" : "Moro y luterano". Ces premiers contacts, "alliances de convenances" ont toutefois laissé peu de traces. Les registres du Saint Office de Saragosse révèlent toutefois que les Béarnais se trouvent mêlés, entre 1561 et 1570, à la fuite de quelques dizaines de Morisques au nord des Pyrénées. Deux bergers de la vallée d'Aspe et un habitant de Sauveterre paraissent avoir été de véritables "passeurs".

 

A partir de 1576, Henri de Navarre, bientôt Henri IV, a été le principal bénéficiaire d'une intense contrebande d'armes, de poudre et surtout de chevaux, en liaison avec ses promesses d'aide aux Morisques et sa politique ottomane. Dès 1568 le gouvernement espagnol avait chargé l'Inquisition de surveiller ce trafic ; entre 1596 et 1626, alors que la tension diplomatique s'était apaisée, la contrebande se poursuivait. Le Saint-Office jugea vingt contrebandiers français qui venaient chercher des chevaux, du salpêtre, sur les foires de Barbastro, Sarineno et Huesca, en provenance de Valence. Dans les années 80, la fraude avait connu une extension maximale,  orchestrée par Henri IV. Le Béarnais, qui n'avait en réalité aucune visée sérieuse sur la Navarre et encore moins l'intention d'intervenir directement au profit des Morisques, sut en revanche tirer parti de leur désarroi pour obtenir les chevaux et les armes dont il avait le plus grand besoin. J. Contreras a fort bien résumé le "malentendu" entre les deux parties de ce négoce frauduleux : "Les Morisques du royaume d'Aragon et leurs frères de Valence ne participèrent pas seulement au trafic des chevaux pour des raisons de lucre, mais mus par d'autres raisons : foi et liberté".

 

henri-IV.jpg

En 1595, l'Inquisiteur de Saragose recueillait à Alcala de Ebro les propos d'un vieux morisque, tenus à un "vieux chrétien", né en Béarn : "Ce roitelet (Philippe II) nous fait vivre dans une soumission telle que si Vendôme (sic) [Henri IV] venait en Navarre nous y irions tous, à coup sûr, car il laisse vivre chacun selon sa loi et ses sujets ne sont pas aussi soumis que ceux de ce roitelet" ! Ces rumeurs s'amplifièrent lorsqu'on apprit qu'Henri IV négociait avec la Porte [Constantinople] ; dans les Cinca Villas, Francisca Uceda, une Morisque, fut accusée d'avoir déclaré : "Si Vendôme arrive avec les Luthériens, je préfère que ceux-là me fassent du mal, plutôt que les Castillans du bien." En même temps qu'ils s'armaient, les Morisques armaient "Vendôme" [Henri IV] ; même après Lépante, cette contebande continua. Impossible à évaluer, elle semble avoir été très conséquente ; à Daroca, deux Morisques étaient interceptés avec deux charrettes : "Où ils transportaient plus de 80 arrobes de plomb et d'étain" ; deux jours plus tard, cinq mules chargée de fûts d'arbalètes et de caisses de fusils étaient saisies. Bielsa était la plaque tournante de la contebande des chevaux. Entre 1576 et 1580, les forges de Biescas, où travaillaient des métallurgistes béarnais, fabriquaient des plaques de fer : "Qu'on fait ensuite passer en Gascogne et dont on fait des plastrons d'armes et des cuirasses qui résistent aux arquebuses et que l'on paie là-bas à des prix exorbitants". "

 

J'arrête ici ma citation de ce passionnant article qui évoque aussi les "trafics d'idées" (notamment la circulation de livres calvinistes) entre le Béarn et l'Aragon. Il est troublant de songer que, si Henri III de Navarre, avant qu'il ne devienne roi de France sous le nom d'Henri IV ou après, s'était lancé dans une reconquête de la Navarre du Sud, celle-ci aurait bénéficié sans doute d'un régime religieux comparable à l'édit de Nantes en France et qu'alors, comme l'évoque le vieux Morisque dont les propos sont cités en 1595, les Musulmans d'Aragon et de Valence y auraient trouvé refuge, de sorte que la Navarre du Sud serait devenue une sorte de Bosnie-Herzégovine en Europe occidentale dès la fin du XVIe siècle.

 

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(*) Christian Desplat, La contrebande dans les Pyrénées occidentales à l'époque moderne, Revue de Pau et du Béarn , n°27, 2000 p. 164-165

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En 1996 les communistes russes remportaient les élections

4 Mars 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

l_nine.jpgCher lecteurs,

Comme vous le savez je ne suis pas un chaud partisan du communisme russe. Mais je prie ceux d'entre vous qui ont encore la naïveté de croire en l'honnêteté des Occidentaux et de leurs alliés de bien vouloir lire attentivement cette nouvelle.

 

"La révélation du TIME, à quelques jours du scrutin présidentiel en Russie, ne fait que confirmer les soupçons qui pesaient sur l’élection présidentielle de 1996 et nourrir les critiques d’une contre-révolution anti-démocratique, au fondement du régime actuel des oligarques, du système autoritaire géré par Russie Unie.

Selon le périodique américain, le président russe Dmitry Medvedev aurait livré cette révélation lors d’une réunion à huis clos avec plusieurs représentants de l’opposition non-communiste, avec lequel il s’est senti en confiance pour lâcher ce secret de polichinelle.

Face aux allégations de fraude sur le scrutin législatif de 2011, Medvedev aurait alors contre-attaqué de façon inattendue, justifiant la fraude par le barrage aux communistes, une tentative de se rallier ces opposants libéraux et farouchement anti-communistes : « Nous savons tous qui a gagné les élections présidentielles de 1996, et ce n’est pas Boris Eltsine ».

Une version confirmée par quatre des personnes présentes et que n’a pas démenti le Kremlin, qui cherche depuis à étouffer l’affaire


Il faut rappeler le contexte des élections de 1996. Cinq ans après la restauration du capitalisme en Russie, les russes avaient subi de plein fouet la « thérapie de choc » imposée par le FMI et la nouvelle bourgeoisie russe : chute de la production, privatisation massive, austérité budgétaire et ses conséquences sociales dramatiques, hausse exponentielle du chômage, développement de la pauvreté, la menace de la faim et de la mort brutale redevenant une réalité pour une part croissante de la population (cf l’étude de la revue médicale britannique Lancet sur la mortalité post-URSS : 1 million de morts imputables directement aux politiques de privatisation en Europe de l’Est après 1989).

S’ajoutant à la campagne désastreuse menée par la Russie en Tchétchénie et aux méthodes anti-démocratiques d’un Eltsine qui n’avait pas hésité à bombarder la Douma en 1993 pour se débarrasser de ses opposants, la légitimité du président des oligarques était plus faible que jamais en 1996.

Face à lui, son principal rival était le candidat du Parti communiste Guennadi Ziouganov, partisan d’un retour au système social soviétique non sans réformes sérieuses sur le plan politique.

Alors que les sondages concrétisaient une irrésistible ascension du candidat communiste, se déclenchait une vaste campagne de propagande médiatique, alimentée à la fois par des capitaux et des « spin doctors » américains. Cette campagne, alimentée à l’époque par des fraudes qui restaient à l’état de forts soupçons, permit à Eltsine de passer d’un rien en tête au premier tour avec 35% contre 32% à Ziouganov et de remporter de justesse le deuxième tour avec 53%.

Mais, les révélations de Medvedev viendraient confirmer les doutes sur un scrutin qui aurait pu faire basculer l’histoire de la Russie post-soviétique. A deux jours d’un autre scrutin présidentiel décisif, elles révèlent tout le cynisme d’un régime au service d’une poignée d’oligarques, un système reposant sur la fraude et l’arbitraire."

 

Il faudrait vérifier un peu plus la véracité de cette nouvelle livrée au conditionnel. En voici la source. On peut se demander ce qu'il serait advenu si M. Ziouganov était devenu le président de la Fédération de Russie en 1996. La face de la "mondialisation libérale triomphante" en eût été changée. Nul doute que l'OTAN eût hésité à bombarder Belgrade en 1996 et le FMI à vouer l'Europe centrale à l'ultralibéralisme. Peut-être le PC de la Fédération de Russie n'aurait pas eu la force de restaurer le système soviétique, et sans doute les milieux d'affair dans ce pays auraient-ils eu les moyens de le plonger la pauvre Russie dans le chaos, avec l'aide de quelques "spin doctors" occidentaux. Mais au moins ces nouvelles sources de difficultés auraient-elles ralenti l'ardeur des milieux d'affaire de Wall Street et de la City en Europe de l'Est, et, par voie de conséquence dans le reste du monde. Le clintonisme et le blairisme triomphants auraient rencontré des obstacles géopolitiques un peu plus solides que l'altermondialisme. Et qui sait si cela n'eut pas donné des ailes à de nouveaux courants de gauche, y compris en Europe occidentale, à ce moment là. Car qu'un grand pays comme la Russie choisisse librement par les urnes de refaire confiance aux communistes, comme le fit la petite Moldavie un peu plus tard, n'aurait pu laisser personne indifférent.

 

Aujourd'hui encore le PC de la Fédération de Russie est la principale force d'opposition, et la seule à même de prendre le pouvoir en Russie face à Poutine. Nos médias n'en parlent guère et préfèrent s'intéresser aux petits partis de la mouvance libérale et aux blogueurs... Nous devions nous intéresser davantage à cet envers du décor car il est important pour l'histoire actuelle de notre continent et du monde.

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Histoire des Terres du Sud-Ouest T1 de Patrice Fréchou

15 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Frechou-1.jpgParlons un peu de Bande-dessinée pour changer, juste pour dire un mot de la BD Histoire des terres du Sud-Ouest  (tome 1) de Patrice Fréchou, un petit livre dans lequel on apprend beaucoup de choses et qui a le mérite de vulgariser beaucoup de découvertes archéologiques des 30 dernières années, et de rompre avec une certain "racisme anti-aquitain" de la République française centralisatrice pour faire droit à la diversité ethnique de cette région (notamment sa composante ibérique et protobasque) avant la conquête césarienne, région que l'on pourrait qualifier d' "Aquitaine des nations" comme on parle de "Galilée des nations dans la Bible".

 

On pourrait pinailler sur la qualité pas toujours très heureuse des dessins (des jambres un peu courtes, des problèmes ici et là qui font penser aux tableaux des peintres du dimanche), certaines surcharges, des textes pas toujours très lisibles. Mais le problème qui me préoccupe dans cette bande dessinée est tout autre. Il touche à un certain "racisme inversé", un racisme anti-français qui n'est sans doute pas le fait de l'auteur mais plutôt du climat intellectuel dans lequel baignent beaucoup de textes de la région ces dernières années.

 

Pendant longtemps on nous a appris à penser la Gaule sans les Aquitains, mais maintenant on tombe dans l'excès inverse : une Aquitaine sans les Gaulois. Fréchou explique doctement cartes à l'appui que la première vague d'invasion celte (du moins ce que nous croyons être les "celtes", pas tout à fait ce qu'en dit Jean-Louis Brunaux) s'est déplacée du Bassin parisien au Nord-Ouest de l'Espagne en évitant soigneusement les territoires gascons (p. 15). Il veut bien ensuite admettre que dans une seconde vague, des celtes ont fondé Bordeaux et Toulouse, mais selon lui ils ne se sont pas aventurés plus au Sud. Il insiste sur le fait que le druidisme (ferment de l'unité des Gaules) était absent de Gascogne et qu'aucun peuple "aquitain" n'était représenté à Alesia. Plus loin d'ailleurs (p. 29) il blâme presque Auguste d'avoir créé une "grande Aquitaine" (qui déborde au nord de la Garonne) et de n'avoir pas respecté ainsi l'identité "ethnique" de la région, en y incluant des Celtes.

 

Frechou-2.jpg

On voit bien que ce refus de la présence celte en Aquitaine fonctionne comme un ferment idéologique de légitimation politique de son particularisme.

 

J'ai déjà indiqué sur ce blog que cette thèse était contestée, notamment par Goudineau professeur au collège de France. Il y avait au moins un grand peuple celte entre la Garonne et les Pyrénées, c'étaient les Tarbelles de Dax dont Rome fit une cité (mais on auait pu aussi évoquer leurs voisins les Tarusates). Lisons l'article de Jean-Pierre Bost "Dax et les Tarbelles", paru dans « L'Adour maritime de Dax à Bayonne » qu'Archéolandes a eu la bonne idée de mettre en ligne. "Le nom des Tarbelles désigne ces derniers comme un peuple celtique. Traditionnellement, on avance que ces "Taurillons" appartiennent à la couche de population du Second Âge du Fer, celle de la Tène ; ils étaient donc des Gaulois." Bost explique ensuite que certes cette thèse d'une migration celtique prête à caution, parce qu'il peut y avoir eu celtisation par simple "pénétration d'influences" et non par invasion (comme d'ailleurs le pense Brunaux, ce qui, non seulement invaliderait l'idée que les Tarbelles soient un peuple immigré, mais rendrait fausse toute la carte de Fréchou sur l' "invasion" qui évite la Gascogne). "Toutefois, j'ai le sentiment, ajoute l'historien, que, comme l'étaint aussi les Pimpedunni, établis non loin d'eux, vers la montagne, les Tarbelles, ceux en tout cas, même peu nombreux, qui ont imosé leur nom aux population indigènes, pas très nombreuses non plus, sans doute, étaient des immigrants", tout en reconnaissant que l'argument linguistique qui permet de trancher ce genre de problème est toujours fragile.

 

Bost reconnaît que Strabon à la fin du règne d'Auguste classe les Tarbelles parmi les Aquitains (ce qui explique sans doute le parti-pris de Fréchou sur la question) et ne reconnaît qu'aux Bituriges vivisque de Bordeaux le titre de "gaulois". "Aux yeux de ses contemporains, les Tarbelles étaient donc considérés comme des Aquitains. "Nous avons vu qu'ils ne l'étaient pas, mais avaient-ils pu le devenir ?" demande même Bost. Il répond à cette ultime interrogation en estimant que ce peuple incontestablement celte à l'origine avait fini par se fondre "dans l'ensemble ethno-culturel aquitain" puisqu'ils ont été les alliés loyaux de leurs voisins contre les Romains (argument un peu peu étrange : une alliance politique révèle-t-elle nécessairement une identité "ethno-culturelle" ?).

 

Retenons du propos de Bost trois éléments 1) l'argument linguistique et toponymique plaide pour le caractère celte des Tarbelles, 2) s'il y a eu invasion (ce qui n'est pas sûr dans les processus de celtisation), les Tarbelles faisaient bien partie de ces migrants (et donc il n'y a pas eu d' "évitement celtique" de la Gascogne, 3) ces éléments restent toujours assez complexes et ne devraient pas se prêter aux simplifications abusives.

 

Je crois que ces trois éléments montrent qu'une oeuvre de vulgarisation qui se voudrait objective n'aurait pas dû s'engager dans l'exposition à grands traits de cartes d'invasion (ou d'évitement) manifestement fausses qui ignorent l'identité celtique des Tarbelles (ou celle des Tarusates). Sur cette question je renvoie aussi aux discussions sur les forums spécialisés comme celui-ci.

 

Pour m'être intéressé pendant longtemps aux Balkans, je sais fort bien le mal politique que cause à notre époque la simplification, voire la réécriture de l'histoire. Je suis donc très inquiet devant la diffusion actuelle d'ouvrages de vulgarisation comme cette bande-dessinée et les schémas mentaux qu'elle crée. Evitons à tout prix une "kosovoïsation" de l'imaginaire aquitain.

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Des Aztèques, des civilisations, des singes et des homo sapiens

5 Février 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

azteques.jpgEn 2001, Paul Hosotte a publié chez Economica L'Empire aztèque, impérialisme militaire et terrorisme d'Etat. Il y explique que le régime politique des Aztèques (du XIV ème au XVI ème siècle) était épouvantable. Entre autres coutumes sanglantes, ceux-ci imposaient notamment qu’au mois d’Ochapanitzli, le mois du « Balayage » (du 21 août au 9 septembre), dédié aux déesses chtoniennes, chaque quartier de Mexico offre une femme que l’on décapitait au préalable pour l’écorcher ensuite. Le prêtre revêtait ensuite la peau de la « déesse » (de la victime) et la fête se poursuivait, émaillée de nouveaux sacrifices, les membres des êtres livrés aux sacrifices étant ensuite mangés dans des repas collectifs. ce n'est qu'un exemple des horreurs qui s'égrainaient ainsi tout au long de l'année à dates fixes et qui tenaient la population dans une peur panique.

 

Paul Hosotte n'a pas écrit au XIXe siècle sur arrière-fond de préjugés raciaux. Il écrit en 2001. Ce n'est pas le premier zozo venu. Il est neuro-psychiatre de formation. "Outre son doctorat en médecine, il est titulaire de plusieurs diplômes dont un doctorat en anthropologie.", précise son éditeur. Je n'ai pas de raison de mettre en doute le contenu de son livre sur les Aztèques qui fait autorité et traîne dans de nombreuses bibliothèques publiques.

 

Sur la base de ce que Paul Hosotte dit, et jusqu'à ce que quelqu'un d'autre me démontre autre chose sur la civilisation aztèque, j'ai le droit de juger si cette civilisation dont l'équilibre reposait sur la terreur vaut "plus" ou moins, que la civilisation chinoise de la même époque, que la culture pygmée (j'emploie pour les pygmées le mot "culture" et non celui de civilisation, car civilisation vient de "civis" et suppose un réseau de villes) ou que la civilisation espagnole de la même époque (qui allait la détruire in fine).

 

J'ai le droit de juger de cette question non seulement de mon point de vue individuel occidental, mais aussi du point de vue universel des êtres humains, car j'affirme que, de iure, il existe une universalité du bien humain fondé sur l'universalité de la nature de notre espèce. Et je dis que quiconque me dénie ce droit est en fait un relativiste obscurantiste, nihiliste (car son relativisme se contredit lui-même et conduit au néant).

 

Bien sûr le passage à un point de vue universel ne prolonge pas mon point de vue subjectif occidental. Mon jugement universel doit passer par une critique et une relativisation des valeurs occidentales.

 

En tant qu'occidental je peux vouloir dire que la civilisation espagnole du XVe siècle valait plus que celle de l'empire chinois et plus que la culture des Pygmées parce que la civilisation espagnole m'est plus familière que les autres (quoique moins que je ne le crois, rappelez vous comme Fumaroli nous a restituté l'extranéité de la culture française classique par rapport à la nôtre). Mais cet avis subjectif n'a aucun intérêt. Car un Chinois ou un Pygmée pas trop occidentalisés (s'il en reste) diraient autre chose.

 

Je suis bien incapable de dire si, du point de vue universel, la culture pygmée était meilleure. Je pense que de iure il serait possible de le dire, si l'on pouvait mettre en place une batterie d'indices de bien-être, de moralité, de développement etc. De iure, on pourrait dire s'il vaut mieux pour l'humanité vivre dans des maisons ou dans des forêts, avoir une forte natalité ou pas, avoir des structures hiérarchiques ou pas, rire beaucoup ou peu, avoir une écriture compliquée, une écriture simple, ou ne pas en avoir du tout, et jauger les cultures à l'aune de cette batterie de critères. Mais j'en suis incapable, et sans doute personne ne peut le faire de facto.

 

Mais ce qui est sûr, c'est que de iure, comme de facto, je puis dire, sans hésiter, d'un point de vue universel, que pratiquement toutes les civiisations et cultures humaines ayant existé sur cette terre (et notamment celles de Chine, d'Espagne, et celles des Pygmées au XVe siècle) valaient mieux que la civilisation aztèque. Au vu des travaux d'Hosotte je peux le dire, avec l'assurance de l'affirmer sans être victime du buais d'approche occidental. Parce qu'aucune espèce animale ou humaine (je devrais dire "animale y compris humaine) ne gagne quoi que ce soit à vivre douze mois sur douze dans la terreur de sacrifices rituels. Si on m'explique que l'orgie de sang élevait très sensiblement le niveau de spiritualité de ce peuple et lui permettait de se transcender, je ne le croirai tout simplement pas. Si quelqu'un venait me prouver (compte tenu des éléments perdus sur cette civilisation lointaine il ne le pourra pas) que grâce à cette terreur les gens par ailleurs riaient beaucoup plus, appréciaient mieux chaque instant qui passe ou étaient plus aimables avec leur prochain, ou plus courageux devant certaines épreuves, ou plus intelligents, plus doués pour les arts, ces avantages "collatéraux" ne me persuaderaient pas davantage de valider le meurtre de masse comme utile à l'élévation humaine. Bref, sauf à démontrer que la thèse de Paul Hosotte est factuellement fausse, nous avons là le cas d'une civilisation qu'on peut, sans hésiter, et d'un point de vue universel, juger parfaitement inférieure à toutes les autres.

 

Voilà ma contribution au débat un peu enflammé qui s'est développé aujourd'hui sur les hiérarchies des civilisations.

 

Pour finir signalons qu'un singe qu'on croyait éteint vient d'être aperçu, il y a 15 jours dans les forêts de Bornéo : le Presbytis hosei canicrus autrement appelé langur de Miller. Ce qui va donner sans doute beaucoup de travail à nos amis scientifique, et, peut-être, nous permettre d'en savoir encore plus sur la branche de primate cousine de la nôtre à laquelle il appartient, donc sur nous-mêmes aussi. Une bonne nouvelle en somme...

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